Le film-témoin de son temps : chef d’œuvre ou nanar ?

   Depuis le célèbre article de Marc Ferro Le film, une contre-analyse de la société dans l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Nora Les lieux de mémoire (Éditions Gallimard, 1984-1992), les historiens ont été amenés à considérer les films comme des documents historiques à part entière. .Et Ferro lui-même a donné l’exemple, en s’intéressant aux archives filmées des manifestations lors des révolutions russes de 1917 et en étudiant plusieurs films de fiction, comme autant de témoignages sur les mentalités de leurs temps .
Assez vite, un problème s’est posé à ceux qui entreprenaient leurs recherche sur le cinéma comme témoin de son temps  : doit-on s’intéresser seulement aux chefs d’œuvre du septième art ou à l’ensemble de la production cinématographique ? Cette interrogation s’est renforcée avec l’ introduction de l’histoire des arts dans notre discipline qui a quelque peu «brouillé les cartes». Quand il s’agit d’évoquer le cinéma , il est bien recommandé de s’intéresser aux œuvres majeures , comme Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, Octobre, La Grande illusion... Et les manuels de collège et de lycée reprennent cette tendance, en proposant systématiquement des études sur les plus grands films de l’histoire du cinéma. Il semble bien que Marc Ferro ait été sensible à ce problème : parmi les études qu’il a menées sur le cinéma, dans un de ses premiers livres sur le sujets, Cinéma et histoire : il y a bien sûr analysé des œuvres reconnues par tous, comme M. le maudit de Fritz Lang ou Le troisième homme de Carol Reed. Mais il s’est aussi intéressé à des films moins aboutis mais plus emblématiques : dans son ouvrage, il présente une analyse très convaincante d’un film stalinien de 1934, Tchapaiev de Serge et Georges Vassiliev qui reçoit un soutien prononcé des autorités de l’URSS. Bien plus que la plupart des chefs d’œuvre du cinéma soviétique, le film est porteur d’un message clair sur le rôle du parti communiste : le héros de la guerre civile est « mis sur les bons rails », par le commissaire politique chargé de faire respecter la ligne du parti. Ce schéma narratif sera repris à de multiples reprises dans la plupart des films tournés pendant l’époque stalinienne.
Ainsi, un film moyen voire parfois médiocre peut être plus « efficace » d’un point de vue pédagogique qu’un des chefs d’œuvre du septième art…Certains films « passent »  plus ou moins bien auprès de nos élèves et on peut perdre beaucoup de temps à les convaincre que tel film est exceptionnel et aussi un document essentiel sur l’esprit de l’époque..Ma pratique pédagogique tout au long de ma carrière m’a parfois amené à utiliser des films moins prestigieux que les chefs d’œuvre reconnus, car les élèves étaient plus réceptifs à des longs métrages plus lisibles. J’ai ainsi le souvenir d’avoir eu bien du mal à expliquer certaines séquences presque oniriques d’Octobre (le cadavre du cheval blanc accroché au pont suspendu au dessus de la Neva), alors qu’un film d’un cinéaste méconnu d’Azerbaïdjan, Les Feux de Bakou réalisé en 1950, me permettait d’aborder sans difficultés les thèmes de la propagande stalinienne..Pour faire sentir l’importance de cette question, on peut évoquer plusieurs points, depuis la production du film jusqu’à sa réception…

Ne pas méconnaître les conditions de production
Il est déjà intéressant de s’interroger sur les conditions de production du film considéré, pour mesurer les intentions du réalisateur …et de ses marges de liberté. Comme c’est un art populaire, le cinéma de tout temps a été surveillé de près par les autorités politiques car il est susceptible d’avoir une forte influence sur l’opinion, peut-être davantage que d’autres arts dont l’effet est plus limité.
