La vie politique aux Etats-Unis et sa représentation au cinéma

   Même si la politique n’est certes pas un sujet évident pour le cinéma de distraction produit par les studios d’Hollywood, elle est quand même présente dans la production cinématographique américaine ,et ce depuis ses débuts. On peut déjà considérer, comme beaucoup d’auteurs, que « tout est politique », que la vision du monde proposée par les films américains les plus innocents apparemment, ne l’est justement pas. Comme l’écrit Anne Marie Bidaud dans son livre Hollywood et le rêve américain, « le cinéma ne peut se développer contre la société qui le produit: en tant qu’industrie commanditée par les plus grands groupes financiers américains, il ne peut également qu’être solidaire de leurs intérêts, économique et idéologique ». Mais, le cinéma américain a aussi souvent représenté le système politique et social des États-Unis, soit comme sujet principal soit comme toile de fond à une fiction : à toutes les époques, il s’est trouvé des réalisateurs , de Capra à Stone, que « la vie de la cité  » ne laissait pas indifférents…

Le temps des certitudes
Pendant longtemps, le cinéma hollywoodien a affiché ses intentions : il s’agit bien de défendre le système américain, évidemment le meilleur au monde. En 1957, c’est à dire dans un contexte de Guerre froide, le Président de la MPAA (Motion Pictures American Association ) , Eric Johnston déclare que les films hollywoodiens ont bien réussi « à vendre les concepts de notre démocratie ». De fait, dès les années 1920, la démocratie « à l’américaine » est une valeur constamment défendue, en tout temps et en tout lieu, depuis l’Antiquité ( The Egyptian de Michael Curtiz – 1954-) jusqu’à la Guerre Froide (One, two, three de Billy Wilder -1961-, I was a Communist for the FBI de Gordon Douglas -1951-). Comme l’écrit Michel Cieutat, « dans tous les cas de désordre, l’Amérique et son cinéma préconisent toujours le recours pratique ou symbolique aux urnes ». Ce principe est systématiquement invoqué pour résoudre les problèmes ( « Let’s vote« ), dans Stagecoach ( 1939 ) de John Ford pour se prononcer sur la poursuite du voyage, dans Lifeboat ( 1944 ) d’Alfred Hitchcock pour décider du sort du nazi…Quand les élections sont représentées à l’écran, « c’est souvent l’occasion pour les cinéastes de rendre hommage au parfait fonctionnement du système législatif américain » ( Michel Cieutat ). Dans les westerns, les scènes d’élections locales pour la désignation du shérif par exemple sont comme les balbutiements prometteurs d’une démocratie en devenir et à venir, qui mettra un terme à la loi de la jungle qui règne encore dans l’Ouest…
Les films hollywoodiens privilégient aussi un certain type d’homme politique, qui doit incarner la perfection du système américain : ils aiment « ces individus issus de rien, parvenus seuls au sommet de la réussite (…), qui sont plébiscités et par là-même transformés en symboles de la vitalité du rêve américain ( Michel Cieutat ). Abraham Lincoln représente parfaitement ce type de personnage qui s’élève « de la cabane en rondins à la Maison Blanche » ( « from the log cabin to the White House » ), et l’on pense bien sûr au fameux film de John Ford, Vers sa destinée ( Young Mr Lincoln, 1939 ), où le futur président est incarné par Henri Fonda. L’équivalent de cet archétype dans la fiction pourrait être M. Deeds, interprété par Gary Cooper dans le film de Frank Capra, Mr Deeds goes to Town ( 1936 ) : le personnage est un Américain moyen provincial, devenu subitement millionnaire, qui se retrouve brutalement sur le devant de la scène, ou encore Jefferson Smith, autre personnage de Capra, » boy-ranger » promu au rang de personnalité politique dans Mr Smith goes to Washington
( 1939 )…
A l’inverse, Hollywood ne manque pas de discréditer les idéologies révolutionnaires ; par exemple, la révolution mexicaine n’est pas épargnée par les cinéastes américains ( même dans le film du « libéral » Elia Kazan, Viva Zapata-1952-, les réformes agraires instaurées par le général mexicain sont « oubliées »…), et bien sûr la révolution bolchévique, lointaine mais si inquiétante, est toujours présentée de façon négative, à l’exception notable de Mission to Moscow de Michael Curtiz ( 1943 ) et du film de Warren Beatty, Reds, réalisé en 1981 ( la plupart des films « anti-rouges » ont été tournés à l’époque de la Guerre Froide ou pendant la présidence de Ronald Reagan… Mais leur impact est resté limité, pour des raisons artistiques -peu d’œuvres de valeur-, et des causes économiques-le sujet était peu attrayant pour le grand public…).
Mais si le cinéma américain soutient sans état d’âme le système politique des États-Unis, il sait aussi en montrer les imperfections. Dans les années 1930 et 1940, un cinéaste comme Franck Capra y consacre 4 films, dans l’ordre : Mr Deeds goes to Town ( 1936 ), Mr Smith goes to Washington ( 1939 ), Meet John Doe ( 1941 ), State Union ( 1948 )…Ses personnages ( Longfellow Deeds, un brave type de la campagne; Jefferson Smith un genre de boy-scout simplet; LongJohn Willoughby, un chômeur désabusé…) incarnent sous différents avatars l’Américain moyen ( « the common man » ) : ils sont d’ailleurs interprétés par des vedettes très populaires de l’époque, auxquelles le public peut s’identifier sans peine : Gary Cooper, James Stewart, Spencer Tracy.
Comme il le dit lui-même, Capra veut faire des films sur « le type qui balaie, le pauvre gars qui s’est fait rouler »…Tous ses films dénoncent les puissants, les groupes d’intérêt politiques et économiques, qui écrasent les plus faibles et faussent le fonctionnement naturel du système. En ce sens, le réalisateur est bien dans la mouvance populiste, si importante aux États-Unis depuis la fin du XIX° siècle. Lui-même arrivé à 6 ans dans son pays d’adoption, il adhère sans réserves au « rêve américain » et s’insurge contre ceux qui veulent le dénaturer. En vrac, sont ainsi dénoncés la presse corrompue (Meet John Doe, State Union ), les industriels avides et les riches égoïstes ( Mr Deeds, Mr Smith ), les appareils politiques ( Mr Smith, State Union ). Dans ses premiers films, F. Capra croit assez au système pour estimer qu’un homme seul peut vaincre les  » Méchants » et faire triompher le bon droit, en général au cours de séquences mémorables où le héros emporte la décision grâce à son courage et sa conviction ( l’exemple le plus fameux est le long discours que Jefferson Smith prononce devant le Sénat américain et qui emporte l’adhésion des sénateurs dans Mr Smith…). Capra croit à l’individualisme et se méfie de l’interventionnisme de l’État ( le cinéaste, quoique fasciné par le personnalité de Franklin Delano Roosevelt, est un Républicain convaincu… ). A la même époque, d’autres films mettent en garde contre la séduction du fascisme, comme le curieux Gabriel at the White House, de Gregory La Cava (1932-33), La flamme sacrée de George Cukor ( 1942 ).
Mais le film le plus marquant de cette période sur le sujet reste à tous égards le chef d’œuvre d’Orson Welles, Citizen Kane ( 1941 ). Au delà de ses qualités artistiques, le premier film du jeune prodige venu du théâtre d’avant-garde est aussi une réflexion sur le pouvoir, et notamment le pouvoir politique. On sait que le modèle du principal personnage est le magnat de la presse, William Randolph Hearst, propriétaire d’un empire de 28 journaux, 13 magazines, et 8 stations de radio. Cette personnalité influente et controversée, isolationniste forcené et populiste parfois à la limite du fascisme, avait tenté d’obtenir le poste de gouverneur de l’État de New-York. Malgré des dépenses considérables, il avait été battu après une campagne électorale intense…Orson Welles ne manque pas de dénoncer l’hypocrisie de ces milliardaires qui se prétendent « amis du peuple ». Dans le film, Kane prévient son banquier : « Voyez-vous, j’ai de l’argent et des biens au soleil. Si je ne m’occupe pas des déshérités, peut-être quelqu’un sans argent et sans biens s’en chargera-t-il, quelqu’un sans argent et sans biens au soleil et ce serait très fâcheux… »autrement dit la société serait vraiment en péril si le mouvement était conduit par des dirigeants vraiment issus du peuple…Le cinéaste oppose la « vraie gauche » au paternalisme du démagogue. L’ami de Kane, Leland, interprété par Joseph Cotten, l’avertit : « ça ne va pas te plaire du tout quand tu t’apercevras que tes travailleurs considèrent que leurs droits sont dûs et ne sont pas un cadeau ». De même, Welles dénonce les mœurs douteuses de la vie politique de cette époque : la victoire de Kane, acquise à coups de milliers de dollars et qui semble inéluctable, est brisée nette quand la presse à scandales révèle sa liaison clandestine avec une actrice…Les « coups bas » ( dirty tricks ) ne datent pas d’aujourd’hui…

Les paradoxes de la Guerre froide
Dans les années 1950-1960, Hollywood est pris dans la fièvre anti-communiste et ne fait pas de concessions. la commission des activités anti-américaines ( HUAC = House of Un-American Activities ) veut ainsi expurger les milieux du cinéma et commence ses auditions de témoins en 1947 ( d’autres auditions auront lieu par la suite, en 1951, 1953… ). A part les Dix d’Hollywood, ( c’est à dire ceux qui avaient refusé de témoigner et avaient été condamnés ), on estime qu’au total une trentaine de témoins ( dont Kazan, Dmytryk, Rossen…) ont donné les noms d’environs 300 personnes : une « liste noire » est établie, qui interdit de donner du travail à tous ceux suspectés d’être des « rouges ». La production cinématographique de l’époque est donc marquée par son anticommunisme implacable, et son apologie sans nuance des institutions américaines. Plusieurs films soulignent notamment le danger intérieur que représente l’idéologie révolutionnaire. Dans My son John, de Léo Mac Carey ( 1952 ), une famille américaine est contaminée par le virus communiste, car le fils est devenu un « rouge »…Aussi, il est remarquable que, dans ce contexte, certains cinéastes, sans doute dotés d’une forte personnalité, aient réussi à réaliser des films qui brisent le consensus. Deux d’entre eux méritent d’être cités, Robert Rossen et surtout Elia Kazan. Les deux réalisateurs ont d’ailleurs des points communs : d’abord proches des communistes, ils comparaissent devant la commission des activités anti-américaines et finissent par accepter de témoigner ( Kazan ira jusqu’à s’offrir une page entière dans des journaux pour afficher une profession de foi anti-communiste ).
Robert Rossen, d’abord en 1949, alors qu’il n’a pas encore « témoigné », réalise un film sur un personnage illustre et controversé de la vie politique américaine, le gouverneur de Louisiane, Huey Long. Issu
d’un milieu modeste, celui-ci s’impose dans un des États les plus pauvres de l’Amérique avec beaucoup de démagogie et des idées populistes. Alors qu’il semblait promis à un destin national, il est assassiné en 1935…D’après le livre de Robert Penn Warren, Rossen tourne Les Fous du Roi ( All the King’s Men, 1949 ) , avec comme principal interprète Broderick Crawford. Le film est alors à contre-courant : il met en cause un politicien « fascisant » ( alors que la priorité de l’époque est la lutte contre les « Rouges »…), il décrit un climat politique paranoïaque et les méthodes douteuses des hommes politiques, soit autant de « détails » qui peuvent très bien s’appliquer à l’atmosphère pesante qui règne alors aux États-Unis, en pleine « chasse aux sorcières »…Le film d’Elia Kazan, Un Homme dans la foule ( A Man in the crowd, 1957 ) est encore plus original. Il raconte la résistible ascension d’un chanteur de country, Lonesome Rhodes, devenu une vedette nationale avec l’aide non désintéressée de publicitaires. Il met son talent et son sens du public au service d’hommes politiques ultra-conservateurs ( on aura remarqué que plusieurs de ces thèmes se retrouvent d’une manière ou d’une autre, dans le film de Tim Robbins, Bob Roberts…). Le ton du film est virulent et plusieurs répliques sont réellement prémonitoires. Lors d’une séquence, un des politiciens analyse le rôle futur de la télévision dans la politique :  » Avec la Télévision, nous avons le plus grand instrument de persuasion des masses dans l’histoire du monde (…) La politique est entrée sur une nouvelle scène, celle de la Télévision. Au lieu des débats bavards, les gens veulent des slogans condensés. Il est temps de changer. De la fanfare et du fric…Du punch et du glamour »…Lonesome Rhodes se transforme en consultant politique : il conseille à son candidat d’avoir un chien plutôt qu’un chat, de pratiquer la chasse plutôt que la philatélie, afin de séduire le public le plus populaire…Kazan revendique la violence de la critique sociale : « On a dit que le film était contre Nixon, contre Eisenhower, contre le « big business » et bien c’est vrai…Je pense que le public américain s’est reconnu dans le film. Je l’ai montré comme un agrégat de pantins ridicules qu ‘on peut mener par le bout du nez. Dans Un homme dans la foule, le démagogue est le résultat de notre système social, de la façon dont certaines choses sont organisées dans notre pays. Il y a eu les Huey Long, il y a les Mac Carthy…Aussi longtemps que ces forces sociales existeront, ces hommes apparaitront tous les 5 ou 10 ans… » ( Cahiers du Cinéma, n°130 ). On peut penser que le cinéaste a dû apprécier l’approbation gênée (?) de la presse d’extrême-gauche : le People’s world, un des organes du Parti communiste américain écrit : « deux mouchards devant la Commission ( Kazan et son scénariste Budd Schulberg ) conspirent pour produire un des plus beaux films progressistes qu’il nous ait été donné de voir depuis des années (…) Il aidera le public à comprendre de quelle manière l’opinion publique est manipulée aux États-Unis et dans quel but ». Sans aucun doute, Kazan avec ce film veut prouver qu’il n’a pas renoncé à porter un regard critique sur la société américaine, même s’il a pris ses distances avec ses anciens amis plus engagés.
Cela dit, les temps sont durs pour les « réprouvés » : Herbert Biberman, scénariste et réalisateur, un des fameux « Dix d’Hollywood » éprouve les plus grandes difficultés à tourner un film sur les problèmes sociaux au Nouveau-Mexique : Le Sel de la terre, qui raconte la grève d’ouvriers mexicains,est réalisé dans des conditions très difficiles en 1954 : le cinéaste doit ainsi affronter les pressions des studios, des syndicats anti-communistes, du FBI et même d’Howard Hugues ! Son film est quasiment interdit de distribution jusqu’en 1965…Il est vrai que Biberman ne s’était pas rétracté devant la Commission…

Une liberté nouvelle
Dans les années qui suivent, la situation évolue : la Détente succède à la Guerre Froide et les studios ne sont plus en mesure d’imposer leur loi comme avant ( même la Commission des activités anti-américaines finit par disparaitre dans les années 1970…). Aussi, les cinéastes ne se privent pas de critiquer tel ou tel aspect du système politique ou de l’action du gouvernement américain. Sans entrer dans le détail, on peut mentionner quelques films marquants, même si leur valeur artistique est variable. Dans les années 1960, la politique nucléaire des Etats-Unis est mise en cause dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick ( Dr Strangelove, 1963 ), le danger d’un complot fasciste dans l’armée est dénoncé dans 7 jours en mai de John Frankenheimer ( 1964 ), les méthodes de Mac Carthy sont évoquées dans le film d’Otto Preminger, Tempête à Washington ( 1962 )….Dans la décennie suivante, le jeu de massacre continue et l’on voit même certains réalisateurs aborder franchement la période du Mac Carthysme ( Nos plus belles années de Sidney Pollack en 1973, Le Prête-nom de Martin Ritt en 1976, …en attendant La Liste noire d’Irving Winkler en 1991 ). Un film comme Votez Mac Kay de Michael Ritchie ( The Candidate, 1972 ) est intéressant car il traite du problème de la détérioration du débat politique aux États-Unis. Le réalisateur dénonce en particulier le rôle néfaste des conseillers politiques dont les méthodes finissent par dépolitiser complètement les campagnes électorales. Dans le film, Robert Redford incarne un jeune écologiste, pris en mains par un consultant de ce genre : alors qu’il a renoncé à toutes ses idées pour emporter la victoire, le candidat « heureux élu » s’interroge : « et maintenant, qu’est ce qu’on fait? »…L’affaire du Watergate est évoquée avec une efficacité certaine, dans Les Hommes du Président ( All President’s Men, 1976 ), réalisé par Alan Pakula. Les films qui évoquent la guerre du Vietnam sont particulièrement nombreux et dans tous les registres possibles : la quasi-comédie dans Good morning Vietnam, de Norman Jewison ( 1988 ), la description brutale et réaliste ( Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino en 1978, Platoon d’Oliver Stone en 1986, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick en 1987…), voire le ciné-opéra ( Apocalypse Now de Francis Ford Coppola en 1979 ) : mais, ces œuvres s’attachent en général plus à décrire le traumatisme émotionnel d’une génération qu’à analyser la politique du gouvernement américain dans cette région du monde…On peut aussi relever que le mouvement de contestation des années 1960-1970 a été peu ou mal représenté à l’écran, si l’on excepte quelques films musicaux ( Woodstock de Michael Wadleigh en 1970 bien sûr ), et ceux d’Oliver Stone réalisés plus récemment ( Né un quatre juillet -1989-, the Doors -1991- ). Un des films de l’époque qui traite directement ce sujet, Des fraises et du sang de Stuart Hangman ( Strawberry statement, 1970 ), donne de la jeunesse contestataire une image plutôt superficielle, plus intéressée à sa propre libération sexuelle qu’à transformer la société : par contre, le film évoque avec réalisme la brutalité de la répression policière sur les campus américains, images sans doute peu fréquentes dans le cinéma d’alors…Ainsi, à partir des années 1970, le film politique ne fait plus peur aux producteurs et il est significatif qu’un cinéaste comme Sidney Lumet, « honnête artisan » hollywoodien, se soit attaqué à plusieurs reprises à des sujets d’actualité, avec même un certain courage. Des films comme Network ( 1976 ) ou Les coulisses du pouvoir ( 1986 ) sont des descriptions assez convaincantes du monde politico-médiatique aux États-Unis. Ainsi, dans Les coulisses du pouvoir, Richard Gere interprète un jeune et sémillant consultant politique qui vend ses services à un milliardaire, personnage plutôt médiocre, qui s’est porté candidat au poste de sénateur au Nouveau-Mexique. Le film démontre bien le dévoiement d’un système dans lequel les politiciens ne sont plus que des « produits »…

