Chronique n° 3 : le cinéma en classe : histoire d’une pratique (Pascal Bauchard)

   Cette chronique voudrait évoquer un sujet que j’ai déjà traité dans d’autres textes de ce blog, à savoir l’usage du cinéma dans la classe : mais cette fois, je ne voudrais pas aborder les aspects pédagogiques mais insister plutôt sur l’évolution de cette pratique depuis quelques décennies, histoire de rapporter mes histoires « d’ancien combattant » !..

Le temps des pionniers…
il y a plus de trente ans, quand j’ai commencé ma carrière, les jeunes enseignants passionnés de cinéma que nous étions, nous ne doutions de rien ! J’ai le souvenir d’avoir réussi à convaincre mes collègues de l’époque à monter des opérations cinéma au collège : près de 300 élèves de troisième étaient réunis dans la salle de la cantine, où nous leur passions les films sur un projecteur 16 mm hors d’âge, avec un son particulièrement mauvais. En plus, le choix des œuvres projetées était austère…du genre Octobre ou  M Le Maudit…Un de mes collègues me racontait avoir passé Alexandre Nevski d’Eisenstein à des collégiens de Hautepierre, public pourtant réputé difficile…Et tout cela se passait plutôt bien ! Puis vint le temps où nous disposions d’ensembles vidéo posés sur des chariots à roulette , que nous partagions entre différentes salles de classe…Cet équipement était particulièrement convoité dans les moments « creux » de l’année, lorsqu’il fallait occuper les élèves alors au minimum de leur attention, par exemple juste avant Noël ou à la fin de l’année…
A cette époque, toutes les pratiques, y compris les plus douteuses, existaient : nous avons tous connu des collègues qui laissaient la télévision faire cours à leur place. Certains professeurs avaient du mal à résister à la pression «amicale » des élèves : « monsieur, on regarde un film? ». Passer un film en cours était clairement considéré par nos collégiens comme une récréation ! Au mieux, c’était une manière d’illustrer le cours que l’on venait de faire, au pire, un moyen de passer le temps ! Et bien sûr, les enseignants ne tenaient aucun compte de droits d’auteur éventuels…

Une prise de conscience progressive
Dans les années 1980, si ma mémoire est bonne (!), les choses ont commencé à changer : d’une part, l’administration a commencé à nous faire peur en interdisant toute diffusion d’œuvre audiovisuelle si les droits n’étaient pas réglés. Des inspecteurs du CNC étaient même censés rôder dans les établissements pour surveiller l’application de ces mesures (!) On racontait que l’un ou l’autre chef d’établissement avait fait enfermer toutes les cassettes VHS dans une armoire fermée à clef …
Surtout, nos « autorités » ont commencé à sérieusement s’intéresser au problème de l’utilisation de séquences filmées pendant le cours d’histoire,, par exemple en initiant des formations auprès des professeurs stagiaires et en développant des stages spécifiques dans le Plan Académique de Formation (en Alsace, il y a eu chaque année jusqu’à une demi-douzaine de journées de stages assurées par José Clementé, Dominique Chansel, Marcel Wander et moi-même selon les époques). Le plus intéressant dans ces stages a été de bien faire passer le message de Marc Ferro, à savoir que le film est un « document historique » à part entière , et qu’il doit être soumis à la même démarche critique qu’une autre source. Bref, qu’utiliser des séquences cinématographiques exige des enseignants un réel travail en amont…Ainsi, une nouvelle génération d’enseignants a introduit le cinéma dans ses cours, de manière assez systématique et appropriée, et avec une rigueur qui n’était pas toujours de mise auparavant.
Des structures sont apparues comme Collégiens au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, qui ont permis d’attirer vers les salles obscures des milliers d’élèves : même si le choix des œuvres est parfois contestable, la qualité de l’accompagnement pédagogique était et est appréciable : des dossiers pédagogiques sont fournis aux enseignants, qui peuvent également suivre des stages sur les films concernés. Au niveau local, beaucoup d’initiatives ont alors vu le jour. Rien que dans le département du Bas-Rhin , sont apparues trois associations constituées par des enseignants qui ont organisé des programmations à destination des publics scolaires, de la maternelle à la Terminale : Les Rencontres cinématographiques d’Alsace à Strasbourg, le ciné-club de Wissembourg, Educiné dans la région de Molsheim.
Depuis l’avènement d’internet, de nombreux sites, comme cinehig.clionautes.org, proposent aux enseignants de notre discipline des séquences pédagogiques « clefs en mains », souvent très bien faites…

