La Guerre froide (et la Détente) au cinéma (filmographie)

   A l’époque de la Guerre Froide, le cinéma est arrivé dans son âge adulte : depuis les années 1930,on connaît son efficacité comme moyen de propagande : il a été utilisé par les dictatures et les démocraties lors du conflit mondial : aussi, il se trouve impliqué, surtout aux Etats-Unis, dans le combat politique et la Guerre Froide peut s’incarner directement à l’écran. Ce n’est qu’à partir des années 1960, une fois la tension idéologique retombée, que les réalisateurs pourront porter un regard plus distancié sur la période…( dans tout l’article qui suit, nous entendons la Guerre Froide au sens large, c’est à dire l’affrontement entre les deux grandes puissances dans les années 1950-1960, mais aussi les évènements intérieurs dans les deux camps liés à ce climat , comme par exemple le Maccarthysme aux États-Unis, la répression dans les pays de l’Est…).

Un cinéma de combat
En parcourant la filmographie de l’époque, on constate d’abord que c’est surtout le cinéma américain qui s’est engagé dans le combat idéologique. Dans la production soviétique, les allusions à la Guerre Froide sont peu fréquentes, pour autant que l’on puisse connaître les films de cette période. Déjà, leur nombre total est faible ( 19 en 1946, 61 en 1956 ). Surtout, et en partie pour rivaliser avec Hollywood, le cinéma soviétique privilégie les fresques monumentales à la gloire des Grands Hommes du pays et bien sûr les récits le plus souvent tragiques de la « Grande guerre patriotique » (La bataille de Stalingrad de Petrov, La chute de Berlin de Michael Tchiaourelli -1949- ). La plupart de ces films font la part belle au culte de la personnalité alors à son apogée ( Le chevalier à l’étoile d’or de Youli Raizman-1950- ), mais font preuve d’une certaine discrétion sur le combat idéologique : cette modération s’explique sans doute par le pacifisme affiché par les dirigeants soviétiques, qui veulent présenter le camp occidental comme l’agresseur.
Le cinéma américain est davantage mis à contribution dans la lutte idéologique contre le camp communiste. Les conditions de production changent radicalement et les réalisateurs et scénaristes font désormais l’objet d’une surveillance étroite. La Commission des activités anti-américaines, créée en 1938 pour lutter contre l’influence des Nazis, est  » réactivée » : elle procède à plusieurs audiences publiques afin d’épurer Hollywood de l’idéologie communiste ( en 1947, les « témoins amicaux » prêts à coopérer, comme Adolphe Menjou, Gary Cooper, Ronald Reagan…,puis les « témoins inamicaux » dont les fameux « Dix d’Hollywood »-John Lawson, Dalton Trumbo, Herbert Biberman…, accusés et jugés pour « outrage au Congrès »; en 1951, reprise des auditions en particulier des « repentis » célèbres comme Edward Dmytryk ou Elia Kazan, anciens communistes qui « donnent des noms »…). Les producteurs les plus importants (Sam Goldwyn, Harry Cohn, Jack Warner, Louis Mayer…) proclament, lors d’une réunion à l’hôtel « Waldorf Astoria » de New-York, « qu’ils n’engageront plus de personnes qui préconisent le renversement du gouvernement des États-Unis « . En d’autres termes, toutes les personnes suspectes d’être des « libéraux » (au sens américain, c’est à dire de gauche ) se retrouvent sur des « listes noires » et sont interdits d’embauche dans les grands studios d’Hollywood. Cette exclusion devient rapidement réalité, et de nombreux scénaristes se retrouvent au chômage ou sont obligés de travailler sous des noms d’emprunt ,comme Dalton Trumbo. La carrière de certains acteurs comme John Garfield, Paul Robeson ou Zero Mostel est brisée et les cinéastes les plus engagés préfèrent s’expatrier en Europe ( Joseph Losey, John Berry, Jules Dassin…).
Dans ces conditions, le cinéma hollywoodien s’engage dans la Guerre Froide. Les historiens du cinéma dénombrent une trentaine de films qu’on peut qualifier d’anticommunistes.Chaque grand studio veut son film « antirouge »: la MGM produit Guet-apens de Victor Saville ( 1949 ), la Warner, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas ( 1951 ), la Paramount, My son John de Leo Mac Carey ( 1952 ).Outre les réalisateurs cités, quelques cinéastes chevronnés s’engagent dans la lutte « antirouge » : William Wellman, Sam Fuller, Henri Hattaway et dans un registre différent, Elia Kazan et Edward Dmytryk ( à l’inverse, on remarquera la discrétion ou l’habilité de réalisateurs comme John Ford, Howard Hawks, John Huston qui gardent leurs distances). La plupart de ces films font preuve d’un solide manichéisme : le communisme y est souvent comparé à une maladie qui peut gangrener la société américaine.Reprenant les thèmes développés par le sénateur Mac Carthy, toute critique contre l’American way of life est vite assimilée à une attitude communiste : beaucoup de ces films relatent des affaires d’espionnage « atomique » sur le territoire américain, dans lesquelles les agents du FBI ont le beau rôle ( Le rideau de fer de William Wellmann -1948-, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas -1951-) : c’est aussi une manière pour les Américains d’expliquer la rapidité avec laquelle l’URSS rattrape les États-Unis dans la course aux armes nucléaires, et d’alimenter la paranoïa ambiante. Cette menace communiste est particulièrement grave quand elle s’attaque à la famille américaine elle-même. Dans My son John de LeoMac Carey, c’est le fils aîné, incarné par le trouble Robert Walker, qui est « contaminé » par la doctrine communiste et sa conversion entraîne toute sa famille dans le drame : sa mère sombre dans la dépression, le père dans l’alcoolisme : la délivrance ne peut venir que par le sacrifice de celui par qui le mal est arrivé. Certains de ces films se déroulent en Europe et en particulier à Berlin, lieu symbolique de l’affrontement Est-Ouest ( The big lift de G.Seaton -1949-, Man on a thight rope d’Elia Kazan -1952-, Les gens de la nuit de Nunnaly Johnson-1954- ) : mais les scénaristes ne s’attardent pas en général à décrire la vie au delà du rideau de fer, et leur représentation du monde communiste reste caricaturale.

