Chronique n° 13 : le cinéma populaire et l’identité nationale…

Depuis quelques années, la critique est régulièrement surprise du succès inattendu de films grand public, qui réussissent à drainer une audience très large, au delà souvent des espérances de leurs réalisateurs et producteurs : ainsi dans les années récentes, Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon (2007), Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano (2011), Qu’est qu’on a fait au Bon dieu de Philippe de Chauveron (2014) ont obtenu des scores plus que satisfaisants en salles, devançant même parfois les blockbusters américains..Dans les années 1960, La Grande Vadrouille de Gérard Oury avait aussi connu une audience très forte et qui a perduré lors des diffusions à la télévision…

Mais Qu’est-ce que ces succès nous disent de l’état de la France ? Certains n’ont pas manqué de remarquer que ces films sont au mieux d’une qualité assez moyenne, au pire franchement racoleurs…Les dialogues ne sont pas forcément très élégants et les mises en scène très « académiques » comme diraient  certains critiques.

Malgré tout, on est interpellé par un tel engouement du public, qu’il ne s’agit en aucun cas de mépriser. On aura déjà remarqué que tous ces films relèvent du genre de la comédie. Jacques Mandelbaum a fort bien analysé ce type de films qui partagent « l’obsession de l’identité nationale ». Comme il l’écrit, « la déclinaison de ces titres dessine une histoire de la comédie française définie comme reconstituant du corps national mis à mal par les assauts du temps » (Le Monde, 29 juillet 2014).

A chaque fois, il s’agit de réconcilier des éléments contraires du corps de la nation, de rassembler au delà des clivages sociaux et ethniques. Dans Bienvenue, le facteur venu du sud « découvre » les gens du nord . Intouchables nous montre l’entente à priori improbable entre un vieux riche handicapé et un jeune des cités en pleine forme : quant à Quest qu’on a fait au bon dieu ? , les personnages d’origines très diverses surmontent leurs préjugés et leurs antagonismes potentiels pour maintenir l’unité familiale et comme le dit Jacques Mandelbaum, l’unité nationale…On peut aussi rappeler que dans La Grande Vadrouille, deux français bien moyens réussissaient à ridiculiser l’armée allemande, sans que soient vraiment évoqués le régime de Vichy, les « mauvais français », qui ont collaboré avec l’occupant.Bref, ce sont tous des feel good movies, qui nous présente une France sinon apaisée, du moins réconciliée autour de quelques grandes valeurs républicaines partagées…

A ceux qui se plaignent de la médiocrité de la plupart de ces films, Jean Baptiste Thoret rétorque « qu’on a les films qu’on mérite mais surtout qu’on désire ». Et de relever que cette France idéalisée serait celle des Trente Glorieuses, d’avant la mondialisation et d’avant la crise. D’ailleurs, d’autres titres renvoient aussi à des années soixante mythifiées : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, le film de Jean Pierre Jeunet (2001), les Choristes de Christophe Barratier (2004), ou Le Petit Nicolas de Laurent Tirard (2009)…En quelque sorte, cette tendance du cinéma français, pour paraphraser François Truffaut, répondrait à l’inquiétude des Français moyens face aux problèmes du temps, qui trouveraient au cinéma le moyen d’apaiser leurs angoisses en se replongeant dans « l’âge d’or » des années 60..

Mais un tel cinéma pose problème. Déjà, ces comédies jouent avec les clichés racistes même si on ne peut les soupçonner d’adhérer à des discours d’exclusion. Mais si on ne peut faire aucun procès aux réalisateurs de ces films, ce jeu est dangereux : il n’est pas toujours évident que les spectateurs soient au diapason : pour avoir vu le film de Chauveron avec un public jeune et populaire, il m’a bien semblé qu’il prenait toutes les blagues douteuses des personnages au premier degré, sans y voir quoi ce soit à redire !

De même, comme l’a bien écrit Thoret, ces films ont tendance à occulter le réel : à propos de Qu’est qu’on a fait au Bon dieu, il dénonce « un multiculturalisme de pacotille qui met tout le monde d’accord, qui s’accomplit au prix d’une disparition , celle de la « banlieue » de la tentation extrémiste, des territoires perdus de la République, de la misère sociale et culturelle récupérée par les fous de Dieu » (Charlie-Hebdo, 22 octobre 2014).

Enfin, un tel cinéma peut-il encore exister après les attentats de janvier et novembre 2015 ? (on aura noté qu’ils ont tous été réalisés avant ces évènements…)

La question peut se poser tant les positions semblent s’être figées et que la polémique a enflé ces derniers mois autour de la définition de l’identité nationale. Cependant, on peut apprécier le travail d’un cinéaste comme Philippe Faucon : déjà, il avait réalisé La Désintégration en 2011, qui est un film absolument prémonitoire sur quelques jeunes de banlieue qui sont recrutés par un militant djihadiste pour organiser un attentat en Europe. Faucon a tourné en 2015 Fatima, sur une femme de ménage maghrébine et ses deux filles, dont l’une a un réel désir d’intégration en poursuivant des études de médecine. Le ton n’est ni misérabiliste, ni ironique, ni vulgaire (le fameux parler « lascar » des banlieues!) mais tout simplement compréhensif…(Made in France de Nicolas Boukhrief qui aurait du sortir au moment des attentats le 18 novembre 2015 est aussi une plongée dans les milieux djihadistes : il sortira quelques semaines plus tard…). Ce qui semble clair, c’est que la veine comique n’est plus vraiment de mise et on peut parier que d’autres cinéastes sauront trouver le ton juste pour rendre compte de ces problèmes : il ne faut jamais désespérer du cinéma !

