Chronique n°9 : le film social à la française, un genre honorable… (Pascal Bauchard)

   C’est en lisant la critique élogieuse de Jacques Mandelbaum sur La Loi du marché sorti au dernier Festival de Cannes que m’est venue l’idée d’évoquer un genre qui ne cesse de prendre de l’importance : le film social « à la française ». Mais dans son article, même s’il dit apprécier l’œuvre de Stéphane Brizé,  le critique du Monde ne peut s’empêcher de dévaluer ce genre de film en considérant que «cette appellation (le film social à la française) n’est en général pas un compliment ». Depuis fort longtemps, c’est le lot commun de toute une partie de la critique (Les Cahiers, Le Monde, Les Inrockuptibles…) de traiter ce genre de cinéma avec une certaine distance pour ne pas dire un certain mépris.Comme si le fait d’aborder des problèmes sociaux au cinéma était « passéiste », « convenu », « passé de mode », pour tout dire un peu ringard !
Il y a quelques années, j’ai rédigé un article à propos de The Full Monty, le film de Peter Cattaneo, sur une bande de chômeurs de Sheffields qui s’adonne au striptease pour se renflouer…A cette époque, je constatais que le cinéma britannique avait pris de l’avance sur celui de notre propre pays quant au traitement de tels sujets : les noms de Ken Loach (presque tous ses films mais surtout Riff-Raff, Raining Stones, My Name is Joe), Stephen Frears (The Van), Mike Leigh et bien d’autres encore avaient marqué les esprits, en évoquant les laissés pour compte de l’Angleterre thatcherienne…
Mais déjà je relevais qu’à partir des années 1980, certains réalisateurs français avaient commencé à s’intéresser aux questions sociales, de façon très diverse et à travers des itinéraires singuliers (voire le lien à la fin de cette chronique). Ainsi, Robert Guediguian avait commencé sa série de films qui décrivait le petit monde populaire très attachant du quartier de l’Estaque , avec souvent les mêmes interprètes (Ariane Ascaride, Gerard Meylan, Jean-Pierre Daroussin). Le premier long métrage qui évoque cet univers date de 1989 (Dieu vomit les tièdes) et le cinéaste a continué à décrire ce milieu jusqu’aux Neiges du Kilimandjaro , sorti en 2011…Il faut aussi citer les frères Dardenne, réalisateurs belges, qui portent un regard attentif aux déshérités des sociétés industrielles dans les années 1990 (La Promesse en 1996, Rosetta en 1998). Eux aussi ont persisté dans cette veine jusqu’au film très réussi Deux jours, une nuit, avec Marion Cotillard, sorti en 2014. Au delà de ces cinéastes qui n’ont jamais caché leurs engagements, on peut citer un certain nombre de films qui ont traité la question sociale de manière originale, par le biais de la comédie ou même du film policier : ainsi, Gérard Jugnot réalise en 1991 Une époque formidable, un film assez amer sur les laissés pour compte de la crise ( il y a des scènes d’anthologie de SDF parqués dans le métro!). De même, Pierre Jolivet tourne Fred en 1997 avec déjà Vincent Lindon, qui va devenir en quelque sorte l’incarnation des personnages déglingués par la crise ! Avec une intrigue policière, Jolivet réussit une belle chronique sociale, avec ce qu’il faut d’amertume pour faire ressentir la dureté du chômage qui s’installe alors en France…
Depuis, cette veine ne s’est pas tarie , bien au contraire, et on est frappé de voir que ces sujets dits sociaux ont inspiré de très nombreux cinéastes…Sans rentrer dans le détail, ce qui serait fastidieux, on peut cependant relever quelques thèmes dans ce corpus qui nous semblent significatifs…(voir le lien sur la filmographie sur les thèmes sociaux et économiques à la fin de cette chronique).
Déjà, on peut noter que certains films se sont intéressés à la très grande précarité, ceux qui vivent réellement dans la rue. Dans No et moi, la jeune fille Nora âgée de 18 ans « zone » dans la gare d’Austerlitz, Louise Wimmer dans le film éponyme en est réduite à coucher dans sa voiture… Le cinéma français a de même dépeint ces « déshérités parmi les déshérités », les travailleurs immigrés clandestins (Jallel, le personnage incarné par Sami Bouajila dans La faute à Voltaire (Abeldatif Kechiche, 2000) ou plus récemment Omar Sy dans Samba (Eric Toledano, Olivier Nakache en 2014) où il interprète un jeune sénégalais.
Un autre trait marquant de ce corpus est d’assembler deux personnages issus de de milieux sociaux opposés (en général, un personnage-souvent masculin- des classes aisées et l’autre issu des classes populaires). On sait que cela fut la recette imparable d’Intouchables (2011). Mais ce procédé est depuis très longtemps utilisé : sans remonter jusqu’à Boudu sauvé des eaux, le film de Jean Renoir tourné en 1932, beaucoup de films nous proposent des alliances (souvent des couples) « contre nature » : un PDG et la femme de ménage dans Romuald et Juliette de Colline Serreau (1989), Sandra, une serveuse et un professeur des écoles issu d’un milieu bourgeois dans Un beau dimanche (Nicole Garcia, 2013), un trader et -encore!- une femme de ménage dans Ma part du gâteau (Cédric Klapish , 2011), un professeur de philosophie et une jolie coiffeuse dans Pas son genre (Lucas Belvaux en 2014). En général, ces films mettent en évidence l’arrogance  des personnages bourgeois et la simplicité naturelle des classes populaires, avec un côté édifiant parfois pesant. Mais, avec une certaine lucidité, les réalisateurs insistent sur la difficulté à vivre de ces couples : l’amour triomphe rarement de la lutte des classes !
Enfin, un certain nombre de films s’est aussi intéressé aux rapports entre les classes populaires et l’encadrement qui les recrute et les surveille. On a vu ainsi fleurir un grand nombre de séquences mettant une scène des entretiens d’embauche, plus ou moins réussis ( États des lieux de Jean-François Richet en 1994 ou En avoir (ou pas), de Laetitia Masson en 1995 ) Certains cinéastes soulignent la dureté des rapports entre les cadres moyens et la base ouvrière, quand il s’agit d’améliorer la productivité ou de réorganiser le temps de travail (Ressources humaines de Laurent Cantet en 1999, Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout en 2003).
Ainsi, j’ai du mal à estimer, comme le critique du Monde, que ce genre est un cinéma de seconde zone, un peu trop démonstratif ou militant. Au contraire, il me semble que le cinéma social à la française a donné des œuvres variées dans le ton et la forme, qui méritent l’attention des spectateurs. Pour terminer avec un film qui a marqué le denier festival de Cannes (Vincent Lindon a obtenu le prix d’interprétation pour sa performance d’acteur, récompense amplement méritée), on peut saluer le dernier long-métrage de Stéphane Brizé, La loi du marché. Dans la forme, le dispositif est particulièrement audacieux : Lindon est le seul acteur professionnel alors que tous les autres interprètes sont des acteurs amateurs. Les scènes se succèdent en longs plans-séquences, à la limite de l’improvisation et le résultat est plus que convaincant. On est réellement plongé au cœur de la crise et souvent au bord du malaise : on ne risque pas d’oublier certaines séquences qui nous frappent par leur « effet de réel » : lorsque Thierry (Vincent Lindon) s’insurge contre les stages-bidons que lui propose Pôle-emploi, lorsqu’il est soumis à la critique des autres stagiaires qui visionnent sa vidéo de présentation, surtout lorsqu’il se retrouve vigile dans un supermarché , à faire la chasse à des plus misérables que lui….
Aussi, et malgré une « certaine tendance » de la critique, on peut défendre le film social à la française, qui a le droit au même respect que les autres genres cinématographiques…

