A propos d’American History X : l’extrème droite aux Etats-Unis

American History X,  un film de Tony Kaye

États-Unis, 1 h 59, 1999

interprétation : Edward Norton, Edward Furlong, Elliot Gould…

Synopsis :

A travers l’histoire d’une famille américaine, ce film tente d’expliquer l’origine du racisme et de l’extrémisme aux États-Unis. Il raconte l’histoire de Derek qui, voulant venger la mort de son père, abattu par un dealer noir, a épousé les thèses racistes d’un groupuscule de militants d’extrême droite et s’est mis au service de son leader, brutal théoricien prônant la suprématie de la race blanche. Ces théories le mèneront à commettre un double meurtre entrainant son jeune frère, Danny, dans la spirale de la haine (Allociné)

L’EXTRÊME DROITE AUX ÉTATS UNIS
Une menace permanente…

   A priori, le système politique américain laisse peu d’espace à l’expression de mouvements situés aux extrêmes. Mis en place dans la première moitié du XIX°, le bipartisme a régné presque sans partage jusqu’à nos jours . Si l’on excepte quelques membres de la Chambre des Représentants, la quasi totalité des parlementaires appartiennent à l’un ou l’autre des deux grands partis outre-atlantique…Certes, quelques candidats populistes ont pu réussir des scores flatteurs : George Wallace, qui fonde en 1968 le Parti américain indépendant, obtient 13,5% des voix aux élections présidentielles. Ross Perot, à l’origine du Parti réformateur, atteint 19% des suffrages exprimés en 1992…Mais leurs tentatives ont été sans lendemains…
En tout cas, ce n’est pas la constitution qui est en cause…Le premier amendement a souvent été interprété de manière absolue par les différentes instances judiciaires américaines : la liberté d’opinion et d’expression font l’objet d’une attention constante (on a ainsi parlé de l’absolutisme du premier amendement : First Amendment Absolutism). tout citoyen américain a le droit absolu d’exprimer ses opinions, même si elles sont extrêmes, et si elles ne s’accompagnent pas de violences ou de faits répréhensibles… En 1978, la Cour Suprême annule des arrêtés municipaux interdisant une manifestation néo-nazie qui devait se dérouler dans une banlieue de Chicago, essentiellement peuplée de Juifs parfois survivants des camps, au motif qu’on ne pouvait attenter à la liberté d’expression. Pendant la guerre du Vietnam, certains opposants pacifistes, d’abord condamnés pour avoir exprimé leur hostilité à la guerre, ont obtenu gain de cause auprès de la Cour Suprême…C’est la raison pour laquelle les mouvements extrémistes aux États-Unis ne se privent pas d’étaler leur propagande nazie, y compris les œuvres de Hitler et de ses complices et toute la littérature négationniste, qui sont très aisément accessibles (Dans le film, Danny explique à son professeur Sweeney qu’il a mis une semaine à lire Mein Kampf…).
En fait, ce sont surtout les idées d’extrême gauche qui ont été marginalisées…Il y a bien eu quelques tentatives au cours de l’histoire des États-Unis mais elles se sont soldées par des échecs (Le parti progressiste de Théodore Roosevelt au début du siècle, la popularité du sénateur La Follette dans les années 1920, le Parti communiste, qui n’a jamais dépassé quelques milliers d’adhérents…). C’est surtout pendant la période de la Guerre Froide que les Etats-Unis ont restreint la liberté d’expression pour tous ceux qui professaient des opinions communistes (Smith Act de 1940, loi Taft-Harley en 1947, Communist Control Act en 1954).

