La Révolution française au cinéma (filmographie)

   Plus que tout autre sujet historique ( à l’exception peut-être de la révolution bolchevique…), la Révolution française a été mal traitée par le cinéma, et a souvent été victime de présupposés idéologiques. En particulier, le cinéma hollywoodien, inspiré par la littérature anglo-saxonne sur le sujet, ne s’est pas embarassé de crédibilité historique ou d’une quelconque neutralité…Ce n’est que dans l’entre deux-guerres que des cinéastes comme Abel Gance ou Jean Renoir évoquent la Révolution avec une certaine bienveillance ( évidente dans le cas du réalisateur de La Marseillaise ). Dans l’après-guerre, une nouvelle génération de téléastes et de cinéastes souvent engagés dans le combat politique, défendent une vision plus érudite et surtout plus »jacobine », des évènements révolutionnaires ( Stellio Lorenzi, Maurice Failevic…). Mais les débats qu’ont provoqué des films comme Danton d’Andrej Wajda, ou Les années terribles de Richard Heffron montrent qu’on est loin du consensus et que la représentation de cette période pose toujours problème.

La Révolution vue d’Hollywood
Le cinéma américain est assez peu inspiré par la Révolution française : une quinzaine de longs métrages depuis 1917 se déroulent à cette époque, depuis Orphans in the storm de D.W.Griffith en 1921 à Reign of Terror d’Anthony Mann réalisé en 1949…Sans doute, le sujet est-il trop lointain ou trop complexe pour être traité dans « les usines à rêves » hollywoodiennes. Cela dit, quelques films méritent d’être analysés, comme Le Marquis de Saint-Evremont de Jack Conway ( 1935 ) ou Marie-Antoinette de WS Van Dyke ( 1938 ). D’abord, on peut remarquer que rien ne semble arrêter les réalisateurs américains, et sûrement pas la vérité historique…Dans Le marquis de Saint-Evremont, La Bastille est prise au son d’une martiale  » Marseillaise », et la réunion des États Généraux se transforme en une querelle d’escrimeurs dans le Scaramouche de Georges Sidney ( 1952 ). Avant tout, la vision d’Hollywood sur la Révolution se construit à partir de partis-pris affirmés. Sans doute inspirés par la littérature anglo-saxonne
( surtout A tale of two cities de Charles Dickens plusieurs fois porté à l’écran ), les réalisateurs et scénaristes américains se retrouvent sur quelques idées-forces : l’Ancien Régime était condamnable ( l’arbitraire de la justice royale est fréquemment dénoncé ), la Révolution bourgeoise doit être soutenue ( José Clémente a ainsi remarqué que la prise de la Bastille est une séquence obligée de la production hollywoodienne, comme symbole de la chute de l’absolutisme…). Par contre, la Terreur est présentée sous les traits les plus repoussants : la foule des sans-culotte est bestiale, les aristocrates ( souvent de jeunes femmes pâles au doux visage…) apparaissent comme les victimes de la furie révolutionnaire : Robespierre, Saint-Just, Marat sont les maitres d’œuvre de cette sauvagerie…
Cette vision peu nuancée s’explique : d’abord, elle correspond au point de vue dominant chez les Anglo-saxons, à propos de la Révolution : sympathique quand elle lutte contre l’absolutisme, nettement moins quand elle remet en cause l’ordre social et prétend donner le pouvoir au peuple… Marcel Oms remarque que ces films réussissent toujours à justifier des thèmes chers au cinéma américain : « singularité et triomphe de l’individu, quelque soit son origine, croyance en un libéralisme abstrait, évidence d’une morale naturelle »… D’autre part, les cinéastes américains de l’entre deux-guerres font clairement le rapprochement entre la Révolution française et celle qui vient de se dérouler en Russie. Lilian Gish, interprète du film de Griffith Orphans in the storm estime que cette œuvre est « l’exemple même du film de propagande antibolchevique. Il montre que la tyrannie des Rois et des nobles est difficile à supporter mais que la tyrannie de la foule menée par des dirigeants enragés est intolérable ».

