Quelques textes à propos des films importants sur la seconde guerre mondiale

        Quand on aborde l’histoire des mentalités à travers le cinéma, il est toujours intéressant d’étudier les déclarations d’intention des cinéastes eux-mêmes ainsi que les réactions de la critique et des historiens. On peut constater alors des décalages, des malentendus,…ainsi que des interprétations qui ne seraient peut-être plus les mêmes aujourd’hui (le cas est frappant pour les films qui ont provoqué des polémiques à leur sortie comme le Chagrin et la Pitié ou Lacombe Lucien).
Afin de compléter l’article sur la Mémoire de la seconde guerre mondiale dans le cinéma français, voici donc un ensemble de textes sur quelques films importants réalisés sur la Seconde Guerre mondiale.

la Bataille du Rail :
«C’est d’abord à la gloire méritée des cheminots que la coopérative du cinéma a réalisé ce film admirable. Un jeune metteur en scène, René Clément a su transcrire au cinéma leur résistance passive, puis de plus en plus active, leur lutte sourde et efficace, leurs sabotages, et pour finir, conjugués avec ceux des partisans, leurs exploits magnifiques dans la bataille de la libération pour empêcher les trains de renfort allemands d’atteindre la Normandie.(…)
Victoire des cheminots, victoire aussi des cinéastes français : ce film, refusé par les exploitants parce que sans concession au public comme ils disent , ce film bat tous les records de recettes à l’Empire».
(Pol Gaillard, L’Humanité, 1946)

«Ce film réalisé par René Clément à la gloire de la Résistance du rail vaut par la simplicité et la vérité du jeu des protagonistes dont beaucoup sont des cheminots avec lesquels les artistes se sont fort adroitement confondus. Mais l’ouvrage a d’autres qualités et d’abord il est passionnant comme un roman d’aventures de caractère supérieur. Le côté d’ironie légère (tellement dans le caractère français et dans les caractères des personnages) de certaines scènes, le magnifique déraillement du train allemand, tels que les Américains ne me paraissent pas, avec tous leurs moyens, en avoir réalisé de semblable».
(Jean-Jacques Gauthier, le Figaro, 1946)

«La Bataille du Rail relève d’une tendance principalement illustrée par les cinémas suédois et soviétiques de la grande époque, mais qui comptaient jusqu’ici peu de représentants en France, celle de la fidélité au réel (…) Presque tout a été tourné en extérieurs, dans les dépôts de machines, les postes d’aiguillage, les gares et les ateliers».
(Denis Marion, Combat, 1946)

«Le film de René Clément abonde en trouvailles admirables tant du point de vue de l’expression cinématographique (celle du train fantôme égaré sur une voie désaffectée, l’exécution des otages, certains épisodes de l’attaque du train blindé…) que la valeur dramatique et humaine mais on a le sentiment qu’il manque à ces images une légère différence de température esthétique qui les cristalliserait et les rendrait dures et tranchantes comme un paragraphe d’Hemingway et de Malraux. Il s’en faut de presque rien que ce film n’égale le meilleur Eisenstein et ne dépasse les plus grands films américains».
(André Bazin, Le courrier des étudiants, 1946)

Nuit et Brouillard (1955) :
«L’idée à laquelle j’étais le plus attaché et qui me paraissait la plus importante, c’était que je ne voulais pas faire un film «monument aux morts». Ce dont j’avais très peur , c’était de faire «plus jamais ça». C’était parce que c’était de méchants Allemands mais maintenant que Hitler est abattu, c’est fini, ça n’existera plus et faisons tous nos efforts pour que cela ne recommence pas» (…) Surtout, on était en pleine guerre d’Algérie, la guerre d’Algérie commençait en France, il y avait déjà des zones dans le centre de la France où il y avait des camps de regroupement -ce n’était pas des camps de concentration, mais où déjà les automobilistes n’avaient pas le droit d’arrêter leurs voitures, où il y avait des gendarmes et tout ça (…) Bon, moi je sentais que ça pouvait recommencer justement (…) Je voulais un film qui dise aux gens, non pas «n’oubliez pas» mais «cherchez à comprendre pourquoi ça arrive. Surtout n’attendez pas que ce soit arrivé pour vous en préoccuper». Je parlais en effet souvent de la sonnette d’alarme. C’était la terreur que cela recommence».
(entretien avec Alain Resnais, 1986)