La guerre des mondes
Dans ces mêmes années 1950, le cinéma de science-fiction connaît un essor remarquable, en partie à cause du climat de Guerre Froide de l’époque. D’abord, de nombreux films évoquent, sous des formes métaphoriques, la lutte entre la Terre ( c’est à dire les  États-Unis et le camp occidental ) et des mondes menaçants , comme la planète rouge Mars. Soit il s’agit d’expéditions dans ces endroits inconnus ( Red Planet Mars de Harry Horner -1952- ), soit il faut se défendre contre des envahisseurs venus d’autres univers ( Invaders from Mars de William Menzies-1953-, La guerre des mondes de Byron Haskin-1953- ). A ce propos, l’imagination des cinéastes se déchaine pour donner à ces êtres les formes les plus extravagantes, sous le prétexte qu’elles sont le fruit de mutations « atomiques » : carotte géante dans La chose d’un autre monde de Christian Nyby et Howard Hawks ( 1953 ), gigantesques calamars dans It conquered the world de Roger Corman ( 1956 ) , masse gélatineuse, le fameux « Blop », dans Danger planétaire d’Irwin Yeawoth ( 1958 ). Quand l’URSS lance avant les États-Unis ses premiers satellites à partir de 1957, l’image des soucoupes volantes semble à beaucoup d’Américains l’anticipation d’une réalité à venir…L’idée qu’on retrouve dans la plupart de ces films est  » qu’il est dangereux d’aller fureter dans des alternatives utopistes » et qu’en quelque sorte « on est bien mieux chez soi… »