Ainsi, il est bien entendu que la production cinématographique est fortement encadrée dans les dictatures. En URSS, à presque tous les niveaux du processus, depuis l’élaboration du synopsis jusqu’à la réalisation finale, les autorités ne manquent pas d’intervenir, et parfois même de façon contradictoire. Pendant la période stalinienne, le chef suprême garde la haute main et peut être amené à prendre la décision ultime…En particulier, les artistes doivent suivre la ligne imposée par le Parti et Staline. C’est en effet au Congrès des Écrivains en 1934 que prend définitivement forme la théorie élaborée par Jdanov et qui sera appliquée dans tous les domaines artistiques, le « réalisme socialiste ». Cette nouvelle ligne, en rupture avec les tentations avant-gardistes de la période précédente, consiste à produire un art « socialiste dans le fond, réaliste dans la forme ». Il ne s’agit plus de déconcerter le peuple avec des modes d’expression incompréhensibles mais de trouver des formes simples qui permettent de faire passer l’essentiel, à savoir la cause du socialisme. De même, les sujets que doivent traiter les cinéastes sont imposés par le parti de manière planifiée : les grandes figures de l’histoire de la Russie (Pierre le Grand, Alexandre Nevski, Koutouzov…), les « héros » de la révolution et de la guerre civile (Lénine surtout mais aussi Tchapaiev…), les « hommes nouveaux » qui apparaissent avec la société soviétique (kolkhoziens, ouvriers stakhanovistes, scientifiques…)…Les autorités exigent aussi une parfaite lisibilité des scénarii, pour qu’ils soient compréhensibles du public populaire. On retrouve ainsi souvent dans les films soviétiques de l’époque, le « trio infernal » : l’homme du peuple, ouvrier ou paysan, plein de bonne volonté mais un peu naïf, « l’ennemi du peuple », le saboteur étranger ou le koulak hostile au nouveau régime, et enfin l’homme du parti, souvent membre du NKVD, qui montre la ligne juste et rétablit la situation…C’est par exemple ce schéma qui est appliqué dans le célèbre film des Vassiliev, qui raconte la vie d’une figure très populaire de la guerre civile, Tchapaiev . Enfin, ces films « staliniens » ont toujours une « fin heureuse », avec souvent un banquet final qui réunit la communauté et célèbre l’action du parti et de son chef suprême (c’est souvent le cas dans les comédies musicales soviétiques, très appréciées de Staline, comme Volga-Volga ou Les tractoristes…).
On observe la même vigilance dans l’Allemagne nazie, et ce d’autant plus que Hitler et Goebbels, son ministre de la propagande, sont férus de cinéma et qu’ils en mesurent l’extrême influence. Ainsi, le cinéma allemand est « épuré » de ses éléments juifs et le régime encourage la production de films qui répandent la nouvelle idéologie : Goebbels, grand admirateur du cinéma hollywoodien, était d’ailleurs persuadé que les films de divertissement étaient plus efficaces pour transmettre des idées nouvelles. Certains films vont bénéficier du soutien des autorités : on peut citer Le Jeune Hitlérien Quex de Hans Steinhoff (1933), Le Juif Süss de Veit Harlan (1940), Le Juif éternel de Fritz Hippler la même année…ainsi que ceux de Leni Riefensthal, Le Triomphe de la volonté (1936) et Les Dieux du stade (1938). Plus étonnant, il semble bien que les nazis aient réussi à influencer les studios américains, afin qu’ils produisent des films qui ne soient pas « offensants » pour la nouvelle Allemagne, selon les travaux du chercheur américain Ben Urwand. En Californie même, le consul allemand Georg Gysling est ainsi convié par Louis B. Mayer, dirigeant de la MGM à donner son avis sur les productions en cours. Jusqu’en 1940, le cinéma américain est d’une grande prudence quand il s’agit d’évoquer le régime nazi.
Mais on aurait tort de penser que les démocraties occidentales se sont désintéressées de la production cinématographique de leur propre pays : lors des guerres mondiales, les états ont bien sûr mis en place une censure vigilante sur la production des films documentaires et de fiction (voir article dans ce blog sur la première guerre mondiale à l’écran). Mais même en dehors des conflits, les démocraties sont conscientes de l’influence du cinéma sur leurs opinions publiques. Pour ne prendre qu’un exemple très connu, les studios hollywoodiens vont pendant près de trente ans devoir respecter les règles du code Hays établies en 1927 (les Don’t and Be Carefuls). Ce code, présenté sous forme de commandements, était censé purifier le cinéma américain de toute déviance de type politique, sociale, raciale et religieuse. Cette rigidité voulu par l’esprit puritain du temps a pu brider les scénaristes des studios : elle les a aussi amené à faire preuve d’esprit créatif, à manier l’art de l’ellipse (sur ce point, les scénaristes des screwball comedies ou Alfred Hitchcock excellent à contourner les règles ). Des négociations souvent âpres ont lieu entre les studios et les représentants de Hays, pour que les films obtiennent l’ attribution d’une certification conforme par la commission, pour éviter un échec commercial. Ce carcan ne sera réellement remis en cause qu’au début des années 1960 et surtout avec l’avènement de ce qu’on a appelé le New Hollywood (la génération des Coppola, Scorcese, Friedkin…Cimino). De toute façon, les studios hollywoodiens, même s’ils ont parfois produit des œuvres cinématographiques d’un très haut niveau, n’ont jamais caché qu’ils considéraient le cinéma comme une industrie qui se devait d’être rentable : la question esthétique était secondaire pour la plupart des grands patrons de studios , même si certains avaient aussi le souci d’offrir des « produits » de qualité (les mémos innombrables du producteur de Darryl Zanuck à Alfred Hitchcock traduisent son implication dans le processus de création).

