Le latino dans le cinéma américain : l’évolution d’un stéréotype

(cet article a été rédigé pour le dossier du film  Trois enterrements)

   Dans le cinéma américain, les minorités ont dû attendre de longues années avant que leurs représentations à l’écran évitent les clichés réducteurs voire racistes…Même les immigrés européens « blancs », mais qui ne sont pas anglo-saxons n’ont pas toujours été bien lotis : les PIGS ( pour Polonais, Italiens, Grecs, Slaves…) sont réputés inassimilables pendant longtemps : il faudra attendre la génération des Coppola, Cimino, Scorsese pour voir sur les écrans, des images plus positives des Italo-Américains. De même, l’image du Noir dans le cinéma hollywoodien est très longtemps réductrice et dévalorisante. Les Afro-Américains sont certes doués pour la musique et la danse mais ils apparaissent veules, stupides, malhabiles…( dans le fameux film Autant en emporte le vent , les personnages noirs sont en général négatifs, à part la servante dévouée…). Il faut attendre les années 1960 pour voir enfin évoluer les personnages de Noirs, notamment dans les films des cinéastes libéraux comme Norman Jewison ou Sidney Lumet : beaucoup sont alors interprétés par Sidney Poitier, image même de l’homme de couleur « présentable », qui exerce des métiers qualifiés (il n’est plus manœuvre ou domestique…) et même susceptible d’épouser la jeune fille de la maison (par exemple, dans  Devine qui vient dîner ce soir ? ). Mais ce sont surtout les films de Spike Lee (Do the Right Thing –1989, Malcom X-1992) et John Singleton (Boyz’n the Hood -1991), qui marquent une réelle rupture. Cette fois, la communauté noire est représentée par des cinéastes afro-américains, qui veulent s’opposer aux représentations stéréotypées d’Hollywood.

Le temps du cliché
Dans les premiers temps du cinéma, le personnage du Latino n’est pas plus avantagé que ceux des autres minorités…Il apparaît peu et de manière le plus souvent négative. Dans l’un des premiers films datant de 1911, le personnage mexicain est un bandido, surnommé Tony the Greaser (Tony le Graisseux…). On ne pouvait plus mal commencer et ce stéréotype se retrouve dans la plupart des westerns jusqu’aux années 1950 (jusqu’aux films de Sergio Leone, qui sait pousser à leur paroxysme les clichés du genre…). La moustache imposante, l’immense sombrero vissé sur la tête, la poitrine bardée de cartouchières, mal rasé et sale, ce personnage est en général peu sympathique se range visiblement dans le camp des Méchants, pas très loin des Peaux Rouges…