Les voies de la résistance…
Cependant, l’idée d’un cinéma américain « aux ordres » doit être nuancée : d’abord l’importance des films  » antirouges » est toute relative si on la rapporte à l’ensemble de la production hollywoodienne ( une trentaine de films pour toute la période alors que la moyenne annuelle est proche de 360 long-métrages…). Pour les studios, le cinéma doit rester un divertissement et, dans ces années, la comédie musicale brille de tous ses feux ( Un Américain à Paris de Gene Kelly-1951-, Chantons sous la pluie de Kelly et Stanley Donen-1952-, Tous en scène de Vincente Minnelli- 1953-…). De plus, tout le milieu du cinéma n’est pas passé dans le camp maccarthyste et beaucoup sont choqués par cette « chasse aux sorcières » : plusieurs acteurs et réalisateurs, comme Humphrey Bogart,Laureen Bacall, John Huston, Groucho Marx, Frank Sinatra, se mobilisent pour soutenir les « Dix d’Hollywood » .Le « libéral » Joseph Manciewiz conserve la présidence de la puissante Association des réalisateurs américains, malgré les attaques du très conservateur Cecil B.de Mille, avec le soutien inattendu de John Ford et de la majorité de ses collègues… En fait, de nombreux cinéastes parviennent à contourner les interdits pour exprimer leur vision pessimiste de l’Amérique, en utilisant des genres moins exposés, comme le film noir ou le western. Dans les films noirs des années 1940-1950, la société américaine est représentée comme un véritable enfer, bien loin de l’image propre et lisse, diffusée par la propagande officielle : les grandes villes sont gangrenées par la violence et la corruption, les personnages sont fragiles, motivés seulement par l’appât du gain et le sexe .Les droits les plus élémentaires sont battus en brèche par les maffias de tous ordres ( L’enfer de la corruption d’Abraham Polonsky -1948-, La cité sans voiles de Jules Dassin-1948-, Quand la ville dort de John Huston-1950-, Règlement de comptes de Fritz Lang- 1953-…). De même, les westerns évoluent pendant les années 1950 : avant guerre, ils célébraient sans états d’âme les mythes fondateurs de l’histoire américaine : la Conquête de l’Ouest, la bravoure des pionniers, la sauvagerie des Indiens… Mais ces idées sont remises en cause après 1945 : le héros est moins viril et sûr de lui, ses motifs moins nobles et l’ambiance parfois crépusculaire ( La Vallée de la Peur de Raoul Walsh-1947-). L’image de l’Indien est revalorisée,ce qui rend plus difficile la justification de son extermination ( La flèche brisée de Delmer Daves -1950- ). Certains westerns font même allusion au climat de lâcheté et de fanatisme qui règne alors aux États-Unis, sous la férule de Mac Carthy ( Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann –, Johnny Guitare de Nicholas Ray-1954- ). Dans un autre registre, les cinéastes « repentis » justifient leur attitude dans leurs films, en faisant l’apologie de la délation qui peut s’avérer nécessaire ( Sur les quais d’Elia Kazan -1954-, L’homme aux colts d’or d’Edward Dmytryk -1959- ). Ainsi, comme le relève Michel Luciani, bon nombre de fictions « ont contourné l’obstacle par la maitrise du double langage, par le symbole et l’allégorie. Endormis pendant des années dans les usines à rêves, les artistes du cinéma américain ont dû d’un seul coup se surpasser ou disparaître ».

Un certain regard européen
Dans les pays alliés des États-Unis, l’engagement est beaucoup moins marqué. En Grande-Bretagne, plusieurs films sont réalisés sur des sujets liés à la Guerre Froide (le cinéaste Carol Reed en particulier adapte à l’écran plusieurs romans de Graham Greene, dont le plus célèbre, Le Troisième homme ). Le ton est encore anticommuniste, mais avec une nuance d’autodérision ( Notre agent à la Havane -1960- ) et une vision moins manichéenne des camps en présence. A propos du Troisième homme, Marc Ferro remarque que le film est hostile aux Soviétiques, accusés de tremper dans de louches trafics de médicaments, mais qu’il souligne aussi « l’angélisme » des Américains,qui décidément ne comprennent rien aux subtilités du vieux continent. En France, la filmographie sur le sujet est inexistante ( sauf à considérer La belle Américaine de Robert Dhéry comme porteuse d’un message politique…). Les films américains les plus virulents dans l’anticommunisme sont d’ailleurs édulcorés par les distributeurs : l’intrigue de Pick up on South Street, qui met en scène des espions communistes, devient une histoire de drogue, malgré l’opposition du réalisateur Sam Fuller. Dans Courrier diplomatique de Henry Hattaway, les Soviétiques sont métamorphosés en mystérieux « Slavons »… Cette situation particulière s’explique peut-être par l’influence des idées de gauche dans les milieux du cinéma en France et aussi par la prudence des distributeurs, peu soucieux de braquer l’opinion publique certainement moins « antirouge » qu’aux États-Unis ( à l’époque, le PCF recueille encore près d’un quart des suffrages..).

