Images présidentielles dans le cinéma américain

Images présidentielles dans le cinéma américain

(cet article a été rédigé pour le dossier du film Des hommes d’influence)

    Même si la politique n’est pas un sujet évident pour le cinéma de distraction produit par les studios d’Hollywood, elle est quand même présente dans la production cinématographique américaine ,et ce depuis ses débuts. On peut déjà considérer, comme beaucoup d’auteurs, que « tout est politique », que la vision du monde proposée par les films américains les plus innocents apparemment, ne l’est justement pas. Comme l’écrit Anne Marie Bidaud dans son livre Hollywood et le rêve américain, « le cinéma ne peut se développer contre la société qui le produit: en tant qu’industrie commanditée par les plus grands groupes financiers américains, il ne peut également qu’être solidaire de leurs intérêts, économique et idéologique ». Mais, le cinéma américain a aussi souvent représenté le système politique et social des États-Unis, soit comme sujet principal soit comme toile de fond à une fiction : à toutes les époques, il s’est trouvé des réalisateurs , de Capra à Stone, que « la vie de la cité  » ne laissait pas indifférents…

   Dans cette optique, il est intéressant d’étudier l’évolution de l’image du Président dans le cinéma américain. A priori, on peut penser que sa représentation est importante et en quelque sorte « verrouillée » : le chef de l’exécutif est une figure incontournable du système politique américain et il joue à plusieurs reprises dans l’histoire américaine le rôle du «  père de la nation ». La liste des présidents qui se sont succédé à la tête du pays ne manque pas de personnalités fortes, de George Washington et Abraham Lincoln à Roosevelt et Kennedy, sans même parler des figures plus ambiguës ou dramatiques comme Grant, Théodore Roosevelt, Nixon et Clinton…En d’autres termes, de quoi alimenter l’inspiration défaillante des scénaristes, en quête de personnages.
Dans le film Des hommes d’influence, le Président est plus une silhouette qu’un personnage réellement incarné. Il est surtout visible aux journaux télévisés ou en contact téléphonique avec ses conseillers politiques. Mais c’est justement cette discrétion qui a un sens, dans la mesure où le film s’intéresse surtout à l’entourage du chef de l’État : le Président lui-même est à la limite aux mains de ses conseillers. Ce relatif désintérêt pour le premier personnage de l’État a un sens : il traduit bien la crise de l’image présidentielle dans le cinéma américain d’aujourd’hui…

Des débuts timides
Dans l’entre deux guerres, les figures présidentielles sont plutôt rares dans le cinéma américain…Cette relative discrétion est d’autant plus étonnante que les studios d’Hollywood tournent alors beaucoup de biographies épiques (biopics), racontant les « success stories » de grands personnages de l’Histoire (la Warner s’en est presque fait une spécialité…). Quelques exceptions existent cependant : John Ford s’attache dans Vers sa Destinée- Young Mister Lincoln- (1939) à raconter les premiers pas du futur président, encore jeune avocat, au moment où se forgent sa personnalité et ses convictions… En fait, le célèbre réalisateur semble surtout intéressé par l’aspect édifiant de l’apprentissage du jeune Lincoln, en racontant comme ce jeune campagnard (interprété par Henri Fonda) s’élève de « sa cabane à la Maison Blanche » (from the cabin to the White House)…Dans la production d’alors, on retrouve aussi certains personnages qui sont des avatars plus ou moins lointains de Franklin Delano Roosevelt : ainsi, dans le curieux Gabriel à la Maison Blanche (George LaCava, 1932), le ton et la prestance du Président (Walter Huston) évoquent la figure du chef démocrate (sans parler de son programme de lutte contre le chômage et de redressement de l’État). Dans Les Raisins de la colère (John Ford, 1940), l’image rassurante du chef du camp gouvernemental où échoue la famille Joad n’est pas sans rappeler la physionomie du Président de l’époque (il a les traits d’un homme d’âge mûr, les cheveux blancs, et de fines lunettes…). Cette représentation plutôt timide est peut-être due à la prudence des producteurs : la stature des Présidents les plus glorieux est trop imposante et a pu décourager les cinéastes (l’hommage à la statue de Lincoln à Washington est une séquence récurrente des films de Capra…). L’action politique de certains d’entre eux prête à polémique et il est inutile de heurter la sensibilité des futurs spectateurs…

L’époque de tous les dangers
Après guerre, les choses se compliquent, d’autant qu’en 1963, est assassiné Kennedy, image même du Président « qui ressemble à une vedette de cinéma »…L’image est en quelque sorte brouillée alors que la fonction est devenue plus difficile en ces temps de Guerre froide…Dans Point limite (Sidney Lumet, 1964), Henri Fonda négocie durement avec l’URSS et doit même consentir à « atomiser » New York, pour compenser une attaque nucléaire fortuite contre le rival soviétique…L’exercice du pouvoir est bien lourd à porter. Sur le même thème, Peter Sellers dans Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1963) a un air pincé d’intellectuel bureaucrate : l’acteur britannique, qui joue deux autres rôles dans le même film, s’est fait une tête de petit chauve à lunettes, qui « feint la maîtrise de l’affolement ». En fait, il est complètement dépassé par les événements (un général d’extrême-droite lance une attaque surprise contre l’Union soviétique) : il est impuissant face aux manœuvres du complexe militaro-industriel dénoncé en son temps par Eisenhower (le représentant de ce milieu belliciste est incarné par George C. Scott). Dans Sept jours en mai de John Frankenheimer (1964), le Président interprété par Frederic March accuse bien son âge : il est peu aimé, très impliqué dans le sérail politicien de Washington. Mais il doit faire face à un complot d’extrême-droite, mené par un actif général hostile à la Détente (Burt Lancaster). Comme l’aurait dit Churchill, la démocratie reste le pire régime politique, à l’exception de tous les autres…

