chronique n°4 : Xavier Dolan, l’ascension d’un (ciné)fils prodigue (Aurianna Lavergne)

   L’année dernière, Mommy de Xavier Dolan remportait la palme du jury au festival de Cannes, et avec elle, le coeur des spectateurs. Méconnu auparavant du grand public, ce cinéaste québécois de 25 ans avait déjà écrit et réalisé quatre films. Qualifié par la critique comme “une étoile montante”, il s’est imposé sur la scène internationale du grand écran depuis son dernier succès au box-office et au festival de Cannes.
Lorsque j’ai découvert l’art de ce cinéaste à l’accent chantant, j’ai été touchée par son travail qui m’a semblé différent de ce que j’avais pu voir jusque là ; j’ai ainsi décidé de tracer son portrait à travers son œuvre, qui porte à croire qu’il saura un jour mener sa barque parmi les plus grands. J’ai travaillé sur les étapes qui ont transformé sa filmographie, tout en essayant de déchiffrer ses inspirations artistiques.
Encouragé par une enseignante à s’exprimer sur des sujets intimes, Xavier Dolan écrit, lors de ses années lycée, une nouvelle sur le thème de la haine infantile, intitulée à l’époque Le matricide. Quelques années plus tard, en 2009, il réalise à partir de ce brouillon son premier film, J’ai tué ma mère. Le budget imposé par la productrice n’étant guère très élevé, le jeune homme est contraint de faire appel à son imagination artistique.
Comme les cinéastes de La Nouvelle Vague, il débuta très tôt, sans gros moyens mais avec des idées plein la tête. Avec son second film, un an après, son romantisme adolescent à fleur de peau réapparaît dans Les amours imaginaires. Comme pour donner du relief à ses premières œuvres, le réalisateur tente tout d’abord de s’adonner à une originalité qui ne se traduit pas par ses sujets. En effet, des thèmes comme le triangle amoureux, la recherche de l’amour, sont abordés sous un angle qui aurait pu être davantage approfondi.
D’ailleurs, la réalisation très littéraire semble être une compensation au manque d’expérience, ce qui peut se révéler irritant ; de fait, elle se veut très sensible, mais chaque trait de caractère, chaque émotion est trop accentué. De plus, les émotions sont dévoilées, à nu, sans mystère. Dans ses premières réalisations, pleines d’emphase, Dolan n’hésite pas à avoir recours aux abondantes citations d’auteurs reconnus, comme Maupassant dans J’ai tué ma mère, qui citait : “Ma mère, à toi je me confie, des écueils d’un monde trompeur, écarte ma faible nacelle, je veux devoir tout mon bonheur, à la tendresse maternelle”. Bref, ces deux premiers films se veulent empreints de poésie, mais le manque d’expérience se révèle sincère, et sûrement n’étaient-ils majoritairement réservés qu’à un public adolescent…