La fin des certitudes

   A partir de 1955, les deux Grands amorçent le rapprochement qui aboutit à la Détente après 1962. Mais ce processus est lent, hésitant, marqué par de nombreux « incidents » , de l’écrasement de la révolte hongroise en 1956 à la crise des fusées à Cuba en 1962. La stratégie dite « des représailles massives » prônée par Foster Dulles ne semble plus adaptée et le dynamisme de l’URSS dans la course technologique inquiète les  États-Unis.

Des espions fatigués
Le cinéma s’est fait l’écho de ces débats et de ces hésitations, en particulier aux États-Unis. Dans le film d’espionnage, genre privilégié à l’époque précédente, le changement de ton est sensible. Certes, la série des James Bond , inaugurée en 1962 par James Bond contre Docteur No, semble dans le droit fils des films « antirouges » des années 1950 ( ces films sont d’ailleurs violemment dénoncés pour leur agressivité par les Soviétiques ). Mais on peut aussi relever qu’à l’exception de Bons baisers de Russie ( 1963 ), l’agent 007 affronte le plus souvent des « méchants » issus de pays du Tiers-Monde ( dans Goldfinger, les tueurs sont décrits comme des « chigroes », »croisement improbable de Chinois et de Nègres »…) : le ton est donc plutôt xénophobe, voire raciste plus qu’anticommuniste ( d’ailleurs, le SPECTRE, l’organisation criminelle que combat James Bond s’attaque en général aux deux Grands..). Mais pour les autres films d’espionnage, l’heure est au désenchantement. Déjà, dans Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959 ), les agents des deux camps sont des professionnels qui se ressemblent, et les secrets d’état qu’ils se disputent semblent bien dérisoires ( des « MacGuffin » dans le langage hitchcockien…). Surtout dans les années 1960, plusieurs films sont réalisés à partir des livres de John LeCarré et Len Deighton ( L’espion qui venait du froid de Martin Ritt -1965-, Ipcress, danger immédiat de Sidney Furie-1965-, M15 demande protection de Sidney Lumet -1966-). Or, ces écrivains s’inspirent des affaires qui agitent alors le monde des services secrets (en particulier, la défection de Kim Philby en 1962, qui montre l’importance de l’infiltration du KGB dans le MI5 britannique ), et renouvellent complètement la vision de cette lutte souterraine entre les deux grandes puissances. Dans ces livres comme dans ces films, les personnages d’espions ne sont plus des héros bardés de certitudes, mais ce sont des hommes désabusés, fatigués,et qui agissent comme par réflexe, sans mobile politique apparent ; des « anti-James Bond » en quelque sorte ( par exemple, Alex Leamas dans L’espion qui venait du froid ). Les services occidentaux emploient les mêmes méthodes détestables que « le camp d’en face » et il est bien difficile de distinguer le bien du mal, tant la lutte se livre  » à fronts renversés  » : dans L’espion.., le MI5 utilise un ancien nazi pour s’infiltrer dans la hiérarchie de la RDA et n’hésite pas à sacrifier un de ses propres agents… La confusion est à son comble dans le film La lettre du Kremlin réalisé par John Huston en 1969, dans lequel espions russes et américains collaborent ensemble dans une ambiance malsaine de règlements de compte, de « coups fourrés » et de corruption…

