Le chemin de la liberté ou l’itinéraire d’une enfant volée…

Le chemin de la liberté, un film de Philip Noyce

Australie, 1 heure 34, 2001

Interprétation : Everlyn Sampi, Tianna Sansbury, Laura Mongaham
Kenneth Branagh, Ningali Lawford, David Gulpili

Synopsis :

   En 1931, à Jigalong, en Australie occidentale, près du désert de Gibson, trois fillettes métisses (leurs pères sont des blancs) vivent avec leurs familles au sein de la communauté aborigène : Molly (14 ans), sa soeur Daisy (8 ans) et sa cousine Gracie (10 ans). Mais M. Neville donne l’ordre d’emmener les trois adolescentes au camp de Moore River, à l’autre bout du continent.
Arrivées dans cet endroit peu accueillant, les fillettes ne supportent pas les conditions de vie contraignantes et surtout d’être séparées de leurs mères. Molly et ses deux compagnes décident de s’enfuir pour rentrer chez elles. Commence un long voyage semé d’embûches de près de 2000 km, le long d’une clôture à lapins providentielle…

Le chemin de la liberté
Ou l’itinéraire d’une enfant volée…

   En réalisant Le chemin de liberté, le cinéaste australien Philip Noyce a voulu rendre hommage à une communauté très longtemps brimée et persécutée dans son pays, celle des Aborigènes). Pour ce faire, il a raconté le destin extraordinaire d’une adolescente de 14 ans, Molly qui n’a pas supporté d’être enlevé à sa famille et qui a parcouru près de 2000 km avec sa sœur Daisy et sa cousine Gracie pour rejoindre sa région d’origine (cette odyssée exceptionnelle a été racontée par la propre fille de Molly, Doris Pilkington Garimara, dans son livre Follow the rabbit proof fence, publié en Australie en 1996).

Une jeunesse heureuse interrompue

   Au début du film, les premières scènes évoquent la vie apparemment heureuse de Molly et de ses deux compagnes au sein de leur communauté, les Mardus, installés près du poste de Jigalong proche de la fameuse clôture à lapins . En fait, Doris Pilkington nous apprend que l’histoire familiale de Molly est un peu particulière. Sa mère Maude, avait été promise à un homme de sa tribu mais qui l’avait reniée. La jeune femme, intelligente et débrouillarde, avait travaillé comme domestique au service du chef de poste M. Hawkins. Elle avait rapidement appris l’anglais et surtout était tombée enceinte d’un employé blanc, Thomas Craig, chargé de l’entretien de la clôture. C’est ainsi que Molly est conçue : quelque temps après, Daisy naît, elle aussi d’un père blanc. Le film laisse supposer que les pères de ces enfants métis ne se sont guère occupés de leur descendance (un des gardes précise : « ils ont foutu le camp depuis longtemps… ») mais Doris Pilkington suggère que Molly a quand même connu son père. En tout cas, il semble bien que tous ces enfants métissés aient été quelque peu tenus à l’écart par le reste de la communauté : Molly reste plutôt seule jusqu’à l’âge de 4 ans, et apprécie quand elle est rejointe par Daisy, sa petite sœur et Gracie, sa cousine. M. Kelling, le chef de poste, précise : « on ne leur donnait pas toutes leurs chances, car les Noirs considéraient que les métis leur étaient inférieurs ». En tout cas, leur situation est signalée aux autorités qui chargent l’agent Riggs de récupérer les fillettes afin de les envoyer au camp de Moore River, où elles seront « rééduquées » selon les principes développés par M. Neville (selon les thèses raciales alors à la mode, on doit pouvoir en quelques générations, effacer toute trace de leur origine aborigène). Nul doute d’ailleurs que ce enfants issus de relations sexuelles entre les deux « races » n’aient suscité alors un profond malaise dans la communauté blanche. Dans le film, M. Neville, lors d’un exposé face à un escadron de bourgeoises pincées, évoque la création « d’une indésirable troisième race » .
Quoi qu’il en soit, le film souligne bien l’intensité des liens familiaux qui existent entre les trois fillettes et leurs mères. Quand Martha, une des filles du camp de Moore River, parle de « tous ces bébés « qui n’ont pas de maman », Molly répond : « j’en ai une, moi ». Une autre séquence traduit aussi la force de cet attachement : au début de leur fuite, les fillettes posent leurs mains sur la clôture à lapins alors qu’à l’autre extrémité, fait le même geste, un sourire aux lèvres…
L’arrachement des trois fillettes à leurs mères est une scène bouleversante et l’arrivée au camp de Moore River ne peut renforcer la conviction de Molly qui veut s’enfuir à la première occasion (un rapport de l’époque prévenait d’ailleurs la direction du centre : « il est nécessaire de les surveiller pour les empêcher de s’enfuir »). Molly et ses deux compagnes sont choquées par tout ce qu’elles découvrent : la promiscuité des dortoirs, l’embrigadement religieux, les tâches qu’on veut leur imposer, le racisme imbécile des autorités (on leur interdit de s’exprimer dans leur langue), et même la brutalité de la répression dont sont victimes celles qui tentent de s’échapper (la jeune Olive partie retrouver son petit ami, enfermée au mitard, après avoir été retrouvée par le traqueur Moodoo). Aussi, l’adolescente prend rapidement sa décision : alors qu’elle rêve à sa mère, elle pense avec dégoût à ceux qui l’opprime, M. Neville et le traqueur : « ils me rendent malades, ces gens-là ».

