Le texte que nous vous présentons est un roman écrit par notre père, jamais publié de son vivant et qui évoque un groupe de jeunes lycéens résistants pendant l’Occupation : il a été retrouvé dans les papiers de nos parents après leur disparition. En fait, Paul Béquart, qui a connu notre père et notre mère à l’époque de la Résistance, savait qu’il avait rédigé quelque chose et en avait lu quelques pages. Depuis, nos parents nous parlaient bien de la Résistance mais sans faire allusion précisément à ce texte.
Celui-ci comportait 263 pages tapées à la machine (par notre mère?) et il a sans doute été écrit peu de temps après la guerre, sans que l’on puisse donner une date précise. Il semble inachevé et nous ne savons pas vraiment pourquoi notre père a renoncé à le publier : était-il mécontent de son travail? Etait-il occupé par d’autres activités ? En tout cas, même s’il n’a sans doute pas cherché à le faire éditer, il ne l’a pas détruit…
Le roman, intitulé Le Grand Jeu, raconte l’histoire d’un groupe de lycéens, le plus souvent membres de la JEC, qui se sont engagés dans la Résistance en 1943-1944. Il est construit comme un film, avec de nombreux retours en arrière. Il débute par le procès de Jean Veuillot, dit Jules dans la Résistance, jugé pour avoir assassiné son camarade Stéphane : le récit du procès est interrompu par l’évocation des activités de ces jeunes résistants parisiens. Il est aussi entrecoupé par des extraits de provenances diverses : journal du mouvement Défense de la France, brochures de la JEC, articles de presse…
Si ce roman est particulièrement intéressant pour nous, c’est que notre père s’est très largement inspiré de ce qu’il a vécu pour nourrir son intrigue. Plusieurs faits évoqués renvoient très précisément à des histoires qu’il a vécues et qu’il nous avait racontées : la distribution des journaux clandestins, le lancer de tracts lors d’une messe à Notre-Dame des Victoires, la participation au maquis de Seine et Oise, la relation du massacre de Ronquerolles… De même, il semble bien que la plupart des personnages correspondent à des personnes ayant réellement existé : Philibert par exemple ressemble assez fidèlement au portrait que notre père faisait de son chef de réseau, Philippe Viannay, en particulier quand il évoque ses exposés sur la France d’après la Libération. Pour les autres noms, Paul Béquart a retrouvé plusieurs membres de leur réseau qui correspondent aux personnages du roman (Jules, Bernard, Jacques, Fromont, Valentin, Ted…). Par contre, d’autres personnages, comme Stéphane, sont probablement fictionnels, selon Paul.
Ce roman nous apparaît comme le portrait d’une génération, un groupe de jeunes bourgeois catholiques souvent tourmentés, parfois en rupture avec leur milieu social d’origine. Sa lecture montre bien les sentiments complexes de notre père à l’égard de son engagement dans la Résistance.Comme l’écrit Paul, notre père manifestait parfois « un peu de dérision à l’égard du jeu de « petits soldats » que nous jouions. ». Le titre même du roman, Le Grand Jeu, témoigne d’une certaine lucidité de notre père quant à « sa » Résistance. Et il a adopté cette attitude très tôt, au moment même où il se trouvait au cœur des combats. On peut relever dans le roman que les principaux responsables du réseau comme Philibert, Georges, ou Fromont sont souvent qualifiés de « pédants » et notre père adopte un ton ironique lorsqu’il rapporte les projets grandioses de leur chef de réseau pour l’après guerre. Le roman laisse aussi entendre à quel point à notre père a pu être en rébellion contre son milieu bourgeois d’origine. Nous pouvons confirmer qu’il n’a jamais essayé de jouer à « l’ancien combattant » avec nous et qu’il insistait bien davantage sur l’inconscience, les maladresses, la « trouille » de ces très jeunes gens engagés dans la lutte contre l’occupant. Cette vision de l’histoire, que notre père a conservée tout au long de sa vie, rend ce témoignage plus précieux et plus humain à nos yeux, et sans doute bien plus authentique que d’autres témoignages ou fictions écrits sur le sujet….