Les limites du genre
On peut aussi rapidement évoquer les sujets politiques ou sociaux qui ne sont jamais ou très peu évoqués par le cinéma américain : la lutte des Noirs pour leurs droits, les problèmes de la communauté noire ne sont apparus que récemment sur les écrans , souvent dans des réalisations de cinéastes afro-américains ( Boyz’n the hood de John Singleton en 1992, Malcom X de Spike Lee, 1992 ). Les conflits sociaux sont très peu abordés : on peut bien sûr citer les chefs d’œuvre de l’entre deux-guerres comme Les Temps Modernes de Charlie Chaplin et Les Raisins de la colère de John Ford ( 1940 ) : mais depuis les années 1950, le sujet est peu évoqué par le cinéma américain : on peut mentionner pour mémoire FIST de Norman Jewison avec Sylvester Stalone ( 1978 ), Norma Rae de Martin Ritt ( 1979 ) ou l’excellent documentaire de Michael Moore sur les usines GM à Flint dans le Michigan, Roger and me ( 1989 )…En fait, il n’est pas question de ternir le « rêve américain » de la classe moyenne, qui croit à la réussite individuelle et ne veut pas entendre parler d’affrontements « classe contre classe » ( en 1935, un journaliste a trouvé une formule heureuse pour évoquer cette vision du monde : « the Rolls Royce approach of life« …). Ces « oublis » montrent bien que tous les tabous ne sont pas levés et que la société américaine a parfois du mal à évoquer tous ses problèmes.
D’ailleurs, même lorsque les cinéastes américains des années 1970-1980 abordent des sujets politiques, ils s’en tiennent souvent à des schémas déjà connus. Ainsi, l’archétype du héros  » à la Capra » perdure jusqu’à nos jours : il mène un combat solitaire contre les puissants et parvient à rétablir la situation : Robert Redford dans Les Trois jours du Condor ( 1971 ) se bat seul contre des comploteurs diaboliques agissant au coeur de la CIA, ou encore Dustin Hoffman et le même Redford incarnant Carl Berstein et Bob Woodward, les journalistes du Washington Post aux prises avec le clan Nixon dans Les Hommes du président...Comme l’écrit Michel Cieutat, « Hollywood a toujours eu en réserve un descendant du Jefferson Smith de Capra qui le temps d’une révélation, peut rétablir la lumière dans les ténèbres ». Ce type de scénario, où la Presse a souvent le beau rôle, permet de ne pas désespérer du système dans son ensemble. Cette même prudence se retrouve dans la manière d’évoquer le thème des marginaux, sujet récurrent dans le cinéma américain presque depuis ses débuts : de très nombreux films dressent les portraits de ces vagabonds ( homeless ), de ces asociaux ( cette tradition est aussi littéraire, de Mark Twain et son Huckleberry Finn, jusqu’à Jack Kerouak dans les années 1950 ). Dès les années 1930, William Wellman montre à l’écran des jeunes victimes de la crise dans Wild boys of the Roads ( 1933 ). En 1953, Lazlo Benedek évoque les bandes de motards dans L’Equipée sauvage. Cette tendance ne s’est pas démentie dans les années 1960 et jusqu’à nos jours : les cinéastes continuent à présenter des personnages inadaptés à la société, seuls ou en couple, qu’on peut retrouver dans des films comme Easy Rider de Dennis Hopper ( 1969 ), Macadam Cowboy de John Schlesinger ( 1969 ), L’Epouvantail de Jerry Schatzberg ( 1973 ) et récemment Le Clochard de Berverley Hills de Paul Mazursky ( 1986 ). La plupart de ces héros ont un destin tragique et finissent en victimes expiatoires de l’ordre social. Surtout, comme le remarque Anne-Marie Bidaud,
leur représentation au cinéma ne constitue pas un danger : « ces personnages permettent d’être ému sans être menacé parce qu’ils n’ont pas d’avenir ». Ils ne présentent pas de solution alternative et leur sort tragique renforce l’idée qu’il n’y a point de salut hors de l’ordre établi.

De Capra à Stone….
Enfin, il faut mentionner, même rapidement, les films d’Oliver Stone : ce réalisateur, très marqué personnellement par les années 1960 ( il s’est engagé dans l’armée américaine au Vietnam pour en revenir complètement désabusé), s’est littéralement passionné pour les problèmes politiques de cette période et y a consacré l’essentiel de son travail : Platoon ( 1986 ), Salvador ( 1986 ), Né un quatre juillet ( 1989 ) , les Doors ( 1991 ), JFK ( 1992 ), Nixon ( 1995 ). Le cinéaste est présenté par certains critiques comme l’héritier lointain de Frank Capra, héritage en tout cas revendiqué par Stone lui-même…Quelques détails de mise en scène sont effectivement des rappels des films de Capra : le long discours de Jim Garrison, interprété par Kevin Costner, renvoie à celui de Jefferson Smith ( incarné par James Stewart ) dans Mr Smith goes to Washington ; le Lincoln Memorial où se rend le héros de Capra est aussi utilisé comme lieu symbolique dans JFK et Nixon… Comme d’autres cinéastes et comme son illustre prédecesseur, Stone utilise le héros « seul contre tous » : le personnage principal de Né un quatre juillet est présenté ainsi par J.M. Frodon : « un brave petit Yankee qui, traumatisé par l’expérience vietnamienne, découvre qu’on l’a floué sur les valeurs de son pays ». De même, Jim Garrison est un petit juge provincial en lutte contre les forces du mal. Comme Capra, le réalisateur de JFK et de Nixon s’attaque aux Puissants, aux groupes d’interêt qui opèrent dans l’ombre, au risque d’ailleurs de quelques approximations historiques :  » Avec Kennedy et Nixon, on s’est rendu compte que le pouvoir n’était pas entre les mains du Président mais dans celles des industriels, des militaires, des responsables de la CIA,de Wall Street, de la Mafia, qui limitent les pouvoirs de l’exécutif. On ne peut pas défier impunément ces pouvoirs-là que nous appelons « la Bête » dans le film. Kennedy a essayé et on l’a tué. C’est la même chose avec Nixon, car il a fait la paix avec l’URSS, la Chine et finalement avec le Vietnam et on ne lui a pas pardonné » ( Oliver Stone ). Il retrouve en quelque sorte le populisme du réalisateur de Mr Smith, qui lui aussi voulait revenir aux vraies valeurs. Un de ses plus solides soutiens en France, Michel Cieutat, écrit à son propos : « ce qui compte pour Stone, c’est qu’il puisse dénoncer farouchement les nombreuses trahisons par l’Amérique elle-même de son rêve des origines ». Mais la démarche d’Oliver Stone est très controversée: à l’occasion de la sortie de JFK, les critiques ont été féroces : Jack Valenti, Président de La MPAA le compare à Leni Riefensthal, et le journaliste du Washington Post , George Lardner Jr, l’accuse « d’avoir falsifié l’histoire ». De fait, le cinéaste, en évoquant des personnages historiques réels ( Kennedy, Nixon, les Doors ) s’est autorisé à reconstituer de « vrais-faux  » documents d’époque, un peu à la manière de Welles dans Citizen Kane. Oliver Stone, qui s’accorde « 14,5% de licence poétique » (sic), multiplie donc des séquences tournées en formats différents ( 8, 16, 35 mm…) avec des textures variées, qui sont censées donner une impression de réalité. Mais cette méthode lui est vivement reprochée, surtout parce qu’elle est utilisée au service d’une vision de l’Histoire par trop simpliste :  » les films de Stone sont des cris de rage de gamin à qui on a cassé ses jouets, non des réflexions sur une société » ( J-M. Frodon ). Mais, si la filiation de Capra à Stone peut être évoquée hors de toute considération stylistique, le ton a quand même bien changé. Dans les films du réalisateur italo-américain, la critique du système était toujours compensée par l’espoir que les institutions fonctionneraient mieux, une fois les « impuretés éliminées ». Il n’est pas sûr que Stone partage cet optimisme : « il n’a jamais cessé de blâmer les pires aspects de la politique et de la société américaine. Il ne fait pas de quartier. Ce système américain n’est pas seulement imparfait, il est profondément injuste et ne doit plus servir de modèle » ( Michel Cieutat ). Même les Méchants sont ambigus : dans son dernier film, Nixon était à priori l’archétype du Mal…Et bien, le cinéaste semble lui trouver des excuses, et le rend sympathique, tant sa détresse est humaine. Touché par le syndrome de Stockholm, il est « pris en otage par son personnage », et il ne l’accable pas…

    Ainsi, le cinéma américain ne s’est jamais désintéressé de la vie politique et continue à produire des films sur ce sujet ( en 1996, le film City Hall de Harold Becker, interprété par Al Pacino raconte les magouilles d’une municipalité corrompue, comme par exemple celle de New-York à l’époque d’Ed Koch, Absolute Power , réalisé par Clint Eastwood évoque un Président bien particulier… …). Certes, on peut estimer que cette critique du système politique américain est intéressée ( elle conclut toujours à l’avantage des États-Unis ), incomplète, superficielle…Reste qu’elle a le mérite d’exister. Le cinéma européen n’a pas toujours le même intérêt pour les problèmes politiques de son temps. Les réalisateurs italiens ont certes abordé sans crainte les dysfonctionnements politiques et sociaux de leur pays : Francesco Rosi ( Main basse sur la ville en 1963, L’affaire Mattei en 1972, Cadavres exquis en 1975…), Elio Petri ( Enquête sur un citoyen au desssus de tout soupçon en 1970, La classe ouvrière va au Paradis en 1971 ), ou plus récemment Nani Moretti ( Palombella Rossa-1989 ) , Daniele Luchetti ( Le porte-serviette – 1990 ) et Mimmo Calopestri ( La seconda volta-1996 ). Mais à l’inverse, les cinéastes français se sont montrés plus timides et la filmographie sur ce thème est plutôt maigre, même si on peut toujours citer les films d’Yves Boisset ( L’Attentat en 1972, RAS en 1973, Dupont la Joie en 1975, Le juge Fayard en 1976, ) ou de Claude Chabrol ( Nada d’après Jean Patrick Manchette en 1973 ), les quelques long-métrages évoquant les guerres coloniales ( Muriel d’Alain Resnais en 1963,  La 317° section de Pierre Schoendoerffer en 1961, Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier en 1971, Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer en 1977, jusqu’à Indochine de Régis Wargnier… ) et des œuvres plus engagées ( Coup pour coup de Marin Karmitz -1972-, Mourir à trente ans de Romain Goupil -1987-). En fin de compte, les réalisateurs américains, venus d’horizons divers, ont maintenu une tradition du film politique, de Frank Capra à Oliver Stone, en passant par Orson Welles , Elia Kazan et…Tim Robbins. La dénonciation des vices du système est toujours vigoureuse, avec peut-être la bonne conscience et l’optimisme en moins…

3 réflexions sur “ La vie politique aux Etats-Unis et sa représentation au cinéma ”

  1. La représentation de la vie politique américaine est particulièrement intéressante dans certaines séries récentes ; sans négliger l’image des présidents renvoyée par des séries dont le sujet n’est pas typiquement la vie politique ( par ex Homeland) deux séries me semblent indispensables à observer:
    -évidemment A LA MAISON BLANCHE THE WEST WING qui met en scène la vie quotidienne du président démocrate Bartlett dans l’aile ouest de la maison Blanche (rôle du président tenu par Martin Sheen) en 155 épisodes ; sont abordés les grands sujets (racisme, éducation, santé…), les relations avec la majorité et l’opposition au Congrès, la politique étrangère, le fonctionnement en interne du cabinet présidentiel… Les situations sont extrêmement détaillées à tel point que certains épisodes demandent une connaissance poussée du fonctionnement de la vie politique américaine pour pouvoir tout comprendre (en même temps la vie privée des personnages est moins utile sauf les conséquences d’une maladie du président); également la préparation d’une élection présidentielle avec toute la chaîne de choix à faire pour désigner le candidat. Aucun film  » de cinéma » n’est aussi précis et détaillé (évidemment l’ensemble fait plus d’une centaine d’heures). série un peu ancienne qui a débuté en 1999.
    – toujours en cours HOUSE OF CARDS avec Kevin Spacey dans le rôle d’un élu à la Chambre des représentants, à qui le président avait promis le poste de Secrétaire d’Etat mais ne l’acccorde pas , et prêt à tout pour obtenir le poste de vice-président. Une particularité : le personnage s’adresse parfois au spectateur pour commenter son action. Description assez terrifiante des pratiques des politiciens (ici américain !).
    2 saisons existent pour l’instant.; la série date de 2013-2014.

    1. helo

      un article sur les films américains dans lesquels on représente des élections ( à chercher sur le site « cairn », site qui permet l’accès à des articles de revues spécialisées parfois gratuitement…hélas je ne sais pas créer le lien!!!, j’ai donc copié l’article)

      Le Temps des médias 2006/2

      Vous consultez

      Des élections dans le cinéma américain

      parJacques Portes

      Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris VIII.

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      Le Temps des médias

      2006/2 (n° 7)
      Pages : 192
      ISBN : 9782847361810
      DOI : 10.3917/tdm.007.0078
      Éditeur : Nouveau Monde éditions
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      Le Temps des médias 2006/2

      Vous consultez

      Des élections dans le cinéma américain

      parJacques Portes

      Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris VIII.

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      Le Temps des médias

      2006/2 (n° 7)
      Pages : 192
      ISBN : 9782847361810
      DOI : 10.3917/tdm.007.0078
      Éditeur : Nouveau Monde éditions
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      1
      Hollywood a abordé à peu près tous les sujets sociaux ou politiques, dans les limites étroites du code Hays entre 1930 et 1966, puis avec une relative retenue, passée la période de la sortie de la censure entre 1968 et 1970. Les sujets politiques n’ont pourtant pas été les plus fréquents, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux ; ce n’est que dans les années 1990 que sont apparus des films mettant en scène des hôtes de la Maison blanche meurtriers ou adultères, avec l’exception de quelques films patriotiques.
      [1] Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis,…
      [1]

      2
      Le processus électoral ne se prête pas nécessairement au traitement cinématographique dans une démocratie dans laquelle le vote est atomisé entre les citoyens et où le dépôt de bulletins dans l’urne n’a rien de spectaculaire. La nature du processus des élections américaines est toutefois assez pittoresque avec ses primaires rurales, ses longs parcours en train ou en bus, car l’avion est bien trop rapide, et ses conventions mouvementées avec banderoles, canotiers et feux d’artifice, bien que ces dernières aient perdu beaucoup de leur signification avec l’avènement de la télévision.

      3
      Les élections de mi-mandat de novembre 2006 sont importantes sur le plan politique pour ce qu’elles annoncent des perspectives pour la présidentielle suivante, mais il est peu probable qu’elles suscitent l’intérêt des cinéastes, dans la mesure où elles ne mettent pas en jeu de grandes personnalités. Toutefois, elles fournissent l’occasion de s’interroger sur la représentation des divers scrutins à l’écran.

      4
      De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux retiennent notre attention. John Ford, dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) dresse un tableau nostalgique de l’Ouest ancien et se penche sur le processus politique qui transforme un territoire en État. Deux ans plus tard, Franklin S. Schaffner réalise Que le meilleur l’emporte (The Best Man) sur un scénario de Gore Vidal, il s’agit d’une mise en perspective de la Convention de Los Angeles en 1960, Convention qui avait nommé John F. Kennedy. En 1972, Votez Mac Kay (The Candidate) de Michael Ritchie, fournit une réflexion sur le rôle des médias dans le système politique en Californie. En 1998, Mike Nichols met en scène le livre de Joe Klein, qui avait eu un effet de scandale puisque dans Primary Colors, il racontait comme dans un roman à clé, la tournée mouvementée des élections primaires de 1992 menée par Bill Clinton.

