The Full Monty, une comédie sociale à l’anglaise

The Full Monty, un film de Peter Cattaneo

Royaume-Uni, 1 heure 32 , 1997

Interprétation : Robert Carlyle, Mark Addy, Tom Wilkinson
Paul Barber, Steve Huison, Hugo Speer

Synopsis :

   Sheffield, un des centres industriels les plus actifs de Grande Bretagne dans les années 1960. 25 ans plus tard et après une décennie de thatcherisme, la ville est en plein marasme et le chômage sévit. Gaz (Robert Carlyle), divorcé,sans emploi et vivant d’expédients, décide avec cinq autres laissés pour compte, de monter un spectacle de strip-tease masculin (à la manière des Chippendales, splendides jeunes gens qui exhibent leurs corps devant un public plutôt féminin…). Le problème est que les 6 chômeurs n’ont pas vraiment le physique de l’emploi et qui leur faudra trouver une attraction supplémentaire…

The Full Monty, une comédie sociale à l’anglaise

  A première vue, The Full Monty s’inscrit dans la longue tradition des comédies britanniques pas toujours réputées pour leur légèreté. Dans les années 1970, plusieurs films ont ainsi obtenu un réel succès en tablant sur le registre comique (A Fish Called Wanda avec John Cleese en 1988, bien sûr Four Weddings And A Funeral de Mike Newell en 1994…)…Cette veine a été aussi exploitée à la télévision britannique depuis les années 1960, pour le meilleur et pour le pire (des émissions des Monthy Python à Benny Hill, en passant M. Bean…). Le film de Peter Cattaneo mise à l’évidence sur ce tableau et la campagne promotionnelle est explicite : une braguette sur les jambes du M de Monty, un slogan plutôt racoleur, « la comédie anglaise qui dévoile tout »…Au point que le film a été classé dans la catégorie R aux États-Unis (Restricted, interdit aux mineurs de moins de 17 ans non accompagnés), for the language et some nudity.... Le côté graveleux n’est pas occulté, c’est le moins que l’on puisse dire, au point de constituer le nœud de l’intrigue. Comme le dit John Cleese, « dans une comédie britannique, l’homme doit forcement baisser son pantalon »: c’est en quelque sorte la marque de fabrique du genre…