«Alain Resnais nous donne une leçon d’histoire, cruelle sans doute mais méritée.
Il est quasiment impossible de parler de ce film avec les mots de la critique cinématographique. Il ne s’agit ici ni d’un documentaire ni d’un réquisitoire, ni d’un poème mais d’une méditation sur le phénomène le plus important du XX° siècle.
Nuit et Brouillard traite en effet de la déportation et du phénomène concentrationnaire avec un tact sans défaillance et une rigueur tranquille qui en font une ouvre sublime et «incritiquable» pour ne pas dire indiscutable.
Toute la force de ce film en couleurs qui s’ouvre sur des images d’herbes repoussées au pied des miradors, réside dans ce ton d’une douceur terrible qu’on su trouver Alain Resnais et Jean Cayrol : Nuit et Brouillard est très précisément une interrogation qui nous met en cause : ne sommes nous pas tous des «déporteurs», ne pourrions pas tous le devenir, au moins par complicité ?
(..) lorsque la lumière se rallume, on n’ose pas applaudir, on reste sans voix devant une telle œuvre, confondu par l’importance et la nécessité de ces cent mille mètres de pellicules».
(François Truffaut, 1955)

La Traversée de Paris (1956):
«L’action se passe en 1942. À défaut d’avoir inventé la poudre, Martin fait du marché noir. Une nuit il doit transporter chez un boucher de la rue Lepic un cochon découpé en morceaux. Il est aidé dans cette expédition par un compagnon de rencontre, personnage hurluberlu à la mentalité inquiétante. La course clandestine des deux compères prend dès le départ une allure d’odyssée tragi-comique. (…) Il est permis de faire des réserves sur tel ou tel point de détail, mais on ne peut guère ne pas être séduit par le ton du récit, un ton désinvolte, narquois, impertinent, cruel, faisant fi de toute indulgence et de tout conformisme. Je parlais tout à l’heure de vitriol. Une scène comme celle du bistrot où Gabin, saisi brusquement d’une fureur sacrée, hurle son mépris des froussards, des imbéciles, des hypocrites, des envieux, des incapables, une scène comme celle-là, malgré le côté burlesque de la situation, atteint dans sa férocité à une sorte de grandeur épique. Loin d’être choqué par ce qu’on ne manquera pas d’appeler le caractère  » anarchiste  » du film, j’y vols la raison essentielle de sa saveur, de son originalité et de son insolite cocasserie».
(Jean de Baroncelli, Le Monde)

«Rien ni personne n’est épargné. Au passage, toutes les notions humaines, politiques ou sociales, sont fortement égratignées ; quant au matériau vivant, tout le monde est méchant, ou lâche, ou bête…ou les trois à la fois. S’il y a une morale au conte, elle est anarchiste : le fort brime le faible, l’intelligent ridiculise le bête, mais le fort n’est pas courageux, l’intelligent est cynique, le faible est méprisable, le bête antipathique. Il y a plutôt une leçon,celle d’une expérience : un homme tente de voir jusqu’à quel point on peut abuser d’une situation».
(Jacques Doniol-Valcroze, Cahiers du Cinéma)

L’armée des ombres (1969) :
«Mauvais souvenirs, Soyez pourtant les bienvenus, vous êtes ma jeunesse lointaine, cette phrase de Courteline qui ouvre l’Armée des ombres est donc le reflet de votre pensée ?
«Un jour, en revoyant mon passé, je me suis aperçu du charme que les «mauvais souvenirs» pouvaient avoir. En vieillissant, je pense avec nostalgie à la période entre 1940 et 1944, car elle fait partie de ma jeunesse . (…)
-Je crois que L’Armée des ombres est un livre très important pour tous les résistants
L’Armée des ombres est le livre sur la Résistance : c’est le plus beau et le plus complet des documents sur cette époque tragique de l’histoire de l’humanité. Néanmoins, je n’avais pas l’intention de faire un film sur la Résistance. J’ai donc enlevé tout réalisme, à une exception près : l’occupation allemande. Chaque fois que je voyais des Allemands je me disais : mais où sont-ils, les dieux aryens germaniques ? Ils n’étaient pas des géants blonds aux yeux bleus, comme le voulait la légende…
-En France, la critique vous a accusé d’avoir fait des Résistants des personnages d’un film de gangsters.
C’est tellement bête ! On m’a même accusé d’avoir fait un film gaulliste ! C’est d’autant plus amusant que les gens essaient toujours de ramener à sa plus simple définition une œuvre qui ne se veut pas mais qui est , malgré tout, un peu abstraite.
(Rui Noguera, le cinéma selon Jean-Pierre Melville, petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, 2007)