      5
      D’autres films ont abordé les élections, mais de façon secondaire, sans en faire le sujet du film ; ils présentent moins d’intérêt. Le film de Ford est certes dans ce cas, mais il aborde un aspect ancien des élections qui est représentée encore moins fréquemment que d’autres au cinéma.

      6
      Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi ; la plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

      Une manière de comprendre le système électoral

      7
      Les films choisis n’apprennent rien de vraiment neuf sur la politique américaine, ils puisent dans la littérature existante comme dans l’actualité pour développer leur histoire, mais ils en donnent une vision concrète et en rendent l’ambiance, qui n’apparaît pas toujours dans les livres. Ces quatre exemples sont complémentaires : ils vont du local au national, du début du xxe siècle jusqu’à sa dernière décennie, de la fiction au quasi-reportage. Ces films sont l’œuvre d’auteurs engagés et responsables et non pas de directeurs anonymes choisis par les studios. John Ford n’est plus un débutant et choisit ses sujets ; Gore Vidal est un écrivain politique de gauche, très ferru d’histoire de son pays : son influence est omniprésente dans le film de Schaffner ; Michael Ritchie et Robert Redford ont voulu faire ce film, selon leurs convictions progressistes ; enfin Joe Klein, auteur du scénario suivi par Nichols, est un journaliste politique, adversaire de Bill Clinton. Cela ne fait pas de ces films des brûlots politiques, mais ils ne cherchent pas le simple divertissement ; aborder le processus électoral n’est pas dû au hasard et correspond à de réelles préoccupations, c’est pourquoi le nombre de titres de ce genre est nécessairement réduit.

      8
      John Ford, en narrant en flash-back la carrière du sénateur Jason Stoddard (James Stewart) à Shinbone dans un État qui n’est pas précisé, dans l’Homme qui tua Liberty Valance (1962) donne son interprétation nostalgique de l’Ouest. Le succès de cet homme moyen – dont la carrière a dépendu d’un seul coup de feu – souligne le recul de la violence devant les progrès de la civilisation : chemins de fer, établissement des institutions démocratiques et relations assagies avec les femmes. Au cours de ce film, des habitants de la ville proposent de voter sur la proposition d’intégrer le territoire. Il s’agit d’élire une assemblée avec un représentant de chacun des comtés ; cette assemblée ou un référendum organisé par le gouverneur, pourra demander le statut d’État quand la population y atteindra 60000 personnes.

      9
      L’histoire montre bien l’amour de Ford pour ses personnages. Stoddard, grand naïf, représente l’idéalisme de la loi ; Peabody incarne avec chaleur le rôle essentiel que le cinéaste accorde à la presse – il est certes ivrogne, toujours assoiffé, mais courageux quand il s’agit de défendre la liberté de la presse, face à la destruction de son atelier, Doniphon (John Wayne) est le cow-boy qui n’a pas hésité à utiliser son colt pour faire respecter la loi, mais dont le rôle s’achève ; Liberty Valance (formidable Lee Marvin) est l’archétype du bandit de l’Ouest, éructant, violent, surarmé, ne respectant rien ni personne. Enfin, Hallie (Vera Miles) est une femme effacée mais tenace, d’avant le féminisme actif, prise entre deux hommes, entre deux mondes.

      10
      À Shinbone, le groupe des partisans de l’évolution démocratique est mené par Dutton Peabody, le pittoresque patron du journal local, The Shinbone Star. Il propose comme délégué Jason Stoddard, qui va commencer là son ascension politique, puisqu’il deviendra représentant de son État, puis sénateur, avec une perspective de carrière nationale. Deux longues séquences sont consacrées au premier vote local, puis au second territorial.

      11
      La façon dont se déroule le premier scrutin est à la fois véridique et caricaturale, avec ces personnages emblématiques. Le saloon, où la vente d’alcool est interdite pendant le scrutin, était souvent la seule salle publique qui pouvait accueillir les apprentis électeurs. Selon la procédure, le candidat est présenté par un notable qui propose son nom au suffrage de ses concitoyens – ici Stoddard est présenté par Peabody et ce dernier par Doniphon – qui se prononcent à mains levées ; le passage à la régularité démocratique est souligné par l’impuissance de Valance à se faire admettre comme candidat. Bien entendu, dans la vie réelle, les enjeux étaient rarement aussi simples et beaucoup plus concrets, mais ce type de scrutin dans les petites villes de l’Ouest, au premier niveau de la pyramide politique, était assez proche de celui que Ford décrit. Le même mélange d’authenticité et de caricature apparaît à l’étape de la grande ville, où se décide la transformation en État, avec insistance sur le conflit entre éleveurs sans scrupule et fermiers paisibles ; la plupart des hommes de main étaient payés par les premiers et agissaient rarement pour leur propre compte. Valance est là encore le symbole d’un monde révolu, du bandit sans maître ni loi.

      12
      Dans ce splendide film, ces événements typiques de l’Ouest sont magnifiés et illustrés par les personnages, sans réelle profondeur psychologique, mais porteurs de puissantes valeurs que rappelle Peabody : « Ici c’est l’Ouest, Monsieur. Une fois que le mythe est reconnu pour être la réalité, nous imprimons ce mythe. »

      13
      Gore Vidal est beaucoup plus cynique que Ford et dans l’histoire de Best Man, il ne manifeste aucune nostalgie avec sa reconstitution d’une Convention à l’ancienne, où les tractations entre hommes politiques se déroulaient dans les chambres d’hôtel et par téléphone. Dans son film, il s’agit de choisir le successeur d’un Président populaire mais mourant. Le candidat doit être présenté aux suffrages des délégués du Parti réunis à l’occasion d’une Convention décisive, située à Los Angeles en 1964 : Henry Fonda est William Russell, secrétaire d’État et probable héritier, mais il est contesté par Joe Cantwell, un jeune candidat populiste au sourire ravageur et aux arguments simplistes, qui n’inspire pas plus de confiance qu’un vendeur d’autos d’occasion
      [2] Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la…
      [2] . Les arguments volent bas et le Président sortant semble ambivalent, alors que Russell refuse d’utiliser contre son rival des rumeurs d’homosexualité et préfère se retirer de la course laissant un troisième homme l’emporter finalement. Le roman de Gore Vidal avait été monté sur la scène à Broadway ; à l’écran, il reste parsemé de bons mots – phrases empruntées à Kennedy et à Nixon – et de références historiques, il oppose le populiste à l’intellectuel comme cela s’est passé en 1960, mais en brouillant les cartes sur les origines sociales. Les femmes des candidats sont composées des différents modèles existants et sont crédibles : poupée blonde pour Cantwell, forte personnalité de celle de Russell maintenant un mariage de convenance sociale (à l’exemple d’une Eleanor Roosevelt et préfigurant Hillary Clinton).

      14
      Telle qu’elle se déroule, cette histoire est finalement réaliste, sans calquer aucune des Conventions qui se sont alors déroulées. En 1960 à Los Angeles, Lyndon Johnson a tenté de détruire la candidature de Kennedy en dévoilant la maladie d’Addison dont il était atteint ; il n’a pas été écouté, mais a finalement obtenu la vice-présidence après des tractations haletantes et secrètes qui se sont déroulées entre sa chambre d’hôtel et celles des frères Kennedy. À de nombreux points de vue, le film de Schaffner est presqu’un reportage sur les mœurs politiques américaines.

      15
      En même temps, ce film décrit une situation qui n’existe plus ; à partir de 1972, les candidats à la présidence réunissent les délégués qu’ils ont gagnés lors des élections primaires qui se sont multipliées et la Convention du parti ne fait qu’entériner une situation déjà acquise ; il ne peut plus dès lors se passer de coup de théâtre, la Convention a beaucoup perdu de son importance. Ces réformes n’ont pas fait disparaître les coups bas ni les révélations sur la vie privée des candidats, ceux-ci sont désormais relayés par la presse et n’agitent plus les couloirs feutrés des palaces.

      16
      Votez Mac Kay (The Candidate) manifeste également une forme de cynisme. Robert Redford incarne Bill McKay
      [3] La langue américaine distingue dans les noms d’origine…
      [3] le fils d’un ancien gouverneur – homme politique classique joué avec brio par Melwyn Douglas -, militant écologiste au niveau local dans le comté de San Diego, que Marvin Lucas (Peter Boyle), un conseiller en communication, convainc de mener campagne afin de devenir sénateur de Californie à Washington ; il devra affronter, s’il gagne les primaires démocrates, le républicain Crocker Jarmon (Don Porter), qui est élu depuis dix-huit à la haute Assemblée. Le film suit la formation du candidat, ses experts, ses débuts hésitants sur le terrain, puis la naissance d’un mouvement de sympathisants, ce qui lui permet de surclasser ses concurrents démocrates, avant la lutte au finish avec Jarmon. Bill s’est lancé dans l’aventure en voulant garder sa sincérité et ses valeurs, mais se rend compte qu’il lui faut les présenter de façon moins abrupte pour convaincre les hésitants et que face à lui se trouve un professionnel aguerri et efficace : peu à peu, le militant sûr de lui, toujours épaulé par son épouse, se mue en politicien – évolution que son père salue – plus soucieux de son apparence que de son programme. Finalement, Bill McKay est élu, mais sans bien comprendre dans quel but.

      17
      Ce film, dirigé avec rythme et alacrité, donne une bonne vision de la lutte politique locale au début des années 1970. Les thèmes forgés durant la contestation des années précédentes ne parviennent pas toujours à renouveler les partis, dont les efforts de démocratisation ne porteront fruit que quelques années plus tard. Dans cette période de transition, les élections sont déjà devenues le terrain de jeu des concepteurs médiatiques, qui privilégient l’apparence à la substance. Dans le même temps, les préoccupations écologiques ont eu des suites, puisque le Congrès en 1971 vote une loi sur la pureté de l’air ( « clean air act »)
      [4] Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence…
      [4] en dépit de la présence du républicain Richard Nixon à la Maison blanche. La crédibilité du film est telle, que c’est après l’avoir vu que le futur vice-président Dan Quayle est entré en politique
      [5] Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide…
      [5] .

      18
      Avec Primary Colors et contrairement aux films précédents, la distance avec la réalité est presque invisible. Le gouverneur Jack Stanton (John Travolta, qui a su saisir à merveille les tics de son modèle Bill Clinton) se lance dans les élections primaires et surmonte les différentes épreuves qu’il y rencontre : mensonge sur son passé militaire, ambiguïté à propos de son usage de marijuana, infidélités conjugales etc. Il est soutenu contre vents et marées par son épouse Susan (Emma Thompson a bien observé Hillary) et par une brillante équipe de conseillers, parmi lesquels le jeune militant noir Henry Burton (Adrien Lester), qui tente de garder la tête froide dans cette cavalcade à travers le Sud des États-Unis, où se déroulent de nombreuses primaires. Il préférera quitter la campagne peu de temps avant les élections, après avoir réalisé que ce gouverneur en qui il avait cru n’était qu’un politicien prêt à tout pour être élu.

      19
      Le film suit le roman de Joe Klein, dont les critiques s’étaient amusés à décoder les messages et à identifier les différents personnages ; si le couple Stanton est facilement reconnaissable, comme beaucoup de ses conseillers, il n’en va pas de même pour d’autres, probablement inventés par l’auteur, comme le gouverneur Picker de Floride, joué par Larry Hagman
      [6] Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans…
      [6] . Plus largement, le film de Mike Nichols fournit un réel reportage sur le détail des élections primaires présidentielles, qui ont pris une importance de plus en plus grande dans le processus électoral, même quand elles n’attirent que fort peu d’électeurs ; elles ont en tout cas permis l’émergence de personnalités comme Jimmy Carter ou Bill Clinton, dépourvues de reconnaissance nationale avant de se lancer dans cette étonnante course d’obstacles. De plus, John Travolta incarne très bien son modèle, dont il souligne le génie politicien, avec sa chaleur humaine, son besoin de compagnie et ses convictions fluctuantes suivant les circonstances et les publics.

      Une vision sombre de la démocratie

      20
      Ces quatre films ne parlent pas de l’exercice du pouvoir, mais essentiellement de l’ascension pour y accéder, mais celle-ci n’est pas un chemin bordé de roses et elle donne une curieuse image de la démocratie américaine. Ces histoires très différentes les unes des autres arrivent à des résultats semblables : la carrière politique suppose tellement de compromis et de concessions qu’elle n’est vraiment pas souhaitable, sinon franchement détestable.

      21
      John Ford et Michael Ritchie restent ambivalents. Jason Stoddard a bâti une carrière honorable sur un mensonge et a choisi sans état d’âme le modernisme, mais cela ne satisfait pas vraiment son épouse Hallie, ni le réalisateur qui montre son attachement pour cette période intermédiaire pendant laquelle Tom Doniphon incarnait le règne ferme et juste de la loi de l’Ouest. John Wayne n’a pas été choisi pour rien pour tenir ce rôle de justicier, servi par un Noir devenu son compagnon, quant à Hallie justement, elle fait le pèlerinage dans la maison de Doniphon, avec lequel elle aurait pu mener également une vie heureuse proche de la nature, sans les honneurs formels de Washington.

      22
      John Ford ne méprise pas pour autant la démocratie telle qu’elle s’installe dans le territoire, d’autant qu’elle est renforcée par la presse qui lui semble indissociable à celle-ci, mais la vie politique n’ignore-t-elle pas les profondes valeurs humanistes si bien représentées par certains de ses personnages, qui ne soucient pas nécessairement des élections ? Jason Stoddard est un héros par défaut, comme le prouve son humiliation dans la première partie du film, dans un système politique nécessaire sans être enthousiasmant.

      23
      L’épopée de Bill McKay pose le problème de l’écart entre les principes politiques et leur mise en pratique. Quand il décide de se lancer dans la campagne, un de ses amis militants lui dit « la politique c’est de la merde » et il ne parviendra pas à le faire changer d’avis ; il a demandé à son responsable des médias de pouvoir dire ce qu’il pense sans restriction, mais il doit modérer son message pour élargir son électorat : il ne peut plus simplement affirmer, comme il le pense, être en faveur de l’avortement ou ne devoir rien à son père. Ses conseillers sont effondrés et ses amis exultent quand, à la fin d’un des débats avec Jarmon, il se lance dans un discours de gauche conforme à ses prises de position antérieures. Sans que cet épisode lui nuise mais au vu des sondages, Bill doit appeler son père pour dynamiser sa campagne et quitter ses certitudes de beau gosse idéaliste au profit d’un profil plus médiatique, auquel sa femme est associée. Au soir de sa victoire, il est totalement désemparé et ne manifeste pas l’enthousiasme de son entourage ; son père ne lui a-t-il pas donné le coup de pied de l’âne en lui disant affectueusement « maintenant tu es un politicien », alors il prend à part Marvin Lucas pour lui demander avec anxiété : « et maintenant, on fait quoi ? ».

      24
      Dans les systèmes démocratiques, la campagne électorale exige des qualités qui ne préparent pas nécessairement à l’exercice du pouvoir : McKay l’apprendra sur le tas, tout comme Bill Clinton vingt ans plus tard. Et le métier d’homme politique demeure l’un des plus méprisés aux États-Unis en raison de cette atmosphère de combine, de manque de scrupules et de corruption.

      25
      Les deux autres films illustrent le refus final du héros d’accepter les contraintes et les méthodes inhérentes à la victoire démocratique.

      26
      Dans « Que le meilleur… », le noble et digne Henry Fonda, dans son rôle de candidat, est hésitant dès le début, bien qu’il méprise Cantwell et ses idées démagogiques. Au populisme hargneux et dogmatique de ce dernier s’oppose l’austère distinction de l’homme politique vertueux et profondément républicain ; le contraste est volontairement excessif pour mieux mettre en relief les ressorts des uns et des autres. Cantwell n’hésite pas à dénoncer la mollesse coupable de son adversaire, en dénichant son dossier portant sur une dépression nerveuse ancienne, le second refuse les ragots et les racontars sur la vie privée de son adversaire (suspicion d’homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale), qu’il considère n’avoir aucune importance par rapport à sa position politique. Le Président sortant exhorte Russell d’utiliser tous les moyens face à un adversaire sûr de lui et sans scrupules et lui reproche de n’être pas un réel homme politique, pas un véritable meneur d’hommes : « Si vous ne voulez pas lutter, la politique n’est pas pour vous » ; son conseiller le presse de jouer le jeu politique jusqu’au bout, sans laisser le champ libre à Cantwell. Mais Russell n’accepte pas les compromissions avec la morale, ni les marchandages avec ceux dont il ne partage pas les idées. Conscient des enjeux, il demande à ses partisans de voter pour un candidat discret afin d’empêcher Cantwell d’arriver à ses fins, mais quitte la politique définitivement. Gore Vidal n’est pas simpliste. Au passage, il condamne le dangereux Cantwell dont les traits font penser à McCarthy, mais souligne ses origines sociales humbles comme illustrant la démocratie américaine. En définitive, la condamnation de la politique telle qu’elle se fait, avec ses arguments au-dessous de la ceinture, est sans appel ; un homme raisonnable n’a aucune raison de perdre son honneur dans ces combats devenus sordides.