Aujourd’hui, une situation ambiguë
Aujourd’hui, nous sommes submergés par des flots de productions audiovisuelles de toute sorte, venus de toute part, et notamment sur internet, alors qu’on nous demande de préparer aussi nos élèves à la lecture de l’image. Le programme d’histoire des arts de troisième par exemple suggère fortement aux professeurs l’étude de certains chefs d’œuvres cinématographiques (les plus cités sont Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, la Grande Illusion). Le ministère a établi un modus vivendi  avec la profession pour que les enseignants puissent utiliser de courts extraits vidéo dans leurs cours , comme on le précise sur les sites spécialisés et l’INA propose un fonds de bandes d’actualités, très riche et très utilisable en classe…Enfin, il semble que les pouvoirs publics et locaux aient pris conscience de la nécessité d’équiper correctement les établissements scolaires : ce n’est pas encore parfait mais les collèges et lycées sans salles pourvues de vidéoprojecteurs sont de plus en plus rares…
Mais bien des problèmes demeurent : le nombre de stages consacrés au cinéma ne cesse de baisser, faute de moyens et une certaine hypocrisie règne sur nos pratiques. Ainsi, le coût des films libres de droits est trop élevé pour les crédits de nos établissements (près de 60 € sur l’excellent site Zéro de conduite.net) , alors que nous savons pertinemment que beaucoup d’enseignants passent de longs extraits, voire des films entiers pendant leurs cours…
Mais peut-on vraiment leur reprocher ? Beaucoup de professeurs ont le sentiment d’être « en mission », quand ils font découvrir aux élèves des films qu’ils n’auraient pas vu autrement…Quand on leur passe un extrait, il arrive d’ailleurs souvent qu’ils demandent à voir …la suite, quitte à le télécharger illégalement sur internet un peu plus tard ! Mais cette sensibilisation au septième art est essentielle car les élèves manquent cruellement d’une culture cinématographique.
Enfin, les enseignants sont soumis à une espèce de pilonnage des distributeurs, dès qu’un film à l’affiche est susceptible d’attirer un public scolaire : nos casiers sont alors inondés d’une abondante publicité, souvent très alléchante. Certes, l’intention est souvent louable et le travail d’accompagnement réel (en général, il existe un dossier pédagogique plutôt bien fait pour les professeurs, des séances d’avant-première sont organisées à leur intention…) Mais, cette promotion est parfois pesante : Sylvie Lindeperg dénonçait dans son livre La Voie des images le battage à son avis excessif qui avait accompagné la sortie du film La rafle de Rose Bosh en 2010. Aller voir le film sur la rafle du Vel d’hiv était présenté comme un « devoir de mémoire » presque obligatoire, Mais pour l’ historienne, il s’agit « un devoir procurant un bienfaisant confort moral, privé d’introspection sur le présent, dépouillé de sa responsabilité à l’égard du futur » (Sylvie Lindeperg). Ainsi, dans ces campagnes de promotion très ciblées qui vise un « marché » scolaire considérable, toutes les occasions ne sont pas bonnes à prendre.

   En tout cas, il est clair qu’un tournant a été pris : on peut désormais envisager un cours d’histoire géographie qui intègre une (ou plusieurs) séquence(s) vidéo , même s’il n’y a bien sûr aucune obligation ! Les enseignants disposent de tous les outils à leur disposition pour le faire correctement, si certains hésitent encore à le faire par crainte de ne pas maitriser suffisamment le vocabulaire technique du cinéma….Mais ce sujet fera l’objet d’une autre chronique !