Pascal Bauchard

(27 mai 2015)

l’ouvrier dans le cinéma britannique

filmographie sur l’économie et la société au XX° siècle

L’ouvrier dans le cinéma britannique

Cet article a été rédigé pour le dossier du film  The Full Monty

The Full Monty sort très peu de temps après une autre réussite de la comédie sociale britannique, Les Virtuoses, un film de Mark Hermann, qui raconte avec chaleur et ironie, l’histoire d’une fanfare de mineurs au chômage dans le Yorkshire . Comme l’a relevé le scénariste Simon Beaufoy, « dans les deux cas, il s’agit de chômeurs du nord de l’Angleterre qui retrouvent dignité et respect d’eux-mêmes par le biais du spectacle ». Les deux thématiques se ressemblent au point que la chaîne de télévision Channel 4 hésite à soutenir les deux projets et se décidera finalement pour l’œuvre de Mark Hermann.
En fait, depuis le début des années 1990, le cinéma anglais témoigne d’une sensibilité certaine pour le monde du travail et de nombreux cinéastes souvent prestigieux ont dépeint le milieu ouvrier : Ken Loach , le précurseur, avec Riff-Raff (1991), Raining Stones (1993), Ladybird (1994) ; Stephen Frears, qui adapte les romans de l’écrivain irlandais Roddy Doyle en réalisant The Snapper (1993) et The Van (1996)…Cette « tendance » trouve donc son apothéose avec le succès international de The Full Monty, du cinéaste Peter Cattaneo en 1997 ( par ailleurs, au Festival de Cannes en 1998, le prix d’interprétation masculine est attribué à Peter Mullan, pour sa performance remarquée dans le dernier film de Ken Loach, My Name is Joe…).