      27
      Dans Primary Colors, le héros n’est pas Jack Stanton – Bill Clinton –, mais le jeune Noir Henry Burton (Adrien Lester). Ce militant des droits civiques, attiré par le message social du candidat, rejoint sa campagne, rompant ainsi avec son amie qui l’avertit qu’il y perdra son âme. Il devient l’un des proches conseillers de Stanton, séduit par son fort tempérament politique, par sa capacité à charmer les auditoires et par ses discours engagés. Pourtant, au fil des primaires, Henry découvre les nombreuses aventures féminines du candidat, les crises hystériques de sa femme, mais également les « cadavres dans le placard » : un père africo-américain fait du chantage à Stanton qui aurait été fait un enfant à sa fille, et il déplore son recentrage quand le candidat adopte des thèmes plus modérés pour convaincre de nouveaux électeurs. Il ne peut empêcher d’autres membres de l’équipe de fouiller dans le passé des rivaux et s’indigne de la menace de révélation du SIDA du gouverneur Picker, par Stanton, pour obtenir son retrait de la course.

      28
      C’est pourquoi, alors que la victoire de Stanton est certaine, Henry quitte la campagne, révulsé par les moyens mis en œuvre et n’assiste qu’en spectateur aux cérémonies d’investiture du nouveau Président. Comme William Russell, Henry Burton estime que la politique menée sans scrupules ni guide moral est d’autant plus inacceptable qu’elle risque d’être contagieuse.

      29
      Or, Stanton a mené au niveau national une campagne semblable à celle de McKay, faite elle aussi de compromissions, de dérives conservatrices ; le second ne se retire pas plus que le premier, mais tous deux ont perdu, le long de la route, leurs principes et certains de leurs amis, qui ont refusé cette évolution. Russell, personnage plus fictionnel, a pu, lui, choisir la retraite…

      30
      À ces quatre films, consacrés au processus électoral, s’en ajoutent d’autres qui insistent sur la fragilité de la démocratie américaine menacée par ses honteuses pratiques politiciennes. Deux exemples des années 1930 confirment cette thèse. Gabriel Over The White House (1933) de Gregory La Cava
      [7] Ce film étonnant, que certains critiques des années…
      [7] met en scène, pendant la Grande Crise commencée en 1929, un homme politique véreux et inactif élu comme Président qui, soudain éveillé par l’archange Gabriel, devient soucieux du sort des chômeurs, partisan du désarmement et lutte avec énergie contre le banditisme, puis meurt sans se souvenir de rien : seul cet événement surnaturel permet de remettre le pays en marche, au prix de quelques accommodements avec la démocratie habituelle. Le système était trop corrompu pour changer par lui même.

      31
      M. Smith à Washington (1939) de Frank Capra est souvent considéré comme un hymne à la démocratie, puisque ce jeune homme naïf arrive comme sénateur à Washington, nommé par le gouverneur d’un État de l’Ouest pour occuper, jusqu’aux échéances électorales normales, le siège laissé vacant par le décès du titulaire. Or Jefferson Smith (James Stewart), après avoir fait avec émotion le tour des grands monuments de la ville, se prend au jeu et s’oppose aux malversations d’un riche entrepreneur de son État, habitué à se faire obéir des hommes politiques. Pourtant, les efforts héroïques du jeune homme échoueraient pitoyablement si l’un des comploteurs (l’autre sénateur de l’État) ne craquait et n’avouait publiquement toute son ignominie : la démocratie est sauvée par ce sursaut moral improbable…

      32
      Les films électoraux s’inscrivent sur cet arrière-plan et confirment la vision sombre de la démocratie américaine. Dominée par les partis et les hommes d’affaires, elle se serait tellement écartée des principes de vertu républicaine de ses pères fondateurs ; il s’avérerait préférable pour des hommes sensés et équilibrés – les femmes sont avant les années 1990 peu présentes dans la vie politique – de s’en éloigner car ils ne pourraient seuls en changer le fonctionnement. Les sénateurs Stoddard et McKay sont peut-être parvenus à conserver leur sens moral et à faire progresser leurs nobles idées, mais ce n’est pas plus certain que pour un Bill Clinton empêtré dans le Monicagate
      [8] En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton…
      [8] …

      33
      Ces films politiques, même sortis durant la Guerre froide, ne sont pas des œuvres de propagande ; ils reflètent leur temps avec ses contradictions et ses scandales, maintenant les hommes politiques dans une opprobre bien affirmée.

      34
      Ce qui est certain c’est qu’ils ne contribuent pas à l’inscription des citoyens sur les listes électorales ni à la baisse de l’abstention…

      Notes

      [1]
      Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis, Paris, La Documentation photographique n° 8028, 2002.

      [2]
      Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la campagne.

      [3]
      La langue américaine distingue dans les noms d’origine celtique, le Mac de MacArthur, du McCarthy ou du McKay, alors que le Français uniformise en Mac Kay, sans se soucier d’authenticité.

      [4]
      Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence à se généraliser.

      [5]
      Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide conservateur, il sera choisi par George H. Bush comme son colistier en 1988 et se révélera profondément inepte.

      [6]
      Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans le célèbre feuilleton Dallas.

      [7]
      Ce film étonnant, que certains critiques des années 1970 ont considéré comme fasciste, n’a jamais été diffusé en France, mais a connu un grand succès dans les salles au moment de sa sortie.

      [8]
      En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton n’est nullement négligeable, surtout si on le compare à celui de son successeur.

      Résumé

      Français

      Les sujets politiques n’ont pas été si fréquents dans la production hollywoodienne, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux. De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux sont analysés dans cet article : L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) Que le meilleur l’emporte (The Best Man), Votez Mac Kay en 1972 (The Candidate) et Primary Colors en 1998.
      Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi. La plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

      English

      Why is it that Hollywood studios rarely produce films that tackle overtly political issues ? Could it be that considerable reticence is shown towards any subject on which electors have expressed their views ; is it that the prestige surrounding the President is such that any whiff of scandal surrounding his emotional involvements makes film directors unwilling to tackle such subjects. Four of the films that have tackled US elections are discussed here : The man who Shot Liberty Valance (I962), The Best Man, The Candidate (1972), and Primary Colors (1998).
      These films depict in a relatively credible way the electoral process ; they are rooted in the context of the relevant elections. Most of them provide a sober, if not sombre, portrait of the political scene ; they centre on strong personalities, often the hero-figure of the film, who, at a given moment reduce their political activity or even pull out of politics.

      Plan de l’article
      Une manière de comprendre le système électoral
      Une vision sombre de la démocratie

      Pour citer cet article

      Portes Jacques, « Des élections dans le cinéma américain », Le Temps des médias 2/2006 (n° 7) , p. 78-86
      URL : http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-2-page-78.htm.
      DOI : 10.3917/tdm.007.0078.

      1
      Hollywood a abordé à peu près tous les sujets sociaux ou politiques, dans les limites étroites du code Hays entre 1930 et 1966, puis avec une relative retenue, passée la période de la sortie de la censure entre 1968 et 1970. Les sujets politiques n’ont pourtant pas été les plus fréquents, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux ; ce n’est que dans les années 1990 que sont apparus des films mettant en scène des hôtes de la Maison blanche meurtriers ou adultères, avec l’exception de quelques films patriotiques.
      [1] Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis,…
      [1]

      2
      Le processus électoral ne se prête pas nécessairement au traitement cinématographique dans une démocratie dans laquelle le vote est atomisé entre les citoyens et où le dépôt de bulletins dans l’urne n’a rien de spectaculaire. La nature du processus des élections américaines est toutefois assez pittoresque avec ses primaires rurales, ses longs parcours en train ou en bus, car l’avion est bien trop rapide, et ses conventions mouvementées avec banderoles, canotiers et feux d’artifice, bien que ces dernières aient perdu beaucoup de leur signification avec l’avènement de la télévision.

      3
      Les élections de mi-mandat de novembre 2006 sont importantes sur le plan politique pour ce qu’elles annoncent des perspectives pour la présidentielle suivante, mais il est peu probable qu’elles suscitent l’intérêt des cinéastes, dans la mesure où elles ne mettent pas en jeu de grandes personnalités. Toutefois, elles fournissent l’occasion de s’interroger sur la représentation des divers scrutins à l’écran.

      4
      De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux retiennent notre attention. John Ford, dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) dresse un tableau nostalgique de l’Ouest ancien et se penche sur le processus politique qui transforme un territoire en État. Deux ans plus tard, Franklin S. Schaffner réalise Que le meilleur l’emporte (The Best Man) sur un scénario de Gore Vidal, il s’agit d’une mise en perspective de la Convention de Los Angeles en 1960, Convention qui avait nommé John F. Kennedy. En 1972, Votez Mac Kay (The Candidate) de Michael Ritchie, fournit une réflexion sur le rôle des médias dans le système politique en Californie. En 1998, Mike Nichols met en scène le livre de Joe Klein, qui avait eu un effet de scandale puisque dans Primary Colors, il racontait comme dans un roman à clé, la tournée mouvementée des élections primaires de 1992 menée par Bill Clinton.

      5
      D’autres films ont abordé les élections, mais de façon secondaire, sans en faire le sujet du film ; ils présentent moins d’intérêt. Le film de Ford est certes dans ce cas, mais il aborde un aspect ancien des élections qui est représentée encore moins fréquemment que d’autres au cinéma.

      6
      Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi ; la plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

      Une manière de comprendre le système électoral

      7
      Les films choisis n’apprennent rien de vraiment neuf sur la politique américaine, ils puisent dans la littérature existante comme dans l’actualité pour développer leur histoire, mais ils en donnent une vision concrète et en rendent l’ambiance, qui n’apparaît pas toujours dans les livres. Ces quatre exemples sont complémentaires : ils vont du local au national, du début du xxe siècle jusqu’à sa dernière décennie, de la fiction au quasi-reportage. Ces films sont l’œuvre d’auteurs engagés et responsables et non pas de directeurs anonymes choisis par les studios. John Ford n’est plus un débutant et choisit ses sujets ; Gore Vidal est un écrivain politique de gauche, très ferru d’histoire de son pays : son influence est omniprésente dans le film de Schaffner ; Michael Ritchie et Robert Redford ont voulu faire ce film, selon leurs convictions progressistes ; enfin Joe Klein, auteur du scénario suivi par Nichols, est un journaliste politique, adversaire de Bill Clinton. Cela ne fait pas de ces films des brûlots politiques, mais ils ne cherchent pas le simple divertissement ; aborder le processus électoral n’est pas dû au hasard et correspond à de réelles préoccupations, c’est pourquoi le nombre de titres de ce genre est nécessairement réduit.

      8
      John Ford, en narrant en flash-back la carrière du sénateur Jason Stoddard (James Stewart) à Shinbone dans un État qui n’est pas précisé, dans l’Homme qui tua Liberty Valance (1962) donne son interprétation nostalgique de l’Ouest. Le succès de cet homme moyen – dont la carrière a dépendu d’un seul coup de feu – souligne le recul de la violence devant les progrès de la civilisation : chemins de fer, établissement des institutions démocratiques et relations assagies avec les femmes. Au cours de ce film, des habitants de la ville proposent de voter sur la proposition d’intégrer le territoire. Il s’agit d’élire une assemblée avec un représentant de chacun des comtés ; cette assemblée ou un référendum organisé par le gouverneur, pourra demander le statut d’État quand la population y atteindra 60000 personnes.

      9
      L’histoire montre bien l’amour de Ford pour ses personnages. Stoddard, grand naïf, représente l’idéalisme de la loi ; Peabody incarne avec chaleur le rôle essentiel que le cinéaste accorde à la presse – il est certes ivrogne, toujours assoiffé, mais courageux quand il s’agit de défendre la liberté de la presse, face à la destruction de son atelier, Doniphon (John Wayne) est le cow-boy qui n’a pas hésité à utiliser son colt pour faire respecter la loi, mais dont le rôle s’achève ; Liberty Valance (formidable Lee Marvin) est l’archétype du bandit de l’Ouest, éructant, violent, surarmé, ne respectant rien ni personne. Enfin, Hallie (Vera Miles) est une femme effacée mais tenace, d’avant le féminisme actif, prise entre deux hommes, entre deux mondes.

      10
      À Shinbone, le groupe des partisans de l’évolution démocratique est mené par Dutton Peabody, le pittoresque patron du journal local, The Shinbone Star. Il propose comme délégué Jason Stoddard, qui va commencer là son ascension politique, puisqu’il deviendra représentant de son État, puis sénateur, avec une perspective de carrière nationale. Deux longues séquences sont consacrées au premier vote local, puis au second territorial.

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      La façon dont se déroule le premier scrutin est à la fois véridique et caricaturale, avec ces personnages emblématiques. Le saloon, où la vente d’alcool est interdite pendant le scrutin, était souvent la seule salle publique qui pouvait accueillir les apprentis électeurs. Selon la procédure, le candidat est présenté par un notable qui propose son nom au suffrage de ses concitoyens – ici Stoddard est présenté par Peabody et ce dernier par Doniphon – qui se prononcent à mains levées ; le passage à la régularité démocratique est souligné par l’impuissance de Valance à se faire admettre comme candidat. Bien entendu, dans la vie réelle, les enjeux étaient rarement aussi simples et beaucoup plus concrets, mais ce type de scrutin dans les petites villes de l’Ouest, au premier niveau de la pyramide politique, était assez proche de celui que Ford décrit. Le même mélange d’authenticité et de caricature apparaît à l’étape de la grande ville, où se décide la transformation en État, avec insistance sur le conflit entre éleveurs sans scrupule et fermiers paisibles ; la plupart des hommes de main étaient payés par les premiers et agissaient rarement pour leur propre compte. Valance est là encore le symbole d’un monde révolu, du bandit sans maître ni loi.

      12
      Dans ce splendide film, ces événements typiques de l’Ouest sont magnifiés et illustrés par les personnages, sans réelle profondeur psychologique, mais porteurs de puissantes valeurs que rappelle Peabody : « Ici c’est l’Ouest, Monsieur. Une fois que le mythe est reconnu pour être la réalité, nous imprimons ce mythe. »

      13
      Gore Vidal est beaucoup plus cynique que Ford et dans l’histoire de Best Man, il ne manifeste aucune nostalgie avec sa reconstitution d’une Convention à l’ancienne, où les tractations entre hommes politiques se déroulaient dans les chambres d’hôtel et par téléphone. Dans son film, il s’agit de choisir le successeur d’un Président populaire mais mourant. Le candidat doit être présenté aux suffrages des délégués du Parti réunis à l’occasion d’une Convention décisive, située à Los Angeles en 1964 : Henry Fonda est William Russell, secrétaire d’État et probable héritier, mais il est contesté par Joe Cantwell, un jeune candidat populiste au sourire ravageur et aux arguments simplistes, qui n’inspire pas plus de confiance qu’un vendeur d’autos d’occasion
      [2] Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la…
      [2] . Les arguments volent bas et le Président sortant semble ambivalent, alors que Russell refuse d’utiliser contre son rival des rumeurs d’homosexualité et préfère se retirer de la course laissant un troisième homme l’emporter finalement. Le roman de Gore Vidal avait été monté sur la scène à Broadway ; à l’écran, il reste parsemé de bons mots – phrases empruntées à Kennedy et à Nixon – et de références historiques, il oppose le populiste à l’intellectuel comme cela s’est passé en 1960, mais en brouillant les cartes sur les origines sociales. Les femmes des candidats sont composées des différents modèles existants et sont crédibles : poupée blonde pour Cantwell, forte personnalité de celle de Russell maintenant un mariage de convenance sociale (à l’exemple d’une Eleanor Roosevelt et préfigurant Hillary Clinton).

      14
      Telle qu’elle se déroule, cette histoire est finalement réaliste, sans calquer aucune des Conventions qui se sont alors déroulées. En 1960 à Los Angeles, Lyndon Johnson a tenté de détruire la candidature de Kennedy en dévoilant la maladie d’Addison dont il était atteint ; il n’a pas été écouté, mais a finalement obtenu la vice-présidence après des tractations haletantes et secrètes qui se sont déroulées entre sa chambre d’hôtel et celles des frères Kennedy. À de nombreux points de vue, le film de Schaffner est presqu’un reportage sur les mœurs politiques américaines.

      15
      En même temps, ce film décrit une situation qui n’existe plus ; à partir de 1972, les candidats à la présidence réunissent les délégués qu’ils ont gagnés lors des élections primaires qui se sont multipliées et la Convention du parti ne fait qu’entériner une situation déjà acquise ; il ne peut plus dès lors se passer de coup de théâtre, la Convention a beaucoup perdu de son importance. Ces réformes n’ont pas fait disparaître les coups bas ni les révélations sur la vie privée des candidats, ceux-ci sont désormais relayés par la presse et n’agitent plus les couloirs feutrés des palaces.