Pascal Bauchard

(24 mars 2015)

chronique n° 2 : Le travestissement et le cinéma (Aurianna Lavergne)

   Au cinéma comme dans l’histoire de l’humanité, le travestissement ne date pas d’hier ; pour ne citer que Georges Sand, qui était Aurore Dupin, ou Calamity Jane qui intégrait l’armée avec des vêtements masculins.
Plus récemment, le dernier film de François Ozon, intitulé Une nouvelle amie (2014), est sorti dans nos salles. L’histoire est celle d’une femme, qui, après le décès de sa meilleure amie, apprend le secret du mari de celle-ci : il se travestit pour pouvoir continuer à s’occuper de son bébé. A l’aube d’une nouvelle ère avec le “mariage pour tous”, François Ozon s’inscrit dans l’actualité en mettant en avant le fait qu’Adam et Eve n’ont pas engendré que des êtres voués à être soit femme, soit homme. Femme à barbe, troisième sexe,.. Tout y est. Et si David, alias Virginia montre un malaise profond auquel il faut remédier, autant se dire que le sujet n’est pas neuf.
Le travestissement semble être une source d’inspiration pour tout cinéaste voulant une histoire singulière à raconter. Déjà, on pouvait se souvenir de Charlie Chaplin habillé d’une robe et d’un boa dans Mam’zelle Charlot ( 1915 ), pour se rapprocher de la femme qu’il convoite en trompant le père de celle-ci. Rien ne vaut cela pour sublimer son potentiel comique.
Depuis, le sujet du travestissement a été largement traité sous toutes ses formes au cinéma. Si certaines personnes acceptent mal le fait que d’autres changent de personnalité comme de vêtement, il faut noter que le travestissement au cinéma s’explique de différentes manières à travers les personnages concernés ; ainsi, comme on le constate dans la réalité, ils n’ont pas tous les mêmes raisons de vouloir changer de sexe.
Parfois et même souvent, le travestissement vient d’un malaise profond qui se caractérise par la conviction de n’être pas né pour être homme ou femme. Laurence Anyways (2010) de Xavier Dolan, l’illustre plutôt bien. Laurence Alia est un professeur admiré par les garçons et aimé des filles. Un jour, il avoue à sa compagne son désir d’être femme. Dans le dialogue suivant cette scène, Laurence s’explique désespérément : “C’est pas que j’aime les hommes, c’est que je suis pas fait pour en être un, c’est différent. Tout me dégoûte en moi, c’est pas moi, ça. Et je vole la vie à celle que je suis né pour être”. Si lui, sait où il veut en venir et ce qu’il a à faire, d’autres se cherchent encore.
Au début de l’adolescence, généralement, les enfants sont à la recherche d’une sexualité stable. Comme on dit, rien ne vaux l’expérience. On prendra note de Tomboy (2011), de Céline Sciamma, narrant l’histoire d’une petite fille qui choisit de cacher sa véritable identité à ses nouveaux camarades de jeu, en se faisant passer pour un garçon. Si tout ne se termine pas toujours d’une agréable façon pour l’héroïne qui s’attire ainsi les ennuis, les travestis encrés dans la réalité se sont eux aussi cherchés avant de trouver un compromis à leur mal-être. Suite à cela, certains profitent même de cette différence pour s’accomplir sur scène.
Ainsi, Dustin Hoffman dans Tootsie (1982), campe un acteur au chômage qui obtient la renommée en se travestissant. Robin Williams dans Madame Doubfire (1993) opte pour une tenue de gouvernante pour se rapprocher de ses enfants dont il a perdu la garde après son divorce. Dans un registre moins comique, le Ed Wood (1994) de Tim Burton est également un réalisateur qui acquiert son originalité en se mettant lui-même en scène sous l’apparence d’une femme.
De même, pour l’acteur qui se cache derrière le personnage, le travestissement est toujours un important défi à relever. Si la plupart s’en sortent admirablement bien, à l’image de Lee Pace dans le téléfilm Soldier’s girl (2003) qui passe sans entrave pour une vraie demoiselle élégante et très féminine, d’autres parviennent difficilement à passer inaperçus sous des vêtements qu’ils n’ont pas l’habitude de porter. On compte généralement parmi eux les comédiens jouant dans des comédies populaires aux gags très lourds. Le potentiel comique est alors exploité au maximum, et il n’est pas question de faire réellement un personnage travesti, mais plutôt d’utiliser son interprète pour faire rire. Le personnage lui-même est généralement doté d’un physique ingrat, pour faire ressortir une part du ridicule. Dans ces films-ci, on compte notamment la comédie musicale Hairspray (2007), où John Travolta est une mère mal dans sa peau, ou bien encore la série des “Big mama” avec laquelle l’humoriste Martin Lawrence a atteint une partie de sa renommée.