La permanence de l’extrême droite
Par contre, l’extrême droite américaine, sans avoir jamais réussi à s’imposer politiquement au niveau national, a acquis une influence qu’on ne peut négliger (certains politiciens extrémistes comme David Duke en Louisiane ou Tom Metzger en Californie obtiennent des succès locaux mais limités…) . Si l’on remonte dans l’histoire américaine, on doit relever qu’au Sud des Etats-Unis, le Ku Klux Klan , fondé en 1866 par un ancien général sudiste pour s’opposer à l’émancipation des Noirs, semble toujours prêt à renaître de ses cendres (on en serait au 5° Klan : les chiffres 33/5 s’expliquent ainsi : trois fois la onzième lettre, le K, pour sa cinquième renaissance…). Après des débuts meurtriers (3500 assassinats lui sont attribué entre 1866 et 1875, encore 1100 entre 1900 et 1914…), le KKK connaît une première éclipse pour réapparaître dans les années 1920 (en 1925, près de 5 millions de membres : 40 000 klanistes défilent en tenue dans les rues de Washington, devant la Maison Blanche). Après la seconde guerre mondiale, le Klan est encore présent, notamment quand la lutte des Noirs pour les droits civiques s’intensifie dans les années 1950…

La nébuleuse des organisations d’extrême droite
Au plan organisationnel, l’extrême droite aux États-Unis est marquée par son morcellement…Roger Martin, spécialiste de la question (cf Amerikkka, Voyage dans l’internationale fasciste) relève près de 70 organisations différentes, rassemblant entre 30 000 et 70 000 personnes (pour chaque militant, il estime qu’il y a 10 sympathisants prêts à passer à l’action et 70 sympathisants passifs…). Cette diversité s’explique par des nuances idéologiques (tel mouvement ayant des priorités différentes…plutôt le racisme contre les Noirs, l’antisémitisme, la lutte contre le gouvernement fédéral…) mais aussi pour des raisons plus prosaïques. Ainsi, de nombreux mouvements sont sous la coupe d’une personnalité « charismatique » et déclinent quand leur leader disparaît… ou est incarcéré (ainsi James Venable des Chevaliers nationaux du KKK, Tom Metzger, chef de l’organisation White Aryan Resistance, dominent sans partage leur organisation ; les frères Gerhardt dirigeants du Parti Nationaliste américain blanc, ont été emprisonnés à la suite d’attentats où ils étaient impliqués…). Les luttes entre chefs sont fréquentes, et les différents leaders s’entredéchirent pour le contrôle des militants : Thom Robb, qui prend la tête d’un des plus violents Klans dans les années 1990, est traité de K K Klown par ses rivaux. David Duke , à la tête des Chevaliers du KKK, se voit reprocher ses « manipulations financières et son goût du vedettariat »… Dans American History X, l’âme damnée de l’organisation néo-nazie est Cameron, habile à manipuler les frères Derek et Danny Vinyard…Ainsi, les mouvements d’extrême droite pullulent littéralement, sur une bonne partie du territoire américain (surtout dans les états du Sud et de l’Ouest) : on compte près de 30 Klans différents, une bonne dizaine de mouvements nazis (dont deux en Californie…) sans compter les innombrables organisations hybrides (survivalistes, groupes militaro-religieux comme les Nations aryennes, groupes anti-pouvoir fédéral comme le Posse Comitatus…)

