chronique n°10 : Les reprises au cinéma : entre plaisir, redécouverte et déception…(Pascal Bauchard)

Depuis plusieurs années, et c’est fort heureux, les salles de cinéma surtout pendant l’été reprennent des films qui sont soit des succès d’antan, soit des films passés inaperçus à leur sortie, voire complètement inédits en France. Certes, on peut considérer qu’il y a peu de chefs d’œuvre vraiment inconnus, reste qu’il y a régulièrement de bonnes surprises et pour certaines  reprises, c’est un réel plaisir de les découvrir ou de les (re) découvrir . Il y a quelques années, est ressorti le film Le Plongeon de Frank Perry, sorti en 1968, mais sans écho particulier : cette œuvre est un vrai bonheur , avec Burt Lancaster dans le rôle principal. L’histoire est franchement originale : selon Allociné, le synopsis est le suivant : dans un quartier huppé du Connecticut où il a passé ses vacances d’été, Ned Merrill se met en tête de rentrer chez lui à la nage, en empruntant chaque piscine se trouvant sur son chemin. Ce parcours se transforme alors pour lui en un véritable voyage initiatique fait de rencontres et d’expériences. Cette œuvre a sans doute beaucoup déconcerté en son temps mais le résultat est étonnant, évoquant notamment les classes aisées sous un aspect peu flatteur et montre une sorte de descente aux enfers du personnage principal , dans une ambiance presque fantastique.
De même, depuis quelques temps, quelques comédies italiennes des années 1950 et 1960 sont ressortis et certaines sont de réelles réussite, comme celles réalisées par Pietro Germi (Divorce à l’italienne, Ces messieurs dames, Séduite et abandonnée…).
L’été dernier, le film de Carol Reed, Le Troisième Homme, qui date de 1949, est ressorti sur les écrans. Alors que son réalisateur a été longtemps sous-estimé (on a même sous-entendu que le réalisateur de Citizen Kane était le véritable auteur du film!) le film garde un impact très fort : le scénario est très prenant et le film a été tourné en décors naturels dans la Vienne dévastée de l’immédiate après-guerre…L’interprétation est remarquable, avec Joseph Cotten, Trevor Howard, et bien sûr Orson Welles qui n’apparait à la fin mais dans des séquences inoubliables (le dialogue avec Joseph Cotten dans la Grande roue, la poursuite finale dans les égouts de la ville) . Le tout baigne dans une atmosphère lourde, qui n’est pas sans rappeler le style de l’expressionnisme allemand. Marc Ferro, dans son livre Cinéma et Histoire, avait bien analysé la portée du film, qui est certes un film de guerre froide mais plutôt favorable aux britanniques que pro-américain.
Par contre, d’autres films que j’ai revus récemment pour diverses raisons, ont perdu de leur pouvoir de fascination ou de scandale…Ainsi, Délivrance de John Boorman (1972), qui fut un choc en son temps, aurait sans doute un impact moindre aujourd’hui. Ce film , qui est l’un des plus célèbres du genre des redneck movies , genre qui a connu son apogée dans les années 1970, comportait des scènes qui ont alors frappé les spectateurs, avec un viol homosexuel présenté pour la première fois (?) et de nombreuses séquences particulièrement violentes. Mais inutile de dire que le côté trash a été depuis très largement dépassé ! Surtout, des critiques comme Jean-Baptiste Thoret, ont longuement analysé ces films ultra-violents, souvent gore, qui se déroule dans le Sud des États-Unis dans des milieux de blancs très pauvres, qui sont dépeints comme de véritables monstres (un autre film emblématique serait Massacre de la tronçonneuse de Tobe Hooper, sorti en 1982).
Enfin, on ne saurait sous-estimer le travail accompli par certaines personnalités (comme Martin Scorsese et sa Film Foundation ) pour restaurer dans de bonnes conditions, certains films dont les copies étaient dans un état déplorable…
Aussi, je suis très favorable à cette politique des reprises amorcée depuis quelques années , notamment dans les salles d’art et d’essai. (elle compense parfois la pauvreté de l’actualité cinématographique du moment !). Elle permet aux jeunes générations de connaître des chefs d’œuvre du septième art dans de bonnes conditions de projection, elle parvient parfois à mettre à jour quelques « perles » négligées en leur temps : en tout état de cause, elle autorise une relecture souvent stimulante de films-évènements et de les replacer dans leur contexte. Même un film devenu « ringard » a son intérêt : si l’esthétique est parfois dépassée, il n’est jamais inutile de s’interroger sur les raisons de son succès à un moment X.
C’est une démarche qui s’inscrit tout à fait dans les recherches d’un Marc Ferro ou de certains jeunes historiens du cinéma, qui ont vraiment renouvelé les études sur les films en s’intéressant aussi à leur réception et au type de public qu’ils avaient touchés.