Le travestissement peut en effet être une source de divertissement majeure, c’est pourquoi il est souvent utilisé dans les comédies ; dans cette catégorie, rien n’égale le fameux “personne n’est parfait”, phrase culte qui clôt Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Rien ne sert mieux la comédie que Jack Lemmon et Tony Curtis contraints de se déguiser en femmes pour échapper à des gangsters ! Il est généralement source de quiproquo – un des artifices employés par la comédie – comme dans Les garçons et Guillaume à table (2013), où après un malentendu toute une famille s’imagine que le héros est homosexuel alors qu’il tente de leur expliquer qu’il se travesti.
Cependant, si le travestissement peut se révéler comique, il est également largement utilisé par le registre du film d’horreur et le thriller ; privilégiant le suspense psychologique dans les deux, le cinéaste l’associe souvent aux troubles de la personnalité. Le Docteur Jekyll devient Mister Hyde, l’homme se transforme en meurtrier à la tombée de la nuit. Considéré pendant très longtemps comme une véritable maladie, au même titre que l’homosexualité, le travestissement peut se montrer effrayant si on s’attache aux codes du film d’horreur. Autrement dit, dans ce genre de film les travestis sont très généralement des personnes ayant des problèmes psychiatriques, qui se révèlent troublant pour le spectateur. Dans Psychose (1960) par exemple, le personnage de Norman Bates est schizophrène ; on le voit portant une perruque et se prendre pour la mère qu’il a tué plusieurs mois auparavant – A noter d’ailleurs, le travestissement au cinéma n’est pas toujours total, dans le sens où les acteurs ne portant pas forcément tous les “accessoires” nécessaires à leur transformation ; il peut s’illustrer par un peu de maquillage, comme le rouge à lèvres rose pailleté de Matt Damon dans Ma vie avec Liberlace (2013) de Steven Soderbergh, et être seulement allusif – Le tueur en série dans Le silence des Agneaux (1991) de Jonathan Demme est également proie à des excès de petite folie où il s’enferme seul dans sa chambre en s’habillant comme une femme. Dans Cruising, la chasse (1980) de William Friedkin, un meurtrier homosexuel se dote régulièrement d’habits féminins pour séduire ses victimes puis les assassiner.
Au cinéma, que ce soit dans un drame, une comédie ou même un film d’horreur, le travesti peut vouloir passer inaperçu, ou au contraire se mettre en avant. Parfois, c’est sous la contrainte qu’il doit le faire, et se fait passer pour une personne d’un autre genre pour ne pas être reconnu, comme Glenn Close dans Albert Nobbs (2011) de Rodriguo Garcia, qui devient homme pour avoir accès à un travail stable – et qui dupe son entourage pendant plus de 30 ans ! – Le personnage de Michel Blanc avait du, lui aussi, se travestir sous la pression de son ami homosexuel, pratiquant l’art d’être une femme dans Tenue de soirée (1986). Dans Sylvia Scarlett (1935) de Georges Cukor, l’héroïne avait également prit parti de se vêtir d’habits masculins pour aider son père dans ses escroqueries et tromper les victimes.
D’autres personnages semblent simplement éprouver du plaisir à être ce qu’ils ne sont pas l’espace de quelques instants, pour tromper le monde et pouvoir en rire par la suite. Ainsi s’amusent et se métamorphosent des personnages comme Catherine dans Jules et Jim (1961), ou encore Elizabeth dans Neuf semaines et demi (1986). Côté hommes, il y a aussi Louis de Funès déguisé tour à tour en vieille dame dans L’Aile ou la cuisse (1976) et La folie des grandeurs (1971), simplement pour avoir la joie de surprendre ceux qu’il espionne secrètement, camouflé derrière un voile ou du fond de teint épais, le tout soutenu par une voix désépaissie.
Tout comme dans la réalité, le travestissement au cinéma est à nuancer ; très rarement il est le fruit d’un seul facteur. Si, dans les années 50, il apparaît dans le monde entier comme une libération sexuelle qui amène à mixer tous les genres – comme le montre le film Velvet Goldmine (1998) retraçant la vie d’un chanteur assimilé à David Bowie – les travestis ne sont encore que très difficilement acceptés par la société de notre époque. Le cinéma pose une ébauche de compréhension, sous un jour parfois drôle, parfois tragique, mais montre aussi que notre monde porte un regard souvent méfiant à l’égard de ce “troisième sexe”. Après tout, du travestissement de Laurence Alia découle bien un rejet de sa famille et de sa compagne, et l’amant d’un travesti dans Soldier’s girl est battu à mort pour l’avoir aimé…
En somme, si les travestis ne demandent qu’à être accepté par leur entourage, voir la société entière, se travestir est avant tout un cheminement pour se connaître soi-même. Le cinéma nous amène ainsi au delà de la peur ou du rire dans une tentative profonde et audacieuse de nous connaître davantage sans fard ni convenances.