Le pot commun de l’extrême droite américaine
Au delà de leurs divergences, tous ces mouvements se retrouvent sur l’essentiel : un fond idéologique commun, un même recrutement social, des pratiques d’action identiques…
L’extrême droite américaine amalgame plusieurs tendances : au vieux fond de racisme anti-noir prôné par le KKK, elle ajoute un violent antisémitisme et un rejet absolu de tout ce qui vient du gouvernement fédéral, accusé d’être complice « des nègres et des youpins »…Ainsi, la plupart de ces extrémistes dénoncent le ZOG, autrement dit le Zionist Occupation Government, qui se cache derrière les autorités fédérales… Le gouvernement des États-Unis est dénoncé pour avoir trahi le peuple américain au profit du GATT, « qui livrera nos vies et notre sécurité à l’étranger » et pour avoir signé l’ALENA, « qui saignera l’Amérique au profit des millions de Mexicains qui n’ont pas envie de travailler »…Les très fameuses milices du Montana se sont constituées en communautés quasi indépendantes et refusent d’acquitter leurs impôts…Ce syncrétisme extrémiste se retrouve dans les paroles de la chanson que chante Seth, l’ami de Derek dans American History X , sur l’air de John Brown’s Body... : « Mes yeux ont vu le glorieux massacre au zoo, On s’est baigné dans le sang des noirs et des métis, On va démonter la machine sioniste Juif après Juif, L’homme blanc va de l’avant… ». Lorsque le héros du film veut recruter de nouveaux adhérents, il s’emporte contre ce gouvernement qui dépense 3 milliards de dollars pour les immigrés latinos en Californie « alors qu’ils se foutent de notre pays »…
Le recrutement de tous ces mouvements est aussi bien ciblé : il s’agit avant tout des jeunes hommes blancs de la classe moyenne américaine, qui se sentent persécutés et méprisés. En particulier, ils supportent très mal que la culture noire l’emporte sur celle des Blancs : ils estiment aussi que la fameuse affirmative action pour mieux intégrer les Noirs mise en place dans les années 1960 s’est faite à leurs dépens…Ils se sentent attaqués dans leur virilité par la montée en puissance des idées féministes et sont mal à l’aise devant la vitalité de la communauté homosexuelle. Dans le film, un des frères s’indigne parce que son professeur Sweeney est « fier d’être Noir »…Le père des deux garçons incarne très bien « l’homme blanc en colère » ( angry white male ou AWM), qui commence à apparaître dans les années 1990: lors d’un repas familial, il s’énerve contre « l’arrogance » nouvelle des Noirs : « on encense les Noirs à tout va »…Il prévient ses fils : « ces histoires d’égalité, c’est pas si simple » et de s’insurger contre la « discrimination positive » qui pénalise les gens qui ne sont pas de couleur : « j’ai récupéré deux Noirs dans mon équipe, alors que deux Blancs ont mieux réussi aux tests ». Pour lui, le seul principe vraiment américain qui vaille est : « t’es le meilleur, t’as le boulot »…Et le père de soupçonner « un plan occulte ou autre chose »…Au passage, il montre sa méconnaissance de la culture noire (il semble tout ignorer du roman de Richard Wright, Native Son –Un enfant du pays, 1940…).
Les organisations d’extrême droite ont aussi des moyens d’action très semblables, et en particulier l’utilisation de la force armée. La grande majorité d’entre elles mettent sur pied des camps d’entraînement où les plus militants apprennent les méthodes de guérilla utiles lorsque la guerre raciale commencera…Un des best-sellers de la littérature extrémiste (juste après la Bible…) est le Journal de Turner, sans doute écrit par William Pierce.. Chacun des chapitres de ce roman d’action est une leçon de guérilla : un des passages raconte l’explosion d’une bombe dans un bâtiment administratif de Washington, et qui fait 700 victimes. Il semble bien que cet ouvrage ait été l’un des livres de chevet de Timothy Mac Veigh… Les « survivalistes » estiment par exemple qu’une guerre nucléaire est inéluctable et qu’il faut dès à présent s’entraîner à survivre, pour affronter ultérieurement les Noirs et les Juifs…(un des films préférés des milieux extrémistes est L’Aube rouge de John Milius, qui raconte la résistance de jeunes Américains à une invasion des États-Unis par des troupes communistes…). La plupart de ces militants se réclament du deuxième amendement de la constitution : une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un état libre, le droit des gens à posséder et à porter des armes ne doit pas être restreint »…Dans certains états comme le Washington, l’Oregon, les Dakotas, le Montana, le Kansas, l’Arkansas, l’Idaho, le Missouri, le Texas, des dizaines de camps sur des surfaces importantes (jusqu’à plus de cent hectares) parfois au sein même de bases militaires, accueillent régulièrement des candidats à la lutte « pour la survie » (ils sont parfois présentés comme des « séminaires écologiques » !). Presque toutes ces organisations sont aussi mêlées à des violences diverses contre les Noirs, les Juifs, les immigrés hispaniques ou plus récemment contre le gouvernement fédéral et ses représentants (on se souvient bien sûr du terrible attentat à la bombe perpétré par Timothy Mac Veigh à Oklahoma City en 1995, qui a fait 168 morts et plus de 500 blessés…). Elles sont aussi responsables des attaques contre les cliniques et le personnel médical qui pratiquent des avortements (plus de 600 actes de violence entre 1984 et 1994, plusieurs médecins et des infirmières abattues par des membres de ces mouvements…). Cette recrudescence des violences extrémistes a été d’ailleurs prise en compte par le FBI, qui recense dorénavant à part les « crimes de haine » (hate crimes) : en 1997, 7900 faits de ce type ont ainsi été reconnus par l’administration, dont la moitié concernait les Noirs, un millier les Juifs et encore un millier les homosexuels…Aussi, les différents incidents qui rythment le film d’American History X ne sont pas vraiment une surprise, même si Derek et Cameron essaient de donner un sens « politique » à leurs actions racistes (on attaque une épicerie parce que le patron coréen l’a « volé » à son précédent propriétaire blanc…)…
Plus récemment, certaines de ces organisations ont investi les moyens multimédias, et en particulier elles exploitent les possibilités fournies par le développement d’Internet, pour mieux diffuser leur propagande. Ainsi, Tom Metzger, chef de la White Aryan Resistance, a produit des émissions télévisées intitulées « Race et Raison », diffusées sur certains réseaux câblés. Et on ne compte plus les sites néo-nazis installés sur la Toile : dans le film, Cameron se vante auprès de Derek de leurs progrès dans ce domaine : « tu devrais voir le travail sur Internet… ».