« Les glorieux ancêtres »
Cette génération de cinéastes a en fait de brillants précurseurs en Angleterre même. Dès les années 1960, les réalisateurs anglais, liés au mouvement littéraire des  » jeunes hommes en colère » (angry young men) s’étaient insurgés contre le cinéma trop embourgeoisé de leur époque. Beaucoup plus que leurs contemporains français de la Nouvelle Vague, Lindsay Anderson, Tony Richardson ou Karel Reisz affirment leur engagement. Ils s’opposent au cinéma dit « de qualité » prôné par le producteur Arthur Rank et veulent des oeuvres plus ancrées dans le quotidien. Tony Richardson, qui a produit Saturday Night, Sunday Morning, réalisé par Karel Reisz en 1960, explique ainsi le succès du film : « (il) a exprimé quelque chose qui est proche de toute une part de la classe ouvrière anglaise et c’est pour cela que les gens sont allés voir le film et l’ont aimé : le film n’est plus quelque chose de lointain mais au contraire quelque chose qu’ils vivent chaque jour »…Mais si ces cinéastes continuent à travailler par la suite parfois avec succès , leur esprit de révolte s’estompe…(Reisz réalise Morgan en 1966, Isadora en 1968, The French Lieutenant’s Woman en 1981) : seul Lindsay Anderson reste fidèle à ses premiers engagements en tournant If en 1968, « poème de la révolte libertaire ». On peut quand même noter que c’est Tony Richardson qui donne sa chance à un jeune cinéaste encore inconnu, en produisant le deuxième film d’ un certain Ken Loach qui réalise Kes en 1969…

L’ouvrier disparaît pendant les années Thatcher…
Pendant les années Thatcher, la représentation du monde ouvrier régresse dans le cinéma anglais, ce qui n’est guère étonnant dans l’ambiance idéologique de l’époque. Le film de Ken Loach, Looks and Smiles, tourné en 1981 et qui évoque les problèmes de deux adolescents au chômage à Sheffield (la ville où se déroule l’action de The Full Monty...), tombe à plat… »Le « pessimisme tranquille » du cinéaste anglais dérange outre-Manche, fausse note dans le concert de « l’optimisme » thatcherien » (Philippe Pilard)…Et Ken Loach va devoir attendre plusieurs années avant de pouvoir recommencer à réaliser des longs métrages…
C’est en fait à la télévision, et notamment à la BBC, sous la houlette bienveillante de Hugh Greene , que plusieurs réalisateurs peuvent traiter de thèmes sociaux, souvent occultés par les médias nationaux. Toute une génération y fait alors ses premières armes : Richard Lester, John Schlesinger, Michael Apted, Peter Walkins, et bien sûr Ken Loach et Mike Leigh : tous, à un moment ou un autre, ont travaillé pour le petit écran. Un genre en particulier fait alors son apparition, le « docu-drama », qui mélange fiction et aspects documentaires…En 1966, Loach réalise pour la télévision Cathy Come Home, qui raconte l’histoire d’un couple sans ressources, qui se voit retirer tous ses enfants par les services sociaux (en quelque sorte, le premier scénario de Ladybird...) et son film bouleverse l’opinion publique…

Le retour du « social » à la fin de la décennie…
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, plusieurs cinéastes comme Ken Loach, Mike Leigh, ou Stephen Frears réalisent des films qui évoquent les « laissés pour compte » du thatchérisme et abordent avec une rare franchise, des problèmes qu’il n’est plus possible de dissimuler après une décennie de libéralisme : les films de ces auteurs traitent du mépris envers les homosexuels (My Beautiful Laundrette de Stephen Frears en 1985), des immigrés asiatiques (Sammy and Rosie Get Laid du même cinéaste en 1988) et évidemment du chômage qui ne cesse d’augmenter…Leurs films obtiennent d’ailleurs un succès certain auprès du public, ce qui leur permet de poursuivre leur carrière même parfois aux États-Unis (Ken Loach tourne presque un film par an depuis 1991, comme il s’agissait pour lui de rattraper le temps perdu ; Stephen Frears alterne avec plus ou moins de bonheur, films hollywoodiens et productions britanniques plus ancrées dans le social..).
Dans la plupart de ces films, le monde ouvrier fait donc un retour remarqué : certaines œuvres sont d’ailleurs autobiographiques, comme les films de Terence Davies ( Distant Voices en 1987, The Long Day Closes en 1991), qui racontent son enfance et sa vie à Liverpool…La description de ce milieu frappe d’abord par son réalisme…Tous les personnages sont incarnés par des acteurs qui ont « la tête de l’emploi » : Robert Carlyle dans les films de Ken Loach ou Peter Cattaneo, Peter Postlethwaite dans les Virtuoses, Peter Mullan dans My Name is Joe, Colm Meaney dans The Snapper et The Van de Stephen Frears… Ces interprètes n’ont pas trop de problème pour prendre l’accent de la « working class »car ils en sont issus la plupart du temps…Ces films se situent souvent en dehors de Londres, dans les vieilles régions industrielles traditionnelles les plus touchées par la crise : la ville de Manchester dans Raining Stones, Liverpool dans les films de Davies, Sheffield dans The Full Monty, le Yorkshire dans Les Virtuoses, Glasgow dans My Name is Joe. Les accents sont souvent rocailleux et déconcertants pour qui est habitué à la diction impeccable des acteurs comme Laurence Olivier ou John Gielgud…
Ce monde ouvrier est en crise : quasiment tous les personnages sont au chômage et ne survivent que par des expédients : la plupart vivotent de petits boulots , le plus souvent au noir…Joe, dans le dernier film de Ken Loach, se fait payer pour repeindre, plutôt mal, l’appartement de Sarah ; les héros de The Van tentent leur chance en vendant des saucisses, le fils de Danny dans Les Virtuoses, se déguise en clown pour les enfants de la bonne société…Beaucoup sont contraints de voler pour survivre (dans Raining Stones, Jimmy et son ami dérobent à peu près n’importe quoi , depuis des moutons dans la lande à des morceaux de gazon au « Conservative Club » de la ville ; dans My Name is Joe, l’équipe de foot va piller un magasin de sport pour renouveler ses équipements…). Et, à aucun moment, les réalisateurs ne semblent condamner ces actes illégaux : ils estiment visiblement que ces « confiscations » sont tout à fait légitimes…Enfin, certains chômeurs, comme Gaz et ses copains dans The Full Monty, en viennent à des solutions extrêmes : former un groupe de strip-tease masculin, qui ira « jusqu’au bout »…
Les institutions officielles ne sont pas épargnées et leur image dans ces films est souvent négative : l’agence pour emploi (Job Club) qu’on voit dans The Full Monty , semble bien inefficace, et les services sociaux qui apparaissent , sont soit impuissants (dans My Name is Joe) soit répressifs (dans Ladybird)…Dans Raining Stones, le conseiller municipal travailliste doit avouer son impuissance…
Ces ouvriers sont aussi victimes d’exploitants venus de leur propre milieu : le personnage de l’usurier (loan shark) est omniprésent dans ces films (Raining Stones, The Full Monty, Les Virtuoses, My Name is Joe…). C’est lui qui avance l’argent aux ménages en difficulté, le plus souvent à des taux exorbitants. C’est lui aussi qui vient exiger son dû, et souvent avec quelques gros bras, emporter tout le mobilier ou rafler l’argent des allocations…
Enfin, ces personnages d’ouvriers sont tous marqués physiquement par la crise : leurs corps ont les stigmates de leur déchéance sociale : Danny meurt doucement de la silicose dans Les Virtuoses, les copains de Gaz dans The Full Monty ont conscience de leur imperfection physique, Joe dans le dernier Ken Loach doit surmonter sa tendance à l’alcoolisme…

