Le cinéma britannique et les immigrés d’Asie

Le cinéma britannique et les immigrés d’Asie

(cet article a tété rédigé pour le dossier du film Fish and Chips)

    Depuis la fin des années 1980 surtout, le cinéma anglais se distingue par sa sensibilité particulière aux milieux populaires. Souvent avec humour, il se fait l’écho de leurs problèmes, notamment après une décennie de thatcherisme…La plupart des films de Ken Loach (Riff-Raff, Raining stones, Ladybird, My Name is Joe…), certaines œuvres de Stephen Frears (The Snapper, The Van), de Terence Davies (Distant Voices, Long Day Close) et de Mike Leigh (Naked), les succès plus récents de Mark Hermann (Les virtuoses) et de Peter Cattaneo (The Full Monty) témoignent de la vitalité de cette inspiration sociale du cinéma britannique…A propos des immigrés, pauvres parmi les pauvres, la filmographie est limitée au cours des années 1970 (on peut quand même citer le film de Jerzy Skolimowski, Travail au noir, réalisé en 1982 : il raconte l’histoire de Polonais clandestins qui viennent aménager un appartement en Angleterre, alors que le général Jaruleswki procède à un coup d’état « légal » dans leur propre pays…).

Un cinéma autobiographique
Par contre, au cours des années 1980, de nombreux films abordent le thème de l’immigration et notamment celle venue du sous-continent indien (la communauté africaine et antillaise est peu présente à l’écran…). L’association du cinéaste Stephen Frears et du scénariste Hanif Kureishi donne naissance à deux œuvres importantes (My Beautiful Laundrette en 1985, Sammy and Rosie Get Laid en 1987). En 1993, est réalisé Bhaji on the Beach par Gurinder Chadha : Uduyan Prasad met en scène Brothers in Trouble (1996) et My Son The Fanatic (1998). Sans oublier Fish and Chips de Damien O’Donnell, d’après la pièce d’Ayub Khan-Din. On aura remarqué la présence importante de réalisateurs et scénaristes eux-mêmes issus de l’immigration, qui donne à l’ensemble de ces films une dimension particulière. Beaucoup de ces histoires ont été vécues de l’intérieur (plusieurs scénarios sont autobiographiques) et sont souvent racontées avec un sens certain de l’autodérision.
D’abord, tous ces films évoquent la dure condition de ces immigrés souvent clandestins, vivant dans des conditions misérables et exploités sans vergogne par le patronat britannique, en butte à un racisme parfois virulent. En particulier, Brothers in Trouble décrit bien la misère sociale, affective, sexuelle des travailleurs pakis soumis au bon vouloir des « parrains » de la communauté. Pour les faire venir en Angleterre, les loger dans des habitations insalubres, ces profiteurs extorquent de fortes sommes aux clandestins sans recours. Les employeurs anglais savent aussi jouer de leur statut précaire pour leur accorder des salaires dérisoires et des travaux pénibles (dans le film, ils sont employés dans une usine textile tout droit sortie du XIX° siècle…).

Des traditions dénoncées
Un des thèmes récurrents de cette filmographie est le poids des traditions (et en particulier de la religion islamique) sur les membres de la communauté exilée. Les femmes sont présentées comme des victimes du système patriarcal. Dans plusieurs films, est évoqué le problème des mariages arrangés par les parents ou les oncles… Dans Brothers in Trouble, le personnage incarné par Om Puri veut obliger sa compagne anglaise à épouser son neveu : le petit groupe de femmes dans Bhaji on the Beach ne parle que de cela…Quant aux fils Kahn (Fish and Chips), leur sort matrimonial a été soigneusement réglé par leur père George. Pour certains immigrés, cette endogamie est un réflexe de légitime défense face au racisme de la société britannique, autre thème souvent abordé dans ces films.. Dans My Beautiful Laundrette, Zaki, un des immigrés pakistanais, constate : « comment voulez-vous que l’Angleterre raciste nous donne la moindre chance de faire quoi que ce soit, si on ne lui arrache pas de force ? ». Et une femme d’ajouter : « comment pourrait-on se croire chez soi sur cette petite île ridicule au large de l’Europe ? ».