Le Chagrin et de la pitié (1971) :
«Le très classique, «moi, monsieur, je ne fais pas de politique» n’est ce pas la porte ouverte aux fours crématoires de l’avenir? Mais si la politique fait partie de la vie, les histoires politiques pourraient donc passionner un public selon les mêmes techniques de récit que les histoires d’amour ou d’aventure ? Je le pense!
Le Chagrin et la Pitié est un film fondé essentiellement sur cette préoccupation. Et pourtant, le plus paradoxal, c’est que n’est pas un film politique. C’est un film sur le courage et la lâcheté en période de crise (…)
En haut lieu on aurait trouvé que Le Chagrin et la Pitié s’était fait une fâcheuse réputation de destructeurs de mythes et que certains mythes sont nécessaires au bonheur et à la tranquillité d’un peuple. C’est d’ailleurs pourquoi le général de Gaulle aurait fait don en temps utile de sa Résistance à des millions de Français et de Françaises qui en avaient un très grand besoin pour leur permettre d’oublier l’humiliation des années passées dans une passivité sur laquelle il n’appartient à personne qui n’a pas vécu à cette époque de porter le moindre jugement (…)
Tout ouvrage sérieux traitant de cette époque de notre Histoire reconnaît que les Résistants actifs constituaient une minorité de Français. Cela s’écrit depuis longtemps, cela se dit un peu partout»
(Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, éditions Alain Moreau, 1980)

«Certes, sa vision risque de frapper plus d’une conscience, bonne ou mauvaise. Incontestablement, elle apporte du nouveau dans le domaine du film-documentaire historique sur cette époque. Les nombreuses émissions, que j’ai vues à la télévision sur le même sujet, entretenaient systématiquement les mêmes idées reçues et confortables et même exploitaient l’événement dans un sens politique unilatéral. Cette fois, tout le monde a la parole et tout le mode s’en sert. Ce que fut la collaboration, ce que furent les complicités, ce que que fut le silence, le le savais ou je le devinais. Mais c’est la première fois que les ai vues clairement exprimés par les acteurs ou les témoins survivants, grâce à l’habileté parfois diaboliques des intervieweurs. Et ce qui m’a frappé, c’est au fond la surprenante et effrayante actualité de ce «passé». Dépouillée des prestiges de sa légende, cette histoire est celle d’aujourd’hui. Car si les personnalités ont changé, les mentalités restent les mêmes».
(Gérard Lenne, Télérama, 1971)

«Le Chagrin et la pitié nous restitue pour notre honte le vrai visage du pays dans les années 1940-1945. Sous l’acide corrosif, les tabous accumulés tombent. Décapés de leurs légendes, les mots occupation, résistance, collaboration retrouvent leur atroce vérité. Des images irréfutables, prises dans des actualités françaises, allemandes, anglaises sont commentées aussi bien par des hommes d’État que par des sans grades».
(Georges Charensol, Les Nouvelles Littéraires, 1971)