      16
      Votez Mac Kay (The Candidate) manifeste également une forme de cynisme. Robert Redford incarne Bill McKay
      [3] La langue américaine distingue dans les noms d’origine…
      [3] le fils d’un ancien gouverneur – homme politique classique joué avec brio par Melwyn Douglas -, militant écologiste au niveau local dans le comté de San Diego, que Marvin Lucas (Peter Boyle), un conseiller en communication, convainc de mener campagne afin de devenir sénateur de Californie à Washington ; il devra affronter, s’il gagne les primaires démocrates, le républicain Crocker Jarmon (Don Porter), qui est élu depuis dix-huit à la haute Assemblée. Le film suit la formation du candidat, ses experts, ses débuts hésitants sur le terrain, puis la naissance d’un mouvement de sympathisants, ce qui lui permet de surclasser ses concurrents démocrates, avant la lutte au finish avec Jarmon. Bill s’est lancé dans l’aventure en voulant garder sa sincérité et ses valeurs, mais se rend compte qu’il lui faut les présenter de façon moins abrupte pour convaincre les hésitants et que face à lui se trouve un professionnel aguerri et efficace : peu à peu, le militant sûr de lui, toujours épaulé par son épouse, se mue en politicien – évolution que son père salue – plus soucieux de son apparence que de son programme. Finalement, Bill McKay est élu, mais sans bien comprendre dans quel but.

      17
      Ce film, dirigé avec rythme et alacrité, donne une bonne vision de la lutte politique locale au début des années 1970. Les thèmes forgés durant la contestation des années précédentes ne parviennent pas toujours à renouveler les partis, dont les efforts de démocratisation ne porteront fruit que quelques années plus tard. Dans cette période de transition, les élections sont déjà devenues le terrain de jeu des concepteurs médiatiques, qui privilégient l’apparence à la substance. Dans le même temps, les préoccupations écologiques ont eu des suites, puisque le Congrès en 1971 vote une loi sur la pureté de l’air ( « clean air act »)
      [4] Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence…
      [4] en dépit de la présence du républicain Richard Nixon à la Maison blanche. La crédibilité du film est telle, que c’est après l’avoir vu que le futur vice-président Dan Quayle est entré en politique
      [5] Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide…
      [5] .

      18
      Avec Primary Colors et contrairement aux films précédents, la distance avec la réalité est presque invisible. Le gouverneur Jack Stanton (John Travolta, qui a su saisir à merveille les tics de son modèle Bill Clinton) se lance dans les élections primaires et surmonte les différentes épreuves qu’il y rencontre : mensonge sur son passé militaire, ambiguïté à propos de son usage de marijuana, infidélités conjugales etc. Il est soutenu contre vents et marées par son épouse Susan (Emma Thompson a bien observé Hillary) et par une brillante équipe de conseillers, parmi lesquels le jeune militant noir Henry Burton (Adrien Lester), qui tente de garder la tête froide dans cette cavalcade à travers le Sud des États-Unis, où se déroulent de nombreuses primaires. Il préférera quitter la campagne peu de temps avant les élections, après avoir réalisé que ce gouverneur en qui il avait cru n’était qu’un politicien prêt à tout pour être élu.

      19
      Le film suit le roman de Joe Klein, dont les critiques s’étaient amusés à décoder les messages et à identifier les différents personnages ; si le couple Stanton est facilement reconnaissable, comme beaucoup de ses conseillers, il n’en va pas de même pour d’autres, probablement inventés par l’auteur, comme le gouverneur Picker de Floride, joué par Larry Hagman
      [6] Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans…
      [6] . Plus largement, le film de Mike Nichols fournit un réel reportage sur le détail des élections primaires présidentielles, qui ont pris une importance de plus en plus grande dans le processus électoral, même quand elles n’attirent que fort peu d’électeurs ; elles ont en tout cas permis l’émergence de personnalités comme Jimmy Carter ou Bill Clinton, dépourvues de reconnaissance nationale avant de se lancer dans cette étonnante course d’obstacles. De plus, John Travolta incarne très bien son modèle, dont il souligne le génie politicien, avec sa chaleur humaine, son besoin de compagnie et ses convictions fluctuantes suivant les circonstances et les publics.

      Une vision sombre de la démocratie

      20
      Ces quatre films ne parlent pas de l’exercice du pouvoir, mais essentiellement de l’ascension pour y accéder, mais celle-ci n’est pas un chemin bordé de roses et elle donne une curieuse image de la démocratie américaine. Ces histoires très différentes les unes des autres arrivent à des résultats semblables : la carrière politique suppose tellement de compromis et de concessions qu’elle n’est vraiment pas souhaitable, sinon franchement détestable.

      21
      John Ford et Michael Ritchie restent ambivalents. Jason Stoddard a bâti une carrière honorable sur un mensonge et a choisi sans état d’âme le modernisme, mais cela ne satisfait pas vraiment son épouse Hallie, ni le réalisateur qui montre son attachement pour cette période intermédiaire pendant laquelle Tom Doniphon incarnait le règne ferme et juste de la loi de l’Ouest. John Wayne n’a pas été choisi pour rien pour tenir ce rôle de justicier, servi par un Noir devenu son compagnon, quant à Hallie justement, elle fait le pèlerinage dans la maison de Doniphon, avec lequel elle aurait pu mener également une vie heureuse proche de la nature, sans les honneurs formels de Washington.

      22
      John Ford ne méprise pas pour autant la démocratie telle qu’elle s’installe dans le territoire, d’autant qu’elle est renforcée par la presse qui lui semble indissociable à celle-ci, mais la vie politique n’ignore-t-elle pas les profondes valeurs humanistes si bien représentées par certains de ses personnages, qui ne soucient pas nécessairement des élections ? Jason Stoddard est un héros par défaut, comme le prouve son humiliation dans la première partie du film, dans un système politique nécessaire sans être enthousiasmant.

      23
      L’épopée de Bill McKay pose le problème de l’écart entre les principes politiques et leur mise en pratique. Quand il décide de se lancer dans la campagne, un de ses amis militants lui dit « la politique c’est de la merde » et il ne parviendra pas à le faire changer d’avis ; il a demandé à son responsable des médias de pouvoir dire ce qu’il pense sans restriction, mais il doit modérer son message pour élargir son électorat : il ne peut plus simplement affirmer, comme il le pense, être en faveur de l’avortement ou ne devoir rien à son père. Ses conseillers sont effondrés et ses amis exultent quand, à la fin d’un des débats avec Jarmon, il se lance dans un discours de gauche conforme à ses prises de position antérieures. Sans que cet épisode lui nuise mais au vu des sondages, Bill doit appeler son père pour dynamiser sa campagne et quitter ses certitudes de beau gosse idéaliste au profit d’un profil plus médiatique, auquel sa femme est associée. Au soir de sa victoire, il est totalement désemparé et ne manifeste pas l’enthousiasme de son entourage ; son père ne lui a-t-il pas donné le coup de pied de l’âne en lui disant affectueusement « maintenant tu es un politicien », alors il prend à part Marvin Lucas pour lui demander avec anxiété : « et maintenant, on fait quoi ? ».

      24
      Dans les systèmes démocratiques, la campagne électorale exige des qualités qui ne préparent pas nécessairement à l’exercice du pouvoir : McKay l’apprendra sur le tas, tout comme Bill Clinton vingt ans plus tard. Et le métier d’homme politique demeure l’un des plus méprisés aux États-Unis en raison de cette atmosphère de combine, de manque de scrupules et de corruption.

      25
      Les deux autres films illustrent le refus final du héros d’accepter les contraintes et les méthodes inhérentes à la victoire démocratique.

      26
      Dans « Que le meilleur… », le noble et digne Henry Fonda, dans son rôle de candidat, est hésitant dès le début, bien qu’il méprise Cantwell et ses idées démagogiques. Au populisme hargneux et dogmatique de ce dernier s’oppose l’austère distinction de l’homme politique vertueux et profondément républicain ; le contraste est volontairement excessif pour mieux mettre en relief les ressorts des uns et des autres. Cantwell n’hésite pas à dénoncer la mollesse coupable de son adversaire, en dénichant son dossier portant sur une dépression nerveuse ancienne, le second refuse les ragots et les racontars sur la vie privée de son adversaire (suspicion d’homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale), qu’il considère n’avoir aucune importance par rapport à sa position politique. Le Président sortant exhorte Russell d’utiliser tous les moyens face à un adversaire sûr de lui et sans scrupules et lui reproche de n’être pas un réel homme politique, pas un véritable meneur d’hommes : « Si vous ne voulez pas lutter, la politique n’est pas pour vous » ; son conseiller le presse de jouer le jeu politique jusqu’au bout, sans laisser le champ libre à Cantwell. Mais Russell n’accepte pas les compromissions avec la morale, ni les marchandages avec ceux dont il ne partage pas les idées. Conscient des enjeux, il demande à ses partisans de voter pour un candidat discret afin d’empêcher Cantwell d’arriver à ses fins, mais quitte la politique définitivement. Gore Vidal n’est pas simpliste. Au passage, il condamne le dangereux Cantwell dont les traits font penser à McCarthy, mais souligne ses origines sociales humbles comme illustrant la démocratie américaine. En définitive, la condamnation de la politique telle qu’elle se fait, avec ses arguments au-dessous de la ceinture, est sans appel ; un homme raisonnable n’a aucune raison de perdre son honneur dans ces combats devenus sordides.

      27
      Dans Primary Colors, le héros n’est pas Jack Stanton – Bill Clinton –, mais le jeune Noir Henry Burton (Adrien Lester). Ce militant des droits civiques, attiré par le message social du candidat, rejoint sa campagne, rompant ainsi avec son amie qui l’avertit qu’il y perdra son âme. Il devient l’un des proches conseillers de Stanton, séduit par son fort tempérament politique, par sa capacité à charmer les auditoires et par ses discours engagés. Pourtant, au fil des primaires, Henry découvre les nombreuses aventures féminines du candidat, les crises hystériques de sa femme, mais également les « cadavres dans le placard » : un père africo-américain fait du chantage à Stanton qui aurait été fait un enfant à sa fille, et il déplore son recentrage quand le candidat adopte des thèmes plus modérés pour convaincre de nouveaux électeurs. Il ne peut empêcher d’autres membres de l’équipe de fouiller dans le passé des rivaux et s’indigne de la menace de révélation du SIDA du gouverneur Picker, par Stanton, pour obtenir son retrait de la course.

      28
      C’est pourquoi, alors que la victoire de Stanton est certaine, Henry quitte la campagne, révulsé par les moyens mis en œuvre et n’assiste qu’en spectateur aux cérémonies d’investiture du nouveau Président. Comme William Russell, Henry Burton estime que la politique menée sans scrupules ni guide moral est d’autant plus inacceptable qu’elle risque d’être contagieuse.

      29
      Or, Stanton a mené au niveau national une campagne semblable à celle de McKay, faite elle aussi de compromissions, de dérives conservatrices ; le second ne se retire pas plus que le premier, mais tous deux ont perdu, le long de la route, leurs principes et certains de leurs amis, qui ont refusé cette évolution. Russell, personnage plus fictionnel, a pu, lui, choisir la retraite…

      30
      À ces quatre films, consacrés au processus électoral, s’en ajoutent d’autres qui insistent sur la fragilité de la démocratie américaine menacée par ses honteuses pratiques politiciennes. Deux exemples des années 1930 confirment cette thèse. Gabriel Over The White House (1933) de Gregory La Cava
      [7] Ce film étonnant, que certains critiques des années…
      [7] met en scène, pendant la Grande Crise commencée en 1929, un homme politique véreux et inactif élu comme Président qui, soudain éveillé par l’archange Gabriel, devient soucieux du sort des chômeurs, partisan du désarmement et lutte avec énergie contre le banditisme, puis meurt sans se souvenir de rien : seul cet événement surnaturel permet de remettre le pays en marche, au prix de quelques accommodements avec la démocratie habituelle. Le système était trop corrompu pour changer par lui même.

      31
      M. Smith à Washington (1939) de Frank Capra est souvent considéré comme un hymne à la démocratie, puisque ce jeune homme naïf arrive comme sénateur à Washington, nommé par le gouverneur d’un État de l’Ouest pour occuper, jusqu’aux échéances électorales normales, le siège laissé vacant par le décès du titulaire. Or Jefferson Smith (James Stewart), après avoir fait avec émotion le tour des grands monuments de la ville, se prend au jeu et s’oppose aux malversations d’un riche entrepreneur de son État, habitué à se faire obéir des hommes politiques. Pourtant, les efforts héroïques du jeune homme échoueraient pitoyablement si l’un des comploteurs (l’autre sénateur de l’État) ne craquait et n’avouait publiquement toute son ignominie : la démocratie est sauvée par ce sursaut moral improbable…

      32
      Les films électoraux s’inscrivent sur cet arrière-plan et confirment la vision sombre de la démocratie américaine. Dominée par les partis et les hommes d’affaires, elle se serait tellement écartée des principes de vertu républicaine de ses pères fondateurs ; il s’avérerait préférable pour des hommes sensés et équilibrés – les femmes sont avant les années 1990 peu présentes dans la vie politique – de s’en éloigner car ils ne pourraient seuls en changer le fonctionnement. Les sénateurs Stoddard et McKay sont peut-être parvenus à conserver leur sens moral et à faire progresser leurs nobles idées, mais ce n’est pas plus certain que pour un Bill Clinton empêtré dans le Monicagate
      [8] En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton…
      [8] …

      33
      Ces films politiques, même sortis durant la Guerre froide, ne sont pas des œuvres de propagande ; ils reflètent leur temps avec ses contradictions et ses scandales, maintenant les hommes politiques dans une opprobre bien affirmée.

      34
      Ce qui est certain c’est qu’ils ne contribuent pas à l’inscription des citoyens sur les listes électorales ni à la baisse de l’abstention…

      Notes

      [1]
      Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis, Paris, La Documentation photographique n° 8028, 2002.

      [2]
      Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la campagne.

      [3]
      La langue américaine distingue dans les noms d’origine celtique, le Mac de MacArthur, du McCarthy ou du McKay, alors que le Français uniformise en Mac Kay, sans se soucier d’authenticité.

      [4]
      Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence à se généraliser.

      [5]
      Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide conservateur, il sera choisi par George H. Bush comme son colistier en 1988 et se révélera profondément inepte.

      [6]
      Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans le célèbre feuilleton Dallas.

      [7]
      Ce film étonnant, que certains critiques des années 1970 ont considéré comme fasciste, n’a jamais été diffusé en France, mais a connu un grand succès dans les salles au moment de sa sortie.

      [8]
      En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton n’est nullement négligeable, surtout si on le compare à celui de son successeur.

      Résumé

      Français

      Les sujets politiques n’ont pas été si fréquents dans la production hollywoodienne, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux. De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux sont analysés dans cet article : L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) Que le meilleur l’emporte (The Best Man), Votez Mac Kay en 1972 (The Candidate) et Primary Colors en 1998.
      Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi. La plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

      English

      Why is it that Hollywood studios rarely produce films that tackle overtly political issues ? Could it be that considerable reticence is shown towards any subject on which electors have expressed their views ; is it that the prestige surrounding the President is such that any whiff of scandal surrounding his emotional involvements makes film directors unwilling to tackle such subjects. Four of the films that have tackled US elections are discussed here : The man who Shot Liberty Valance (I962), The Best Man, The Candidate (1972), and Primary Colors (1998).
      These films depict in a relatively credible way the electoral process ; they are rooted in the context of the relevant elections. Most of them provide a sober, if not sombre, portrait of the political scene ; they centre on strong personalities, often the hero-figure of the film, who, at a given moment reduce their political activity or even pull out of politics.

      Plan de l’article
      Une manière de comprendre le système électoral
      Une vision sombre de la démocratie

      Pour citer cet article

      Portes Jacques, « Des élections dans le cinéma américain », Le Temps des médias 2/2006 (n° 7) , p. 78-86
      URL : http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-2-page-78.htm.
      DOI : 10.3917/tdm.007.0078.

  2. helo

    un article sur les films américains dans lesquels on représente des élections ( à chercher sur le site « cairn », site qui permet l’accès à des articles de revues spécialisées parfois gratuitement…hélas je ne sais pas créer le lien!!!, j’ai donc copié l’article)

    Le Temps des médias 2006/2

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    Des élections dans le cinéma américain

    parJacques Portes

    Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris VIII.

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    Sur un sujet proche

    Le Temps des médias

    2006/2 (n° 7)
    Pages : 192
    ISBN : 9782847361810
    DOI : 10.3917/tdm.007.0078
    Éditeur : Nouveau Monde éditions
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    Le Temps des médias

    2006/2 (n° 7)
    Pages : 192
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    1
    Hollywood a abordé à peu près tous les sujets sociaux ou politiques, dans les limites étroites du code Hays entre 1930 et 1966, puis avec une relative retenue, passée la période de la sortie de la censure entre 1968 et 1970. Les sujets politiques n’ont pourtant pas été les plus fréquents, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux ; ce n’est que dans les années 1990 que sont apparus des films mettant en scène des hôtes de la Maison blanche meurtriers ou adultères, avec l’exception de quelques films patriotiques.
    [1] Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis,…
    [1]

    2
    Le processus électoral ne se prête pas nécessairement au traitement cinématographique dans une démocratie dans laquelle le vote est atomisé entre les citoyens et où le dépôt de bulletins dans l’urne n’a rien de spectaculaire. La nature du processus des élections américaines est toutefois assez pittoresque avec ses primaires rurales, ses longs parcours en train ou en bus, car l’avion est bien trop rapide, et ses conventions mouvementées avec banderoles, canotiers et feux d’artifice, bien que ces dernières aient perdu beaucoup de leur signification avec l’avènement de la télévision.