Silence à l’Est
En contrepoint, l’absence de films soviétiques sur la Révolution est troublante, alors que les dirigeants bolcheviks y font une référence constante dans leurs écrits et leurs discours…De fait, Marc Ferro, explique qu’à l’époque stalinienne, la Révolution française est ressentie plutôt comme un « contre-exemple « . D’abord, elle s’est « mal terminée » et les analogies avec la Révolution bolchevique peuvent amener à des conclusions « politiquement incorrectes » : comme le remarque Léon Trotski, si Lénine est Robespierre, l’arrivée au pouvoir de Staline correspond à Thermidor, comparaison jugée sans doute peu flatteuse…

La Révolution à la française
En France même,la filmographie est maigre et souvent bien peu républicaine, de manière surprenante quand on sait l’importance de la Révolution française comme mythe fondateur de la III° République. On peut ainsi relever quelques films de Sacha Guitry , mais qui évoquent surtout la personnalité de Bonaparte ( Remontons les Champs-Elysées-1939-, Le Destin fabuleux de Désirée Clary-1943-, Le Diable boiteux-1948- ). Des films comme Caroline Chérie de Richard Pottier ( 1950 ) utilise la période révolutionnaire comme toile de fond aux aventures de l’héroïne. Inspiré des livres franchement réactionnaires de Cécil Saint-Laurent, le personnage incarné à l’écran par Martine Carol apparaît comme « culbuté par l’histoire », subissant stoïquement toutes les turpitudes révolutionnaires. L’ensemble de cette production, comme le relève Marcel Oms, « traite la Révolution française avec agressivité et dénigrement, méfiance et hostilité, falsification et caricature ».

Deux visions : Gance et Renoir
Cela dit, dans l’entre deux-guerres, deux cinéastes, Abel Gance et Jean Renoir, offrent une vision nouvelle de la Révolution, ne serait-ce que par le ton bienveillant qu’ils adoptent pour évoquer cette période de notre histoire. Les deux d’abord accomplissent un véritable travail de documentation sur leurs sujets ( en particulier, Jean Renoir utilise les travaux d’Albert Mathiez, des études sur les Fédérés marseillais, et même des documents bruts comme les Mémoires de Pierre-Louis Roederer pour le récit du 10 août 1792 ). Abel Gance , dans les différents avatars de son Napoléon, (version muette en 1927, sonorisée en 1935, nouvelle mouture après guerre sous le titre de Napoléon et la Révolution…) reprend certains clichés sur la Révolution : la bestialité de la foule révolutionnaire, les dirigeants Montagnards froids et implacables.. Mais dans ce film qui décrit « l’irrésistible ascension de Napoléon Bonaparte », le général est bien présenté comme le continuateur de la Révolution (il semble même être une sorte de « deus ex-machina », œuvrant dans les coulisses à chaque épisode essentiel..). La Révolution selon Gance se justifie dans le sens où elle permet l’émergence d’un homme d’exception, Napoléon Bonaparte ( certains historiens du cinéma ont d’ailleurs relevé que les différentes versions du film correspondent à des époques où domine l’idée de « l’homme providentiel : les années 1920 et l’avènement des dictatures, les années 1960 et le retour du Général de Gaulle au pouvoir ). Jean Renoir, le réalisateur de La Marseillaise, est encore plus original et son approche de la Révolution préfigure de bien des manières la démarche des cinéastes des années 1960-1970. Le film se veut engagé et souhaite incarner de façon très consciente l’esprit du Front populaire ( il devait être à l’origine financé par une souscription « populaire »…). Les allusions nombreuses à « l’embellie » de 1936 ont été relevées ( en particulier, l’unité de la nation est proclamée comme un mot d’ordre,en un temps où les communistes tendent la main aux catholiques). Surtout, le cinéaste propose une vision radicalement nouvelle de la Révolution française : d’abord, il décrit les évènements révolutionnaires à Marseille, rompant ainsi avec le point de vue parisien dominant jusqu’ alors.Il présente,non des individualités romanesques, mais un « héros collectif » les Fédérés de Marseille. Certes, quelques personnages se détachent ( Arnaud, Javier, Bomier…) mais comme autant de porte-paroles des groupes sociaux qu’ils incarnent ( artisans, fonctionnaires, intellectuels…), chargés d’expliquer le sens de leur action collective. Même le personnage de Louis XVI , incarné par le frère du réalisateur, bénéficie d’un traitement nouveau : son portrait est nuancé, « brave homme confronté à des problèmes qui le dépassent » comme l’a noté Hubert Schang ( dossier Contreplongée : Les années-Lumière ). De bien des façons, le film de Renoir tranche dans la production cinématographique de l’époque sur le sujet…