«Dans le film Le Chagrin et la Pitié, les auteurs ont choisi quelques spécimens humains qu’ils nous présentent « en liberté », apparemment du moins, et dont ils alternent les propos, sans autre commentaire que celui, invisible mais omniprésent, qui ressort de la juxtaposition ironique des images. Attrape qui peut ou qui veut le sarcasme, et chacun d’ailleurs le perçoit à sa façon et l’interprète de même. Équilibre entre les  » temps de parole  » : chacun son tour, un tour pour tous. Qui dit mieux ? De cet ensemble se dégage le profil d’un pays hideux. Ce profil n’est pas ressemblant.
D’accord, oui, assurément, pour les vérités de tous ordres, même marginales (la vérité est un garde-fou indispensable contre les idéologies). Encore faut-il qu’elles soient vraies. Or voyons un peu ce qu’on nous montre ou ce qu’on nous dit de cette « majorité silencieuse », grande accusée du film : elle accueille « assez bien » les Allemands, bêle devant Pétain, ne pense qu’à manger, tond les pauvres filles de la collaboration, crache sur les blessés vaincus, tandis que les vieux professeurs du lycée de Clermont-Ferrand ne se souviennent même plus des noms de leurs élèves fusillés… Mais que d’oublis de la part des réalisateurs ! Il y eut à Clermont la résistance intellectuelle et physique, sans réticence dans l’engagement, de l’université de Strasbourg repliée. Il y eut le sabotage collectif de la production des pneumatiques par les ouvriers et les cadres de Michelin, car la Résistance ne fut pas l’apanage d’une classe.
La majorité silencieuse ne mérite pas un mépris si souverain. Citons quelques petits faits, entre autres, qui le montrent :
Lorsqu’un aviateur anglais tombait de nuit, en parachute, dans la campagne française, les gens qui, bien involontairement, le réceptionnaient dans leur champ ou leur jardin avaient peu de chances « statistiques » d’appartenir à la Résistance (car il est vrai que les éléments permanents de celle-ci furent peu nombreux). Mais ils n’avaient aucune peine à lui procurer les faux papiers, les vêtements civils, les hébergements et les convoyeurs nécessaires ; ils le firent…
Tous les déportés jetèrent par les fenêtres des wagons, de préférence aux passages à niveau, des dizaines de milliers de chiffons de papier, portant une adresse et une phrase. Dans ces messages la proportion de ceux qui n’arrivèrent pas à destination est infime…
Dès 1941, à Paris, les familles qui portaient des colis à la prison du Cherche-Midi, de la Santé ou de Fresnes recevaient de leurs fournisseurs habituels des denrées, réputées introuvables, destinées au prisonnier…
On prétend que les juifs français furent sauvés à 95 % (j’ai lu récemment, dans le Monde -tribune d’Alfred Fabre-Luce, le 17 mai 1971-, non sans stupeur, que c’était grâce au maréchal Pétain). En fait, les rares mesures officielles du gouvernement de Vichy n’ont servi qu’à mieux identifier les victimes et n’ont protégé personne. Mais la chaîne de braves gens et de gens braves qui, sans appartenir à la Résistance, se sont transmis de main en main tous les clandestins et les ont cachés et nourris ? Elle, oui, elle a sauvé des gens. Et beaucoup… (N’oublions pas, à ce propos, qu’un seul traître, dans un village ou dans un réseau, pouvait détruire totalement l’un et l’autre, mais pour placer un traître dans tous les villages et dans tous les réseaux il faut s’y prendre longtemps à l’avance. Les Allemands le firent en Hollande, et c’est ce qui explique les énormes dégâts que ce pays a subis.) (…)
Considérons maintenant la façon dont ce film nous présente  » la Résistance « .
Certes il est amusant de mettre en valeur quelques boutades, et d’Astier de la Vigerie a bien le droit de dire que  » les résistants étaient des inadaptés  » ; ce fut probablement vrai en ce qui le concernait, mais c’est parfaitement inexact de n’importe quel groupe  » engagé « . Un chef de maquis peut expliquer son entrée dans la lutte parce qu’il n’avait pas de beefsteak dans son assiette et qu’il y en avait dans celle des Allemands – autre boutade qui se justifie dans un contexte. Seulement il n’y a pas de contexte et nous n’en saurons pas plus sur les motivations des  » inadaptés « (…)
Les réalisateurs du Chagrin et la Pitié me semblent avoir mal résisté à la tentation de braquer leurs projecteurs sur tel ou tel petit fait plus apte à surprendre et à secouer les plus amorphes des spectateurs, préférant un quart de vérité qui scandalise à trois quarts de vérité défraîchie par l’usage».
(Germaine Tillion, Le Monde, 8 juin 1971)