    3
    Les élections de mi-mandat de novembre 2006 sont importantes sur le plan politique pour ce qu’elles annoncent des perspectives pour la présidentielle suivante, mais il est peu probable qu’elles suscitent l’intérêt des cinéastes, dans la mesure où elles ne mettent pas en jeu de grandes personnalités. Toutefois, elles fournissent l’occasion de s’interroger sur la représentation des divers scrutins à l’écran.

    4
    De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux retiennent notre attention. John Ford, dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) dresse un tableau nostalgique de l’Ouest ancien et se penche sur le processus politique qui transforme un territoire en État. Deux ans plus tard, Franklin S. Schaffner réalise Que le meilleur l’emporte (The Best Man) sur un scénario de Gore Vidal, il s’agit d’une mise en perspective de la Convention de Los Angeles en 1960, Convention qui avait nommé John F. Kennedy. En 1972, Votez Mac Kay (The Candidate) de Michael Ritchie, fournit une réflexion sur le rôle des médias dans le système politique en Californie. En 1998, Mike Nichols met en scène le livre de Joe Klein, qui avait eu un effet de scandale puisque dans Primary Colors, il racontait comme dans un roman à clé, la tournée mouvementée des élections primaires de 1992 menée par Bill Clinton.

    5
    D’autres films ont abordé les élections, mais de façon secondaire, sans en faire le sujet du film ; ils présentent moins d’intérêt. Le film de Ford est certes dans ce cas, mais il aborde un aspect ancien des élections qui est représentée encore moins fréquemment que d’autres au cinéma.

    6
    Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi ; la plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

    Une manière de comprendre le système électoral

    7
    Les films choisis n’apprennent rien de vraiment neuf sur la politique américaine, ils puisent dans la littérature existante comme dans l’actualité pour développer leur histoire, mais ils en donnent une vision concrète et en rendent l’ambiance, qui n’apparaît pas toujours dans les livres. Ces quatre exemples sont complémentaires : ils vont du local au national, du début du xxe siècle jusqu’à sa dernière décennie, de la fiction au quasi-reportage. Ces films sont l’œuvre d’auteurs engagés et responsables et non pas de directeurs anonymes choisis par les studios. John Ford n’est plus un débutant et choisit ses sujets ; Gore Vidal est un écrivain politique de gauche, très ferru d’histoire de son pays : son influence est omniprésente dans le film de Schaffner ; Michael Ritchie et Robert Redford ont voulu faire ce film, selon leurs convictions progressistes ; enfin Joe Klein, auteur du scénario suivi par Nichols, est un journaliste politique, adversaire de Bill Clinton. Cela ne fait pas de ces films des brûlots politiques, mais ils ne cherchent pas le simple divertissement ; aborder le processus électoral n’est pas dû au hasard et correspond à de réelles préoccupations, c’est pourquoi le nombre de titres de ce genre est nécessairement réduit.

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    John Ford, en narrant en flash-back la carrière du sénateur Jason Stoddard (James Stewart) à Shinbone dans un État qui n’est pas précisé, dans l’Homme qui tua Liberty Valance (1962) donne son interprétation nostalgique de l’Ouest. Le succès de cet homme moyen – dont la carrière a dépendu d’un seul coup de feu – souligne le recul de la violence devant les progrès de la civilisation : chemins de fer, établissement des institutions démocratiques et relations assagies avec les femmes. Au cours de ce film, des habitants de la ville proposent de voter sur la proposition d’intégrer le territoire. Il s’agit d’élire une assemblée avec un représentant de chacun des comtés ; cette assemblée ou un référendum organisé par le gouverneur, pourra demander le statut d’État quand la population y atteindra 60000 personnes.

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    L’histoire montre bien l’amour de Ford pour ses personnages. Stoddard, grand naïf, représente l’idéalisme de la loi ; Peabody incarne avec chaleur le rôle essentiel que le cinéaste accorde à la presse – il est certes ivrogne, toujours assoiffé, mais courageux quand il s’agit de défendre la liberté de la presse, face à la destruction de son atelier, Doniphon (John Wayne) est le cow-boy qui n’a pas hésité à utiliser son colt pour faire respecter la loi, mais dont le rôle s’achève ; Liberty Valance (formidable Lee Marvin) est l’archétype du bandit de l’Ouest, éructant, violent, surarmé, ne respectant rien ni personne. Enfin, Hallie (Vera Miles) est une femme effacée mais tenace, d’avant le féminisme actif, prise entre deux hommes, entre deux mondes.

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    À Shinbone, le groupe des partisans de l’évolution démocratique est mené par Dutton Peabody, le pittoresque patron du journal local, The Shinbone Star. Il propose comme délégué Jason Stoddard, qui va commencer là son ascension politique, puisqu’il deviendra représentant de son État, puis sénateur, avec une perspective de carrière nationale. Deux longues séquences sont consacrées au premier vote local, puis au second territorial.

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    La façon dont se déroule le premier scrutin est à la fois véridique et caricaturale, avec ces personnages emblématiques. Le saloon, où la vente d’alcool est interdite pendant le scrutin, était souvent la seule salle publique qui pouvait accueillir les apprentis électeurs. Selon la procédure, le candidat est présenté par un notable qui propose son nom au suffrage de ses concitoyens – ici Stoddard est présenté par Peabody et ce dernier par Doniphon – qui se prononcent à mains levées ; le passage à la régularité démocratique est souligné par l’impuissance de Valance à se faire admettre comme candidat. Bien entendu, dans la vie réelle, les enjeux étaient rarement aussi simples et beaucoup plus concrets, mais ce type de scrutin dans les petites villes de l’Ouest, au premier niveau de la pyramide politique, était assez proche de celui que Ford décrit. Le même mélange d’authenticité et de caricature apparaît à l’étape de la grande ville, où se décide la transformation en État, avec insistance sur le conflit entre éleveurs sans scrupule et fermiers paisibles ; la plupart des hommes de main étaient payés par les premiers et agissaient rarement pour leur propre compte. Valance est là encore le symbole d’un monde révolu, du bandit sans maître ni loi.

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    Dans ce splendide film, ces événements typiques de l’Ouest sont magnifiés et illustrés par les personnages, sans réelle profondeur psychologique, mais porteurs de puissantes valeurs que rappelle Peabody : « Ici c’est l’Ouest, Monsieur. Une fois que le mythe est reconnu pour être la réalité, nous imprimons ce mythe. »

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    Gore Vidal est beaucoup plus cynique que Ford et dans l’histoire de Best Man, il ne manifeste aucune nostalgie avec sa reconstitution d’une Convention à l’ancienne, où les tractations entre hommes politiques se déroulaient dans les chambres d’hôtel et par téléphone. Dans son film, il s’agit de choisir le successeur d’un Président populaire mais mourant. Le candidat doit être présenté aux suffrages des délégués du Parti réunis à l’occasion d’une Convention décisive, située à Los Angeles en 1964 : Henry Fonda est William Russell, secrétaire d’État et probable héritier, mais il est contesté par Joe Cantwell, un jeune candidat populiste au sourire ravageur et aux arguments simplistes, qui n’inspire pas plus de confiance qu’un vendeur d’autos d’occasion
    [2] Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la…
    [2] . Les arguments volent bas et le Président sortant semble ambivalent, alors que Russell refuse d’utiliser contre son rival des rumeurs d’homosexualité et préfère se retirer de la course laissant un troisième homme l’emporter finalement. Le roman de Gore Vidal avait été monté sur la scène à Broadway ; à l’écran, il reste parsemé de bons mots – phrases empruntées à Kennedy et à Nixon – et de références historiques, il oppose le populiste à l’intellectuel comme cela s’est passé en 1960, mais en brouillant les cartes sur les origines sociales. Les femmes des candidats sont composées des différents modèles existants et sont crédibles : poupée blonde pour Cantwell, forte personnalité de celle de Russell maintenant un mariage de convenance sociale (à l’exemple d’une Eleanor Roosevelt et préfigurant Hillary Clinton).

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    Telle qu’elle se déroule, cette histoire est finalement réaliste, sans calquer aucune des Conventions qui se sont alors déroulées. En 1960 à Los Angeles, Lyndon Johnson a tenté de détruire la candidature de Kennedy en dévoilant la maladie d’Addison dont il était atteint ; il n’a pas été écouté, mais a finalement obtenu la vice-présidence après des tractations haletantes et secrètes qui se sont déroulées entre sa chambre d’hôtel et celles des frères Kennedy. À de nombreux points de vue, le film de Schaffner est presqu’un reportage sur les mœurs politiques américaines.

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    En même temps, ce film décrit une situation qui n’existe plus ; à partir de 1972, les candidats à la présidence réunissent les délégués qu’ils ont gagnés lors des élections primaires qui se sont multipliées et la Convention du parti ne fait qu’entériner une situation déjà acquise ; il ne peut plus dès lors se passer de coup de théâtre, la Convention a beaucoup perdu de son importance. Ces réformes n’ont pas fait disparaître les coups bas ni les révélations sur la vie privée des candidats, ceux-ci sont désormais relayés par la presse et n’agitent plus les couloirs feutrés des palaces.

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    Votez Mac Kay (The Candidate) manifeste également une forme de cynisme. Robert Redford incarne Bill McKay
    [3] La langue américaine distingue dans les noms d’origine…
    [3] le fils d’un ancien gouverneur – homme politique classique joué avec brio par Melwyn Douglas -, militant écologiste au niveau local dans le comté de San Diego, que Marvin Lucas (Peter Boyle), un conseiller en communication, convainc de mener campagne afin de devenir sénateur de Californie à Washington ; il devra affronter, s’il gagne les primaires démocrates, le républicain Crocker Jarmon (Don Porter), qui est élu depuis dix-huit à la haute Assemblée. Le film suit la formation du candidat, ses experts, ses débuts hésitants sur le terrain, puis la naissance d’un mouvement de sympathisants, ce qui lui permet de surclasser ses concurrents démocrates, avant la lutte au finish avec Jarmon. Bill s’est lancé dans l’aventure en voulant garder sa sincérité et ses valeurs, mais se rend compte qu’il lui faut les présenter de façon moins abrupte pour convaincre les hésitants et que face à lui se trouve un professionnel aguerri et efficace : peu à peu, le militant sûr de lui, toujours épaulé par son épouse, se mue en politicien – évolution que son père salue – plus soucieux de son apparence que de son programme. Finalement, Bill McKay est élu, mais sans bien comprendre dans quel but.

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    Ce film, dirigé avec rythme et alacrité, donne une bonne vision de la lutte politique locale au début des années 1970. Les thèmes forgés durant la contestation des années précédentes ne parviennent pas toujours à renouveler les partis, dont les efforts de démocratisation ne porteront fruit que quelques années plus tard. Dans cette période de transition, les élections sont déjà devenues le terrain de jeu des concepteurs médiatiques, qui privilégient l’apparence à la substance. Dans le même temps, les préoccupations écologiques ont eu des suites, puisque le Congrès en 1971 vote une loi sur la pureté de l’air ( « clean air act »)
    [4] Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence…
    [4] en dépit de la présence du républicain Richard Nixon à la Maison blanche. La crédibilité du film est telle, que c’est après l’avoir vu que le futur vice-président Dan Quayle est entré en politique
    [5] Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide…
    [5] .

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    Avec Primary Colors et contrairement aux films précédents, la distance avec la réalité est presque invisible. Le gouverneur Jack Stanton (John Travolta, qui a su saisir à merveille les tics de son modèle Bill Clinton) se lance dans les élections primaires et surmonte les différentes épreuves qu’il y rencontre : mensonge sur son passé militaire, ambiguïté à propos de son usage de marijuana, infidélités conjugales etc. Il est soutenu contre vents et marées par son épouse Susan (Emma Thompson a bien observé Hillary) et par une brillante équipe de conseillers, parmi lesquels le jeune militant noir Henry Burton (Adrien Lester), qui tente de garder la tête froide dans cette cavalcade à travers le Sud des États-Unis, où se déroulent de nombreuses primaires. Il préférera quitter la campagne peu de temps avant les élections, après avoir réalisé que ce gouverneur en qui il avait cru n’était qu’un politicien prêt à tout pour être élu.

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    Le film suit le roman de Joe Klein, dont les critiques s’étaient amusés à décoder les messages et à identifier les différents personnages ; si le couple Stanton est facilement reconnaissable, comme beaucoup de ses conseillers, il n’en va pas de même pour d’autres, probablement inventés par l’auteur, comme le gouverneur Picker de Floride, joué par Larry Hagman
    [6] Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans…
    [6] . Plus largement, le film de Mike Nichols fournit un réel reportage sur le détail des élections primaires présidentielles, qui ont pris une importance de plus en plus grande dans le processus électoral, même quand elles n’attirent que fort peu d’électeurs ; elles ont en tout cas permis l’émergence de personnalités comme Jimmy Carter ou Bill Clinton, dépourvues de reconnaissance nationale avant de se lancer dans cette étonnante course d’obstacles. De plus, John Travolta incarne très bien son modèle, dont il souligne le génie politicien, avec sa chaleur humaine, son besoin de compagnie et ses convictions fluctuantes suivant les circonstances et les publics.

    Une vision sombre de la démocratie

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    Ces quatre films ne parlent pas de l’exercice du pouvoir, mais essentiellement de l’ascension pour y accéder, mais celle-ci n’est pas un chemin bordé de roses et elle donne une curieuse image de la démocratie américaine. Ces histoires très différentes les unes des autres arrivent à des résultats semblables : la carrière politique suppose tellement de compromis et de concessions qu’elle n’est vraiment pas souhaitable, sinon franchement détestable.

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    John Ford et Michael Ritchie restent ambivalents. Jason Stoddard a bâti une carrière honorable sur un mensonge et a choisi sans état d’âme le modernisme, mais cela ne satisfait pas vraiment son épouse Hallie, ni le réalisateur qui montre son attachement pour cette période intermédiaire pendant laquelle Tom Doniphon incarnait le règne ferme et juste de la loi de l’Ouest. John Wayne n’a pas été choisi pour rien pour tenir ce rôle de justicier, servi par un Noir devenu son compagnon, quant à Hallie justement, elle fait le pèlerinage dans la maison de Doniphon, avec lequel elle aurait pu mener également une vie heureuse proche de la nature, sans les honneurs formels de Washington.

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    John Ford ne méprise pas pour autant la démocratie telle qu’elle s’installe dans le territoire, d’autant qu’elle est renforcée par la presse qui lui semble indissociable à celle-ci, mais la vie politique n’ignore-t-elle pas les profondes valeurs humanistes si bien représentées par certains de ses personnages, qui ne soucient pas nécessairement des élections ? Jason Stoddard est un héros par défaut, comme le prouve son humiliation dans la première partie du film, dans un système politique nécessaire sans être enthousiasmant.

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    L’épopée de Bill McKay pose le problème de l’écart entre les principes politiques et leur mise en pratique. Quand il décide de se lancer dans la campagne, un de ses amis militants lui dit « la politique c’est de la merde » et il ne parviendra pas à le faire changer d’avis ; il a demandé à son responsable des médias de pouvoir dire ce qu’il pense sans restriction, mais il doit modérer son message pour élargir son électorat : il ne peut plus simplement affirmer, comme il le pense, être en faveur de l’avortement ou ne devoir rien à son père. Ses conseillers sont effondrés et ses amis exultent quand, à la fin d’un des débats avec Jarmon, il se lance dans un discours de gauche conforme à ses prises de position antérieures. Sans que cet épisode lui nuise mais au vu des sondages, Bill doit appeler son père pour dynamiser sa campagne et quitter ses certitudes de beau gosse idéaliste au profit d’un profil plus médiatique, auquel sa femme est associée. Au soir de sa victoire, il est totalement désemparé et ne manifeste pas l’enthousiasme de son entourage ; son père ne lui a-t-il pas donné le coup de pied de l’âne en lui disant affectueusement « maintenant tu es un politicien », alors il prend à part Marvin Lucas pour lui demander avec anxiété : « et maintenant, on fait quoi ? ».

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    Dans les systèmes démocratiques, la campagne électorale exige des qualités qui ne préparent pas nécessairement à l’exercice du pouvoir : McKay l’apprendra sur le tas, tout comme Bill Clinton vingt ans plus tard. Et le métier d’homme politique demeure l’un des plus méprisés aux États-Unis en raison de cette atmosphère de combine, de manque de scrupules et de corruption.

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    Les deux autres films illustrent le refus final du héros d’accepter les contraintes et les méthodes inhérentes à la victoire démocratique.