Les niveaux de lecture du film
Comme pour tout autre art, le cinéma possède des formes qu’on peut analyser, qui ont une histoire et qui se sont transformées. Il y a un monde entre le montage des films soviétiques des années 1920-1930, les plans-séquences utilisés par Hitchcock ou Orson Welles, le montage cut pratiqué par Jean Luc Godard dans A bout de souffle.. Si l’on n’est pas obligé de rentrer dans le détail d’une analyse formelle, reste à déterminer quelle part doit prendre cette présentation dans un cours d’histoire quand même destiné à faire transmettre des notions ou des connaissances, surtout quand on utilise les extraits d’un film reconnu pour ses qualités esthétiques.
Ainsi, certaines séquences de La ligne générale peuvent se lire à différents niveaux : on pense notamment à celle où Marfa, la jeune paysanne, présente la nouvelle écrémeuse aux paysans très méfiants. Sur un plan cinématographique, on insistera sur la cadence très rapide des plans, la diversité des cadrages souvent en contre-plongée, le contraste des éclairages -les visages sont violemment éclairés avec des arrière-plans très sombres, la typographie très étudiée des intertitres…Mais cette analyse des formes si particulières à Eisenstein, risque de faire passer au second plan le message politique, martelé par les autorités soviétiques : la modernisation des campagnes passe par la mise en kolkhozes, qui va permettre la mécanisation des travaux agricoles (on sait d’ailleurs que Staline est intervenu personnellement sur ce film et qu’il s’est entretenu avec le réalisateur). Pour des raisons de temps, il est difficile de mener plusieurs analyses de front. Il est aussi parfois difficile de faire saisir aux élèves l’essentiel de la séquence considérée. Des difficultés du même ordre apparaissent quand il s’agit d’utiliser un film comme La Grand illusion : beaucoup de manuels transcrivent le dialogue de la fameuse séquence où les deux officiers , de Boeldieu et Von Rauffenstein, discutent dans la chapelle du château. Cette scène est censée traduire la « collusion de classe » qui existe entre les deux hommes, plus forte que la solidarité entre personnes d’une même nation. Mais une telle analyse est difficile à mener car elle nécessite des références que les élèves ne possèdent pas toujours. Elle est bien sûr possible mais nécessite d’y consacrer du temps, alors qu’il nous est compté et sur un point qui n’est pas essentiel dans le programme. Là encore, il nous est demandé de faire des choix… Or, il existe des solutions alternatives pour évoquer le pacifisme des Français à la fin des années 1930, on peut recommander le film d’Abel Gance  J’accuse dans sa version de 1938 : le célèbre cinéaste emploie les grands moyens -y compris les plus grandiloquents-pour faire passer son message pacifiste : dans une séquence hallucinée, les morts de Verdun sortent de leurs tombes et viennent hanter les vivants : l’effet est d’autant plus terrifiant que le cinéaste a recruté pour l’occasion d’authentiques « gueules cassées » dans les hôpitaux militaires, dont les visages meurtris sont comme des masques horribles à contempler. Plus tard, tout le pays s’arrête, comme un lointain écho du mot d’ordre de grève générale que les socialistes comptaient lancer en 1914 pour arrêter la guerre. Enfin, des « États généraux universels »  votent que « la guerre est solennellement abolie entre tous les états et le désarmement immédiat est décrété à l’unanimité : la guerre est morte, le monde est rénové ». Et les morts, enfin satisfaits de l’établissement de cette paix universelle, s’en retournent vers l’ossuaire de Douaumont. Pour l’avoir « testé » sur des élèves, je peux affirmer son efficacité pédagogique !

