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Les cycles dans le cinéma de François Truffaut

     De manière un peu artificielle -on le concède volontiers-, on peut classer la filmographie de François Truffaut par cycles, qui s’organisent autour d’un thème central.

    Le plus célèbre d’entre eux est celui qui reprend le personnage d’Antoine Doinel, depuis les Quatre cent Coups jusqu’à L’amour en fuite…On sait que Truffaut s’identifiait à cet Antoine Doinel  mais en précisant toujours que le personnage était en fait un mélange de sa propre personnalité mais aussi de celle de Jean-Pierre Léaud : quand il choisit l’adolescent pour interpréter le rôle principal des Quatre cent Coups, il se reconnait en lui mais ajoute qu’il n’a jamais eu la gouaille et l’insolence du jeune garçon…En fait, on peut penser que leurs rapports ressemblaient beaucoup à ceux qu’entretiennent le cinéaste Ferrand et son acteur Alexandre, dans La Nuit américaine. Dans le dernier film, L’amour en fuite, le cinéaste esquisse même une réconciliation post-mortem et à travers le cinéma, avec sa mère , si maltraitée dans Les Quatre cent coups. Dans une des séquences du film, Antoine retrouve par hasard l’un des amants de sa mère, Monsieur Julien. Celui-ci lui affirme que sa mère l’aimait « à sa manière » et il l’emmène sur sa tombe, alors que le jeune homme ne s’y était jamais rendu…

Au delà de ce personnage, d’autres films de ce réalisateur montrent tel ou tel aspect de sa personnalité et possèdent donc une forte dimension personnelle (certains critiques estiment d’ailleurs que TOUT le cinéma de Truffaut est autobiographique…). La peau douce est une évocation d’une passion adultère, pas très éloignée de celle qu’a vécu le cinéaste : L’Homme qui aimait les femmes raconte l’histoire d’un homme qui collectionne les aventures féminines, sans doute un personnage très proche de celui du réalisateur. Le cinéaste lui-même estimait que Jules et Jim, qui dresse le portrait d’une jeune femme émancipée, était pour lui une manière de rendre hommage à sa propre mère…

     Le sujet de la jeunesse  est aussi cher au cœur du cinéaste, dans la mesure même où lui-même considère avoir vécu une enfance « ratée ». D’ailleurs, son assistant de l’époque, Jean François Stevenin, raconte comment Truffaut savait s’adresser aux acteurs-enfants avec beaucoup de gentillesse, au point de les laisser agir à leur guise et se montrer insupportables !

    On sait aussi que Truffaut avait un goût très prononcé pour la littérature, y compris la littérature populaire des romans policiers. Il a souvent raconté que sa mère l’obligeait à « se tenir tranquille » et il s’est alors plongé dans les livres d’abord pour passer le temps puis avec une véritable frénésie : pendant l’adolescence, il fait l’acquisition de TOUS les petits fascicules Fayart, de a à Z, qui reprennent les grands textes de la littérature classique ! Certains critiques ont même parlé du réalisateur comme un « écrivain frustré »…

Enfin, Truffaut a réalisé quelques films dont l’histoire se déroule dans une période bien spécifique : L’enfant sauvage  au XVIII° , Adèle H. au XIX°, La chambre verte juste après la première guerre mondiale, Le dernier métro pendant la période de l’Occupation et Farenheit 451…dans le Futur ! A chaque fois, le cinéaste est d’une grande sobriété pour évoquer telle ou telle époque mais aussi d’une grande précision. En ce qui concerne Le dernier métro, il a pu utiliser ses propres souvenirs d’adolescent : c’est à cette époque que les Quatre cent coups auraient du se situer mais le tout jeune cinéaste se sentait pas encore capable de restituer l’ambiance si particulière de l’occupation (par contre, il admirait La traversée de Paris,film réalisé par une de ses têtes de turc préférées, Claude Autant-Lara !). En fait, on comprend bien que, dans ces films « à costumes », Truffaut n’est pas particulièrement interessé par l’authenticité historique mais bien plutôt par les aspects psychologiques des histoires qu’il raconte..