   Mais ces cinéastes soulignent aussi les « vertus » de la classe ouvrière anglaise, qui lui permettent de s’en tirer. Et d’abord la chaleur humaine et la générosité… Les scènes de pub, pour ne pas dire de beuverie- sont innombrables : dans The Van, c’est tout un peuple qui vibre, un verre de bière à la main, aux exploits de l’équipe irlandaise de foot lors de la coupe de monde de 1992…L’amitié surtout masculine est aussi très présente, en couple ou en groupe : Bob et Tommy dans Raining Stones, les deux potes de The Van, Gaz et ses copains dans The Full Monty, les membres de la fanfare de Grimley dans Les Virtuoses… En fait, la solution individuelle semble impossible, la survie ne peut être assurée qu’avec l’aide des autres…. La plupart de ces films respirent aussi la bonne humeur , car la gravité des situations n’empêche pas les personnages de ces films de bien s’amuser . Comme le dit Ken Loach, « partout où les conditions de vie sont difficiles, il y a de l’humour », une thérapie du rire en quelque sorte…Les séquences vraiment comiques ne manquent pas : le vol des moutons et surtout d’un carré de gazon dans Raining Stones, la danse improvisée des chômeurs au Job Club dans The Full Monty, la rivalité des maillots dans My Name is Joe…D’ailleurs, les cinéastes ne s’y trompent pas : c’est très certainement ce mélange des genres qui a fait le succès de leurs films. Peter Cattaneo explique « qu’après l’époque militante pure et dure,nous avons découvert que la légèreté n’excluait pas l’efficacité (…). Il y a moyen de dire des choses importantes, sans être sinistre ».

Mais si tous ces réalisateurs se rapprochent par les thèmes qu’ils traitent, le ton doux-amer qu’ils adoptent, reste qu’on ne peut gommer la diversité de leur style. Certes, ils partagent une certaine révolte et Mike Leigh dénonce : « aujourd’hui, les institutions se sont désintégrées, le tissu social se déchire, il n’y a plus de fondement spirituel, c’est le règne de la violence et de l’individualisme ». Le réalisateur de Naked voit quand même quelques nuances entre lui et ses « collègues » : « Ken (Loach) est beaucoup plus responsable que moi, plus « politically correct« , moins imprévisible. Stephen (Frears) est capable de faire Les Arnaqueurs, moi pas »…

