Quelques remarques à propos de l’utilisation pédagogique d’œuvres audiovisuelles en cours d’histoire

    L’utilisation de documents audiovisuels semble être pleinement rentrée dans les mœurs de notre discipline. Grâce aux stages de formation mis en place dans les différentes académies et aux nombreux ouvrages publiés sur la question, les professeurs d’histoire ont compris tout l’intérêt d’intégrer des documents de cette nature, mais quelques remarques s’imposent à propos de certains aspects de cette pratique.

-L’origine des documents audiovisuels :
Il est d’abord essentiel d’identifier clairement l’origine des documents qu’on utilise : documents d’archives, films de fiction de l’époque qu’on étudie, films dits « historiques » (et en particulier pour la période précédant 1895…).

Les archives
A propos des documents d’archives, il faut aborder leur analyse avec précaution : un film de propagande tourné sur ordre ne peut être décrypté de la même façon qu’un reportage filmé par la presse indépendante. On sait ainsi que les images que l’on présente à propos de la première guerre mondiale sont d’origine très variée et elles ne sont pas toujours authentiques (manœuvres de 1914 censées illustrer la bataille de la Marne, scènes d’attaques reconstituées au fort de Vincennes… ). Le problème est d’actualité, si l’on en juge par le succès de documentaires comme Apocalypse, qui prétend habiller les images d’archives en noir et blanc, en y rajoutant des couleurs et des sons, au prétexte qu’ils sont plus « attrayants » pour les élèves. Pour le moins, ces procédés méritent d’être discutés. Il est donc utile de s’interroger sur l’origine des documents d’archives : ces images proviennent de sociétés dûment répertoriées (en France, en 1914, on en compte plusieurs comme Pathé, Gaumont, Eclair…) et de toute façon complètement « encadrées » dans les régimes autoritaires. On sait ainsi que des consignes étaient données aux opérateurs pour filmer plutôt en contreplongée, ce qui permettait à certains personnages d’apparaître plus grands qu’ils n’étaient en réalité. On sait aussi avec quel soin Hitler s’entrainait à « prendre la pose », en répétant devant son miroir, comme le montrent les photos d’Heinrich Hoffmann. Parfois, ces images d’archives peuvent avoir été réalisées par des amateurs et apportent un éclairage différent et précieux (par exemple, les quelques séquences tournées clandestinement dans les rues de Moscou par la femme de l’ambassadeur britannique dans les années 1930). En tout état de cause, il faut toujours rappeler aux élèves la source des extraits filmés : les séquences tournées dans le ghetto de Varsovie sont le travail des services de Goebbels, à des fins de propagande…Cette identification des sources n’est pas toujours rigoureuse dans certaines émissions documentaires.

Les films de fiction de leur temps
D’abord, comme pour les archives filmées, il faut prendre conscience que les cinéastes ont de fortes contraintes, à la fois économiques et politiques. Dans les dictatures, l’encadrement de la production cinématographique est très vigilante, notamment parce que le cinéma est l’art populaire par excellence, susceptible de toucher les foules. En URSS, tout le processus de création peut être remis en cause par des organismes de censure : dans ce cas, le film est « laissé sur l’étagère », selon l’expression du temps. Un des plus fameux exemples est le film Le Pré de Béjine, réalisé par Serguei Eisenstein en 1937, mais qui ne fut jamais diffusé. Même des films réalisés dans des conditions normales, dans des pays à priori démocratiques, sont soumis à certaines règles : dans les studios hollywoodiens, les cinéastes vont devoir se soumettre au fameux code Hays pendant près de trente ans, à partir de 1927 : il s’agit de préceptes moraux et politiques, très représentatifs de l’idéologie puritaine alors dominante dans la société américaine, que les scénaristes, réalisateurs, et producteurs doivent respecter, faute d’être mis à l’index…Et bien sûr , et en particulier aux États-Unis, le cinéma est considéré comme une industrie de divertissement, susceptible de rapporter des profits.
En ce qui concerne les films de fiction de l’époque étudiée, on doit s’interroger sur la pertinence des œuvres choisies. Le film de Jean Renoir, La Grande illusion, est à juste titre présenté comme un des chefs d’œuvre du septième art mais il est aussi proposé comme emblématique du pacifisme de la fin des années 1930 . Cette lecture est possible mais difficile à appréhender pour des élèves de collège et peut-être aussi pour des lycéens. En tout cas, le temps nécessaire pour exploiter correctement un tel film risque d’être incompatible avec la durée prévue par les programmes pour traiter le chapitre considéré… Sur ce sujet du pacifisme, nous pouvons recommander plutôt le film d’Abel Gance, J’accuse, sorti en 1938 (il s’agit d’une deuxième version d’un premier long-métrage réalisé en 1917). La dernière séquence du film de Gance est d’une grande force : les morts tombés en Verdun sortent de leurs tombeaux pour empêcher un nouveau conflit (le réalisateur a même utilisé comme figurants des vraies « gueules cassées », qu’il a cherché dans les hôpitaux militaires),, toutes activités s’arrêtent, et des états généraux universels proclament la fin de toutes les guerres…La lecture de cet extrait est tout à fait à la portée de nos élèves, tant les intentions du cinéaste sont évidentes.
Il est parfois utile de sensibiliser les élèves à la valeur métaphorique de certains films, qui pour différentes raisons, peuvent être lus à plusieurs niveaux (les films de science-fiction américains pendant la guerre froide, qui évoquent « le choc des mondes » ou les westerns des années 60 au moment de la guerre du Vietnam, qui dénoncent les abus de l’armée des États-Unis…).