Le cinéma de politique-fiction
Cette époque voit aussi le développement du film de « politique-fiction », qui traite des évènements les plus contemporains, souvent tourné par des cinéastes « libéraux ». Plusieurs films évoquent ainsi la menace d’extrème-droite pesant à l’intérieur même des  États-Unis et les personnages imaginés par les cinéastes s’inspirent à l’évidence de personnalités ayant réellement existé comme le sénateur Joseph Mac Carthy ou le général Mac Arthur ( Tempête à Washington d’Otto Preminger -1962-, Un crime dans la tête de John Frankheimer-1962-, Sept jours en mai du même réalisateur -1964- ). D’autres encore montrent les problèmes que posent la stratégie nucléaire menée jusque là par les États-Unis ( Point limite de Sidnet Lumet -1964-, Aux postes de combat de J.B Harris-1965- ). Le film le plus réussi sur ce thème est sans doute celui de Stanley Kubrick, Docteur Folamour réalisé en 1964, qui réussit à traiter ce sujet avec une ironie grinçante ( le sous-titre donne le ton : ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe ). Très bien documenté, le cinéaste dresse une galerie de portraits « à clef » : un Président façon Kennedy, un général paranoïaque à la Mac Arthur, un officier typique représentant du complexe militaro-industriel, un savant fou ex-nazi « récupéré » par les Américains, incarnation possible de l’ingénieur Werner Von Braun…. Le film expose aussi la mécanique infernale mise en place par la course aux armements atomiques et montre les limites de la dissuasion mal maitrisée.

Une même évolution à propos de la Guerre Froide est sensible dans d’autres genres cinématographiques : dans la comédie de Billy Wilder Un, deux, trois ( 1961 ), James Cagney incarne un fringant homme d’affaires représentant de la firme Coca-Cola, prêt à tout pour aller s’implanter en Europe de l’Est et qui ne s’embarrasse surtout pas de considérations idéologiques. Dans le même film, le farouche militant communiste abandonne son idéal brutalement et sans état d’âme.. Dans les films de science-fiction, les personnages d’extra-terrestres n’ont plus d’intentions hostiles ( dans Teen-agers from Outer Space de T.Graef -1959-, le voyageur venu de l’espace tombe amoureux d’une jeune rock’n’rolleuse…).

A partir des années 1960, le cinéma américain s’est donc libéré du carcan idéologique de la période précédente : il exprime la crise d’identité d’une Amérique moins sûre d’elle même . Les films de cette époque insistent moins sur les divergences politiques entre les deux camps que sur les aspects qui les rapprochent. Une page est donc tournée. Alors qu’en 1975, la Commission des activités anti-américaines est dissoute, certains réalisateurs et scénaristes autrefois écartés reviennent travailler à Hollywood ( Dalton Trumbo qui écrit le scénario du film Spartacus de Kubrick, Abraham Polonsky qui réalise Willie boy en 1970…. ). Les cinéastes de la génération suivante se montrent beaucoup plus indépendants et n’hésitent pas à mettre en cause les institutions américaines ( la CIA dans Les trois jours du Condor de Sidney Pollack-1973-, le Président lui-même dans Les hommes du Président d’Alan Paluka-1976- ). Ils montrent toute leur liberté d’esprit à propos de la guerre du Vietnam, qui a inspiré nombre d’entre eux ( Francis Ford Coppola, Elia Kazan, Michael Cimino, Oliver Stone, Stanley Kubrick…). Quelques uns abordent même le thème du MacCarthysme pour en dénoncer les excès, au nom de la liberté d’expression bafouée ( Nos plus belles années de Sidney Pollack-1973-, Le prête-nom de Martin Ritt-1976-, La liste noire d’Irwin Winkler -1991- ). Certes, les années Reagan sont marquées par une floraison de films « antirouges », comme aux plus beaux temps de la Guerre froide : la série des Rambo, qui affronte les Vietnamiens ( Rambo II en 1986 ) puis les Soviétiques en Afghanistan ( Rambo III en 1988 ), le personnage de Rocky encore interprété par Sylvester Stalone, qui combat contre un boxeur russe dans Rocky IV ( 1985 ), Invasion USA de Joseph Zito ( 1985 ), qui reprend un titre des années 1950 et qui évoque l’invasion de la Floride par des troupes sovieto-cubaines… Mais, l’effondrement du bloc communiste à partir de 1989 tarit pour un temps cette source d’inspiration et les conservateurs américains s’inquiètent à nouveau de la moralité des films produits par Hollywood.