Aurianna Lavergne

(17 mars 2015)

chronique n°1 : De quelques films sur les jeunes…(Pascal Bauchard)

Bande de filles, Céline Sciamma
Les héritiers, Marie-Castille Mention-Scharr
Qu’Allah bénisse la France ! Abd Al Malik
A 14 ans, Hélène Zimmer
Max et Lenny, Fred Nicolas

   Pour ma première chronique, je voulais revenir sur plusieurs films vus depuis l’hiver dernier, qui ont pour point commun d’évoquer , d’une façon ou de l’autre, le thème de la jeunesse, de l’école : il se trouve que ces films recoupent un des sujets que j’ai été amené à traiter en cours, à savoir le paysage de banlieue au cinéma, pour des élèves de Terminale, dans le cadre de l’histoire des Arts.
Le premier d’entre eux, Bande de filles , est l’œuvre d’une cinéaste, Céline Sciamma, qui s’était déjà intéressée à la période de l’adolescence dans Naissance des pieuvres (et de l’enfance dans Tomboy). Dans le cas de son dernier long-métrage, elle s’attache à faire la chronique d’une bande de jeunes filles de banlieue, qui ont en commun d’être noires…et d’être de superbes jeunes filles ! C’est d’ailleurs une des réussites du film de Céline Sciamma, qui semble avoir été fascinée par leur allure (on ne peut s’empêcher de penser au slogan de certains Afro-américains aux États-Unis dans les années 1960,   » Black is beautiful! »  ) : la caméra semble glisser sur elles avec une grande sensualité..Dans la première partie du film, on aurait pu craindre un portrait un peu réducteur : ces jeunes filles ont un côté bling-bling presque exaspérant mais Céline Sciamma se charge de nous rappeler les problèmes très concrets qu’elles rencontrent.. Elles ne sont pas toujours présentées de manière très avenante : par exemple, elles n’hésitent pas à racketter les autres élèves du collège….Au tout début du film, Marieme, la principale héroïne, est face à une conseillère d’orientation, qui tente de la convaincre d’aller faire un BEP aux débouchés incertains, alors que la jeune fille s’obstine à vouloir aller au lycée général : une situation que beaucoup d’enseignants auront connu dans leur carrière. De même, la fin du film est amère, car les quatre collégiennes se sont bien révoltées contre le rôle qu’on voulait leur imposer, mais le succès est incertain : elles se rêvent en « princesses pop et sexy, émouvantes reines du dance floor,» (Télérama) mais la vie se charge de les rappeler à la réalité.
Les héritiers, a connu un certain succès, et en particulier dans les salles des professeurs. Il est difficile de résister à cette histoire, édifiante pour le moins, d’une enseignante d’histoire géographie qui réussit à motiver une classe d’élèves « laissés pour compte »  en les faisant participer au concours de la Résistance. Le scénario se présente comme  « une histoire vraie » et il a été écrit par l’un des élèves qui ont participé à cette expérience. De fait, on ne peut que soutenir la démarche du professeur qui réussit à la fois à sensibiliser ces jeunes adolescents aux horreurs du système concentrationnaire nazi et aussi à leur donner confiance en eux-mêmes. La scène, où l’ancien déporté vient s’adresser à la classe m’a rappelé des souvenirs très précis, lorsque Monsieur Jean Samuel était venu dans notre collège pour évoquer la figure de Primo Levi, avec qui il s’était retrouvé au camp d’Auschwitz. Et de fait, j’avais ressenti , chez la plupart de mes élèves, une réelle émotion devant cette « tranche de vie » racontée par un témoin incontestable mais d’une grande humilité ..Le parcours de Mélanie, l’élève rebelle au début du film, qui est finalement touchée « par la grâce » en découvrant la vie de Simone Veil est tout à fait crédible : j’ai été parfois surpris au cours de ma carrière par la façon dont les collégiens « s’initient au monde »…Quelques remarques cependant : la cinéaste rapporte bien la première réaction des élèves lorsque l’enseignante leur propose le sujet du concours : certains se plaignent notamment « qu’on parle encore des Juifs ! ». Dans la réalité, je pense que les débats ont été plus intenses et plus longs que ce qui est montré…De même, la joie des élèves quand ils apprennent qu’ils ont remporté le concours laisse perplexe : est le fait d’avoir gagné – quasiment comme dans une épreuve sportive ? Le sujet les a-t-il vraiment touché ? Leur année scolaire a été réussie grâce à un professeur charismatique mais garderont-ils le même comportement les années suivantes ? Les enseignants savent que certains engouements ou engagements des élèves peuvent être bien éphémères..Mais , au delà de ces réserves, ce film est à voir, ne serait-ce que parce qu’il provoque justement le débat sur ce genre de questions fondamentales.