Lacombe Lucien (1974):
« J’étais content de ce film et je ne m’attendais pas à la controverse passionnée qu’il a déclenchée en France. Après Le Chagrin et la Pitié, le pensais que l’abcès était crevé. C’était sous-estimer la charge émotionnelle du sujet, la nervosité compréhensible des Français quand on évoque la Collaboration.
Faire un film sur le fascisme ordinaire, montrer un jeune paysan français qui aurait pu devenir résistant et qui , par accident, entre au service de la Gestapo, c’était certes provoquant mais dans le bon sens. Je souhaitais jeter un doute, forcer le spectateur à reconsidérer des idées reçues, par exemple qu’un collaborateur soit nécessairement un monstre coupé du corps social (…)
La polémique tenait au sujet, mais aussi à la façon dont je l’avais traité. Fidèle à la démarche de mes documentaires, j’évitais de porter un jugement sur Lucien, je préférais montrer le comportement du personnage avec toutes ses contradictions et même, d’une certaine manière ,tenter de le comprendre. C’était plus intéressant, plus utile que de le jeter sans appel dans les bas fossés de l’Histoire. Certains, non sans une sérieuse dose de mauvaise foi, y ont vu une justification, voire même une réhabilitation. Le film, dès sa sortie, était l’objet de violentes discussions. Ses adversaires oubliaient, ou feignaient d’oublier, que le fascisme a toujours recruté ses hommes de main dans le lumpen prolétariat, une loi historique que Marx et Engels ont été les premiers à dégager. On me reprochait aussi d’exposer la torpeur, la passivité des Français sous l’Occupation. Je me suis fait attaquer par un front commun de gaullistes et d’hommes de gauche pour qui la résistance était toute la nation. Ils veulent l’histoire comme elle aurait dû être, et non comme elle a été.
On me disait : «pourquoi avez-vous montré les collaborateurs et non les résistants ? ». Que pouvais-je répondre ? J’avais fait un film sur les traîtres, pas sur les héros. Dans le détail, si on regarde bien le film, tout est là et les différents gestapistes étaient une représentation authentique des situations politiques, économiques, sociales qui ont suscité la collaboration».
(Louis Malle par Louis Malle, Jacques Mallecot, éditions de l’Athanor, 1978)

«Aussi, croit-on à ce que l’on voit, d’autant plus que ce qu’on l’on voit appartient à la réalité banale, rien exceptionnel : c’est le quotidien de l’époque, il était abominable. Je le sais : j’y étais. La vérité d’alors n’était pas triste, elle était lugubre. Je remercie Louis Malle de ne pas s’être pas aveuglé par les complaisances cocardières d’un patriotisme à retardement. La faim, la peur, le vertige des fortunes aussi rapides qu’aléatoires, l’incertitude du lendemain politique, la tyrannie, l’omnipotence des militaires (à plus forte raison quand ils sont ennemis), l’effacement de toute justice et de toute sécurité composent un bouillon ignoble. La France y mijotait. Ce n’était pas beau à voir, encore moins à vivre. Il s’y fabriquait plus de pauvres types et de lâches que de héros. Le Chagrin et la Pitié, Français si vous saviez ont déjà eu le mérite de provoquer sur cette période de salutaires retours en arrière. Louis Malle, à ces documents, ajoute ce magistral portrait d’un pauvre type».
(Jean Louis Bory, le Nouvel Observateur, 28 janvier 1974)

« Ce film est une petite chose ignoble qu’il convient de dénoncer…Il n’y a pas une image dans ce film, où les Français ne soient montrer sous un jour détestable pendant l’Occupation. C’est que Louis Malle appelle démystifier. C’est ce que j’appelle du cinéma d’extrême-droite. D’ailleurs esthétiquement, c’est du cinéma qui date de trente ans. Du cinéma de papa comme seul un réactionnaire peut encore en faire…On appelle cela « classicisme ». En fait, ce « classicisme » c’est de l’académisme.
Après cinq ans de pompidolisme, on en est là : Lacombe Lucien est le premier film qui entreprend de déculpabiliser les fournisseurs en victimes de l’organisation nazie »
(Delfeil de Ton, Charlie-hebdo, 11 février 1974)