Le cycle Doinel
-les quatre cent coups
-Antoine et Colette (court métrage)
-Baisers volés
-Domicile conjugal
-L’amour en fuite

Le cycle autobiographique
-les quatre cent coups
-La peau douce
-La nuit américaine
-L’homme qui aimait les femmes

Le cycle enfance
-Les mistons (CM)
-Les quatre cent coups
-l’Enfant sauvage
-L’argent de poche

Le cycle littéraire

Romans

-Jules et Jim (Henri-Pierre Roché)
-Farenheit 451 (Ray Bradbury)
-Les deux Anglaises et le continent
(Henri-Pierre Roché)

Romans policiers

Tirez sur le pianiste (David Goodis)
La mariée était en noir (William Irish)
La sirène du Mississipi (William Irish)
Une belle fille comme moi (Henry Farrel)
Vivement Dimanche (Charles Williams)

Le cycle film historique
-Jules et Jim
-l’Enfant sauvage
-Histoire d’Adèle H.

-La chambre verte
-Le dernier métro

Quelques textes autour de François Truffaut…

Une certaine tendance du cinéma français
(article de François Truffaut, Cahiers du cinéma n°31, mars 1954)
«Si le Cinéma Français existe par une centaine de films chaque année, il est bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des critiques et des cinéphiles, l’attention donc de ces Cahiers. Ces dix ou douze films constituent ce que l’on a joliment appelé la Tradition de la Qualité, ils forcent par leur ambition l’admiration de la presse étrangère, défendent deux fois l’an les couleurs de la France à Cannes et à Venise où, depuis 1946, ils raflent assez régulièrement médailles, lions d’or et grands prix (…)
Il n’y a guère que sept ou huit scénaristes à travailler régulièrement pour le cinéma français. Chacun de ces scénaristes n’a qu’une histoire à raconter et comme chacun n’aspire qu’au succès des « deux grands » (Aurenche et Bost), il n’est pas exagéré de dire que les cent et quelques films français réalisés chaque année racontent la même histoire : il s’agit toujours d’une victime, en général un cocu. (Ce cocu serait le seul personnage sympathique du film s’il n’était toujours infiniment grotesque: Blier-Vilbert, etc.). La rouerie de ses proches et la haine que se vouent entre eux les membres de sa famille, amène le « héros » à sa perte; l’injustice de la vie, et, en couleur locale, la méchanceté du monde (les curés, les concierges, les voisins, les passants, les riches, les pauvres, les soldats, etc.). (…)
Il est toujours bon de conclure, ça fait plaisir à tout le monde. Il est remarquable que les  » grands  » metteurs en scène et les  » grands  » scénaristes ont tous fait longtemps des petits films et que le talent qu’ils y mettaient ne suffisait pas à ce qu’on les distinguât des autres (ceux qui n’y mettaient pas de talent). Il est remarquable aussi que tous sont venus à la qualité en même temps, comme on se refile une bonne adresse. (…)
Certes, il me faut le reconnaître, bien de la passion et même du parti pris présidèrent à l’examen délibérément pessimiste que j’ai entrepris d’une certaine tendance du cinéma français. On m’affirme que cette fameuse école du réalisme psychologique « devait exister pour que puissent exister à leur tour Le Journal d’un curé de campagne, Le Carrosse d’or, Orphée, Casque d’or, Les Vacances de Monsieur Hulot. Mais nos auteurs qui voulaient éduquer le public doivent comprendre que peut-être ils l’ont dévié des voies primaires pour l’engager sur celles, plus subtiles, de la psychologie, ils l’on fait passer dans cette classe de sixième chère à Jouhandeau mais il ne faut pas faire redoubler une classe indéfiniment ! »

Le credo de Truffaut-Ferrand dans La Nuit américaine
Le metteur en scène s’adresse à son jeune acteur Alphonse (Jean-Pierre Léaud) , qui est déprimé et veut arrêter le tournage, car il a des déboires sentimentaux.
«Je sais, il y a la vie privée…mais la vie privée elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films, il n’y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends, des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans notre travail de cinéma».