L’extrême droite dans les années 1990
Il est difficile de faire le point sur l’influence réelle de cette mouvance mais il est clair que sa prospérité est liée au contexte politique. L’extrême droite s’est assagie lors des présidences républicaines de Ronald Reagan (soutenu par certains Klans…) et de George Bush (certains comme Tom Metzger lui reprochent quand même sa guerre contre l’Irak : le chef nazi salue Saddam Hussein lors que le premier missile irakien tombe sur Tel-Aviv avec cette phrase : « un ennemi de mon ennemi est un ami ». Les mouvements anti-gouvernement fédéral ne désarment pas…). Mais l’extrême droite américaine se réveille brutalement lors de l’élection de Bill Clinton à la présidence en 1992 : ce baby-boomer, opposant à la guerre du Vietnam et dont la moralité lui semble douteuse, semble incarner tout ce qu’elle déteste (beaucoup des Clinton haters –ennemis de Clinton-vont se recruter dans les mouvements extrémistes). D’autant que le nouveau président prend un malin plaisir à annoncer des mesures particulièrement sensibles pour cette partie de l’opinion américaine…Il prévoit de protéger les droits des homosexuels dans l’armée, de réglementer l’usage des armes à feu, de renforcer le droit des femmes à l’avortement… Aussi, les mouvements d’extrême droite se retrouvent aux côtés de la droite républicaine (notamment menée par Newt Gingrich) pour lutter contre les initiatives du président démocrate. Ils l’ont fait de manière légale dans certains cas, en portant plainte contre des cliniques qui pratiquaient l’avortement ou en faisant voter des lois discriminatoires contre le homosexuels (Colorado, Idaho, Oregon…). Mais ils ont aussi mené des actions beaucoup plus violentes comme nous l’avons déjà vu…
Ainsi, il est sans doute prématuré de penser que cette tendance extrémiste est en régression. Certes, le FBI constate une baisse du nombre de groupes activistes (ils sont passés de 850 en 1996 à seulement 194 en 2000). Il est certain que l’attentat d’Oklahoma City a discrédité pour un temps en tout cas les dérives criminelles ces mouvements. Mais certains facteurs, qui ont pu expliquer le développement de ces mouvements, n’ont pas disparu : les relations interraciales ne s’améliorent pas (en Californie, le gouverneur Pete Wilson sait flatter son électorat en évoquant la remise en cause de l’affirmative action…) alors que le melting pot semble devenu une utopie, la violence de la société américaine reste élevée, la critique du Big Government est toujours virulente dans certains états…La fin amère du film American History X semble l’annoncer : au delà d’une morale facile (qui sème le vent…), la lutte contre l’intolérance aux États-Unis est loin d’être gagnée…

 

 

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