Et le cinéma français?
A priori, la comparaison n’est pas à l’avantage du cinéma hexagonal. Gérard Mordillat, auteur de Vive la Sociale peut dénoncer la timidité des cinéastes français : « on est dans un pays petit-bourgeois, qui fait des films petit-bourgeois. En France, on parle volontiers d’égalité des chances. Mais quelle chance? celle de devenir un petit-bourgeois! ». Certes, le poids du passé cinématographique de notre pays est écrasant. Il est en effet difficile d’égaler les grands classiques des années 1930. Dans les films de Julien Duvivier (La Belle Equipe), de Jean Renoir (Toni, Le crime de M. Lange, la Bête Humaine...), de Marcel Carné (Le jour se lève), le prolétaire est un personnage central, souvent incarné par l’une des vedettes plus plus populaires de l’époque, Jean Gabin (les seconds rôles sont aussi remarquables, avec des acteurs comme Carette, Gaston Modot…). Mais cette représentation du monde du travail est parfois à la limite de la caricature : surtout, la vision des cinéastes de ce temps frappe par son pessimisme, alors que les espoirs suscités par le Front Populaire se sont écroulés dès 1937. A la fin des années 1930, les personnages d’ouvriers connaissent souvent un sort tragique (Gabin se « suicide » dans La Bête humaine et Le jour se lève...).

    Dans les années d’après-guerre, l’ouvrier semble disparaître des écrans français: à l’époque des Trente Glorieuses, ce sont les classes moyennes qui tiennent le haut du pavé (voir Mon Oncle de Jacques Tati) et quand la crise éclate au début des années 1980, ce sont d’abord les problèmes des cadres au chômage qui sont évoqués (Une époque formidable de Gérard Jugnot, La Crise de Coline Serreau). La génération la plus récente des jeunes cinéastes (Pascale Ferran, Arnaud Desplechin…) ne met pas la crise sociale au cœur de ses préoccupations , mais plutôt les problèmes existentiels de ses héros…Pascal Merigeau, peut-être mal intentionné, estime que ce manque d’intérêt est dû à l’origine sociale de ces réalisateurs qui « appartiennent tous au gotha intello-médiatique parisien »…Il y eut aussi tous les films réalisés sur la situation dans les banlieues (après l’immense succès du film de Mathieu Kassowitz, La Haine), et sur les problèmes des immigrés (Bye-Bye de Karem Dridi, Hexagone de Malek Chibane…), mais ces œuvres traitent plutôt des marges du monde ouvrier.
Depuis la fin des années 1980, le « prolo » a fait comme en Grande-Bretagne son retour dans le cinéma français. Déjà, sous forme documentaire, Hervé Leroux évoque avec force dans Reprise la condition ouvrière des années 1960. Plusieurs cinéastes, longtemps confidentiels, réalisent des films qui décrivent avec chaleur les milieux populaires : ce sont les films de Robert Guediguian (A la vie, à la mort en 1995, Marius et Jeannette en 1997), de Manuel Porier (Marion en 1996, Western en 1997), de Sandrine Veyret (Y aura-t-il de la neige à Noël? en 1996), et même de Marc Jolivet (Fred en 1996). Comme leurs contemporains britanniques, ils tournent souvent en province (Guediguian à Marseille, Poirier en Normandie ou en Bretagne…) : ils décrivent des milieux qu’ils connaissent bien (le cinéaste de Marius et Jeannette a peu filmé en dehors de son quartier d’origine, l’Estaque). Ils utilisent des acteurs peu connus, qui donnent souvent une impression d’authenticité et leurs personnages ont une réelle épaisseur. On peut quand même craindre que ce mouvement ne soit qu’un feu de paille. Il n’est que de relever la réticence de certains critiques français, dès qu’un film aborde un sujet « social » : Jacques Mandelbaum écrit ainsi dans le Monde : « est-ce vraiment la vocation du cinéma de pallier la disparition des Dossiers de l’écran? », comme si tout film parlant des ouvriers risquait de sombrer dans le réalisme socialiste…Il faut enfin souligner la réussite des frères Dardenne qui abordent les sujets sociaux dans deux films récents, remarquables par leur rigueur et leur sobriété, La Promesse (1996) et Rosetta (1998). Mais, le ton des œuvres des cinéastes belges est pessimiste même si les deux films semblent se terminer sur une lueur d’espoir …

   Même si leurs œuvres sont inégales, les cinéastes anglais des années 1990 (et quelques Français) ont eu en tout cas un mérite : en représentant la vie « telle qu’elle est », ils ont provoqué un appel d’air salutaire, alors que la « pensée unique » dans le domaine socio-économique était peu contestée : ils ont permis, selon la formule de Ken Loach, de « donner la parole à ceux qui en sont privés »…

Pascal BAUCHARD

Chronique n°8 : vocabulaire et histoire du cinéma : que faut-il dire aux élèves ? (Pascal Bauchard)

   Lors des stages que nous avons pu animer, nous avons  constaté que les enseignants avaient parfois des scrupules à utiliser des séquences cinématographiques, alors qu’ils ne maîtrisaient pas complètement les codes du septième art, ainsi que son histoire et son évolution. Ils nous disaient leurs hésitations à diffuser un extrait de film en ignorant les notions de cadrage, de mouvements de caméras, de montage, en occultant son contexte historique. Mais ces craintes à notre avis ne sont pas de mise et il faut déculpabiliser les enseignants quand ils sont amenés à utiliser des extraits de films dans leurs cours :  il y a quelques points à maîtriser mais rien d’insurmontable ! Et en tout état de cause, il ne s’agit pas de leur demander des présentations exhaustives des œuvres qu’ils présentent. On peut juste faire quelques remarques générales qui devraient rassurer nos collègues.