Pour le film d’Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France !, on peut aussi en souligner l’aspect édifiant : le cinéaste, qui a vécu une bonne partie de sa vie dans les banlieues difficiles de Strasbourg, présente une œuvre soignée (le noir et blanc utilisé n’est pas sans rappeler l’esthétique développée par Mathieu Kassowitz dans la Haine…). Son parcours paraît exemplaire et il veut clairement montrer qu’une issue est possible à la fatalité des banlieues : le héros du récit insiste sur ce qui lui a permis de s’en sortir, à savoir la religion (l’islam dans sa version soufi), la musique et en l’occurrence le rap, et… l’école (en particulier le soutien d’une enseignante de français, sensible à ses qualités). Reste qu’on peut se demander dans quel ordre ces trois facteurs ont joué dans l’émancipation du jeune homme (mais il est aussi possible qu’il n’y ait pas d’ordre ! ). De même, on s’interroge sur le comportement de cet adolescent, bon et même parfois brillant élève en classe et petit délinquant dans sa banlieue, une double vie sans doute difficile à assumer…
Dans A 14 ans, Hélène Zimmer retrace une année de collège de trois adolescentes, Sarah, Jade et Louise…le film semble bien nous renvoyer à la jeunesse de la réalisatrice, qui ne fait aucune concession. Ce petit monde de collégiens s’exprime très crûment, se montre souvent brutal, ne répugne pas à lever le coude lors de soirées bien arrosées. Les trois sont en conflit ouvert avec leurs parents (l’une d’entre elles se réfugie d’ailleurs chez sa grand-mère). On est frappé par la dureté de cet univers adolescent , où l’école n’apparaît à aucun moment comme une chance, une possibilité d’avenir différent : les trois vont passer leur brevet avec de bonnes chances de l’obtenir (de toute façon, elles pensent que seuls les débiles ratent ce concours!) et envisagent des bacs professionnels pour la suite…Peut-être peut-on estimer que ce portrait d’une génération est caricatural : les personnages ne semblent vraiment concernés que par leurs relations amoureuses et parfois sexuelles (on en parle beaucoup mais on agit peu…) et par leurs rapports souvent très conflictuels avec leurs propres parents. Par contre, on ne peut pas douter de la sincérité de la cinéaste, qui livre ici SA vision d’une adolescence manifestement difficile…
Enfin, Max et Lenny est un film qui se déroule dans les quartiers Nord de Marseille, sur les hauteurs au dessus de la Méditerranée : sans paraphraser la fameuse formule, qui voudrait que « la misère soit plus belle au soleil », le cinéaste réussit quelques plans superbes, d’immeubles délabrés au premier plan mais avec en arrière-plan, une vue sur une mer d’un bleu intense. Le personnage principal, Lenny est une jeune fille en rupture radicale, avec sa famille mais aussi avec l’école : elle rôde seulement aux abords du collège pour y retrouver son amie , jeune congolaise sans papiers,  mais il n’est pas question d’y remettre les pieds..C’est en tout cas un personnage féminin volontaire assez inhabituel dans le « cinéma de banlieue », une jeune fille qui n’est absolument pas soumise et qui veut prendre le contrôle de sa vie : en cela, elle est à l’opposé de son amie Max, congolaise sans papiers sous le coup d’une reconduite à la frontière…Comme dans le film d’Abd Al Malik, la musique rap joue un rôle majeur dans son épanouissement, même si ma culture m’empêche d’avoir un avis autorisé sur ce genre musical…
Au total, si on peut s’agacer de quelques clichés, ces quelques films présentent des portraits éclatés de la jeunesse actuelle, mais assez complémentaires et le plus souvent sans complaisance. Dans trois des films cités, les personnages des filles sont au centre des scénarios et ont une véritable épaisseur psychologique : si aucun des films évoqués n’emporte complètement notre adhésion, c’est qu’ils n’évitent pas toujours certaines facilités de ce qui est devenu un genre, le « film de cité ». En vrac, on retrouve dans tous ces films, le parler « jeune », l’omniprésence de la musique rap ou hip-hop.., les inévitables conflits jeunes/parents… Au delà de ces figures de style attendues, ils ont chacun leur « part de vérité » et témoignent de la sincérité et des bonnes intentions de leurs auteurs : comme aurait dit Alain Souchon, « c’est déjà ça »…et c’est déjà beaucoup !