Les films historiques
Enfin, la plupart des films historiques sont loin de présenter toutes les garanties de sérieux que l’on pourrait espérer, lorsqu’il s’agit de reconstituer des périodes du passé (et l’on pense notamment aux films hollywoodiens, bien sûr distrayants mais parfois peu crédibles historiquement…). Un cinéaste aussi prestigieux que Wajda qui tourne Danton pour le bicentenaire de la Révolution s’est surtout attaché en évoquant la Terreur, à dénoncer un régime totalitaire comme celui qui sévit alors dans son pays natal, la Pologne du général Jarulewski. Il peut être intéressant de travailler avec les élèves sur l’image que le cinéma nous donne de tel épisode historique mais là encore, le temps nous est compté et il faut faire des choix…

L’exploitation pédagogique des documents audiovisuels :
Le choix des séquences
Quand on utilise des séquences filmées dans le cadre du cours d’histoire, se pose le problème du choix de l’extrait le plus significatif (outre les considérations juridiques qui doivent nous inciter à la prudence, il est plus judicieux d’utiliser une séquence assez brève afin de l’exploiter au maximum). Certains éditeurs scolaires commencent d’ailleurs à proposer des montages, plus ou moins bien faits, de courtes séquences de films d’époque.

Le film, un document historique comme un autre
Les élèves doivent bien prendre conscience qu’un document audiovisuel est un document comme un autre et qu’à ce titre, on doit étudier le contexte dans lequel il a été conçu, travailler sur sa forme, expliciter son contenu (à priori, ce genre de document est considéré par les adolescents comme plus crédible que tout autre, car, pour paraphraser une formule célèbre, « on croit ce qu’on voit » : une certaine vigilance est donc d’autant plus nécessaire…) . A propos de la lecture d’images, il faut décomplexer les enseignants d’histoire qui n’auraient pas une totale maîtrise du vocabulaire et de la grammaire cinématographiques : un savoir minimum suffit pour évoquer les quelques effets de caméra utilisés par exemple dans les films de propagande (gros plans sur les visages aryens dans les documents nazis ou sur de viriles figures prolétariennes dans le cinéma stalinien, caméra placée en contre-plongée pour « grandir » Mussolini, …). Il n’est pas rare d’ailleurs que nos élèves, bien informés de quelques manipulations courantes à propos de ce type de séquences, deviennent hypercritiques devant tout document audiovisuel.

Travailler sur les extraits filmiques
En tout cas, il est nécessaire que la séquence diffusée donne lieu à un véritable travail de la part de l’élève, sous forme orale ou écrite, selon le temps dont on dispose et le niveau de la classe. On peut même concevoir toute une partie du cours qui se ferait à partir de documents audiovisuels, choisis pour les informations qu’ils apportent et les problèmes d’interprétation que pose leur origine (cf les séquences filmées proposées dans ce même blog à propos de la destruction des juifs en Europe : elles sont de nature très diverse – scènes tournées par les nazis dans le ghetto de Varsovie, film amateur clandestin, films historiques comme La conférence de Wannsee et Le Pianiste, témoignage extrait de Shoah, l’œuvre de Claude Lanzmann ) .