Questions de formes ?
Dans certains cas, il est certain que les questions de forme ne doivent pas être négligées. Par exemple, si on aborde les films d’Eisenstein, il est souhaitable d’aborder la façon dont le cinéaste utilise le montage : c’est même la marque de fabrique du cinéma soviétique de l’époque, à la suite des enseignements de Lev Koulechov (le fameux « effet Koulechov »). Tous ces réalisateurs, comme Poudovkine, Vertov, ont accordé une grande importance à la manière d’agencer les images, pour mieux faire passer leur message politique , car ce sont tous des cinéastes engagés…
Pour avoir travailler sur une séquence de La Ligne générale avec des élèves de troisième (l’arrivée de l’écrémeuse dans le kolkhoze), je me souviens qu’en guidant les élèves par quelques questions préalables, ils avaient parfaitement décrypté le « style » d’Eisenstein : les très gros plans, la lumière éclairant les visages par dessous, les plans très courts et le rythme saccadé et très rapide du montage, le jeu sur les intertitres…, les les jets de lait sortant de la machine comme les grandes eaux à Versailles…Par contre, ils n’avaient sans doute pas compris toutes les allusions sexuelles qu’y voit par exemple Dominique Fernandez : mais l’objectif pédagogique n’était pas là de toute façon !
Pour beaucoup d’autres films, l’enseignant n’aura pas besoin de s’appesantir sur ces questions formelles, qui ne feraient que compliquer l’utilisation pédagogique de la séquence. Grâce aux innombrables documents existant sur internet, parfois aux stages organisés par les inspections dans les académies, les techniques à connaître restent limitées et les professeurs peuvent assez facilement les acquérir…Sur ce blog même, j’ai proposé quelques documents pédagogiques qui peuvent s’avérer utiles. Dans la mesure du possible, on peut se contenter de souligner l’un ou l’autre aspect technique, sans entrer dans le détail…Un détail bien connu est l’utilisation du cadrage en contreplongée pour filmer les dictateurs , souvent de petite taille, dans les films de propagande des régimes totalitaires !

Un art plus que centenaire
Plus complexe me semble être la question de l’histoire du cinéma : que faut-il en dire aux élèves ? Comment la présenter ? Quand on teste leur culture cinématographique comme j’ai pu le faire dans les classes de lycée, on s’aperçoit à quel point leur vision de l’histoire du cinéma est incomplète et manque de cohérence.  Ainsi, les réalisateurs français de l’entre-deux guerres sont assez systématiquement ignorés , comme Jean Renoir, Julien Duvivier, Marcel Carné, René Clair…Les cinéastes anglo-saxons sont mieux connus (en particulier Alfred Hitchcock, John Ford) mais d’autre « oubliés » (Howard Hawks, John Huston…). Le cinéma allemand est surtout connu par certains de ses représentants comme Fritz Lang ou Fredrich Murnau…Il n’est pas question de juger nos élèves mais bien d’essayer de compléter leurs connaissances pour qu’ils aient une approche plus globale du cinéma.

    Cet art plus que centenaire a définitivement une histoire et nos élèves en prennent conscience quand nous avons l’audace de leur projeter des films en noir et blanc, parfois non parlants ! Il est ainsi utile de leur présenter -par extraits- des œuvres du cinéma muet, et dans la mesure du possible, ne serait-ce pour qu’ils se rendent compte que cela existe ! On peut bien sûr diffuser les films de Chaplin mais on peut aussi penser à certains films du cinéma soviétique ou allemand des années 1920 (Nosferatu ou Metropolis). L’expérience m’a montré que lorsqu’ils sont correctement préparés, les élèves peuvent être intéressés par des films d’une autre époque. De ce point de vue, le travail que réalisent les dispositifs Collégiens au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma est indispensable , surtout lorsqu’ils intègrent dans leur programmation des œuvres du patrimoine, même si on peut contester certains choix qui ont pu nous apparaître inadaptés. C’est en tout cas à chaque fois l’occasion de rappeler que le septième art a déjà une longue histoire derrière lui.

Une production cinématographique encadrée…
Il peut être aussi très éclairant d’évoquer dans quel contexte historique, politique et économique les films ont été produits , en particulier dans nos cours d’histoire. Il se trouve que tous les régimes politiques ont compris très vite l’intérêt de contrôler le cinéma, l’art populaire par excellence, susceptible de toucher « les masses ». On connaît la production très encadrée du cinéma dans les régimes totalitaires (URSS, Allemagne nazie) mais il serait naïf de croire que le cinéma hollywoodien a été complètement libre de toute influence : à partir des années 30 et jusqu’aux années 1950, il est soumis au code de censure très strict et tatillon de la commission Hays, qui édicte toute une série de règles à faire respecter par les cinéastes et leurs scénaristes : des livres récents confirment que la lutte fut âpre entre ceux-ci et leurs censeurs, à toutes les étapes de la création, depuis l’élaboration du scénario jusqu’au tournage…(on pense à l’excellent livre de Gregory Halbout paru en 2013, sur La comédie screwball hollywoodienne, qui montre comment les scénaristes ont rusé avec les instances de censure pour faire passer leurs répliques…) De même, le livre récent de Ben Urwand, La collaboration. Le pacte d’Hollywood avec Hitler, nous apprend les liens pour le moins étonnants tissés entre certains studios hollywoodiens et des représentants de l’Allemagne nazie…