   Malgré cela, il faut reconnaître certaines qualités au jeune cinéma de Dolan. Ce qui, pour moi, constitue une nouveauté qui fait de lui une singularité, est l’utilisation qu’il fait de la caméra ; les mouvements sont nerveux, c’est à dire que les plans sont très courts, et la caméra manipulée à la main, très mobile. L’aspect positif de cette manipulation est que l’atmosphère de l’histoire en ressort plus close, plus intime – comme les relations entre les personnages. L’esthétique à l’écran semble d’ailleurs dès le début très chère à Dolan ; il singularise son cinéma et montre qu’il n’a pas peur de sortir des normes en utilisant abondamment le flou, le ralenti, le très gros plan ou encore le regard caméra, très prisé.
Le grand tournant à l’écran du cinéma de Dolan intervient pour Laurence Anyways, en 2010. Pour ce troisième film, le réalisateur choisit cette fois ci de ne pas jouer un rôle et d’ailleurs le personnage principal est très éloigné de lui. En effet, il s’agit d’un professeur de lettres dans la quarantaine, souhaitant devenir femme. On est déjà loin des problèmes d’adolescents rencontrés dans J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires. Si Dolan interprétait un des protagonistes centraux de ses précédents films, Laurence Anyways opère une catharsis avec le cri narcissique d’un artiste qui semble en premier lieu trop préoccupé par son personnage, lui-même.
En tout cas, avec cette troisième œuvre, Xavier Dolan s’ouvre sur un problème de société, et il consent à devenir un artiste pour le monde. Chez lui, on découvre alors une sensibilité exemplaire, qui se caractérise par sa faculté à se glisser dans l’âme et dans l’existence d’un être qui lui sont étrangers. Ce geste neuf à l’écran vient épauler ce que vit Laurence Alia : il bouscule des ordres fossiles, invente son propre chemin. C’est une révolution dans son art comme dans son thème.
Malgré tout, si le sujet majeur de l’œuvre est différent cette fois, par sa profondeur et son impact, on retrouve des thèmes aimés de Dolan, comme la sexualité, la recherche de l’autre et de soi, la relation avec la mère, et en général les conflits violents. Seulement cette fois, ces sujets sont traités avec plus de maturité. A croire que son année sabbatique entre Les amours imaginaires et Laurence Anyways lui a été bénéfique !
Quoi qu’il en soit, l’opération de changement continue avec Tom à la ferme. A nouveau, Dolan se révèle surprenant. Il revient, certes, sur la scène en incarnant le rôle principal, mais plus humblement. A partir d’une histoire de passion amoureuse dans un cadre campagnard, il joue pleinement le suspense, en épousant parfaitement ce genre de cinéma. Quoi de plus surprenant d’ailleurs, car personne ne l’aurait attendu sur ce terrain. Il y multiplie les références à l’œuvre de Hitchcock, bien senties et bien exécutées, comme un rideau de douche soulevé façon Psychose ou un jeu de gémellité physique comme dans Sueurs froides.
La littérature poétique est donc mise de côté, et le spectateur se retrouve face à une atmosphère irrespirable. Déjà, dans Laurence Anyways, on avait cette peur incontrôlable de l’inconnu qu’on ne cherche pas à connaître, ce que Dolan moque avec sa réplique prolifique et ironique : “C’est spécial”. Autrement dit, selon lui, la société n’a pas l’ouverture d’esprit pour comprendre la différence, ou au moins avouer que cela lui fait peur.
A travers le changement d’interprète principal, Dolan garde toutefois certains acteurs qui lui sont chers, comme Suzanne Clément ou Anne Dorval, québécoises toutes les deux. Dans son prochain film, intitulé The Death and Life of John F. Donovan, il a choisit un casting plus américain, faisant appel à Kit Harington de la série Game of Thrones, ou Jessica Chastain, connue notamment pour ses rôles dans Take shelter, The tree of Life, La couleur des sentiments et plus récemment The most violent Year.
Ce que j’ai remarqué dans le cinéma Dolannien, c’est l’importance apportée aux femmes. Comme le réalisateur le dit lui-même : “Je serais toujours un cinéaste de femmes”. Si la figure maternelle est mise en avant, le sexe féminin, dans son ensemble, joue un rôle de muse représentant des femmes remarquables, à la personnalité attachante. Leur attribuant une force de caractère hors du commun, on voit dès ses débuts que son but n’est ni de les caricaturer, ni de les rendre creuses. Elles sont bien encrées dans la réalité, ayant des problèmes de famille, des ennuis, des amours, mais sont loin d’être banales..
Au final, il me semble que le cinéma de Xavier Dolan vaut le détour. S’il se cherchait encore dans ses premiers films, je pense que ses œuvres plus récentes sont bien plus convaincantes. Seulement, il est dommage que sa nouvelle maturité ne soit pas aussi présente sur la scène médiatique qu’à l’écran. Démontrant avec des tweets virulents sa déception de ne pas être allé aux Oscars, on peut s’interroger si le jeune réalisateur ne se détournera pas rapidement de son art indépendant pour accomplir le “rêve américain” visant Hollywood…

Aurianna Lavergne

(1er avril 2015)

Pour compléter l’article d’Aurianna, nous vous indiquons le lien vers le blog réalisé par deux élèves du lycée international des Pontonniers pour un TPE sur Xavier Dolan :

http://divoux.eu:8080/display.html#EdYF9uJrXJZkqTl5

Laisser un commentaire