La rupture Jean-Luc Godard/François Truffaut :
échange de lettres au moment de la sortie de La Nuit américaine
JLG à FT :
«J’ai vu hier La Nuit américaine. Probablement personne ne te traitera de menteur, aussi je le fais. Ce n’est pas plus une injure que fasciste, c’est une critique et c’est l’absence de critique où nous laissent de tels films, ceux de Chabrol, Ferreri, Delannoy, Renoir,…dont je me plains . Tu dis sont de grands trains dans la nuit, mais qui prend le train, dans quelle classe? Menteur, car le plan de toi et de Jacqueline Bisset (principale actrice du film, avec qui Truffaut entretenait une liaison à l’époque) l’autre soir au restaurant n’est pas dans ton film, et on se demande pourquoi le metteur en scène est le seul à ne pas baiser dans La nuit américaine ».

FT à JLG
«Je me contrefous de ce que tu penses de La Nuit américaine, ce que je trouve lamentable de ta part c’est d’aller voir, encore aujourd’hui, des films comme celui-là, des films dont tu connais à l’avance le contenu qui ne correspond ni à ton idée du cinéma ni à ton idée de la vie. (…) Tu as toujours eu, cet art de te faire passer pour une victime, comme Michel Drach, comme Cayatte, comme Boisset, victimes de Pompidou, de Marcellin, de la censure , des distributeurs à ciseaux, alors que tu te débrouilles toujours très bien pour faire ce que tu veux, quand tu veux, comme tu veux et surtout préserver l’image pure et dure que tu veux entretenir (…) L’idée que les hommes sont égaux est théorique chez toi, elle n’est pas ressentie. Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux. Toi c’est le côté Ursula Andress, 4 minutes d’apparition, le temps de se laisser déclencher les flashes, les deux trois phrases bien surprenantes et disparition, retour au mystère avantageux. Comportement de merde, de merde sur un socle ».

Truffaut vu par Depardieu :
Il y a autour de toi une légende tenace. On évoque ton angélisme, ton bongarçonisme. La saga Doinel sans doute. J’en vois partout des Doinel aujourd’hui. Les hommes se doinelisent, rabâchent leur nom devant leur glace : Antoine Doinel, Antoine Doinel…
Là , je sens que tu te marres. Un vrai rire de voyou. C’est ce que tu es, d’abord un voyou. Je le sais bien, moi. Comme on dit malgré les honneurs et le temps, on ne peut pas changer les rayures du zèbre. Voyou, pas loubard. Un loubard, c’est lourd. Toi tu es ce voyou noble qui regarde le monde avec un angle de 360° et plus. Un voyou aérien, allègre, acéré (…) Comme tous les voyous, tu étais diplomate. Je t’ai connu aussi diplomate dans la vie. Tu étais devenu intouchable dans la presse, dans les médias. Tu étais devenu une véritable institution, toi qui fus un jeune critique pourfendeur de réputations établies».

Les deux Truffaut, selon Serge Daney

(à propos de La Femme d’à côté, 30 septembre 1981)
« Il y a deux Truffaut, Un Truffaut-Jekyll et un Truffaut-Hyde, qui depuis plus de vingt ans, font mine de s’ignorer. L’un respectable et l’autre louche. L’autre rangé l’autre dérangeant. (…) Le Truffaut-Jekyll plaît aux familles. Il les rassure : il y a toute série de film signés François Truffaut, qui ne sont rien moins que la tentative, plus ou moins réussies de recomposer des familles (…).
Le Truffaut-Hyde est tout le contraire. Asocial, solitaire, passionné à froid, fétichiste. Il a tout pour faire peur aux familles car il les ignore absolument. Il y a ainsi toute une série de films signés François Truffaut centrés sur des couples bizarres et stériles, dégageant un fort parfum de cadavre ou d’encens. Des couples composés d’un homme et d’une effigie : femme vivante ou morte, image de femme, défilés de femmes…les films de cette série furent toujours des semi-échecs commerciaux et la maison Truffaut, soucieuse de son image de marque, fit en sore que la branche Hyde ne sorte pas trop souvent ».