Le Président face au cinéma engagé
La période suivante est marquée par l’engagement de certains réalisateurs américains : la guerre du Vietnam et le Watergate sont passés par là et les cinéastes sont plus politisés . La dénonciation des abus du pouvoir, et en particulier de la Présidence, est claire : Sidney Pollack dans Les trois jours du Condor (1971), Alan Pakula dans Les Hommes du président (1973), Robert Altman dans Secret Honor (1984). Il faut y ajouter la plupart des films d’Oliver Stone qui traitent souvent de sujets politiques et en particulier ceux sur Kennedy (JFK en 1992) et sur Nixon (Nixon en 1995). Les Présidents sont critiqués par la gauche américaine comme faisant partie d’un système oppressif…Oliver Stone a poussé loin cette conception paranoïaque de l’Histoire : sa thèse des multiples complots qui aboutissent à l’assassinat de Kennedy donne le vertige. Paradoxalement, le cinéaste est plus à l’aise pour évoquer les ambiguïtés du personnage de Nixon, interprété par Anthony Hopkins. Comme l’écrit alors le Monde, « il ne peut dissimuler la compréhension et la compassion que lui inspire cet homme peu à peu abandonné, brisé par un enchaînement funeste d’évènements ».. Mais sa vision de l’Histoire, que le réalisateur lui- même qualifie de « spéculation informée », lui a été vivement reprochée par certains historiens…

Une image de plus en plus brouillée
Dans les années 1990, J-M Frodon remarque que les apparitions du personnage se multiplient dans la production hollywoodienne, comme si il pouvait s’intégrer à nouveau dans les codes narratifs à la mode. On peut ainsi citer dans des genres variés, de la comédie au film de science-fiction : Le Président et miss Wade (Rob Reiner, 1995), Mars attaque (Tim Burton, 1996), Los Angeles 2013 (J. Carpenter, 1996), Independance Day (R. Emmerich, 1996), Les pleins pouvoirs (C. Eastwood, 1996), Meurtre à la Maison Blanche ( D.H Little, 1997), Air Force One (W. Petersen, 1997), , The Second Civil War (Joe Dante, 1997) et bien sûr Couleurs primaires (M. Nichols, 1998)….
Déjà les techniques audiovisuelles permettent maintenant d’intégrer de véritables images d’archives dans les films de fiction : le plus célèbre d’entre eux est Forrest Gump (R. Zemeckis, 1993), dans lequel Tom Hanks croise quelques personnalités de premier plan de l’histoire américaine…
Surtout, ces films retrouvent des thématiques passées. Plus que jamais , le Président dirige la seule superpuissance mondiale (alors que l’URSS a disparu de la scène internationale) et donc la seule capable de défendre la planète des « aliens » de tout poil (les terroristes dans Air Force One, les extraterrestres dans Mars attaque ou Independance Day, même les bestioles des Hommes en noir…). Le personnage est alors incarné par un acteur solide et viril, à la figure énergique (Harrison Ford dans Air Force One).

Les Présidents sur la sellette
Mais comme le remarque Frodon, la tendance puritaine apparue dans les années 1980 traque aussi l’ennemi à l’intérieur des âmes  : le mal ne vient pas seulement des autres mais aussi de nous-mêmes et de notre conduite dépravée… Ces idées, défendues par exemple par la Nouvelle Droite américaine, connaissent leur apogée pendant les mandats de l’acteur-Président Reagan : une vague de rectitude morale balaie la scène politique aux Etats-Unis, exigeant des dirigeants une conduite irréprochable…Les affaires de cœur de Clinton ont contribué à renforcer le scepticisme à l’égard de la conduite morale des hommes qui dirigent l’Etat. Le Président est de moins en moins un « intouchable ». Le critique du Monde s’est amusé à relever les traits de caractère prêtés aux Présidents dans plusieurs films de fiction récents : le chef de l’exécutif apparaît corrompu et malhonnête dans Los Angeles 2013, narcissique dans The Second Civil War, faible dans Meurtre à la Maison Blanche, idiot dans Mars attaque, concupiscent et meurtrier dans Les pleins pouvoirs, tel qu’en lui même dans Couleurs primaires…Les acteurs qui incarnent ces personnages présidentiels ont des profils correspondant à cette image pour le moins troublée : ce sont des hommes imposants, forts mais avec aussi des aspects inquiétants et ambigus (Gene Hackman dans Les pleins pouvoirs, Jack Nicholson dans Mars attaque, John Travolta dans Couleurs primaires). Ainsi, la fonction n’est pas remise en cause. Par contre, les faiblesses trop humaines de ces Présidents sont largement évoquées, comme si la société américaine commençait à prendre conscience des limites du mythe présidentiel. De ce point de vue, Des hommes d’influence est un aboutissement : le Président apparaît comme une marionnette aux mains de ses conseillers politiques…Il n’est sans doute pas indifférent qu’aux élections présidentielles américaines, l’abstention atteigne 50% des inscrits, même pour élire le chef suprême…

 

Laisser un commentaire