Une vision plus jacobine
Après la seconde guerre mondiale, cette nouvelle approche de la Révolution se développe, notamment à la télévision dont l’usage se répand à partir des années 1960. Comme l’a bien remarqué Sylvie Dallet, toute une génération de réalisateurs de télévision ( Stellio Lorenzi, Claude Barma, Claude Santelli… ), souvent engagés à gauche voire à l’extrème gauche , choisissent à plusieurs reprises la Révolution française comme sujet de leurs « dramatiques ». La fameuse émission La caméra explore le temps y consacre plusieurs numéros : Le procès de Marie-Antoinette en 1958, La nuit de Varennes en 1960, La Terreur et la Vertu en 1962 ; Claude Santelli réalise 1793 ( 1962 ), Claude Barma La mort de Danton ( 1966 )…Dans le climat euphorique de la Libération, ces réalisateurs veulent une démocratisation de la culture, et pour ce faire ils adoptent le média bientôt le plus populaire. Non sans raisons,ils estiment que le cinéma est incapable d’assumer pleinement ce rôle éducateur, à la fois pour des raisons idéologiques et économiques…Leur vision de la Révolution s’appuie sur une documentation solide et une interprétation « jacobine » de la période qui semble issue des manuels scolaires de la III° République : Robespierre et la Terreur, sans être complètement réhabilités, sont présentés avec nuances et dans leur contexte ( guerre civile, guerres extérieures ), alors que les aspects les plus répressifs du régime terroriste sont relégués au second plan .Ces téléfilms insistent aussi la naissance du parlementarisme, ce qui selon Sylvie Dallet, correspond bien à la mentalité des classes moyennes de ces années 1960.

   Dans les années 1970, une convergence essentielle s’opère entre Cinéma et Histoire : toute une génération de cinéastes ( Allio, Cassenti, Comolli,Tavernier…) utilise les travaux de la Nouvelle Histoire pour renouveller en profondeur le film historique . Mais, on doit bien relever que ces cinéastes, s’ils ont abordé l’Ancien Régime ( Les Camisards, Que la fête commence…),le XIX° siècle ( La Cecilia, Le juge et l’assassin ) et la période contemporaine ( La vie et rien d’autre, L’Affiche rouge, L’ombre rouge...), se sont peu intéressés à la période révolutionnaire. Pourtant, l’intérêt porté par les historiens, surtout de l’école marxiste, aux mouvements sociaux de la Révolution, est ancien,comme le montrent les travaux d’Albert Mathiez, Georges Lefevre, Albert Soboul, relayés dans les années 1960 par les études de Guy Bois ou Michel Vovelle… Ce sont encore des réalisateurs de télévision « qui prennent le risque » de traiter la Révolution avec une approche nouvelle : surtout 1788 de Maurice Failevic sur un scénario de Dominique de la Rochefoucault, réalisé en 1978 et La fin du Marquisat d’Aurel de Guy Lessertisseur ( 1980 ). Dans ces deux téléfilms, la Révolution est abordée par « ses franges », c’est à dire en insistant sur les aspects sociaux. Le monde rural y est présenté « en profondeur » et collectivement, avec une érudition presque savante ( on y évoque les techniques et les usages agricoles, comme la pratique des biens communaux, l’âpreté des rapports sociaux entre les seigneurs et les paysans…) et des thèmes nouveaux apparaissent ,comme la montée de la bourgeoisie…

Ainsi, cette période des années 1960-1970 marque une nette évolution dans la représentation de la Révolution à l’écran. Pour Sylvie Dallet, le film de Jean Paul Rappeneau, Les Mariés de l’an II ( 1971 ), comme une espèce de « point d’équilibre » : sur le ton de la comédie, le cinéaste présente un bilan « globalement positif » de la Révolution. Certes, les excès de la Terreur sont dénoncés mais aussi « expliqués » par la situation périlleuse de la France à cette époque : à la fin du film, le héros petit-bourgeois incarné par Jean Paul Belmondo « fait son devoir », en allant s’engager pour combattre les ennemis de la Révolution….