« The French Touch »
En Europe, dans les années 1960-1970, le nombre de films consacré à la Guerre Froide reste faible : dans le genre du film d’espionnage, comme aux États-Unis, les scénarios présentent des personnages plus complexes, des hommes-machines, manipulés par leurs services : Les Espions d’Henri-Georges Clouzot ( 1957 ), Le silencieux de Claude Pinoteau ( 1972 ) . Mais un film de cette période retient surtout l’attention : L’Aveu de Konstantin Costa-Gavras ( 1970 ). Adapté du livre d’Arthur London, il évoque les procès staliniens qui se déroulent au lendemain de la guerre en Tchécoslovaquie socialiste ( en particulier, le procès Slansky en 1952 ). Ce film rigoureux et austère est presque une œuvre expiatoire pour le réalisateur, le scénariste ( Jorge Semprun ) et l’interprète principal ( Yves Montand ), tous trois proches ou membres du Parti communiste. Cette génération d’intellectuels de gauche, qui avait préféré se taire auparavant pour ne pas donner d’arguments au « camp d’en face », prend maintenant ses distances avec le passé stalinien du mouvement communiste. En quelque sorte, leur démarche « croise » celle des cinéastes américains, surtout préoccupés de s’émanciper du Maccarthysme. Plus récemment encore, plusieurs films français se sont intéressés à la période, dans une veine presque « populiste » ( Vive la Sociale de Gérard Mordillat-1984-, Rouge Baiser de Vera Belmont-1985-, Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes de Jacques Zilbermann-1993- ). Certes, les personnages sont des « staliniens de base » et leur sectarisme, voire leur aveuglement ne sont pas occultés : dans Rouge Baiser, Laurent Terzieff qui incarne un vieux militant de retour du camp » socialiste » essaie d’informer ses camarades sur la réalité dans les démocraties populaires mais se heurte à leur incompréhension. Dans le même film, l’héroïne est exclue pour « titisme ». Mais ces réalisateurs parlent de ces hommes et de ces femmes avec chaleur et affection, insistant sur leur dévouement et leur sincérité ( on pense notamment au personnage joué par Josiane Balasko, dans Tout le monde… ) : cette vision des choses est bien spécifique au cinéma français et elle correspond au rapport particulier et parfois nostalgique qu’entretiennent les anciens militants du PCF avec l’organisation qui a marqué leurs vies.

    Ainsi, la Guerre Froide est bien présente dans le cinéma des années 1950 à nos jours, mais sa représentation a varié selon les époques et les pays. Pendant la Guerre Froide elle-même, c’est un cinéma de combat qui s’impose surtout aux États-Unis, alors que les réalisateurs « libéraux » se réfugient dans la métaphore. A partir des années 1960, le regard porté sur la Guerre Froide se nuance, comme dans les films d’espionnage qui en arrivent à renvoyer les deux camps dos à dos. Aux États-Unis, un cinéma politique dynamique remet en cause les idées reçues de l’époque précédente et n’épargne plus les institutions : une réflexion sur l’histoire de cette période commence, même si on peut la juger limitée… En France, l’époque inspire davantage les réalisateurs, qui dénoncent les excès du sectarisme des militants communistes, mais avec un regard chaleureux sur les hommes… En d’autres termes, la vision de la Guerre Froide est moins polémique que par le passé : elle s’est approfondie et enrichie de nouveaux points de vue, dans un contexte politique nouveau.

voir filmographie guerre froide et détente au cinéma

 

Laisser un commentaire