Pascal Bauchard

(13 mars 2015)

A propos de cette rubrique

    En plus des articles que j’ai réuni sur ce blog, j’aimerai aussi proposer des chroniques où l’on parlerait de « tout et de rien », mais  bien sûr  de cinéma ! Ces textes pourraient évoquer le septième art, mais de manière plus informelle et peut-être moins austère, dans une optique plus large également….

Sur l’actualité cinématographique
Il s’agira pour moi, selon un rythme le moins contraignant possible, de faire part de mes découvertes, de mes « coups de cœur », de mes réflexions (!) et de mes énervements parfois, à propos des films qui sortent au cours de l’année, tant il est vrai que la critique institutionnelle me laisse souvent insatisfait. Selon les journaux ou médias, on est soit dans la promotion indécente, soit l’engouement de commande (pour certains, il est très chic de révéler au monde un nouvel « auteur » chaque semaine…). Mes modèles d’écriture seraient les critiques de la revue Positif, Pascal Merigeau dans le Nouvel Obs : j’apprécie aussi que Télérama donne parfois la parole à des critiques d’avis opposés, ce qui permet de se faire une opinion nuancée…
En considérant la profession que j’ai pratiqué fort longtemps, je suis plus intéressé par les films qui traitent de sujets historiques ou qui révèlent « quelque chose » de leur époque ou de leur société d’origine. Je suis très à l’affût des films qui « témoignent de leur temps », comme l’aurait dit Marc Ferro. Il me semble ainsi que les derniers films de Jia Zhangke (The World, Still Life, A touch of sin) sont très révélateurs de l’état de la Chine aujourd’hui, même si le public de ce pays n’y a pas toujours accès puisque leur diffusion y est restreinte…Cette année, des œuvres comme Leviathan d’Andrej Zvyagintsev ou de Taxi Téhéran de Jafar Panahi peuvent être aussi considérés comme des films-témoins. A l’inverse, plusieurs critiques se sont intéressés à juste titre sur la signification du très grand succès remporté par certaines comédies populaires comme Bienvenue chez les Ch’ti, Intouchables, ou Mais qu’est ce que j’ai fait au Bon Dieu ? (voir les articles de Jacques Mandelbaum dans le Monde ou de Baptiste Roux dans Positif). Bien sûr, les aspects esthétiques ne me laissent pas indifférents mais je suis peu attiré par des films qui ne seraient remarquables que pour leurs qualités formelles.
De toute façon, le cinéma a l’immense avantage d’être un art multiforme, qui peut trouver des publics très différents : entre les films d’auteur intimistes, les « grosses machines » hollywoodiennes, les comédies sociales, il y a de la place pour tout le monde et tout le monde peut y trouver son bonheur. Il est inutile et un peu vain de vouloir ostraciser certains films, au prétexte par exemple qu’ils ne répondent pas aux critères de « l’auteurisme »…Je dois dire que je suis parfois très attiré quand certains critiques déplorent la forme « conventionnelle » de tel ou tel long-métrage !
Ainsi, dans ces chroniques , j’essaierai de suivre l’actualité cinématographique, mais le rythme devrait être irrégulier car je compte bien me laisser guider par mon inspiration ! Je veux privilégier les films qui m’ont séduit et qui ont une résonance particulière avec la matière que j’enseignais, à savoir l’histoire. Comme je l’ai déjà écrit, j’apprécie que le cinéma ne soit pas que « de l’art pour l’art » mais qu’il me « parle » d’autre chose. C’est d’ailleurs devenu presque une déformation professionnelle, que de voir un film en pensant à ce que je pourrais en faire avec des élèves : à mon âge on ne se refait plus !

