chronique n° 2 : Le travestissement et le cinéma (Aurianna Lavergne)

   Au cinéma comme dans l’histoire de l’humanité, le travestissement ne date pas d’hier ; pour ne citer que Georges Sand, qui était Aurore Dupin, ou Calamity Jane qui intégrait l’armée avec des vêtements masculins.
Plus récemment, le dernier film de François Ozon, intitulé Une nouvelle amie (2014), est sorti dans nos salles. L’histoire est celle d’une femme, qui, après le décès de sa meilleure amie, apprend le secret du mari de celle-ci : il se travestit pour pouvoir continuer à s’occuper de son bébé. A l’aube d’une nouvelle ère avec le “mariage pour tous”, François Ozon s’inscrit dans l’actualité en mettant en avant le fait qu’Adam et Eve n’ont pas engendré que des êtres voués à être soit femme, soit homme. Femme à barbe, troisième sexe,.. Tout y est. Et si David, alias Virginia montre un malaise profond auquel il faut remédier, autant se dire que le sujet n’est pas neuf.
Le travestissement semble être une source d’inspiration pour tout cinéaste voulant une histoire singulière à raconter. Déjà, on pouvait se souvenir de Charlie Chaplin habillé d’une robe et d’un boa dans Mam’zelle Charlot ( 1915 ), pour se rapprocher de la femme qu’il convoite en trompant le père de celle-ci. Rien ne vaut cela pour sublimer son potentiel comique.
Depuis, le sujet du travestissement a été largement traité sous toutes ses formes au cinéma. Si certaines personnes acceptent mal le fait que d’autres changent de personnalité comme de vêtement, il faut noter que le travestissement au cinéma s’explique de différentes manières à travers les personnages concernés ; ainsi, comme on le constate dans la réalité, ils n’ont pas tous les mêmes raisons de vouloir changer de sexe.
Parfois et même souvent, le travestissement vient d’un malaise profond qui se caractérise par la conviction de n’être pas né pour être homme ou femme. Laurence Anyways (2010) de Xavier Dolan, l’illustre plutôt bien. Laurence Alia est un professeur admiré par les garçons et aimé des filles. Un jour, il avoue à sa compagne son désir d’être femme. Dans le dialogue suivant cette scène, Laurence s’explique désespérément : “C’est pas que j’aime les hommes, c’est que je suis pas fait pour en être un, c’est différent. Tout me dégoûte en moi, c’est pas moi, ça. Et je vole la vie à celle que je suis né pour être”. Si lui, sait où il veut en venir et ce qu’il a à faire, d’autres se cherchent encore.
Au début de l’adolescence, généralement, les enfants sont à la recherche d’une sexualité stable. Comme on dit, rien ne vaux l’expérience. On prendra note de Tomboy (2011), de Céline Sciamma, narrant l’histoire d’une petite fille qui choisit de cacher sa véritable identité à ses nouveaux camarades de jeu, en se faisant passer pour un garçon. Si tout ne se termine pas toujours d’une agréable façon pour l’héroïne qui s’attire ainsi les ennuis, les travestis encrés dans la réalité se sont eux aussi cherchés avant de trouver un compromis à leur mal-être. Suite à cela, certains profitent même de cette différence pour s’accomplir sur scène.
Ainsi, Dustin Hoffman dans Tootsie (1982), campe un acteur au chômage qui obtient la renommée en se travestissant. Robin Williams dans Madame Doubfire (1993) opte pour une tenue de gouvernante pour se rapprocher de ses enfants dont il a perdu la garde après son divorce. Dans un registre moins comique, le Ed Wood (1994) de Tim Burton est également un réalisateur qui acquiert son originalité en se mettant lui-même en scène sous l’apparence d’une femme.
De même, pour l’acteur qui se cache derrière le personnage, le travestissement est toujours un important défi à relever. Si la plupart s’en sortent admirablement bien, à l’image de Lee Pace dans le téléfilm Soldier’s girl (2003) qui passe sans entrave pour une vraie demoiselle élégante et très féminine, d’autres parviennent difficilement à passer inaperçus sous des vêtements qu’ils n’ont pas l’habitude de porter. On compte généralement parmi eux les comédiens jouant dans des comédies populaires aux gags très lourds. Le potentiel comique est alors exploité au maximum, et il n’est pas question de faire réellement un personnage travesti, mais plutôt d’utiliser son interprète pour faire rire. Le personnage lui-même est généralement doté d’un physique ingrat, pour faire ressortir une part du ridicule. Dans ces films-ci, on compte notamment la comédie musicale Hairspray (2007), où John Travolta est une mère mal dans sa peau, ou bien encore la série des “Big mama” avec laquelle l’humoriste Martin Lawrence a atteint une partie de sa renommée.