Le regard de l’étranger
Toujours pendant ces années 1970, la Révolution inspire trois cinéastes étrangers, et non des moindres puisqu’il s’agit de Youssef Chahine, Ettore Scola et Andrej Wajda. Le film du réalisateur égyptien Adieu Bonaparte ( 1984 ) aborde un sujet profondément original, à savoir l’expédition de Bonaparte en Égypte. Avec une érudition parfaite, il souligne les ambiguïtés des intentions françaises et relève les malentendus entre « libérateurs » et indigènes : il tente de mesurer l’impact de cette présence sur la société de son pays...La nuit de Varennes d’Ettore Scola ( 1981 ) aborde le sujet de manière symbolique : sur la route de Varennes en juin 1791, un groupe de personnages emblématiques de l’Ancien Régime et du monde nouveau discourent à l’infini : se retrouvent ainsi un Casanova vieillissant, Restif de la Bretonne, l’américain Tom Paine, une aristocrate suivante de la Reine…Mais c’est sans conteste le film d’Andrej Wajda, Danton, réalisé en 1982 avec le concours du ministère français de la culture, qui a provoqué le plus de polémique… La tonalité crépusculaire de l’œuvre, la qualité de l’interprétation ( Gérard Derpadieu en Danton, Wojciech Pszoniak en Robespierre, Patrice Chéreau en Desmoulins ) ont forcé l’attention. Mais, la représentation de la Terreur a posé problème ,dans la mesure où elle est avant tout marquée par les préoccupations politiques du réalisateur . Même s’il en est parfois défendu, Wajda, militant de « Solidarité », a bien voulu parler de la Pologne en « état de siège » des années 1980 en évoquant la Terreur de 1793. Sans insister,on notera que le cinéaste polonais fait « l’impasse » sur le contexte historique de la période et que pour les besoins de sa cause, il va parfois un peu loin dans l’analogie …Ainsi, la fameuse séquence où Robespierre essaie le costume pour la fête de l’Être Suprême et corrige David sur le tableau du Serment du Jeu de Paume est une allusion transparente au culte de la personnalité et au « réalisme socialiste » en vigueur dans les pays communistes. Or, cette scène est une pure « invention » historique, ce qui affaiblit le propos de Wajda, malgré la puissance de son évocation…

Les ambiguïtés du Bicentenaire
A l’approche du Bicentenaire de 1789, la situation du cinéma français est paradoxale : d’abord, le thème de la révolte vendéenne connaît un regain de faveur, encouragé par la querelle historiographique… D’autre part, la production « officielle » sur la Révolution ne propose que des oeuvres convenues,parfois même contestables comme Les années terribles de Richard Heffron .
Deux films tournés sur la révolte des paysans de l’Ouest ( Chouans de Philippe de Broca-1988-, Le vent de galerne de Bernard Favre-1989-) renouvellent la vision du cinéma sur le sujet. Jusque là, les oeuvres réalisées sur ce thème avaient le souci de renvoyer dos à dos deux fanatismes également coupables, celui des « colonnes infernales » et celui des « Blancs », et n’oubliaient pas d’évoquer le contexte international. Mais les deux films cités ne respectent plus cette symétrie et s’inspirent d’un contexte historiographique nouveau, apparu dans les années 1980. A cette époque, plusieurs livres adoptent un ton franchement polémique pour évoquer l’action des armées républicaines en Vendée ( surtout le livre de Reynald Seycher publié en 1986 : Le génocide franco-français : la Vendée vengée ). Ces auteurs insistent sur l’idée d’une connexion Vendée-Auschwitz et l’amalgame Jacobins-Bolcheviks-Nazis est clairement affirmé : ces thèmes sont popularisés auprès du grand public par l’activisme éditorial et médiatique de Philippe de Villiers ( député de Vendée, secrétaire d’État à la culture de 1986-1988, promoteur du spectacle du Puy de Fou ). Certes, Philippe de Broca et Bernard Favre font preuve de prudence et ne reprennent pas à leur compte les affirmations les plus extrémistes : dans Chouans par exemple, le noble libéral incarné par Philippe Noiret soutient la première phase de la Révolution ; Le Vent de galerne insiste sur le caractère populaire de la révolte vendéenne et se veut l’équivalent des Camisards de René Allio. Mais, si leur description des forces contre-révolutionnaires est assez crédible, ces films retombent souvent dans la caricature, dès qu’il s’agit de décrire le camp « d’en face ». Dans Chouans, le personnage interprété par Lambert Wilson, censé incarner le représentant en mission « pur et dur », est une somme des clichés sur le terroriste « tel qu’on le rêve »…