Le problème du public et de la réception des films
Le cinéma est sans doute un des arts les plus populaires au XX° siècle et en ce début du XXI° (même si la fréquentation des salles a diminué, on peut considérer que les films passent désormais par d’autres canaux, des chaînes télévisées aux différents supports sur internet). Aussi, la question peut se poser de savoir si le film proposé a eu une audience importante , pour mesurer le degré d’adhésion du public aux idées qu’il véhicule. Si telle œuvre cinématographique est plébiscitée par le public, le cinéma paraît alors un indicateur très fiable des mentalités d’une époque, mais l’histoire de cet art nous montre qu’il y a pu y avoir un certain décalage. Ainsi, on sait que certains films d’Eisenstein ont été mal reçus ou mal compris par le public de la Russie bolchevique. A la fin de son film La Grève, le cinéaste a mis en place un montage alterné de scènes tournées dans un abattoir, où des animaux étaient égorgés, et d’autres montrant les soldats tsaristes tirant sur la foule. Son idée était bien sûr de provoquer l’indignation des spectateurs, qui devaient être en principe troublés par le choc des images alternées. Or, selon Eisenstein lui-même, le public des campagnes n’a pas compris clairement le message, considérant ces scènes d’abattoir comme tout à fait normales. Le réalisateur a aussi connu quelques déboires avec son film Octobre, qui comporte de nombreuses séquences tournées selon le principe du « montage des attractions » : il semblerait que le public populaire ait été peu sensible à ces constructions savantes et a déserté les salles où le film était projeté. D’ailleurs, les opposants d’Eisenstein au sein du milieu du cinéma soviétique ne se sont pas privés pour l’attaquer sur son goût pour le « formalisme »…Pendant la période stalinienne, Eisenstein va connaître une carrière compliquée par l’intervention des instances d’état : quelques succès comme Alexandre Nevski ou la première partie d‘Ivan le terrible mais aussi des échecs sans appel : La ligne générale est profondément remaniée après des interventions personnelles de Staline ; Le pré de Béjine est complètement censuré et même détruit ; la deuxième partie d’Ivan Le terrible n’est pas diffusée.
Cette dimension de la réception des films est donc pour nous importante : d’autant que le public peut voir dans certaines œuvres ses propres préoccupations, parfois au delà des intentions de leurs auteurs…En son temps, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné , qui est censé se dérouler au Moyen-Age, a été interprété par le public comme une métaphore de la période de l’Occupation : la dernière scène en particulier a fait l’objet d’une lecture patriotique : les deux amants sont changés en pierre par le Diable mais leurs cœurs continuent de batte, comme le cœur de la Résistance dans la France opprimée… Mais le cinéaste est moins péremptoire quant à ses intentions : dans son livre de souvenirs, il précise juste que « le film était très attendu. On se murmurait en effet de bouche à oreille que cette histoire était pleine d’allusions à la situation du moment, c’est à dire à la France sous la botte de l’Occupant ». Mais il faut être prudent avec ce genre d’interprétations : Jacques Siclier et François Truffaut pensent qu’on a été trop loin  en ce sens : ce dernier « n’adhère pas à cette théorie patriotique selon laquelle les films historiques ou fantastiques tournés pendant cette période auraient consciemment délivré un message courageux et codé en faveur de la Résistance ». Mais, si on peut s’interroger sur les intentions de l’auteur, il est quand même avéré que le public de l’époque l’a ressenti comme une allusion à la France résistante, et du point de vue l’historien, c’est bien ce qui importe.
