Chronique n°7 : Bertrand Tavernier, un cinéaste pour les professeurs d’histoire…(Pascal Bauchard)

   Pour cette chronique, je voudrais rendre un hommage particulier à un cinéaste apprécié par les enseignants d’histoire. Dès qu’il a commencé à réaliser des films dans les années 1970 (L’horloger de Saint Paul en 1974), Bertrand Tavernier s’est avéré être un « bon client » pour notre discipline.
Déjà, à titre personnel, je partage avec lui beaucoup d’intérêts en commun : ses goûts pour le cinéma américain bien sûr, mais aussi le blues, le jazz (il a consacré un documentaire –Mississippi blues en 1983-un film de fiction Round midnight en 1986- à ces musiques) ,et disons-le la bonne cuisine (!) et donc cette personnalité ne pouvait me laisser indifférent.
Son parcours est aussi intéressant : selon une tradition bien française, il a d’abord été critique de cinéma aux Cahiers du cinéma...mais aussi à Positif. Ce qui montre qu’il n’est pas vraiment attaché à une « chapelle » (quand il a commencé à réaliser des films, il a été dénoncé par les héritiers d’André Bazin et qualifié de cinéaste « académique », un peu tâcheron…). Il a d’ailleurs pris rapidement ses distances avec les cinéastes de sa génération, en utilisant les services des scénaristes Pierre Bost et Jean Aurenche, honnis par les critiques de la Nouvelle Vague…
Ses activités dans le domaine du cinéma ont été variées :   il a ainsi été scénariste, assistant de réalisation (Pour Jean-Pierre Melville), attaché de presse d’une maison de production et a participé à de nombreux ouvrages de référence sur le cinéma (en particulier, la somme qu’il a écrite avec Jean-Pierre Coursodon sur le cinéma américain : la première édition, Trente ans de cinéma américain date de 1970 et la troisième est en préparation….). Il anime un blog fort intéressant sur les sorties de DVD de films méconnus (cf le lien à la fin de cette chronique) et dirige la collection L’Ouest le vrai,aux éditions Actes sud, qui s’est spécialisée dans l’édition de romans-westerns d’excellente tenue avec des auteurs comme W.R Burnett, Ernst Haycox, Alfred Betram Guthrie Junior…Ces ouvrages ont servi de bases à de très célèbres films de ce genre.
Bref, un homme passionné et passionnant (ceux qui l’ont entendu défendre ses convictions à propos de n’importe quel sujet peuvent en témoigner…).

    Comme d’autre cinéastes de sa génération (René Allio, Franck Cassenti, Jean-Louis Comolli…). Bertrand Tavernier a donc en plus le bon goût de s’intéresser vivement à notre matière et de manière particulièrement intelligente . On put compter une dizaine de films qui mettent en scène l’histoire d’une manière ou d’une autre sur les 26 long-métrages réalisés. J’ai déjà écrit à ce sujet dans ce même blog (cf le lien à la fin de cette chronique) et je n’y reviendrai donc pas dans le détail, si ce n’est pour souligner quelques aspects.

   D’abord, le cinéaste aime bien les périodes historiques « creuses » ,  qui se situent entre les « temps forts » de l’histoire mais pendant lesquelles des évolutions sociales, économiques sont à l’œuvre : ainsi, la Régence dans Que la fête commence (1974), la troisième République de la fin du XIX° dans Le juge et l’assassin (1976), l’Afrique coloniale dans Coup de Torchon (1981), le Moyen-Age du XIV° dans La passion Béatrice (1987), l’après guerre dans La vie et rien d’autre (1989), la guerre des Balkans dans Capitaine Conan (1996), ou plus récemment le XVI° et les guerres de religion dans La Princesse de Montpensier (2010) .

    C’est aussi un cinéaste engagé, qui dénonce de façon parfois manichéenne, l’oppression par les puissants, les classes dominantes…La bourgeoisie arrogante dans Le Juge et l’assassin, la noblesse dans Que la fête commence, les notables coloniaux dans Coup de torchon. Certes, on pourrait s’agacer de ses partis-pris systématiques mais au moins, les films de Tavernier s’intéressent aux laissés pour compte de l’histoire : s’il nous présente de grands personnages, c’est pour mieux en dénoncer les travers voire les perversités…

   Si Tavernier ne dédaigne pas l’anecdote qui accroche, on est loin du cinéma d’un Guitry, toujours prêt à céder au « bon mot » facile et qui de toute façon se range souvent du côté des puissants…Certains ont pu s’énerver que quelques facilités : les clins d ‘œil à l’actualité sont fréquents : il s’amuse à nous présenter le personnage d’un médecin Chirac (!) dans Que la fête commence : plus récemment dans La Princesse de Montpensier, il présente le personnage de Marie comme une « féministe avant la lettre », qui doit se débattre dans un monde d’hommes particulièrement impitoyable envers les femmes. De fait, Tavernier aime mettre en résonance les histoires qu’il raconte avec le temps présent.

    Mais il faut insister sur son ambition d’essayer de reconstituer les mentalités d’une époque et on sait qu’il sollicite en permanence ses conseillers historiques, dès qu’il s’agit de préciser un détail, parfois le plus trivial. On sent que très souvent, le réalisateur se pose la question : « mais comment les gens de l’époque voyaient-ils la chose ? » « Quelles étaient leurs représentations mentales ? » Pour La passion Béatrice, il a tenté, à notre avis avec succès, de traiter des sujets aussi divers que la vie quotidienne dans les châteaux de l’époque, les combats de la bataille d’Azincourt, le sort réservé aux sorcières, l’âme des femmes (!)…Même démarche quand il a réalisé plus récemment La Princesse de Montpensier qui se déroule à une époque que le cinéaste avoue mal connaître ; il s’est intéressé à de multiples aspects  de la vie au XVI° siècle: la nuit de noces (!), l’aspect des combats lors des guerres de religion et il a aussi souvent consulté l’historien Didier Lefur sur tous ces sujets. Aussi, les films historiques de Bertrand Tavernier sonnent « vrai », même si toute reconstitution est évidemment critiquable. Mais sa sobriété (le cinéaste évite les décors trop clinquants) son goût du détail juste fait « qu ‘on s’y croirait »…

    Même lorsque les sujets qu’il aborde ne sont pas directement historiques, Tavernier aime « cadrer large » et replacer ses personnages dans un contexte socio-historique précis : voir les jeunes gens paumés de L’Appât (1995) les policiers de L 627 (1992) , Dave Robicheaux dans la société cajun de Louisiane dans la film Dans la brume électrique (2009) ..Même Quai d’Orsay (2012) qui se présente comme une comédie, est une reconstitution très crédible, selon les spécialistes, du ministère des Affaires étrangères à l’époque Villepin…

   Tavernier est pour nous enseignants d’histoire une source d’inspiration : son goût pour les « zones d’ombre »  de l’histoire et le sérieux de ses recherches est une réelle stimulation à aller voir des points parfois négligés par l’historiographie : quelle bonne idée par exemple d’aborder la première guerre mondiale, en évoquant l’immédiate après guerre (La vie et rien d’autre) ou les combats dans les Balkans (Capitaine Conan)…Pour une fois, on ne nous inflige une énième reconstitution de la guerre des tranchées…
En tout cas, on attend avec impatience son prochain long métrage, persuadé qu’il saura satisfaire d’une manière ou d’une autre, à la fois notre goût pour le cinéma et aussi pour l’histoire !

http://www.tavernier.blog.sacd.fr/

Bertrand Tavernier et l’Histoire

 

Pascal Bauchard

(15 mai 2015)

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