    En bref, même s’ils ont l’impression de ne pas maîtriser suffisamment le vocabulaire du cinéma, son histoire, il ne faudrait pas que les professeurs se sentent bridés  par leurs lacunes supposées, toutes relatives d’ailleurs : on pourrait bien sûr imaginer un enseignement systématique du vocabulaire du cinéma, de l’histoire du cinéma et des différents mouvements, de l’évolution des conditions de production dès les premières années du collège.  Mais nous savons bien qu’une telle approche est impossible à envisager pour des raisons de moyens horaires (elle risquerait aussi d’être un peu fastidieuse). Elle est parfois possible dans le cadre de certaines options comme L’historie des arts en lycée, mais certainement pas dans le cadre du collège ni même au lycée…

Par contre, rien ne nous interdit d’évoquer le vocabulaire ou l’histoire du cinéma de manière ponctuelle, lorsque nous projetons l’extrait d’un film marquant. Ainsi, il peut être très utile d’expliquer tel terme technique (le montage, les cadrages, les mouvements d’appareil..), évoquer telle période ou mouvement du cinéma (le cinéma expressionniste allemand, le cinéma soviétique, la Nouvelle Vague…), expliquer tel contexte (la censure dans les régimes totalitaires, le «code hollywoodien »). Lorsque j’étais encore en fonction, une collègue de français qui participait à l’opération Collégiens au cinéma m’avait sollicité pour préparer ses élèves de sixième à la projection des Temps modernes : nous avions ainsi profité de cette séance pour faire une présentation générale de l’histoire du cinéma ainsi que sur la vie et l’œuvre de Charlie Chaplin.

Au moins, nos élèves pourront prendre conscience à quel point le cinéma est un art important, qui a ses propres techniques et sa propre histoire, sans oublier qu’il peut être aussi une industrie, pour paraphraser Malraux…

Pascal Bauchard

(24 mai 2015)

voir Documents pédagogiques : histoire du cinéma

 

Chronique n°7 : Bertrand Tavernier, un cinéaste pour les professeurs d’histoire…(Pascal Bauchard)

   Pour cette chronique, je voudrais rendre un hommage particulier à un cinéaste apprécié par les enseignants d’histoire. Dès qu’il a commencé à réaliser des films dans les années 1970 (L’horloger de Saint Paul en 1974), Bertrand Tavernier s’est avéré être un « bon client » pour notre discipline.
Déjà, à titre personnel, je partage avec lui beaucoup d’intérêts en commun : ses goûts pour le cinéma américain bien sûr, mais aussi le blues, le jazz (il a consacré un documentaire –Mississippi blues en 1983-un film de fiction Round midnight en 1986- à ces musiques) ,et disons-le la bonne cuisine (!) et donc cette personnalité ne pouvait me laisser indifférent.
Son parcours est aussi intéressant : selon une tradition bien française, il a d’abord été critique de cinéma aux Cahiers du cinéma...mais aussi à Positif. Ce qui montre qu’il n’est pas vraiment attaché à une « chapelle » (quand il a commencé à réaliser des films, il a été dénoncé par les héritiers d’André Bazin et qualifié de cinéaste « académique », un peu tâcheron…). Il a d’ailleurs pris rapidement ses distances avec les cinéastes de sa génération, en utilisant les services des scénaristes Pierre Bost et Jean Aurenche, honnis par les critiques de la Nouvelle Vague…
Ses activités dans le domaine du cinéma ont été variées :   il a ainsi été scénariste, assistant de réalisation (Pour Jean-Pierre Melville), attaché de presse d’une maison de production et a participé à de nombreux ouvrages de référence sur le cinéma (en particulier, la somme qu’il a écrite avec Jean-Pierre Coursodon sur le cinéma américain : la première édition, Trente ans de cinéma américain date de 1970 et la troisième est en préparation….). Il anime un blog fort intéressant sur les sorties de DVD de films méconnus (cf le lien à la fin de cette chronique) et dirige la collection L’Ouest le vrai,aux éditions Actes sud, qui s’est spécialisée dans l’édition de romans-westerns d’excellente tenue avec des auteurs comme W.R Burnett, Ernst Haycox, Alfred Betram Guthrie Junior…Ces ouvrages ont servi de bases à de très célèbres films de ce genre.
Bref, un homme passionné et passionnant (ceux qui l’ont entendu défendre ses convictions à propos de n’importe quel sujet peuvent en témoigner…).