Chronique n° 12 : La critique de cinéma : un (bref) état des lieux….(Pascal Bauchard)

   En cette période de festival de Cannes, il n’est inintéressant de s’interroger sur l’état de la critique de cinéma en France…Ces quelques lignes ne prétendent pas être une analyse rigoureuse mais plutôt l’expression d’un sentiment de lassitude.

Déjà, la soit-disant presse spécialisée (Studio, Première…) apparaît surtout comme un outil de promotion, bien mise en condition sans doute par les attachés de presse, qui n’ont visiblement aucun mal à obtenir des articles au moins complaisants. Les publicitaires excellent à promouvoir les films à coups d’adjectifs dithyrambiques : « émouvant », « excellent », « un vrai regard », « le film le plus troublant depuis… ». A la limite, on peut fort bien se passer d’une telle presse (et on peut aussi y ranger les sites les plus connus de cinéma du genre Allociné).

Mais le problème de la crédibilité se pose également pour une presse à priori plus sérieuse et plus compétente, que ce soit dans la presse écrite (Le Monde, Libération...) soit dans les magazines plus spécialisés du genre Télérama, Positif, Les Cahiers du cinéma

Pour un œil exercé à lire depuis longtemps ce type de presse, il est assez facile de repérer les réseaux de connivence : une complicité certaine existe par exemple entre les rédacteurs du Monde, des Cahiers et de Libération sur leur manière de promouvoir un cinéma d’auteur à tout prix. Il n’est bien sûr pas condamnable en soit de soutenir des approches nouvelles , des visions originales mais l’effet de mode est bien trop visible : on ne découvre pas un Jean-Luc Godard chaque semaine et on s’étonne parfois de la frénésie à monter en épingle le premier film d’un nouveau venu « très prometteur ». De plus, une complicité parfois explicite existe entre ces journalistes et certaines écoles de cinéma : il est assez clair par exemple que les anciens élèves de la Femis bénéficient d’un traitement privilégié…

Dans cette presse, les Cahiers, depuis les années 1950, ont eu tendance à vouloir sinon monopoliser, du moins dominer la critique du septième art. Il n’est pas question de remettre en cause l’évènement qu’a constitué l’apparition de cette revue, de son importance théorique (notamment à travers les idées d’André Bazin) , de l’importance des cinéastes issus de ses rangs (de Rivette à Chabrol, en passant par Truffaut, Godard, Rohmer pour la première génération : mais cet inventaire pourrait être reproduit à plusieurs époques…).

Mais on doit aussi s’interroger sur le contexte historique, la pertinence des analyses des auteurs de la revue, tant sur « une certaine qualité du cinéma français» que sur le cinéma d’auteur. Comme on le sait, plusieurs historiens ont travaillé sur les Cahiers, en relativisant son impact et en soulignant qu’à l’origine, cette revue est loin d’être progressiste. Roman Polanski lui-même débarqué de sa Pologne natale, avoue avoir été déconcerté par la prétention et la maladresse des cinéastes de la Nouvelle Vague. Bref, il faut savoir prendre ses distances avec cette pensée unique de la critique des Cahiers : on peut apprécier à la fois des films novateurs et des longs métrages plus « classiques »…Cette critique style Cahiers a vite fait d’écraser de son mépris les films dont le style est « académique ». Sous leur plume, ce terme est absolument rédhibitoire et permet d’exécuter en quelques lignes les œuvres qu’ils ne leur conviennent pas. Et pourquoi aussi montrer autant de dédain pour certains films-dossiers, qui ne sont peut-être pas des chefs d’œuvre du septième art mais ont le mérite d’attirer l’attention du public et parfois des politiques à propos d’un problème , économique, social, politique, qui avait été sinon occulté du moins sous-estimé ?

Aussi, comment faire ? D’abord se fier à des critiques en qui on a confiance : pour ma part, je suis souvent (mais pas toujours!) les avis de Pascal Merigeau et de François Forestier dans l’Obs. Faire aussi confiance aux magazines qui n’hésitent pas à donner des critiques opposées, comme c’est le cas de Télérama, quand certains films suscitent des débats (par exemple, le dernier film de Bruno Dumont La Loute, est encensé au delà du raisonnable, sauf …par Pierre Murat dans cet hebdomadaire). Dans un autre registre, Michel Ciment rend honneur à sa profession d’origine, l’enseignement, en cherchant à « positiver » même les films trop vite décriés par ses collègues critiques.

On peut aussi pratiquer une attitude inversée, c’est à dire s’intéresser aux films « descendus » par certains critiques : pour ma part, quand on me dit que tel ou tel film est « académique », j’ai comme le pressentiment qu’il risque de me plaire !

En tout cas, la France a la chance de bénéficier d’une presse de cinéma importante et variée : encore récemment, certaines revues sont apparues comme Sofilm, Ciné-bazar ou La Septième obsession, dans des styles et des approches très différents : cette variété, ce dynamisme de la presse de cinéma ne peut que contenter les cinéphiles, si nombreux dans notre pays. Quand on aime la vie, on va au cinéma et la critique peut nous aider à mieux choisir, … à condition de savoir la lire !