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    Dans « Que le meilleur… », le noble et digne Henry Fonda, dans son rôle de candidat, est hésitant dès le début, bien qu’il méprise Cantwell et ses idées démagogiques. Au populisme hargneux et dogmatique de ce dernier s’oppose l’austère distinction de l’homme politique vertueux et profondément républicain ; le contraste est volontairement excessif pour mieux mettre en relief les ressorts des uns et des autres. Cantwell n’hésite pas à dénoncer la mollesse coupable de son adversaire, en dénichant son dossier portant sur une dépression nerveuse ancienne, le second refuse les ragots et les racontars sur la vie privée de son adversaire (suspicion d’homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale), qu’il considère n’avoir aucune importance par rapport à sa position politique. Le Président sortant exhorte Russell d’utiliser tous les moyens face à un adversaire sûr de lui et sans scrupules et lui reproche de n’être pas un réel homme politique, pas un véritable meneur d’hommes : « Si vous ne voulez pas lutter, la politique n’est pas pour vous » ; son conseiller le presse de jouer le jeu politique jusqu’au bout, sans laisser le champ libre à Cantwell. Mais Russell n’accepte pas les compromissions avec la morale, ni les marchandages avec ceux dont il ne partage pas les idées. Conscient des enjeux, il demande à ses partisans de voter pour un candidat discret afin d’empêcher Cantwell d’arriver à ses fins, mais quitte la politique définitivement. Gore Vidal n’est pas simpliste. Au passage, il condamne le dangereux Cantwell dont les traits font penser à McCarthy, mais souligne ses origines sociales humbles comme illustrant la démocratie américaine. En définitive, la condamnation de la politique telle qu’elle se fait, avec ses arguments au-dessous de la ceinture, est sans appel ; un homme raisonnable n’a aucune raison de perdre son honneur dans ces combats devenus sordides.

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    Dans Primary Colors, le héros n’est pas Jack Stanton – Bill Clinton –, mais le jeune Noir Henry Burton (Adrien Lester). Ce militant des droits civiques, attiré par le message social du candidat, rejoint sa campagne, rompant ainsi avec son amie qui l’avertit qu’il y perdra son âme. Il devient l’un des proches conseillers de Stanton, séduit par son fort tempérament politique, par sa capacité à charmer les auditoires et par ses discours engagés. Pourtant, au fil des primaires, Henry découvre les nombreuses aventures féminines du candidat, les crises hystériques de sa femme, mais également les « cadavres dans le placard » : un père africo-américain fait du chantage à Stanton qui aurait été fait un enfant à sa fille, et il déplore son recentrage quand le candidat adopte des thèmes plus modérés pour convaincre de nouveaux électeurs. Il ne peut empêcher d’autres membres de l’équipe de fouiller dans le passé des rivaux et s’indigne de la menace de révélation du SIDA du gouverneur Picker, par Stanton, pour obtenir son retrait de la course.

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    C’est pourquoi, alors que la victoire de Stanton est certaine, Henry quitte la campagne, révulsé par les moyens mis en œuvre et n’assiste qu’en spectateur aux cérémonies d’investiture du nouveau Président. Comme William Russell, Henry Burton estime que la politique menée sans scrupules ni guide moral est d’autant plus inacceptable qu’elle risque d’être contagieuse.

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    Or, Stanton a mené au niveau national une campagne semblable à celle de McKay, faite elle aussi de compromissions, de dérives conservatrices ; le second ne se retire pas plus que le premier, mais tous deux ont perdu, le long de la route, leurs principes et certains de leurs amis, qui ont refusé cette évolution. Russell, personnage plus fictionnel, a pu, lui, choisir la retraite…

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    À ces quatre films, consacrés au processus électoral, s’en ajoutent d’autres qui insistent sur la fragilité de la démocratie américaine menacée par ses honteuses pratiques politiciennes. Deux exemples des années 1930 confirment cette thèse. Gabriel Over The White House (1933) de Gregory La Cava
    [7] Ce film étonnant, que certains critiques des années…
    [7] met en scène, pendant la Grande Crise commencée en 1929, un homme politique véreux et inactif élu comme Président qui, soudain éveillé par l’archange Gabriel, devient soucieux du sort des chômeurs, partisan du désarmement et lutte avec énergie contre le banditisme, puis meurt sans se souvenir de rien : seul cet événement surnaturel permet de remettre le pays en marche, au prix de quelques accommodements avec la démocratie habituelle. Le système était trop corrompu pour changer par lui même.

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    M. Smith à Washington (1939) de Frank Capra est souvent considéré comme un hymne à la démocratie, puisque ce jeune homme naïf arrive comme sénateur à Washington, nommé par le gouverneur d’un État de l’Ouest pour occuper, jusqu’aux échéances électorales normales, le siège laissé vacant par le décès du titulaire. Or Jefferson Smith (James Stewart), après avoir fait avec émotion le tour des grands monuments de la ville, se prend au jeu et s’oppose aux malversations d’un riche entrepreneur de son État, habitué à se faire obéir des hommes politiques. Pourtant, les efforts héroïques du jeune homme échoueraient pitoyablement si l’un des comploteurs (l’autre sénateur de l’État) ne craquait et n’avouait publiquement toute son ignominie : la démocratie est sauvée par ce sursaut moral improbable…

    32
    Les films électoraux s’inscrivent sur cet arrière-plan et confirment la vision sombre de la démocratie américaine. Dominée par les partis et les hommes d’affaires, elle se serait tellement écartée des principes de vertu républicaine de ses pères fondateurs ; il s’avérerait préférable pour des hommes sensés et équilibrés – les femmes sont avant les années 1990 peu présentes dans la vie politique – de s’en éloigner car ils ne pourraient seuls en changer le fonctionnement. Les sénateurs Stoddard et McKay sont peut-être parvenus à conserver leur sens moral et à faire progresser leurs nobles idées, mais ce n’est pas plus certain que pour un Bill Clinton empêtré dans le Monicagate
    [8] En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton…
    [8] …

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    Ces films politiques, même sortis durant la Guerre froide, ne sont pas des œuvres de propagande ; ils reflètent leur temps avec ses contradictions et ses scandales, maintenant les hommes politiques dans une opprobre bien affirmée.

    34
    Ce qui est certain c’est qu’ils ne contribuent pas à l’inscription des citoyens sur les listes électorales ni à la baisse de l’abstention…

    Notes

    [1]
    Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis, Paris, La Documentation photographique n° 8028, 2002.

    [2]
    Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la campagne.

    [3]
    La langue américaine distingue dans les noms d’origine celtique, le Mac de MacArthur, du McCarthy ou du McKay, alors que le Français uniformise en Mac Kay, sans se soucier d’authenticité.

    [4]
    Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence à se généraliser.

    [5]
    Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide conservateur, il sera choisi par George H. Bush comme son colistier en 1988 et se révélera profondément inepte.

    [6]
    Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans le célèbre feuilleton Dallas.

    [7]
    Ce film étonnant, que certains critiques des années 1970 ont considéré comme fasciste, n’a jamais été diffusé en France, mais a connu un grand succès dans les salles au moment de sa sortie.

    [8]
    En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton n’est nullement négligeable, surtout si on le compare à celui de son successeur.

    Résumé

    Français

    Les sujets politiques n’ont pas été si fréquents dans la production hollywoodienne, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux. De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux sont analysés dans cet article : L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) Que le meilleur l’emporte (The Best Man), Votez Mac Kay en 1972 (The Candidate) et Primary Colors en 1998.
    Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi. La plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

    English

    Why is it that Hollywood studios rarely produce films that tackle overtly political issues ? Could it be that considerable reticence is shown towards any subject on which electors have expressed their views ; is it that the prestige surrounding the President is such that any whiff of scandal surrounding his emotional involvements makes film directors unwilling to tackle such subjects. Four of the films that have tackled US elections are discussed here : The man who Shot Liberty Valance (I962), The Best Man, The Candidate (1972), and Primary Colors (1998).
    These films depict in a relatively credible way the electoral process ; they are rooted in the context of the relevant elections. Most of them provide a sober, if not sombre, portrait of the political scene ; they centre on strong personalities, often the hero-figure of the film, who, at a given moment reduce their political activity or even pull out of politics.

    Plan de l’article
    Une manière de comprendre le système électoral
    Une vision sombre de la démocratie

    Pour citer cet article

    Portes Jacques, « Des élections dans le cinéma américain », Le Temps des médias 2/2006 (n° 7) , p. 78-86
    URL : http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-2-page-78.htm.
    DOI : 10.3917/tdm.007.0078.

    1
    Hollywood a abordé à peu près tous les sujets sociaux ou politiques, dans les limites étroites du code Hays entre 1930 et 1966, puis avec une relative retenue, passée la période de la sortie de la censure entre 1968 et 1970. Les sujets politiques n’ont pourtant pas été les plus fréquents, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux ; ce n’est que dans les années 1990 que sont apparus des films mettant en scène des hôtes de la Maison blanche meurtriers ou adultères, avec l’exception de quelques films patriotiques.
    [1] Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis,…
    [1]

    2
    Le processus électoral ne se prête pas nécessairement au traitement cinématographique dans une démocratie dans laquelle le vote est atomisé entre les citoyens et où le dépôt de bulletins dans l’urne n’a rien de spectaculaire. La nature du processus des élections américaines est toutefois assez pittoresque avec ses primaires rurales, ses longs parcours en train ou en bus, car l’avion est bien trop rapide, et ses conventions mouvementées avec banderoles, canotiers et feux d’artifice, bien que ces dernières aient perdu beaucoup de leur signification avec l’avènement de la télévision.

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    Les élections de mi-mandat de novembre 2006 sont importantes sur le plan politique pour ce qu’elles annoncent des perspectives pour la présidentielle suivante, mais il est peu probable qu’elles suscitent l’intérêt des cinéastes, dans la mesure où elles ne mettent pas en jeu de grandes personnalités. Toutefois, elles fournissent l’occasion de s’interroger sur la représentation des divers scrutins à l’écran.

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    De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux retiennent notre attention. John Ford, dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) dresse un tableau nostalgique de l’Ouest ancien et se penche sur le processus politique qui transforme un territoire en État. Deux ans plus tard, Franklin S. Schaffner réalise Que le meilleur l’emporte (The Best Man) sur un scénario de Gore Vidal, il s’agit d’une mise en perspective de la Convention de Los Angeles en 1960, Convention qui avait nommé John F. Kennedy. En 1972, Votez Mac Kay (The Candidate) de Michael Ritchie, fournit une réflexion sur le rôle des médias dans le système politique en Californie. En 1998, Mike Nichols met en scène le livre de Joe Klein, qui avait eu un effet de scandale puisque dans Primary Colors, il racontait comme dans un roman à clé, la tournée mouvementée des élections primaires de 1992 menée par Bill Clinton.

    5
    D’autres films ont abordé les élections, mais de façon secondaire, sans en faire le sujet du film ; ils présentent moins d’intérêt. Le film de Ford est certes dans ce cas, mais il aborde un aspect ancien des élections qui est représentée encore moins fréquemment que d’autres au cinéma.

    6
    Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi ; la plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

    Une manière de comprendre le système électoral

    7
    Les films choisis n’apprennent rien de vraiment neuf sur la politique américaine, ils puisent dans la littérature existante comme dans l’actualité pour développer leur histoire, mais ils en donnent une vision concrète et en rendent l’ambiance, qui n’apparaît pas toujours dans les livres. Ces quatre exemples sont complémentaires : ils vont du local au national, du début du xxe siècle jusqu’à sa dernière décennie, de la fiction au quasi-reportage. Ces films sont l’œuvre d’auteurs engagés et responsables et non pas de directeurs anonymes choisis par les studios. John Ford n’est plus un débutant et choisit ses sujets ; Gore Vidal est un écrivain politique de gauche, très ferru d’histoire de son pays : son influence est omniprésente dans le film de Schaffner ; Michael Ritchie et Robert Redford ont voulu faire ce film, selon leurs convictions progressistes ; enfin Joe Klein, auteur du scénario suivi par Nichols, est un journaliste politique, adversaire de Bill Clinton. Cela ne fait pas de ces films des brûlots politiques, mais ils ne cherchent pas le simple divertissement ; aborder le processus électoral n’est pas dû au hasard et correspond à de réelles préoccupations, c’est pourquoi le nombre de titres de ce genre est nécessairement réduit.

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    John Ford, en narrant en flash-back la carrière du sénateur Jason Stoddard (James Stewart) à Shinbone dans un État qui n’est pas précisé, dans l’Homme qui tua Liberty Valance (1962) donne son interprétation nostalgique de l’Ouest. Le succès de cet homme moyen – dont la carrière a dépendu d’un seul coup de feu – souligne le recul de la violence devant les progrès de la civilisation : chemins de fer, établissement des institutions démocratiques et relations assagies avec les femmes. Au cours de ce film, des habitants de la ville proposent de voter sur la proposition d’intégrer le territoire. Il s’agit d’élire une assemblée avec un représentant de chacun des comtés ; cette assemblée ou un référendum organisé par le gouverneur, pourra demander le statut d’État quand la population y atteindra 60000 personnes.

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    L’histoire montre bien l’amour de Ford pour ses personnages. Stoddard, grand naïf, représente l’idéalisme de la loi ; Peabody incarne avec chaleur le rôle essentiel que le cinéaste accorde à la presse – il est certes ivrogne, toujours assoiffé, mais courageux quand il s’agit de défendre la liberté de la presse, face à la destruction de son atelier, Doniphon (John Wayne) est le cow-boy qui n’a pas hésité à utiliser son colt pour faire respecter la loi, mais dont le rôle s’achève ; Liberty Valance (formidable Lee Marvin) est l’archétype du bandit de l’Ouest, éructant, violent, surarmé, ne respectant rien ni personne. Enfin, Hallie (Vera Miles) est une femme effacée mais tenace, d’avant le féminisme actif, prise entre deux hommes, entre deux mondes.

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    À Shinbone, le groupe des partisans de l’évolution démocratique est mené par Dutton Peabody, le pittoresque patron du journal local, The Shinbone Star. Il propose comme délégué Jason Stoddard, qui va commencer là son ascension politique, puisqu’il deviendra représentant de son État, puis sénateur, avec une perspective de carrière nationale. Deux longues séquences sont consacrées au premier vote local, puis au second territorial.

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    La façon dont se déroule le premier scrutin est à la fois véridique et caricaturale, avec ces personnages emblématiques. Le saloon, où la vente d’alcool est interdite pendant le scrutin, était souvent la seule salle publique qui pouvait accueillir les apprentis électeurs. Selon la procédure, le candidat est présenté par un notable qui propose son nom au suffrage de ses concitoyens – ici Stoddard est présenté par Peabody et ce dernier par Doniphon – qui se prononcent à mains levées ; le passage à la régularité démocratique est souligné par l’impuissance de Valance à se faire admettre comme candidat. Bien entendu, dans la vie réelle, les enjeux étaient rarement aussi simples et beaucoup plus concrets, mais ce type de scrutin dans les petites villes de l’Ouest, au premier niveau de la pyramide politique, était assez proche de celui que Ford décrit. Le même mélange d’authenticité et de caricature apparaît à l’étape de la grande ville, où se décide la transformation en État, avec insistance sur le conflit entre éleveurs sans scrupule et fermiers paisibles ; la plupart des hommes de main étaient payés par les premiers et agissaient rarement pour leur propre compte. Valance est là encore le symbole d’un monde révolu, du bandit sans maître ni loi.

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    Dans ce splendide film, ces événements typiques de l’Ouest sont magnifiés et illustrés par les personnages, sans réelle profondeur psychologique, mais porteurs de puissantes valeurs que rappelle Peabody : « Ici c’est l’Ouest, Monsieur. Une fois que le mythe est reconnu pour être la réalité, nous imprimons ce mythe. »

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    Gore Vidal est beaucoup plus cynique que Ford et dans l’histoire de Best Man, il ne manifeste aucune nostalgie avec sa reconstitution d’une Convention à l’ancienne, où les tractations entre hommes politiques se déroulaient dans les chambres d’hôtel et par téléphone. Dans son film, il s’agit de choisir le successeur d’un Président populaire mais mourant. Le candidat doit être présenté aux suffrages des délégués du Parti réunis à l’occasion d’une Convention décisive, située à Los Angeles en 1964 : Henry Fonda est William Russell, secrétaire d’État et probable héritier, mais il est contesté par Joe Cantwell, un jeune candidat populiste au sourire ravageur et aux arguments simplistes, qui n’inspire pas plus de confiance qu’un vendeur d’autos d’occasion
    [2] Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la…
    [2] . Les arguments volent bas et le Président sortant semble ambivalent, alors que Russell refuse d’utiliser contre son rival des rumeurs d’homosexualité et préfère se retirer de la course laissant un troisième homme l’emporter finalement. Le roman de Gore Vidal avait été monté sur la scène à Broadway ; à l’écran, il reste parsemé de bons mots – phrases empruntées à Kennedy et à Nixon – et de références historiques, il oppose le populiste à l’intellectuel comme cela s’est passé en 1960, mais en brouillant les cartes sur les origines sociales. Les femmes des candidats sont composées des différents modèles existants et sont crédibles : poupée blonde pour Cantwell, forte personnalité de celle de Russell maintenant un mariage de convenance sociale (à l’exemple d’une Eleanor Roosevelt et préfigurant Hillary Clinton).

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    Telle qu’elle se déroule, cette histoire est finalement réaliste, sans calquer aucune des Conventions qui se sont alors déroulées. En 1960 à Los Angeles, Lyndon Johnson a tenté de détruire la candidature de Kennedy en dévoilant la maladie d’Addison dont il était atteint ; il n’a pas été écouté, mais a finalement obtenu la vice-présidence après des tractations haletantes et secrètes qui se sont déroulées entre sa chambre d’hôtel et celles des frères Kennedy. À de nombreux points de vue, le film de Schaffner est presqu’un reportage sur les mœurs politiques américaines.