Dans l’Angleterre en crise…
Mais si The Full Monty a remporté un tel succès populaire, c’est qu’il témoigne aussi des préoccupations quotidiennes de la classe ouvrière anglaise. Le film est bien en 1997 dans l’air du temps. Comme l’écrit Derek Malcolm, critique du Guardian, « Quatre mariages, c’était la middle-class aisée avec pour seule préoccupation les intrigues sentimentales. The Full Monty, c’est la classe ouvrière ou ce qu’il en reste. Des hommes au physique moyen, la lutte pour la survie, les enfants du divorce. Le public populaire s’y est retrouvé ».
Et le film évoque à plusieurs reprises la crise qui a frappé si durement l’Angleterre industrielle ainsi que le désarroi de cette classe ouvrière autrefois reconnue.
Le générique s’ouvre sur un court film promotionnel tourné 25 ans auparavant, qui vante le dynamisme de Sheffield, « cœur de l’Angleterre industrielle, joyau du Yorkshire ». Le commentaire rappelle que la richesse de la ville repose avant tout sur la sidérurgie, qui « produit le meilleur acier du monde », qui fabrique les objets les plus variés, « des poutrelles de haute tension aux couverts inoxydables sur votre table ». Et d’insister en conclusion : « grâce à l’acier , Sheffield est vraiment une cité qui va de l’avant (on the move) ». Depuis le XIX° siècle, cette région du Yorkshire est un centre industriel pionnier, à l’avant-garde des nouvelles technologies du secteur. C’est à Sheffield qu’on utilise pour la première fois de nouveaux convertisseurs, qu’on produit les ferro-alliages, qu’on adopte les fours électriques pour les aciers inoxydables. Cette activité est « l’un des piliers de la prospérité anglaise des années 1960 ». Après la nationalisation de la sidérurgie par les Travaillistes en 1967 et la création de la British Steel Corporation, la production nationale d’acier est alors à son apogée en 1970, avec 28 millions de tonnes produites dans l’année.
Aussi, les séquences suivantes soulignent l’ampleur du déclin des industries de Sheffield : Gaz, son fils et son copain Dave errent dans de vastes hangars vides, laissés à l’abandon. Seule une fanfare continue à animer l’endroit et maintenir une présence ouvrière fantomatique ( cet orchestre fait bien sûr penser à celui du film Les Virtuoses, dont l’action se déroule aussi dans la région du Yorkshire…). Cette grave crise de l’industrie britannique est pour une bonne part dûe aux effets de la politique de Margaret Thatcher, qui devient Premier Ministre au début des années 1970. Comme l’explique Yann Le Chevalier dans un article du même dossier (cf Vingt ans de libéralisme en Grande-Bretagne), l’ultra libéralisme prôné par « la Dame de Fer » a provoqué la quasi faillite des industries traditionnelles britanniques, incapables de résister à la concurrence internationale. Les vieilles régions manufacturières connaissent alors un déclin irrémédiable et le cinéma social anglais s’en fait l’écho : Manchester dans Raining Stones, le Yorkshire dans Les Virtuoses et The Full Monty, Glasgow dans My Name Is Joe….
Gaz et ses amis connaissent bien évidemment le chômage et la plupart du temps, ils vivent d’expédients. Dans une des premières séquences, le héros du film entraîne son fils et son ami dans une aventure incertaine, qui consiste à récupérer des poutrelles d’acier pour les revendre…Il propose aussi à Nathan de regarder le match de Manchester United à travers une ouverture dans le grillage…Mais ces moyens s’avèrent insuffisants quand il s’agit de régler les arriérés de la pension alimentaire que Gaz doit verser à sa femme…Aussi pour échapper à cette vie minable, que son fils ne supporte plus, Gaz et ses copains vont se lancer dans l’aventure que l’on sait (la somme ramassée en une seule soirée par les Chippendales, soit près de 10 000 £, les a tous laissés rêveurs…). Les candidats aux auditions pour recruter de nouveaux danseurs sont souvent pathétiques : l’un d’eux, qui se déshabille sur la musique lascive de Serge Gainsbourg, avoue « qu’il est au bout du rouleau »…Les copains de Gaz fréquentent aussi souvent le « Job Club » où ils sont censés trouver de l’aide pour retrouver un emploi. Mais comme le fait remarquer Gaz, il y a bien un Club mais peu de Job….Un peu plus tard, ils viennent chercher leurs indemnités au bureau de chômage : une préposée interroge Horse avec insistance sur ses perspectives d’emploi (tout au long des années 1980, les gouvernements conservateurs vont durcir les conditions pour toucher les allocations ,et faire baisser ainsi le nombre de chômeurs dans les statistiques : en quelques années, les critères de recensement ont changé une dizaine de fois…!). On retrouve aussi dans The Full Monty le personnage peu sympathique du prêteur sur gage, le loan-shark, déjà repéré dans d’autres films sociaux des années 1980 (Raining Stones, Les Virtuoses, My Name is Joe…). Gerald surtout doit 120 £ et continue à s’endetter pour maintenir un certain train de vie. Après un premier avertissement, la sanction ne se fait pas attendre : sa maison est vidée de presque tout son mobilier, des nains de jardin à la télévision….
Mais Gaz et ses amis ne sont pas non plus prêts à accepter n’importe quel emploi. Le père de Nathan rejette les emplois qu’il juge méprisables. Par exemple, quand son ex-femme lui propose de devenir magasinier pour 2,5£ de l’heure …Il se moque de Dave qui a fini par prendre un poste de surveillant dans une grande surface..On sent bien leur amertume de ne plus être considéré comme des ouvriers qualifiés. Quand il voit l’héroïne de Flashdance s’essayer à la soudure, Dave s’amuse de sa maladresse…Ces steelworkers ont la fierté d’avoir appartenu à l’élite du prolétariat britannique, d’être les dépositaires d’un savoir-faire…
Ainsi, on peut interpréter leur projet comme une ultime révolte contre un système humiliant qui leur refuse un emploi mais aussi la reconnaissance de leur qualification. Comme l’écrit Pierre Murat dans Télérama, « les oppresseurs du monde entier commencent toujours par déshabiller ceux qu’ils veulent humilier. Ici, c’est en se dessapant que les héros retrouvent, pour quelques instants, leur dignité perdue ». On pousse ainsi la logique jusqu’au bout : vous nous avez tout pris, nous montrons tout ce qu’il nous reste…

Vers un nouvel ordre sexuel…
Mais The Full Monty aborde un autre aspect de la psychologie de ces chômeurs : le désordre social s’accompagne d’un désordre sexuel qui peut se résumer ainsi : les femmes ne sont plus à leur place et ont même tendance à prendre la place des hommes …Au Job Club, Gaz et ses copains se lamentent sur ce bouleversement qu’ils constatent mais qu’ils ne peuvent endiguer. Le jeune chômeur est encore sous le choc de ce qu’il a vu dans les toilettes (pour hommes!) du night-club : « si les femmes se mettent à pisser comme nous, c’est cuit! » et les remarques amères fusent : »d’ici quelques années, (il n’y aura) plus d’hommes, sauf au zoo. (Nous sommes) des dinosaures, passés de mode ». Et de prédire un sombre avenir : « mutations génétiques, elles deviendront…nous! ».
Plusieurs personnages de la bande partagent un même « problème » : ils sont dominés par une femme. Gaz doit verser une forte somme pour la pension de son ex-femme et continuer à voir son fils. Dave vit aux crochets de son épouse et s’en veut de ne pas être à la hauteur. Gerald n’a pas réussi à avouer à sa femme qu’il est au chômage, et continue depuis 6 mois à faire comme si de rien n’était…Ainsi, leur impuissance économique est aussi « sexuelle » et le chômage a provoqué un renversement des rôles au sein des familles. Dans cet univers d’hommes en proie au doute, on peut aussi relever que le plus « masculin » d’entre eux, Guy, n’est pas vraiment tenté par les aventures féminines. Ce sont les femmes qui travaillent et qui détiennent le pouvoir correspondant…Elles peuvent bien sûr se montrer compréhensives : après le « pillage » de sa maison, la femme de Gerald lui avoue qu’elle a toujours détesté les nains de jardin et lui reproche surtout d’avoir manqué de confiance en elle. C’est Jean qui pousse Dave à affronter le public féminin et qui lui redonne un peu d’assurance. Mais le machisme naturel de ces ouvriers est quand même mis à mal (on est bien loin du personnage parfaitement odieux d’Andy Capp…). Le film montre aussi des femmes plus pragmatiques, qui s’adaptent plus facilement à la nouvelle flexibilité du marché du travail ( mais cette vision peut bien sûr se discuter…). En tout cas, le projet des 6 chômeurs peut apparaître comme une reconquête de leurs positions perdues : c’est en dévoilant leur « spécificité » que Gaz et ses amis comptent retrouver leur position dominante dans la guerre des sexes…