Récemment, on a pu assister à un décalage entre le succès de certains films populaires et l’état réel de l’opinion publique, tel qu’il est révélé par les sondages (et les élections…). Comme l’a remarqué Jacques Mandelbaum dans un article publié il y a peu (Comédie : le bain de jouvence d’une République défaite ; Le Monde, 29 juillet 2014), les spectateurs français ont plébiscité ces dernières années des films d’un genre particulier : Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boom, Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache, La Grande Vadrouille de Gérard Oury et il y a peu , Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? de Philippe de Chauveron. Ce qu’ont en commun ces comédies, c’est de « reconstituer le corps national mis à mal par les assauts du temps (…) Et le critique de montrer que ces différents films sont en quelque sorte des feel-good movies pour une République bien peu sûre de ses valeurs. Mandelbaum relève par exemple que La Grande vadrouille est « une réconciliation socio-nationale (..) passant par pertes et profits Vichy, la collaboration et l’opposition entre gaullistes et communistes ». Dans Bienvenue chez les Ch’tis, il voit « la position régionaliste de notre pays face au bulldozer de la mondialisation ». Quant au dernier succès Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ?, il permet une réconciliation familiale et donc nationale, grâce à « la vertu républicaine de la France » qui permet de surmonter le racisme latent de la population…En d’autres termes, ces films permettent aux Français de se voir plus beaux qu’ils ne sont : le cinéma a alors des vertus républicaines thérapeutiques. Comme l’écrit Jean-Baptiste Thoret, « on a certes les films qu’on mérite mais surtout ceux qu’on désire ». Et l’image que nous renvoient ces comédies est pour le moins flatteuse mais peu réaliste.

Un chef d’œuvre et un film-témoin
Pour conclure, on peut dégager quelques idées fortes. D’abord, certains films moyens sont parfois plus faciles à exploiter que des chefs d’œuvre du cinéma, qui demandent des spectateurs une plus grande attention et des références parfois assez pointues. On peut s’y résoudre, d’autant que les programmes peuvent nous y inciter. Dans le cadre de l’histoire des arts, il est ainsi bien précisé qu’un des thèmes est la propagande artistique (dans la thématique Arts, États et pouvoirs, il est recommandé d’étudier « la représentation et mise en scène du pouvoir (propagande) ». Cette recommandation donne aux enseignants la possibilité d’étudier des films peut-être non reconnus pour leur valeur artistique mais pour le message ou le témoignage qu’ils transmettent.
Mais surtout, et heureusement pour notre discipline, certains films sont à la fois des œuvres de grande qualité et des témoignages de première main sur l’esprit de leur époque. De ce point de vue, les films de Charlie Chaplin sont très « utilisables » car en général, ils ont rencontré un grand succès populaire et sont porteurs de messages politiques forts. Cela peut être l’occasion d’évoquer le grand cinéaste et il peut être intéressant de souligner le caractère orignal de ce réalisateur, dont le succès populaire fut considérable mais qui fut aussi un franc-tireur dans le système hollywoodien. Assez rapidement, il devient autonome et exerce un contrôle total sur ses créations, qu’il mettait longtemps à réaliser, à l’inverse de ses collègues soumis à l’organisation rationalisée des studios. Ses projets ont été souvent mal perçus : son court -métrage Charlot soldat, sorti en 1918, rencontre une certaine hostilité de critiques qui lui reprochent son manque de tact. Or, il se trouve que la représentation de la guerre des tranchées est finalement assez fidèle et en tout cas très appréciée des spectateurs combattants ! Sa manière d’aborder le taylorisme dans Les Temps modernes lui a valu l’inimitié des milieux patronaux ; il entreprend son film Le Dictateur, violente dénonciation du nazisme, en un temps où les studios sont d’une très grande prudence sur le sujet…Pour La Grande illusion de Jean Renoir, comme nous l’avons écrit plus haut, une exploitation pédagogique est possible mais à condition d’y consacrer un certain temps. D’autres possibilités sont offertes par certains cinéastes auxquels on ne pense pas forcément : par exemple, les films de Jacques Tati, comme Mon oncle (1958) ou Playtime (1967) renvoient très clairement aux transformations urbaines de la France des Trente glorieuses…Il existe donc moyen de concilier une approche esthétique des films considérés et aussi d’en tirer des enseignements d’ordre historique et sociologique. Mais il faut se garder de raccourcis imprudents, du genre « Eisenstein , cinéaste stalinien » : s’il est clair que le grand réalisateur soviétique était tout acquis à la cause communiste, ses rapports avec les autorités ont été complexes à partir des années 1930..Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas rentré dans le rang facilement, comme le montre le sort de certains de ces films comme Le Pré de Béjine ou la deuxième partie d’Ivan le Terrible
En résumé, le choix d’une œuvre cinématographique dans les cours d’histoire va dépendre de plusieurs facteurs : le temps imparti dans le programme, la valeur esthétique, la « lisibilité pédagogique » . Selon les cas, on pourra privilégier les « grandes œuvres du répertoire » mais il ne faut pas s’interdire la projection de films moins prestigieux mais qui témoignent bien de l’esprit de leur temps…

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