   Lors de la comémoration du Bicentenaire de la Révolution, deux films sont présentés comme des oeuvres quasiment « officielles », estampillées par la Mission du Bicentenaire : il s’agit des Années-lumière de Robert Enrico et des Années terribles réalisées par Richard Heffron ( David Ambrose a élaboré les scénarios des deux épisodes ).Les réalisateurs bénéficient de conditions de production exceptionnelles : un budget de 300 millions de francs, 180 acteurs dont Klaus-Maria Brandauer, François Cluzet, Jean-François Balmer, Andrej Seweryn….avec la caution scientifique de l’historien Jean Tulard. Le contexte même imposait aux réalisateurs d’offrir une vision de la Révolution plutôt consensuelle. Robert Enrico s’en explique très bien :  » je me suis imposé de prendre ne compte les images familières que les manuels scolaires ont popularisés. Il s’agissait de réactiver une mémoire collective nourrie d’habitudes à respecter pour mieux faire passer un message positif sur les acquis irréversibles de la Révolution française ». Son film se présente comme une suite de scènes « incontournables » de tous les grands évènements révolutionnaires, en démarquant au plus près l’imagerie la plus répandue ( la séquence du serment du Jeu de Paume se présente comme le tableau de David « animé » …). Quand cela était possible, les évènements ont été tournés sur les lieux mêmes où ils s’étaient déroulés ( Hôtel de Ville, Versailles…) ou dans des endroits judicieusement choisis ( le château de Tarascon pour la Bastille, celui de Fontainebleau pour les Tuileries…).Mais comme le notait José Clémente, ce positivisme a ses limites et s’il rend la Révolution française lisible, il ne l’explique pas. Le peuple est singulièrement absent de ce long récit et comme le précise David Ambrose, ce sont les cadres, les « Yuppies » d’alors qui sont présentés comme les acteurs de l’Histoire en marche.
A ce propos,on peut relever toutes les incidences du débat historiographique des années 1980 sur la représentation de la Révolution à l’écran. A l’époque, l’interprétation libérale de François Furet sur la période révolutionnaire est dominante dans le champ médiatique, même si certains historiens s’en démarquent nettement, comme Maurice Agulhon ou Michel Vovelle, Président de la commission du Bicentenaire ( sans même parler des disciples de Mathiez et de Soboul, dont Claude Mazauric ). François Furet estime que la Terreur est en germe dès le début de la Révolution ( en 1965, il ne parlait que d’un « dérapage »..) et rejette toute explication par « les circonstances » ( la guerre civile, les guerres extérieures..) : il ne manque pas de souligner les analogies avec l’histoire de l’URSS et selon lui, le régime terroriste est bien l’ancêtre de tous les régimes dictatoriaux du XX° siècle. Or, cette approche se retrouve à l’écran, du Danton de Wajda aux Années terribles de Richard Heffron, en passant par Chouans de Philippe de Broca : dans tous les films cités, les personnages de Montagnards ont un petit air stalinien qui ne trompe pas….De même, les historiens de la « galaxie Furet » privilégient la dimension politique de la Révolution aux dépens des autres aspects, notamment sociaux : cette optique est reprise dans les films « officiels » du Bicentenaire, qui valorisent les dirigeants et réduisent le peuple à un rôle de figurant souvent manipulé (dans Les années-lumière, la séquence sur les journées d’octobre 1789 met en scène le peuple de Paris reprenant mécaniquement les mots d’ordre que lui souffle Marat…).

   Au terme de cette rapide évocation de la Révolution française à l’écran, on peut estimer que Cinéma et Histoire se sont retrouvés, pour le meilleur et pour le pire. Longtemps,la Révolution n’est qu’une toile de fond pour les réalisateurs qui cherchent un cadre dramatique aux aventures de leurs personnages mais leur vision est souvent réductrice et réactionnaire : si la monarchie absolue est condamnée, la Terreur devient l’archétype de la dictature « au nom du peuple ». Avec Renoir et les cinéastes des années 1960-1970, la représentation de la Révolution est plus équilibrée, plus érudite, et les approches se diversifient. Mais dans les années 1980, le cinéma reflète d’une certaine manière les débats historiographiques du temps, que ce soit la « redécouverte » des guerres de Vendée ou les idées défendues par François Furet, et il n’ évite pas toujours la caricature. Décidément, la représentation de la Révolution française reste un enjeu idéologique d’importance, et on peut se demander si, comme l’affirme François Furet, « la Révolution est vraiment terminée »…