Au delà de l’actualité cinématographique
Mais ces chroniques ne devraient pas se réduire à rendre compte de l’actualité cinématographique : dans la mesure du possible, je tenterai aussi de rendre compte des livres sur le cinéma qui m’ont intéressé, tant l’activité éditoriale sur cet art est devenue d’une grande richesse…Beaucoup de maisons d’éditions ont développé des collections sur le cinéma souvent originales et stimulantes (les éditions Actes sud, les éditions Capprici, les éditions LettMotif, les éditions Rouge profond ainsi que des sites par définition innombrables ! (les institutionnels comme Zéro de conduite ou Cine-hig, mais aussi des sites plus personnels comme celui de Bertrand Tavernier ou de Régis Dubois…).
Enfin, je me réserve aussi le droit de consacrer une de ces chroniques à tout sujet en rapport avec le cinéma …Et les sujets ne manquent pas ! On pourrait de parler de thèmes très variés, liés à la place du cinéma dans l’éducation nationale : la pression des distributeurs à promouvoir certains films en salles des professeurs, les problèmes des droits sur les DVD diffusés dans le cadre de la classe, ou l’apprentissage d’une culture cinématographique à nos élèves (de plus en plus, certains ignorent des grands maîtres du cinéma, non pas par mauvaise volonté mais bien parce qu’ils n’ont pas l’occasion de voir leurs films : le temps où chaque Noël, on passait des cycles de films de Chaplin sur les chaînes publiques est bien révolu). Et quand je me suis livré au petit exercice un peu vain du « dropping names » dans les classes où j’ai pu enseigner l’histoire du cinéma, j’ai pu constater que certains noms prestigieux n’évoquent pas grand chose aux élèves que j’avais en face de moi. Ainsi Jean Renoir, Federico Fellini, John Ford et bien d’autres sont méconnus des collégiens et des lycéens et c’est un réel problème : le septième art qui a maintenant dépassé un siècle d’existence, a aussi une histoire qui mérite d’être enseignée !
On pourra aussi revenir sur le travail de certains cinéastes (par exemple, à l’occasion de rétrospectives ou d’expositions) ou de certaines œuvres quand elles sont diffusées avec des copies neuves…

Des chroniques ouvertes à tous…
Enfin, comme cette rubrique se veut un espace de liberté, j’accueillerai aussi bien volontiers dans ces chroniques mes anciens collègues qui voudraient aussi s’exprimer, ainsi que certains de mes anciens élèves, qui se sont révélés des cinéphiles enthousiastes (et j’espère y avoir été pour quelque chose !) : beaucoup d’entre eux participent (ou ont participé, parfois avec succès) à des concours de critiques, tels ceux organisés dans notre région : le concours José Clémente, le concours du festival Augenblick , ou le concours sur François Truffaut cette année. Et le regard des collégiens et lycéens sur le cinéma a souvent une fraîcheur à laquelle je ne peux plus décemment prétendre…

En un mot, cette rubrique se veut donc ouverte à tous les sujets et à tous les cinéphiles de tous âges, qui veulent bien y participer…On pourra y parler de « tout et de rien » mais bien sûr que de cinéma !