Un chemin semé d’embûches

   Le périple qui est accompli par les trois fillettes est alors incroyable : près de 2000 km, pendant 9 semaines, dans une des régions les plus dures du monde. Les obstacles semblent presque insurmontables.
Déjà, ceux qui se lancent à leur poursuite sont puissants et tenaces. Moodoo, le traqueur aborigène, a déjà fait la preuve de son efficacité (il vient de ramener la jeune Olive). Il est aussi probable que les autorités lui font miroiter une liberté future (il veut retrouver sa famille dans une autre région), s’il fait la preuve de son zèle dans l’accomplissement de sa mission. M. Neville se montre aussi particulièrement acharné à retrouver les trois fillettes. Il craint déjà pour la réputation de son service, si elles n’étaient pas rattrapées. Il se croit en quelque sorte investi d’une mission sacrée envers les Aborigènes. A la fin du film, il se désole que ceux-ci ne soient pas plus coopératifs : « si s’ils voulaient bien comprendre ce que nous essayons de faire pour eux ». Aussi, il tente de mobiliser le plus de moyens possibles , notamment en policiers, pour réussir la traque des trois enfants.
Un autre obstacle évident est la région même dans laquelle se déroule la fuite des trois fillettes (cf article dans le même dossier) : elles doivent affronter la dureté du climat de cette partie de l’Australie, la végétation clairsemée du bush, la faible densité humaine alors qu’elles ne semblent avoir emporté que le strict minimum (elles n’ont pas de manteaux pour affronter le froid).
E    nfin, le groupe des trois fillettes a parfois du mal à rester soudé. Molly s’impose comme le chef naturel des trois gamines : elle est la plus âgée et la plus décidée et c’est elle qui prend la décision de quitter le camp de Moore River. Elle doit quand même faire face, à plusieurs reprises, aux doutes, au découragement, à la fatigue de sa petite sœur et de sa cousine (les deux plus grandes doivent porter la plus petite sur leur dos..). Elle ne parvient pas à dissuader Gracie d’aller rejoindre sa mère qui se trouve dans la ville de Wiluna (la fillette sera d’ailleurs reprise à ce moment-là par la police). Quand, à la fin du film, Molly se jette dans les bras de sa mère, elle se désole : « j’en ai perdu une ».