La Révolution, suite et fin ?
Ces dernières années, il semble bien que le thème de la Révolution française ait peu inspiré les cinéastes , si on excepte le film de James Ivory, Jeffferson in Paris (1995), qui s’intéresse au séjour du célèbre américain, en tant qu’ambassadeur de la jeune république auprès de Louis XVI. Si les les liens de Jefferson avec les nobles libéraux comme Lafayette sont bien montrés, par contre les motivations du peuple en colère sont sommairement exposées…En 2001, Eric Rohmer nous présente une approche de la Révolution française très critique dans L’Anglaise et le duc, qui rejoint d’une certaine façon la vision libérale d’un François Furet, en s’interrogeant en particulier sur la période de la Terreur.
Par contre, un personnage de l’époque semble toujours inspirer le cinéma : il s’agit bien sûr de Marie Antoinette, au centre de deux films plutôt réussis mais dans des genres bien différents : celui de Sofia Coppola, sorti en 2005 et Les Adieux à la Reine, de Benoit Jacquot (2011). On peut relever la Reine de France avait déjà inspiré de nombreux cinéastes, à Hollywood (Marie Antoinette, de W. S. Van Dyke en 1938) ou en France (les plus notables serait La Marseillaise de Jean Renoir en 1938 et le film de Jean Delannoy, sorti en 1956, en avec Michèle Morgan dans le rôle principal)
Le Marie-Antoinette de Sofia Coppola privilégie un angle particulier : il nous décrit la jeune reine comme une jeune fille perdue dans un milieu dont elle ne maitrise pas les règles et où elle s’ennuie profondément…Elle se distrait dans une succession de fêtes plus ou moins orgiaques, avec un petit groupe d’amies fidèles, prêtes à la suivre dans ses excentricités. Elle vit dans « une bulle coupée du monde extérieur » , comme le dit la réalisatrice, et donc l’Histoire (et le peuple) est en quelque sorte hors-champ. Ce décalage a pu énerver certains , notamment parmi les historiens, qui ont vite fait de relever les anachronismes du film : l’absence de contexte historique accentue le caractère frivole du personnage, qui semble de tout temps…Mais comme le dit Benoit Jacquot, son film est « insolent, extrêmement snob mais assumant complètement son snobisme ». Sa vision du personnage est cohérente, pas plus ni moins fantaisiste que celle d’un Sacha Guitry : on peut donc lui accorder (ou non) le même crédit Quant à l’interprétation de la figure de Marie-Antoinette .

  Quant au film Les Adieux de la Reine, le cinéaste a fort bien réussi son pari de renouveler le genre, alors que ce personnage a déjà fait l’objet de nombreux films. Ce qui peut intéresser le professeur d’histoire, c’est l’évocation très réussie d’un Versailles pas si brillant que cela : les rats pullulent, la saleté règne, la plupart des résidents s’entassent dans des chambres exiguës…L’ambiance « fin de règne » a fasciné Benoit Jacquot (il la compare à celle régnant à la tête de l’état en… mai 1968) : ces hauts dirigeants hésitant sur la marche à suivre, les aristocrates prenant connaissance avec effroi des listes de têtes à faire tomber en cas de Révolution…De plus, il prend le parti de décrire cette période très particulière (entre le 14 et le 17 juillet 1789) à travers les yeux d’un personnage fictif mais crédible (la liseuse de la Reine, Mlle Laborde). Le personnage de Marie-Antoinette devient aussi plus complexe : femme capricieuse, passant de la douceur à l’arrogance, d’un caractère authentiquement réactionnaire, elle ne comprend pas « le monde qui change » et surtout le refuse…Selon le réalisateur, c’est lorsque le tragique des évènements s’impose à elle, qu’elle « cesse de devenir une princesse évaporée et devient la reine de France ». A ce jour, c’est sans doute le film qui rend le plus justice à ce personnage tant décrié par l’historiographie…
En tout cas, le fait que le cinéma « traite » de la Révolution française par l’évocation d’une telle figure montre bien qu’un tournant a été pris : l’histoire du collectif s’efface devant les destinées individuelles, et en particulier celles qui passent bien à l’écran. Mais le septième art n’a sans doute pas dit son dernier mot : la réussite de certains films situés dans le passé et qui prennent comme personnages principaux les « oubliés de l’histoire » (on pense à Heimat, d’Edgar Reitz, de ou Jimmy’s Hall de Ken Loach, films sortis en 2013) montre qu’on peu aussi  filmer le temps passé par le bas…

 

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