Le travail pédagogique sur une œuvre diffusée intégralement
On peut aussi envisager, notamment dans un cadre interdisciplinaire, de faire travailler les élèves sur un film projeté dans son intégralité dans une salle de cinéma. On peut ainsi éviter leur frustration quand ils doivent se contenter d’extraits toujours trop courts, et parfois même les initier à quelques œuvres majeures du septième art, comme les films de Chaplin par exemple, pas toujours connus de nos élèves. Par contre, on sera plus réticent à profiter de l’actualité cinématographique immédiate : certains films bénéficient d’un grand battage médiatique et leurs sorties sont précédées par une intense campagne promotionnelle dans nos établissements, sans que leur intérêt pédagogique soit toujours réellement avéré.
Pour travailler sur des films entiers, les possibilités existent : d’abord en utilisant des opérations promues au niveau national comme Collège au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma ou bien en profitant des programmations proposées dans certaines régions par des associations culturelles : en Alsace, existent plusieurs organismes comme Les Rencontres cinématographiques d’Alsace, le ciné-club de Wissembourg ou Educiné dans le secteur Obernai-Molsheim .
Une démarche possible est de préparer la sortie par quelques questions préliminaires sur le film, le scénario, et le contexte puis, après la projection, d’interroger les élèves sur certains aspects (il n’est pas toujours évident pour les élèves d’avoir un souvenir précis de toutes les séquences et il est donc préférable de poser des questions ouvertes..). Pour réaliser ce type de travail, il convient de préciser que la plupart des associations qui travaillent sur des films destinés au public scolaire fournissent des dossiers pédagogiques ainsi que des fiches simplifiées pour les élèves sur les films programmés dans l’année scolaire. C’est le cas par exemple pour les opérations Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma : chaque enseignant reçoit un dossier et des fiches pédagogiques pour ses élèves. Le site Zéro de conduite produit d’excellents dossiers sur les films les plus récents et qui sont susceptibles d’être exploités pédagogiquement : certains d’entre eux peuvent être téléchargés gratuitement sur le site (de plus en plus, ces dossiers sont payants…).

Un travail d’accompagnement indispensable
En tout état de cause, ce travail de mise en perspective, de contextualisation est indispensable pour permettre une exploitation pédagogique utile : s’il n’a pas lieu, le risque est que les élèves n’y voient qu’une activité ludique et distrayante (« on va au cinéma »!). De plus, la projection de certains films doit de toute façon être « accompagnée » : par expérience, quand j’ai montré Nuit et brouillard à mes collégiens, j’ai pu constater qu’il est essentiel de parler du film avec les élèves après. D’abord parce que les images sont d’une extrême brutalité et que les adolescents doivent en parler. Aussi, parce que l’exceptionnel film de montage de Resnais, toujours aussi efficace, doit être complété par des mises au point sur les avancées de la recherche sur ce thème: notamment, l’historiographie nous a appris depuis la nécessaire distinction maintenant bien établie entre camps de concentration et camps d’extermination qui n’apparaît pas dans ce film de 1955 (le cinéaste ne doit pas être mise en cause mais cet aspect du phénomène concentrationnaire n’était pas encore clairement apparu).

  En conclusion, nous sommes bien conscients qu’il n’est pas possible de mener à bien toutes les démarches explicatives pour chaque extrait passé en classe : par contre, il nous semble qu’évoquer ces problèmes avec les élèves pour certains extraits peut les amener à avoir un regard critique. Pendant longtemps, je commençais mon cours sur la première guerre mondiale par une analyse critique du début d’un documentaire de Jean Aurel, 14-18, réalisé en 1963, avec un commentaire écrit par Jacques Laurent : cette séquence avait l’immense avantage de comporter plein de défauts et de trucages facilement décelables par mes collégiens…L’objectif est bien que les élèves en viennent à considérer aussi le cinéma comme une source d’histoire.

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