Fascinante Angleterre
Cela dit, l’Angleterre fascine quand même ces immigrés venus de si loin pour échapper à leur misère.. Le héros de Brothers in Trouble, arrivé clandestin et misérable, finit par faire venir sa famille et devient postier de sa gracieuse Majesté…Hashida dans Bhaji on the Beach entreprend des études supérieures et fait la fierté de ses parents. Comme le dit le père d’Omar dans My Beautiful Laundrette, « l’homme blanc nous assiège. Pour nous autres, l’éducation, c’est le pouvoir ». Dans le même film, Nasser résume bien le sentiment ambivalent des immigrés face à leur pays d’accueil : « dans ce fichu pays que nous détestons et nous aimons, on peut avoir tout ce qu’on veut. Tout est là, à portée de main. Voilà pourquoi je crois à l’Angleterre. Il suffit de savoir presser les mamelles du système ». Un credo presque thatcherien à la gloire du libéralisme anglais qui leur donne enfin leur chance, alors que le règne de la Dame de Fer n’a pas été de tout repos pour les immigrés…On est aussi frappé du nombre de personnages pakistanais qui « s’affichent » avec une épouse ou une compagne d’origine britannique : Nasser et Rachel dans My Beautiful Laundrette, Rafi et Alice dans Sammy, Parvez et Bettina dans My Son the Fanatic et bien sûr George et Ella dans Fish and Chips…Comme si la première conquête de l’homme immigré était la femme anglaise et que l’intégration passait par le métissage…
Cet distance prise face aux traditions est encore plus nette pour la seconde génération qui ne peut plus supporter les pesanteurs de son milieu d’origine. Dans My Beautiful Laundrette, Omar se voit accusé par son père de singer les Britanniques (il vit en couple avec Johnny, ancien punk raciste…) : « on nous hait en Angleterre, et toi, tu passes ton temps à leur lécher le cul, à te prendre pour un vrai petit British ! ». La fille de Nasser dans le même film préfère quitter sa famille plutôt que de suivre la voie qu’on lui a tracée. Hashida dans Bhaji on the Beach finit elle-aussi par s’émanciper de la tutelle de son milieu, malgré l’opprobre des femmes plus âgées de la communauté (même si une des femmes du groupe n’est pas insensible à la campagne de séduction d’Oliver, charmant quinquagénaire anglais). Grinder fuit le domicile conjugal pour échapper aux violences de son époux. La structure familiale traditionnelle apparaît sérieusement remise en cause dans la plupart de ces films.