Une version light…
Mais si The Full Monty aborde des sujets graves, il ne les prend jamais complètement au sérieux. Un cirtique parle ainsi « d’une version light, colorée, souriante du cinéma anglais engagé… » Le ton du film est toujours décalé, ironique. Comme l’a relevé Samuel Blumenfeld, les objets et les lieux sont souvent « détournés »: un nain de jardin sert de cache-sexe, le Job Club se transforme en tripot dès que l’animateur a le dos tourné, le bureau de chômage devient une salle de danse alors que Donna Summer chante dans les haut-parleurs. Les scènes les plus dramatiques sont désamorcées par l’ironie ou l’humour. Quand Lomper essaie de suicider avec les gaz d’échappement de sa voiture, Dave toujours serviable, s’empresse de réparer son moteur avant de comprendre de quoi il retourne. Les scènes de répétition dans des hangars sinistres prêtent souvent à rire : Guy rate lamentablement son imitation de Singing In The Rain : les apprentis danseurs réussissent leur scénographie en appliquant les règles du hors-jeu pratiquées à Arsenal…Mais le film ne bascule jamais complètement dans la comédie. Le scénariste explique qu’il a voulu retrouver « l’alchimie bizarre de la vie » et qu’il a supprimé des scènes très drôles, « mais qui créaient un déséquilibre »….

Un plein succès
C’est d’ailleurs sans doute un des clés de la réussite du film : The Full Monty remporte un grand succès populaire, qui a sans doute surpris ses promoteurs : il reste trois mois au sommet du box-office, et fait mieux ainsi que 4 mariages et un enterrement. Il a connu aussi une forte audience aux États-Unis et en France…
Le film a d’abord bénéficié d’une production soignée : Uberto Pasolini qui a initié le projet, a été chercher aux États-Unis le financement auprès de la Fox et a pu disposer d’un budget de 3,5 millions de dollars. Il peut engager l’acteur alors en vogue, Robert Carlyle, qui vient de se faire connaître grâce à Trainspotting…Le scénariste, Simon Beaufoy , explique leur idée : « montrer comment des marginalisés par le système qui n’y ont plus leur place, trouvent le ressort pour rebondir et récupérer leur identité ». Nul doute que le public populaire n’ a pas eu de mal à s’identifier à ces personnages de chômeurs, ni beaux, ni riches, ni célèbres mais pleins d’énergie. Pour certains, le film est porteur d’espoir. Un député travailliste du Yorkshire explique ainsi : « The Full Monty montre que la société civile est si profondément ancrée ici que Maggie n’a pas réussi à détruire sa résistance et son sens de l’humour. Il décrit aussi la débrouille, le soutien mutuel et indique que la page de la récession est tournée, que les gens sont prêts à tout pour avoir un boulot ». Cette dimension politique n’est pas vraiment revendiquée par les auteurs du film. Le scénariste précise : Les Virtuoses est un film politique , avec in grand P. On y conspue Margaret Thatcher et c’est tant mieux. Nous , nous ne tenons pas de discours de ce type: le constat est avant tout social et humain »…
Mais l’impact du film a été au delà des intentions de ses créateurs. Sa sortie coïncide avec la lassitude de l’opinion anglaise envers les gouvernements conservateurs au pouvoir depuis 18 ans. : « The Full Monty, c’est vraiment la fin des années Thatcher-Major » (Robert Carlyle). David Roger, producteur, n’hésite pas à dire « que ‘le film » symbolise l’optimisme et que les gens se sentent mieux depuis l’élection de Tony Blair le premier mai. The Full Monty fournit une sorte d’espoir, d’amusement, même s’il est superficiel ». L’année même de la sortie du film, le parti travailliste remporte une victoire écrasante aux élections législatives, en obtenant 420 sièges des 659 de la Chambre des Communes. Reste à savoir si les spectateurs comblés de The Full Monty ne sont pas devenus des électeurs déçus de Tony Blair, tant les changements de la politique sociale ont été imperceptibles…

 

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