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    En même temps, ce film décrit une situation qui n’existe plus ; à partir de 1972, les candidats à la présidence réunissent les délégués qu’ils ont gagnés lors des élections primaires qui se sont multipliées et la Convention du parti ne fait qu’entériner une situation déjà acquise ; il ne peut plus dès lors se passer de coup de théâtre, la Convention a beaucoup perdu de son importance. Ces réformes n’ont pas fait disparaître les coups bas ni les révélations sur la vie privée des candidats, ceux-ci sont désormais relayés par la presse et n’agitent plus les couloirs feutrés des palaces.

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    Votez Mac Kay (The Candidate) manifeste également une forme de cynisme. Robert Redford incarne Bill McKay
    [3] La langue américaine distingue dans les noms d’origine…
    [3] le fils d’un ancien gouverneur – homme politique classique joué avec brio par Melwyn Douglas -, militant écologiste au niveau local dans le comté de San Diego, que Marvin Lucas (Peter Boyle), un conseiller en communication, convainc de mener campagne afin de devenir sénateur de Californie à Washington ; il devra affronter, s’il gagne les primaires démocrates, le républicain Crocker Jarmon (Don Porter), qui est élu depuis dix-huit à la haute Assemblée. Le film suit la formation du candidat, ses experts, ses débuts hésitants sur le terrain, puis la naissance d’un mouvement de sympathisants, ce qui lui permet de surclasser ses concurrents démocrates, avant la lutte au finish avec Jarmon. Bill s’est lancé dans l’aventure en voulant garder sa sincérité et ses valeurs, mais se rend compte qu’il lui faut les présenter de façon moins abrupte pour convaincre les hésitants et que face à lui se trouve un professionnel aguerri et efficace : peu à peu, le militant sûr de lui, toujours épaulé par son épouse, se mue en politicien – évolution que son père salue – plus soucieux de son apparence que de son programme. Finalement, Bill McKay est élu, mais sans bien comprendre dans quel but.

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    Ce film, dirigé avec rythme et alacrité, donne une bonne vision de la lutte politique locale au début des années 1970. Les thèmes forgés durant la contestation des années précédentes ne parviennent pas toujours à renouveler les partis, dont les efforts de démocratisation ne porteront fruit que quelques années plus tard. Dans cette période de transition, les élections sont déjà devenues le terrain de jeu des concepteurs médiatiques, qui privilégient l’apparence à la substance. Dans le même temps, les préoccupations écologiques ont eu des suites, puisque le Congrès en 1971 vote une loi sur la pureté de l’air ( « clean air act »)
    [4] Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence…
    [4] en dépit de la présence du républicain Richard Nixon à la Maison blanche. La crédibilité du film est telle, que c’est après l’avoir vu que le futur vice-président Dan Quayle est entré en politique
    [5] Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide…
    [5] .

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    Avec Primary Colors et contrairement aux films précédents, la distance avec la réalité est presque invisible. Le gouverneur Jack Stanton (John Travolta, qui a su saisir à merveille les tics de son modèle Bill Clinton) se lance dans les élections primaires et surmonte les différentes épreuves qu’il y rencontre : mensonge sur son passé militaire, ambiguïté à propos de son usage de marijuana, infidélités conjugales etc. Il est soutenu contre vents et marées par son épouse Susan (Emma Thompson a bien observé Hillary) et par une brillante équipe de conseillers, parmi lesquels le jeune militant noir Henry Burton (Adrien Lester), qui tente de garder la tête froide dans cette cavalcade à travers le Sud des États-Unis, où se déroulent de nombreuses primaires. Il préférera quitter la campagne peu de temps avant les élections, après avoir réalisé que ce gouverneur en qui il avait cru n’était qu’un politicien prêt à tout pour être élu.

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    Le film suit le roman de Joe Klein, dont les critiques s’étaient amusés à décoder les messages et à identifier les différents personnages ; si le couple Stanton est facilement reconnaissable, comme beaucoup de ses conseillers, il n’en va pas de même pour d’autres, probablement inventés par l’auteur, comme le gouverneur Picker de Floride, joué par Larry Hagman
    [6] Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans…
    [6] . Plus largement, le film de Mike Nichols fournit un réel reportage sur le détail des élections primaires présidentielles, qui ont pris une importance de plus en plus grande dans le processus électoral, même quand elles n’attirent que fort peu d’électeurs ; elles ont en tout cas permis l’émergence de personnalités comme Jimmy Carter ou Bill Clinton, dépourvues de reconnaissance nationale avant de se lancer dans cette étonnante course d’obstacles. De plus, John Travolta incarne très bien son modèle, dont il souligne le génie politicien, avec sa chaleur humaine, son besoin de compagnie et ses convictions fluctuantes suivant les circonstances et les publics.

    Une vision sombre de la démocratie

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    Ces quatre films ne parlent pas de l’exercice du pouvoir, mais essentiellement de l’ascension pour y accéder, mais celle-ci n’est pas un chemin bordé de roses et elle donne une curieuse image de la démocratie américaine. Ces histoires très différentes les unes des autres arrivent à des résultats semblables : la carrière politique suppose tellement de compromis et de concessions qu’elle n’est vraiment pas souhaitable, sinon franchement détestable.

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    John Ford et Michael Ritchie restent ambivalents. Jason Stoddard a bâti une carrière honorable sur un mensonge et a choisi sans état d’âme le modernisme, mais cela ne satisfait pas vraiment son épouse Hallie, ni le réalisateur qui montre son attachement pour cette période intermédiaire pendant laquelle Tom Doniphon incarnait le règne ferme et juste de la loi de l’Ouest. John Wayne n’a pas été choisi pour rien pour tenir ce rôle de justicier, servi par un Noir devenu son compagnon, quant à Hallie justement, elle fait le pèlerinage dans la maison de Doniphon, avec lequel elle aurait pu mener également une vie heureuse proche de la nature, sans les honneurs formels de Washington.

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    John Ford ne méprise pas pour autant la démocratie telle qu’elle s’installe dans le territoire, d’autant qu’elle est renforcée par la presse qui lui semble indissociable à celle-ci, mais la vie politique n’ignore-t-elle pas les profondes valeurs humanistes si bien représentées par certains de ses personnages, qui ne soucient pas nécessairement des élections ? Jason Stoddard est un héros par défaut, comme le prouve son humiliation dans la première partie du film, dans un système politique nécessaire sans être enthousiasmant.

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    L’épopée de Bill McKay pose le problème de l’écart entre les principes politiques et leur mise en pratique. Quand il décide de se lancer dans la campagne, un de ses amis militants lui dit « la politique c’est de la merde » et il ne parviendra pas à le faire changer d’avis ; il a demandé à son responsable des médias de pouvoir dire ce qu’il pense sans restriction, mais il doit modérer son message pour élargir son électorat : il ne peut plus simplement affirmer, comme il le pense, être en faveur de l’avortement ou ne devoir rien à son père. Ses conseillers sont effondrés et ses amis exultent quand, à la fin d’un des débats avec Jarmon, il se lance dans un discours de gauche conforme à ses prises de position antérieures. Sans que cet épisode lui nuise mais au vu des sondages, Bill doit appeler son père pour dynamiser sa campagne et quitter ses certitudes de beau gosse idéaliste au profit d’un profil plus médiatique, auquel sa femme est associée. Au soir de sa victoire, il est totalement désemparé et ne manifeste pas l’enthousiasme de son entourage ; son père ne lui a-t-il pas donné le coup de pied de l’âne en lui disant affectueusement « maintenant tu es un politicien », alors il prend à part Marvin Lucas pour lui demander avec anxiété : « et maintenant, on fait quoi ? ».

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    Dans les systèmes démocratiques, la campagne électorale exige des qualités qui ne préparent pas nécessairement à l’exercice du pouvoir : McKay l’apprendra sur le tas, tout comme Bill Clinton vingt ans plus tard. Et le métier d’homme politique demeure l’un des plus méprisés aux États-Unis en raison de cette atmosphère de combine, de manque de scrupules et de corruption.

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    Les deux autres films illustrent le refus final du héros d’accepter les contraintes et les méthodes inhérentes à la victoire démocratique.

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    Dans « Que le meilleur… », le noble et digne Henry Fonda, dans son rôle de candidat, est hésitant dès le début, bien qu’il méprise Cantwell et ses idées démagogiques. Au populisme hargneux et dogmatique de ce dernier s’oppose l’austère distinction de l’homme politique vertueux et profondément républicain ; le contraste est volontairement excessif pour mieux mettre en relief les ressorts des uns et des autres. Cantwell n’hésite pas à dénoncer la mollesse coupable de son adversaire, en dénichant son dossier portant sur une dépression nerveuse ancienne, le second refuse les ragots et les racontars sur la vie privée de son adversaire (suspicion d’homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale), qu’il considère n’avoir aucune importance par rapport à sa position politique. Le Président sortant exhorte Russell d’utiliser tous les moyens face à un adversaire sûr de lui et sans scrupules et lui reproche de n’être pas un réel homme politique, pas un véritable meneur d’hommes : « Si vous ne voulez pas lutter, la politique n’est pas pour vous » ; son conseiller le presse de jouer le jeu politique jusqu’au bout, sans laisser le champ libre à Cantwell. Mais Russell n’accepte pas les compromissions avec la morale, ni les marchandages avec ceux dont il ne partage pas les idées. Conscient des enjeux, il demande à ses partisans de voter pour un candidat discret afin d’empêcher Cantwell d’arriver à ses fins, mais quitte la politique définitivement. Gore Vidal n’est pas simpliste. Au passage, il condamne le dangereux Cantwell dont les traits font penser à McCarthy, mais souligne ses origines sociales humbles comme illustrant la démocratie américaine. En définitive, la condamnation de la politique telle qu’elle se fait, avec ses arguments au-dessous de la ceinture, est sans appel ; un homme raisonnable n’a aucune raison de perdre son honneur dans ces combats devenus sordides.

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    Dans Primary Colors, le héros n’est pas Jack Stanton – Bill Clinton –, mais le jeune Noir Henry Burton (Adrien Lester). Ce militant des droits civiques, attiré par le message social du candidat, rejoint sa campagne, rompant ainsi avec son amie qui l’avertit qu’il y perdra son âme. Il devient l’un des proches conseillers de Stanton, séduit par son fort tempérament politique, par sa capacité à charmer les auditoires et par ses discours engagés. Pourtant, au fil des primaires, Henry découvre les nombreuses aventures féminines du candidat, les crises hystériques de sa femme, mais également les « cadavres dans le placard » : un père africo-américain fait du chantage à Stanton qui aurait été fait un enfant à sa fille, et il déplore son recentrage quand le candidat adopte des thèmes plus modérés pour convaincre de nouveaux électeurs. Il ne peut empêcher d’autres membres de l’équipe de fouiller dans le passé des rivaux et s’indigne de la menace de révélation du SIDA du gouverneur Picker, par Stanton, pour obtenir son retrait de la course.

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    C’est pourquoi, alors que la victoire de Stanton est certaine, Henry quitte la campagne, révulsé par les moyens mis en œuvre et n’assiste qu’en spectateur aux cérémonies d’investiture du nouveau Président. Comme William Russell, Henry Burton estime que la politique menée sans scrupules ni guide moral est d’autant plus inacceptable qu’elle risque d’être contagieuse.

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    Or, Stanton a mené au niveau national une campagne semblable à celle de McKay, faite elle aussi de compromissions, de dérives conservatrices ; le second ne se retire pas plus que le premier, mais tous deux ont perdu, le long de la route, leurs principes et certains de leurs amis, qui ont refusé cette évolution. Russell, personnage plus fictionnel, a pu, lui, choisir la retraite…

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    À ces quatre films, consacrés au processus électoral, s’en ajoutent d’autres qui insistent sur la fragilité de la démocratie américaine menacée par ses honteuses pratiques politiciennes. Deux exemples des années 1930 confirment cette thèse. Gabriel Over The White House (1933) de Gregory La Cava
    [7] Ce film étonnant, que certains critiques des années…
    [7] met en scène, pendant la Grande Crise commencée en 1929, un homme politique véreux et inactif élu comme Président qui, soudain éveillé par l’archange Gabriel, devient soucieux du sort des chômeurs, partisan du désarmement et lutte avec énergie contre le banditisme, puis meurt sans se souvenir de rien : seul cet événement surnaturel permet de remettre le pays en marche, au prix de quelques accommodements avec la démocratie habituelle. Le système était trop corrompu pour changer par lui même.

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    M. Smith à Washington (1939) de Frank Capra est souvent considéré comme un hymne à la démocratie, puisque ce jeune homme naïf arrive comme sénateur à Washington, nommé par le gouverneur d’un État de l’Ouest pour occuper, jusqu’aux échéances électorales normales, le siège laissé vacant par le décès du titulaire. Or Jefferson Smith (James Stewart), après avoir fait avec émotion le tour des grands monuments de la ville, se prend au jeu et s’oppose aux malversations d’un riche entrepreneur de son État, habitué à se faire obéir des hommes politiques. Pourtant, les efforts héroïques du jeune homme échoueraient pitoyablement si l’un des comploteurs (l’autre sénateur de l’État) ne craquait et n’avouait publiquement toute son ignominie : la démocratie est sauvée par ce sursaut moral improbable…

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    Les films électoraux s’inscrivent sur cet arrière-plan et confirment la vision sombre de la démocratie américaine. Dominée par les partis et les hommes d’affaires, elle se serait tellement écartée des principes de vertu républicaine de ses pères fondateurs ; il s’avérerait préférable pour des hommes sensés et équilibrés – les femmes sont avant les années 1990 peu présentes dans la vie politique – de s’en éloigner car ils ne pourraient seuls en changer le fonctionnement. Les sénateurs Stoddard et McKay sont peut-être parvenus à conserver leur sens moral et à faire progresser leurs nobles idées, mais ce n’est pas plus certain que pour un Bill Clinton empêtré dans le Monicagate
    [8] En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton…
    [8] …

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    Ces films politiques, même sortis durant la Guerre froide, ne sont pas des œuvres de propagande ; ils reflètent leur temps avec ses contradictions et ses scandales, maintenant les hommes politiques dans une opprobre bien affirmée.

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    Ce qui est certain c’est qu’ils ne contribuent pas à l’inscription des citoyens sur les listes électorales ni à la baisse de l’abstention…

    Notes

    [1]
    Jacques Portes, Cinéma et histoire aux États-Unis, Paris, La Documentation photographique n° 8028, 2002.

    [2]
    Suivant la formule utilisé contre Nixon lors de la campagne.

    [3]
    La langue américaine distingue dans les noms d’origine celtique, le Mac de MacArthur, du McCarthy ou du McKay, alors que le Français uniformise en Mac Kay, sans se soucier d’authenticité.

    [4]
    Au début des années 1970, l’essence sans plomb commence à se généraliser.

    [5]
    Considéré comme un homme aux moyens limités, mais solide conservateur, il sera choisi par George H. Bush comme son colistier en 1988 et se révélera profondément inepte.

    [6]
    Cet acteur est plus connu pour avoir incarné JR dans le célèbre feuilleton Dallas.

    [7]
    Ce film étonnant, que certains critiques des années 1970 ont considéré comme fasciste, n’a jamais été diffusé en France, mais a connu un grand succès dans les salles au moment de sa sortie.

    [8]
    En dépit de ses errements, le bilan de Bill Clinton n’est nullement négligeable, surtout si on le compare à celui de son successeur.

    Résumé

    Français

    Les sujets politiques n’ont pas été si fréquents dans la production hollywoodienne, comme si une certaine méfiance existait à aborder des situations sanctionnées par des élections que les producteurs ne pouvaient contrôler, comme si le prestige du Président écartait de lui des histoires romancées qui auraient pu prendre un tour scabreux. De rares films abordent ces questions mais quatre d’entre eux sont analysés dans cet article : L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) Que le meilleur l’emporte (The Best Man), Votez Mac Kay en 1972 (The Candidate) et Primary Colors en 1998.
    Ces films donnent une image crédible du processus électoral, avec les spécificités de l’exemple choisi. La plupart développent une vision très sombre car les personnalités les plus fortes, souvent les héros de ces films, prennent leur distance à un moment donné avec la politique, quand elles ne s’en retirent pas volontairement.

    English

    Why is it that Hollywood studios rarely produce films that tackle overtly political issues ? Could it be that considerable reticence is shown towards any subject on which electors have expressed their views ; is it that the prestige surrounding the President is such that any whiff of scandal surrounding his emotional involvements makes film directors unwilling to tackle such subjects. Four of the films that have tackled US elections are discussed here : The man who Shot Liberty Valance (I962), The Best Man, The Candidate (1972), and Primary Colors (1998).
    These films depict in a relatively credible way the electoral process ; they are rooted in the context of the relevant elections. Most of them provide a sober, if not sombre, portrait of the political scene ; they centre on strong personalities, often the hero-figure of the film, who, at a given moment reduce their political activity or even pull out of politics.

    Plan de l’article
    Une manière de comprendre le système électoral
    Une vision sombre de la démocratie

    Pour citer cet article

    Portes Jacques, « Des élections dans le cinéma américain », Le Temps des médias 2/2006 (n° 7) , p. 78-86
    URL : http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-2-page-78.htm.
    DOI : 10.3917/tdm.007.0078.

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