Le parcours exemplaire d’Hanif Kureishi
La représentation de l’immigré pakistanais dans le cinéma anglais doit beaucoup à l’œuvre d’Hanif Kureishi. C’est un romancier à succès (en particulier Le bouddha de banlieue écrit en 1990 puis adapté à la télévision) et le scénariste de trois films importants (My Beautiful Laundrette, Sammy…, My Son the Fanatic). Son travail est largement autobiographique : son père est attaché d’ambassade et pakistanais, sa mère anglaise et ouvrière…Il affirme avoir beaucoup souffert du racisme pendant sa jeunesse (un de ses professeurs ne l’appelle que « le Pakistanais ») et il est alors très attiré par les mouvements noirs les plus extrémistes (Black Panthers, Black Muslims…). Mais leur racisme anti-blanc virulent le choque, alors qu’il est issu d’un couple mixte et que son meilleur ami est un jeune Anglais devenu skin (le modèle de Johnny dans My Beautiful Laundrette). Sa vision de l’immigration est plus nuancée et plus originale…
Après un séjour au Pakistan, il revient troublé par l’intolérance qui y règne, déçu par « les innombrables monologues médiévaux infligés par les mollahs ». Un ami de ses oncles l’avertit : « la religion est en train de sodomiser ce pays. Elle commence à nous empêcher de gagner de l’argent. Nous voilà entraînés par cette dynamique de régression (…) Le Pakistan est devenu l’un des principaux pays à fuir d’urgence…Et cette tirade se retrouve telle quelle dans le scénario de My Beautiful Laundrette…Cette génération des quinquagénaires, selon Kureishi, est en porte à faux : d’une part, elle se sent investie d’une mission émancipatrice, comme Ali Bhutto qui a fait ses études à Oxford et qui se voit bien en « président Mao du sous-continent indien ». Le scénariste anglo-pakistanais s’en est sans doute inspiré pour créer le personnage de Rafi dans Sammy…Quand il est agressé par sa bru Rosie, celui-ci rétorque : « c’est notre gouvernement qui a réveillé les foules opprimées et chassé les impérialistes occidentaux… ». Mais d’autre part, ces Pakistanais d’âge mûr sont très proches, par leurs études et leurs modes de vie, des élites britanniques, qu’ils jalousent et qu’ils imitent…Cette génération est surnommée la génération cocktail, sans doute pour son goût prononcé pour les alcools britanniques…Ses maîtres à penser sont Shaw et Russell.
Hanif Kureishi souligne aussi le désarroi de la seconde génération, à laquelle il appartient et qui s’est vite laissée séduire par les charmes du swinging London . Dans Sammy, Rafi apostrophe son fils : « vous les jeunes cosmopolites, vous me stupéfiez. Pour vous, le monde de la culture est une sorte de gigantesque grand magasin. Vous entrez et vous prenez ce qui vous intéresse. Mais vous ne vous attachez à rien. Votre vie est incohérente, superficielle ». Il est d’ailleurs très déconcerté par les relations assez libres entre Sammy et Rosie. Le romancier et scénariste met aussi en garde contre la tentation islamiste, qui guette les jeunes immigrés pakis qui sont rejetés par la société britannique : « les fils d’immigrés ont du mal à faire le joint entre les traditions du pays de leurs pères et le monde libéral, moderne. Alors, ils se réfugient dans une certaine étroitesse d’esprit. Pour les Indo-Pakistanais, il s’agissait de trouver une place dans la société. Maintenant, ils cherchent davantage à affirmer une identité (Hanif Kureishi à propos du scénario de My Son The Fanatic). Comme ceux de sa génération, Kureishi se méfie d’une image trop idyllique de l’Angleterre . Certes, il y est attaché un peu à la manière de George Orwell (« les puddings à la graisse de rognons et les piliers rouges des boites aux lettres ont pénétré mon âme »). Mais, il reste lucide : « il s’agirait de voir si ces clichés à propos de tolérance recouvrent la moindre réalité »…

   Aussi, l’image des immigrés en particulier asiatiques est bien présente dans les films britanniques : elle est même assez nuancée pour faire progresser la tolérance entre les communautés. La filmographie sur ce sujet montre une société anglaise plus métissée, plus bigarrée, et qui a l’air de ne pas s’en porter plus mal, au grand dam des conservateurs de tout bord…

Filmographie (non exhaustive…)
Travail au noir, Jerzy Skolimowski (1982), 1h.37
avec Jeremy Irons, Eugene Lipinski
My Beautiful Laundrette, Stephen Frears (1985), 1h.37
avec Daniel Day-Lewis, Gordon Warnecke, Sared Joffrey
Sammy and Rosie Get Laid, Stephen Frears (1987), 1 h.41
avec Shashi Kappor, Frances Barber, Claire Bloom, Ayub Kahn-Din
Bhaji on the Beach, Gurinder Chadha (1993), 1h40
avec Kim Vithana, Jimmi Harkishin, Sarita Khajuria
Brothers in Trouble, Udayan Prasad, (1996), 1h 35
avec Om Puri, Pavan Malhotra, Angeline Ball
My Son The Fanatic, Udayan Prasad (1998), 1 h.28
avec Om Puri, Rachel Griffiths, Akbar Kurtha
Fish and Chips,de Damien O’Donnell (2000), 1 h36
avec Om Puri, Linda Bassett, Jimy Mistry

 

 

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