Le Dernier Métro (1980) :
«En 1958, écrivant avec Marcel Moussy Les Quatre cent Coups, j’avais regretté de ne pouvoir évoquer mille détails de mon adolescence liée à cette Occupation, mais le budget et l’esprit « nouvelle vague » étaient peu compatibles avec la notion de « film d’époque».
C’est en 1968 que l’envie m’est revenue de reconstituer cette époque mais j’ai été stoppé net dans mon élan par un film remarquable : Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls (…) qui entremêlait le passé et le présent avec un bonheur proustien. Le Chagrin et la Pitié n’est certes pas un film de fiction mais pas non plus un documentaire, plutôt une réflexion passionnée d’une richesse telle que plusieurs visions ne suffisent pas à l’épuiser.
Après ce choc du Chagrin et la Pitié, dix ans ont passé et, comme, tout le monde, j’ai vu une douzaine de fictions évoquant l’Occupation. Bref, je restais avec mon désir inassouvi et quelques certitudes valables pour moi seul : l’Occupation devait se dérouler presque entièrement la nuit et dans des lieux clos, il devrait restituer l’époque par de l’obscurité, de la claustration, de la précarité, de la frustration…(…) Le concept du Dernier Métro serait donc celui-ci : la survie d’un théâtre et d’une troupe, à Paris, pendant la guerre »
(François Truffaut, in Truffaut par Truffaut, éditions Chêne, 1985)

-La Rafle (2010)
« Nulle commande institutionnelle n’est à l’origine de La Rafle. L’initiative en revient au producteur Alain Goldman qui a réuni les fonds nécessaires pour financer le projet de Rose Bosh, son épouse. Sur la seule foi du sujet, la région Île de France a apporté son aide, majoritairement centrée sur les actions pédagogiques auprès des lycéens et l’édition d’un livret d’accompagnement. Ce dernier, rédigé par deux enseignants du secondaire, a été confiée à la firme privée Parenthèses, société de conseil en promotion et «stratégie opportune (sic)» qui assura également la campagne marketing du film. On peut s’interroger sur l’opportunité et la nécessité proclamée de promouvoir La Rafle auprès du public scolaire.
Le film de Rose Bosh reproduit ce que les jeunes spectateurs ont constamment sous les yeux devant leurs écrans, alors même que la place du cinéma devrait être de favoriser une rencontre exigeante et précoce avec l’art et de permettre la construction d’un regard critique. La Rafle invite par ailleurs à questionner la permanence d’une forme de sacralisation de l’événement . (…)
Quant aux exigences formelles, elles se trouvent désormais balayées par l’argument d’autorité consistant à affirmer que seuls des films « faciles d’accès » sont à même de « toucher » le plus grand nombre. Par un singulier retournement, la sacralité du sujet est invoquée pour faire taire les critiques qui soulignent la médiocrité de la mise en scène. L’autorité intrinsèque du sujet et l’entreprise morale qui la sous-tend rendraient toute objection mal venue. Lors de la promotion du DVD, Rose Bosh déclarait d’ailleurs sans ciller que les spectateurs qui n’avaient pas pleuré au spectacle de La Rafle étaient des « pisse-froid » qui rejoignaient « Hitler en esprit » : « je me méfie de toute personne qui ne pleure pas en voyant le film. Il lui manque un gène : celui de la compassion ».
il serait difficile de soutenir aujourd’hui que la « Shoah » se trouve occultée dans les manuels scolaires. Dans ce contexte, le soutien de l’Éducation nationale et de la région Île-de-France ne font que s’inscrire dans le mouvement dune culture mainstream largement relayée par les télévisions pour lesquelles le « devoir de mémoire » sur la « Shoah » -véritable « religion civile du monde occidental » (Enzo Traverso)- est devenu un stéréotype incantatoire. Un devoir procurant un bienfaisant confort moral, clos sur lui-même, privé d’introspection sur le présent, dépouillé de sa responsabilité à l’égard du futur. (…)
La bonne conscience à laquelle a donné lieu le lancement très médiatisé de La Rafle s’est nourrie enfin de l’attention portée aux pas des derniers témoins dont certains sont venus pendant de longues années parler devant des classes de collégiens et de lycéens (…)
cette confusion des genres est , elle aussi parfaitement de son temps ; elle invite les historiens à repenser à cette aune la mutation et les usages des notions de mémoire et de témoignage,tout en méditant cette hyper-réalité qui nous fait basculer de l’autre côté du miroir ».
(Sylvie Lindeperg, La voie des images, Quatre histoires de tournage au printemps-été 1944, éditions Verdier, 2013)

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