    Comme d’autre cinéastes de sa génération (René Allio, Franck Cassenti, Jean-Louis Comolli…). Bertrand Tavernier a donc en plus le bon goût de s’intéresser vivement à notre matière et de manière particulièrement intelligente . On put compter une dizaine de films qui mettent en scène l’histoire d’une manière ou d’une autre sur les 26 long-métrages réalisés. J’ai déjà écrit à ce sujet dans ce même blog (cf le lien à la fin de cette chronique) et je n’y reviendrai donc pas dans le détail, si ce n’est pour souligner quelques aspects.

   D’abord, le cinéaste aime bien les périodes historiques « creuses » ,  qui se situent entre les « temps forts » de l’histoire mais pendant lesquelles des évolutions sociales, économiques sont à l’œuvre : ainsi, la Régence dans Que la fête commence (1974), la troisième République de la fin du XIX° dans Le juge et l’assassin (1976), l’Afrique coloniale dans Coup de Torchon (1981), le Moyen-Age du XIV° dans La passion Béatrice (1987), l’après guerre dans La vie et rien d’autre (1989), la guerre des Balkans dans Capitaine Conan (1996), ou plus récemment le XVI° et les guerres de religion dans La Princesse de Montpensier (2010) .

    C’est aussi un cinéaste engagé, qui dénonce de façon parfois manichéenne, l’oppression par les puissants, les classes dominantes…La bourgeoisie arrogante dans Le Juge et l’assassin, la noblesse dans Que la fête commence, les notables coloniaux dans Coup de torchon. Certes, on pourrait s’agacer de ses partis-pris systématiques mais au moins, les films de Tavernier s’intéressent aux laissés pour compte de l’histoire : s’il nous présente de grands personnages, c’est pour mieux en dénoncer les travers voire les perversités…

   Si Tavernier ne dédaigne pas l’anecdote qui accroche, on est loin du cinéma d’un Guitry, toujours prêt à céder au « bon mot » facile et qui de toute façon se range souvent du côté des puissants…Certains ont pu s’énerver que quelques facilités : les clins d ‘œil à l’actualité sont fréquents : il s’amuse à nous présenter le personnage d’un médecin Chirac (!) dans Que la fête commence : plus récemment dans La Princesse de Montpensier, il présente le personnage de Marie comme une « féministe avant la lettre », qui doit se débattre dans un monde d’hommes particulièrement impitoyable envers les femmes. De fait, Tavernier aime mettre en résonance les histoires qu’il raconte avec le temps présent.

    Mais il faut insister sur son ambition d’essayer de reconstituer les mentalités d’une époque et on sait qu’il sollicite en permanence ses conseillers historiques, dès qu’il s’agit de préciser un détail, parfois le plus trivial. On sent que très souvent, le réalisateur se pose la question : « mais comment les gens de l’époque voyaient-ils la chose ? » « Quelles étaient leurs représentations mentales ? » Pour La passion Béatrice, il a tenté, à notre avis avec succès, de traiter des sujets aussi divers que la vie quotidienne dans les châteaux de l’époque, les combats de la bataille d’Azincourt, le sort réservé aux sorcières, l’âme des femmes (!)…Même démarche quand il a réalisé plus récemment La Princesse de Montpensier qui se déroule à une époque que le cinéaste avoue mal connaître ; il s’est intéressé à de multiples aspects  de la vie au XVI° siècle: la nuit de noces (!), l’aspect des combats lors des guerres de religion et il a aussi souvent consulté l’historien Didier Lefur sur tous ces sujets. Aussi, les films historiques de Bertrand Tavernier sonnent « vrai », même si toute reconstitution est évidemment critiquable. Mais sa sobriété (le cinéaste évite les décors trop clinquants) son goût du détail juste fait « qu ‘on s’y croirait »…

    Même lorsque les sujets qu’il aborde ne sont pas directement historiques, Tavernier aime « cadrer large » et replacer ses personnages dans un contexte socio-historique précis : voir les jeunes gens paumés de L’Appât (1995) les policiers de L 627 (1992) , Dave Robicheaux dans la société cajun de Louisiane dans la film Dans la brume électrique (2009) ..Même Quai d’Orsay (2012) qui se présente comme une comédie, est une reconstitution très crédible, selon les spécialistes, du ministère des Affaires étrangères à l’époque Villepin…

   Tavernier est pour nous enseignants d’histoire une source d’inspiration : son goût pour les « zones d’ombre »  de l’histoire et le sérieux de ses recherches est une réelle stimulation à aller voir des points parfois négligés par l’historiographie : quelle bonne idée par exemple d’aborder la première guerre mondiale, en évoquant l’immédiate après guerre (La vie et rien d’autre) ou les combats dans les Balkans (Capitaine Conan)…Pour une fois, on ne nous inflige une énième reconstitution de la guerre des tranchées…
En tout cas, on attend avec impatience son prochain long métrage, persuadé qu’il saura satisfaire d’une manière ou d’une autre, à la fois notre goût pour le cinéma et aussi pour l’histoire !

http://www.tavernier.blog.sacd.fr/

Bertrand Tavernier et l’Histoire

 

Pascal Bauchard

(15 mai 2015)