La place de Truffaut dans le cinéma vu par Serge Daney, (Libération, octobre 1984)
«Il est encore difficile de «situer» Truffaut dans l’histoire du cinéma. Peut-être parce qu’on est en droit de penser qu’il a perpétué l’art de ses maîtres mais il est probable qu’il est, à l’aune du cinéma français actuel, un maître. Petit ou grand, il est trop tôt pour le savoir. Dans le double paradoxe d’un faux révolté qui devient une figure légitime et d’un homme fait pour durer qui meurt beaucoup trop tôt, il y a sans doute quelque chose que nous ne voyons pas encore et que l’avenir éclairera.
Truffaut est à coup sûr, avec quelqu’un comme Chabrol ou Godard, l’un des derniers artisans du cinéma français. Et les films qui «resteront» ont toutes les chances d’être ceux où cet artisanat respirait le plus librement.
Plaisir de faire du cinéma comme on exerce un métier, le plus beau des métiers, en s’obligeant à penser positivement, et en respectant la loi du spectacle. Quitte à regarder vers le passé et ne rencontrer ses propres fantômes qu’une fois de temps à autre. »

Une (rapide) biographie de François Truffaut

    En 1932, naissance de François Truffaut : sa mère est Janine de Montferrand mais son père est inconnu. Il est placé en nourrice. L’année suivante, sa mère épouse Roland Truffaut, qui reconnaît l’enfant…En 1942, le couple récupère François, qui a été élevé par sa grand-mère et s’installe à Paris. Après avoir obtenu son certificat d’études, le jeune homme prend une chambre avec son ami Robert Lachenay : ils animent un ciné-club et Truffaut rencontre André Bazin, un critique de cinéma alors influent. En 1948, le père de Truffaut le place dans un centre d’observation de mineurs délinquants, car son fils est accusé de vols et criblé de dettes. François reste plusieurs mois dans ce centre entre janviers et mars 1949. Par déception amoureuse, François s’engage dans l’armée en 1950. Mais il déserte à plusieurs reprises et fait une tentative de suicide. Il est finalement réformé en 1952.
François Truffaut publie ses premiers articles dans les Cahiers du cinéma (un article fait beaucoup de bruit : Une certaine tendance du cinéma français paru en 1954, car il est considéré comme le texte fondateur de la Nouvelle Vague). Il est embauché comme assistant par Roberto Rosellini en 1955 et épouse Madeleine Morgentsen, fille d’un important producteur. Truffaut tourne son premier court-métrage en 1957 Les Mistons et surtout son premier long-métrage Les 400 coups en 1959, film qui obtient le prix de la mise en scène au festival de Cannes.
Dans les années suivantes , il poursuit sa carrière de cinéaste, avec des succès variables : Tirez sur le pianiste (1960), Jules et Jim (1961), Antoine et Colette (1962), La Peau douce (1964)…Il écrit aussi un livre célèbre d’entretiens avec Alfred Hitchcock, Le cinéma selon Hitchcock paru en 1966. Pendant cette époque, Truffaut s’engage dans la vie publique : il signe le manifeste des 121 contre la guerre d’Algérie en 1960 et prend la défense d’Henri Langlois, directeur de la cinémathèque qui doit être destitué par le ministère de la culture. Au printemps 1968, avec ses amis Louis Malle, Jean Luc Godard, et Claude Chabrol, il s’oppose à la tenue du festival de Cannes. Cette même année, grâce à l’enquête d’une agence de détectives privés, il retrouve la trace de son véritable père, dentiste installé à Belfort, d’origine juive. Mais il renonce à le rencontrer.
Truffaut continue sa carrière de réalisateur avec La peau douce (1964), Farenheit 451 (1966), La Mariée était en noir (1968) . Baisers volés, qui reprend le personnage d’Antoine Doinel (1968), obtient un succès populaire critique. Les films suivants sont La Sirène du Mississipi (1969), L’Enfant sauvage et Domicile conjugal , où le personnage de Doinel réapparaît (1970) , Les deux Anglaises et le continent (1971), Une belle fille comme moi (1972). Toujours en 1972, il réalise La Nuit américaine,qui reçoit l’Oscar du meilleur film étranger, et rompt brutalement avec Jean-Luc Godard. Par, la suite, il tourne Histoire d’Adèle H. (1975), L’argent de poche (1976), L’homme qui aimait les femmes (1977), La Chambre verte (1978), L’Amour en fuite (1978), qui clôt le cycle Antoine Doinel. Son film Le Dernier métro, sorti en 1980, connait un grand succès populaire et critique et obtient 10 Césars en 1981. Il tourne encore La femme d’à côté (1981) et Vivement Dimanche (1983), avec comme interprète principale Fanny Ardant, devenue sa compagne à la ville : il meurt le 21 octobre 1984.