Le travestissement peut en effet être une source de divertissement majeure, c’est pourquoi il est souvent utilisé dans les comédies ; dans cette catégorie, rien n’égale le fameux “personne n’est parfait”, phrase culte qui clôt Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Rien ne sert mieux la comédie que Jack Lemmon et Tony Curtis contraints de se déguiser en femmes pour échapper à des gangsters ! Il est généralement source de quiproquo – un des artifices employés par la comédie – comme dans Les garçons et Guillaume à table (2013), où après un malentendu toute une famille s’imagine que le héros est homosexuel alors qu’il tente de leur expliquer qu’il se travesti.
Cependant, si le travestissement peut se révéler comique, il est également largement utilisé par le registre du film d’horreur et le thriller ; privilégiant le suspense psychologique dans les deux, le cinéaste l’associe souvent aux troubles de la personnalité. Le Docteur Jekyll devient Mister Hyde, l’homme se transforme en meurtrier à la tombée de la nuit. Considéré pendant très longtemps comme une véritable maladie, au même titre que l’homosexualité, le travestissement peut se montrer effrayant si on s’attache aux codes du film d’horreur. Autrement dit, dans ce genre de film les travestis sont très généralement des personnes ayant des problèmes psychiatriques, qui se révèlent troublant pour le spectateur. Dans Psychose (1960) par exemple, le personnage de Norman Bates est schizophrène ; on le voit portant une perruque et se prendre pour la mère qu’il a tué plusieurs mois auparavant – A noter d’ailleurs, le travestissement au cinéma n’est pas toujours total, dans le sens où les acteurs ne portant pas forcément tous les “accessoires” nécessaires à leur transformation ; il peut s’illustrer par un peu de maquillage, comme le rouge à lèvres rose pailleté de Matt Damon dans Ma vie avec Liberlace (2013) de Steven Soderbergh, et être seulement allusif – Le tueur en série dans Le silence des Agneaux (1991) de Jonathan Demme est également proie à des excès de petite folie où il s’enferme seul dans sa chambre en s’habillant comme une femme. Dans Cruising, la chasse (1980) de William Friedkin, un meurtrier homosexuel se dote régulièrement d’habits féminins pour séduire ses victimes puis les assassiner.
Au cinéma, que ce soit dans un drame, une comédie ou même un film d’horreur, le travesti peut vouloir passer inaperçu, ou au contraire se mettre en avant. Parfois, c’est sous la contrainte qu’il doit le faire, et se fait passer pour une personne d’un autre genre pour ne pas être reconnu, comme Glenn Close dans Albert Nobbs (2011) de Rodriguo Garcia, qui devient homme pour avoir accès à un travail stable – et qui dupe son entourage pendant plus de 30 ans ! – Le personnage de Michel Blanc avait du, lui aussi, se travestir sous la pression de son ami homosexuel, pratiquant l’art d’être une femme dans Tenue de soirée (1986). Dans Sylvia Scarlett (1935) de Georges Cukor, l’héroïne avait également prit parti de se vêtir d’habits masculins pour aider son père dans ses escroqueries et tromper les victimes.
D’autres personnages semblent simplement éprouver du plaisir à être ce qu’ils ne sont pas l’espace de quelques instants, pour tromper le monde et pouvoir en rire par la suite. Ainsi s’amusent et se métamorphosent des personnages comme Catherine dans Jules et Jim (1961), ou encore Elizabeth dans Neuf semaines et demi (1986). Côté hommes, il y a aussi Louis de Funès déguisé tour à tour en vieille dame dans L’Aile ou la cuisse (1976) et La folie des grandeurs (1971), simplement pour avoir la joie de surprendre ceux qu’il espionne secrètement, camouflé derrière un voile ou du fond de teint épais, le tout soutenu par une voix désépaissie.
Tout comme dans la réalité, le travestissement au cinéma est à nuancer ; très rarement il est le fruit d’un seul facteur. Si, dans les années 50, il apparaît dans le monde entier comme une libération sexuelle qui amène à mixer tous les genres – comme le montre le film Velvet Goldmine (1998) retraçant la vie d’un chanteur assimilé à David Bowie – les travestis ne sont encore que très difficilement acceptés par la société de notre époque. Le cinéma pose une ébauche de compréhension, sous un jour parfois drôle, parfois tragique, mais montre aussi que notre monde porte un regard souvent méfiant à l’égard de ce “troisième sexe”. Après tout, du travestissement de Laurence Alia découle bien un rejet de sa famille et de sa compagne, et l’amant d’un travesti dans Soldier’s girl est battu à mort pour l’avoir aimé…
En somme, si les travestis ne demandent qu’à être accepté par leur entourage, voir la société entière, se travestir est avant tout un cheminement pour se connaître soi-même. Le cinéma nous amène ainsi au delà de la peur ou du rire dans une tentative profonde et audacieuse de nous connaître davantage sans fard ni convenances.

Aurianna Lavergne

(17 mars 2015)

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