Des atouts non négligeables
Malgré cela, les trois fillettes bénéficient de circonstances favorables. D’abord, à plusieurs reprises, elles sont aidées dans leur entreprise par les personnes qu’elles rencontrent sur leur chemin, qu’elle soient de la communauté blanche ou aborigène. Selon Doris Pilkington, il semble bien que les trois fillettes en aient profité tout au long de leur fuite : en général, Daisy et Gracie allaient à la rencontre des personnes susceptibles de les aider, alors que Molly restait en embuscade, pour avoir comment les choses allaient tourner. Sans doute sensible à la situation difficile des trois enfants, c’est une fermière blanche, au début de leur évasion, qui les nourrit, leur donne des manteaux et leur indique la direction de la clôture (dans la réalité, Mme Flanagan avertit aussi les autorités de la présence des trois fillettes en fuite). Un peu plus tard, c’est un des hommes chargés de l’entretien, qui leur indique comment couper à travers le bush pour rejoindre la clôture nord (involontairement, il permet ainsi à Molly et ses deux compagnes d’échapper à leurs poursuivants…). Les membres de leur communauté leur apportent aussi une aide précieuse : au début de leur fuite, elles croisent deux chasseurs aborigènes, qui quelques allumettes et une partie de leur gibier. Plus tard, une jeune domestique, qui a connu le camp de Moore River, les héberge pour une nuit et leur permet d’échapper à nouveau à la police.
Les trois fillettes bénéficient aussi des dissensions qui règnent dans le camp de ceux qui les pourchassent. Assez vite, l’inspecteur de police de Perth renâcle à accorder tout son soutien à M. Neville : la traque des Aborigènes coûte cher en hommes et en moyens financiers. Les policiers blancs ont aussi plus de mal que les indigènes à supporter la dureté du climat du bush : après trois semaines d’attente près de la clôture à lapins, c’est l’agent qui finit par se décourager et décide de lever le camp (« autant chercher une aiguille dans une botte de foin »). On peut aussi relever à ce propos l’ambiguïté de l’attitude de Moodoo, le traqueur aborigène. Certes, il a tout intérêt à réussir à rattraper les trois fillettes (M. Neville pourrait lui en être reconnaissant et le laisser repartir chez lui). Mais il est aussi en quelque sorte solidaire de Molly. Il est admiratif devant l’ingéniosité de l’adolescente à brouiller les pistes (« elle est intelligente, cette petite ») et il comprend parfaitement sa motivation, d’autant qu’il voudrait bien faire la même chose (« elle veut rentrer chez elle »). Quand le blanc décide d’abandonner les recherches, le traqueur esquisse un petit sourire.
Les trois fillettes semblent aussi très bien adaptées à la vie dans le bush, au contraire de certains de leurs poursuivants. Dans son livre, Doris Pilkington précise que Molly a été initiée dès son enfance à cette vie dans cette région, grâce à son beau-père. De toute façon, la communauté aborigène a , au cours de temps, accumulé tout un savoir-faire que les adolescentes ont reçu en héritage de leurs familles. Ainsi, la clôture à lapins, construite en 1907, est un point de repère connu et utilisé par toutes les tribus aborigènes d’Australie occidentale depuis une vingtaine d’années (ce n’est sans doute pas, comme le suggère le film, une idée géniale apparue dans le cerveau de Molly…). Les trois fillettes savent se repérer, chasser, marcher de longues heures sous le soleil, se nourrir de quelques herbes arrachées au désert…bref, elles sont capables d’une résistance physique hors du commun, due à une éducation précoce.
Mais, outre ce savoir-faire, les trois fillettes sont aussi animées d’une foi chevillée au corps. Comme nous l’avons déjà dit, elles veulent absolument retrouver leurs familles, avec qui elles sont en communion, pour ne pas dire en communication spirituelle (certaines scènes du film suggèrent l’intensité de ces liens familiaux). Elles se sentent comme poussées par leur foi et il leur semble que l’oiseau-esprit les guide et les protège à la fois (quand Molly et Daisy s’évanouissent dans le désert, c’est lui qu’elles aperçoivent quand elles se réveillent).

Le cinéma au service de la mémoire
La conclusion du film est amère. Si la détermination des fillettes finit par payer, c’est aussi l’acharnement des Blancs qui doit être relevé. Gracie, arrêtée alors qu’elle essayait de rejoindre sa mère à Wiluna, est renvoyée au camp de Moore River et ne reverra jamais Jigalong. Molly, qui s’est mariée et a donné deux naissance à deux petites filles, est à son tour reprise et également placée dans le centre d’où elle s’était enfuie (elle réussira d’ailleurs une seconde fuite avec sa fille Annabelle, neuf ans après la première!). le générique de fin nous apprend également que ces déplacement d’enfants aborigènes ont duré jusqu’en 1970… On mesure alors à quel point ce film est utile pour entamer l’indispensable travail de mémoire, à propos du sort réservé aux Aborigènes en Australie. Il était temps que le cinéma australien s’intéresse à ces « générations volées », dont Molly est une figure emblématique.

 

 

 

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