Le regard des cinéastes engagés
Ce n’est qu’après 1945, comme pour les autres minorités, que l’image des Latinos commence à évoluer dans le cinéma américain. Mais il faut tout de suite relever qu’il existe peu de films qui aborde réellement le sujet de l’immigration hispanique (les cinéastes mexicains ont par contre plusieurs fois évoqué les problèmes des wet backs partant vers le Nord, comme Alfonso Arau qui réalise Mojado Power en 1980).
Quelques réalisateurs américains ont quand même traité ce thème : Herbert Biberman, qui tourne The Salt of The Earth (Le sel de la terre) en 1953 : Robert Young est le réalisateur d’Alambrista (1977) ; Robert Redford, l’auteur du film Milagro Beanfield War (Milagro) en 1987 et John Sayles met en scène Lone Star (1996), en attendant Ken Loach. A des titres divers, ces cinéastes ont déjà en commun leur engagement militant. Leurs films veulent dénoncer les conditions de vie faites aux Latinos aux États-Unis. Cette dimension politique est particulièrement évidente pour le premier d’entre eux : le film de Biberman sans doute le plus connu, a été tourné dans des conditions difficiles : le réalisateur fait partie des fameux Dix d’Hollywood , scénaristes et metteurs en scène victimes en 1952 de la chasse aux sorcières orchestré par la Commission des Activités anti-américaines. Biberman doit tourner presque clandestinement, alors que de multiples pressions s’exercent sur l’équipe du film : Howard Hugues et le FBI notamment intriguent pour empêcher le tournage et Le sel de la terre ne sera distribué aux États-Unis qu’à partir de 1965. Le film est évidemment engagé : dans un style vigoureux et une précision quasi documentaire, le cinéaste raconte la lutte menée par des mineurs mexicains du Nouveau-Mexique contre une puissante compagnie de zinc…Déjà, le réalisateur « libéral » souligne la participation très active des femmes au combat de leurs compagnons…Ce rôle dynamique des personnages féminins est d’ailleurs une constante des films évoquant les luttes des Latinos, jusqu’à la Maya de Ken Loach dans Bread and Roses : les cinéastes y voient des victimes à double titre : en tant que membres d’une minorité dans une société anglo-saxonne, en tant que femmes dans un milieu machiste…
L’acteur Robert Redford, dont on connaît les engagements et le courage, tente lui aussi de rendre justice à la communauté hispanique en tournant Milagro en 1987 : il prend ainsi le risque d’évoquer un sujet bien loin des scénarios hollywoodiens habituels…Il raconte la lutte de tout un village du Nouveau Mexique contre des promoteurs immobiliers qui veulent implanter un parc de loisirs avec le soutien des autorités locales…Leur arrogance, leur mépris pour les désordres écologiques et économiques qu’ils vont provoquer, dressent contre eux toute la communauté latino, avec l’aide de quelques gringos libéraux…
Récemment, John Sayles réalise un film surprenant Lone Star qui décrit les relations complexes existant entre les habitants de la petite ville de Frontera, dernière cité texane avant la frontière mexicaine…Le cinéaste présente pas moins de trois générations et trois communautés différentes (anglo-saxonne, noire, mexicaine) et s’ingénie à pointer les métissages, les mélanges de races et d’origines (il évoque même les Séminoles Noirs de Floride…). Sayles aborde aussi le problème des luttes de mémoire que se livrent les différentes communautés, à travers l’enseignement de l’histoire prodigué aux enfants. Cet aspect est bien venu quand l’on sait l’importance qu’ont prise les études ethniques dans les Universités américaines, pour le meilleur et pour le pire…
On peut aussi relever dans les films récents, une autre façon d’aborder le problème des migrants clandestins, qui traversent la frontière souvent à leurs risques et périls…Ainsi, dans Police frontière de Tony Richardson (1981), le policier des frontières incarné par Jack Nicholson finit par s ‘émouvoir du sort de ces malheureux, souvent exploités par des passeurs sans scrupules…Et il finit par faire passer une jeune femme, afin qu’elle retrouve son enfant victime du trafic de clandestins. La séquence d’ouverture de Bread and Roses, le film de Ken Loach déjà mentionné, montre aussi son héroïne Maya aux prises avec deux personnages peu recommandables, alors qu’elle réussit à pénétrer aux Etatx Unis. On peut d’ailleurs noter que les gardes frontières sont souvent représentés comme au mieux déplaisants au pire corrompus (Police frontière) ou violents (Mike Norton dans Trois enterrements).
Même quand certains films abordent le problème de la drogue, les cinéastes prennent garde à ne pas diaboliser les personnages mexicains. Déjà, dans La soif du Mal (1955), Orson Welles mettait en scène un policier mexicain chargé de lutter contre le trafic de drogue honnête et séduisant, interprété par le jeune …Charlton Heston ! (un peu maquillé pour le rendre plus crédible…). Ce personnage très positif s’opposait à un vieux flic peu ragoûtant, magouilleur et cynique incarné par Welles lui-même… Dans le film de Steven Soderbergh, Traffic (2001), Benicio del Toro joue le rôle de Javier Rodriguez, un policier mexicain qui tente de rester intègre dans un milieu particulièrement corrompu…
Enfin, quelques cinéastes ont su présenter les problèmes spécifiques des adolescents hispaniques, de manière assez réussie (dans Kids de Larry Park, une des jeune filles tente de se libérer de l’atmosphère étouffante que son père fait régner dans leur famille : Long way home de Peter Sollett dresse le portrait sensible de plusieurs teen agers latinos du quartier du Lower East Side à New York)

Un cinéma latino ?
Depuis peu, quelques cinéastes d’origine hispanique ont réussi à réaliser leurs propres films : Greg Nava a tourné Mi Familia, Edward James Olmos American Me, Cheech Marin American Chicano. Mais les préjugés du système des studios ne leur permettent pas vraiment de développer une vision renouvelée de leur communauté. Selon Raymond Paredes, professeur de littérature à l’UCLA, « Hollywood regarde cette culture de façon étroite, essentiellement en termes de violence urbaine, d’exotisme culturel et d’accents prononcés ». Dans La Bamba (1986) qui raconte la vie du rocker Richie Valens, le héros est une caricature de chicano anglophone, surtout désireux de s’intégrer au plus vite : il ne parle pas espagnol et ne s’indigne pas outre mesure d’avoir à abandonner son patronyme trop typé…Son seul emprunt à sa culture d’origine est la fameuse chanson, qui donne son titre au film et qui connut effectivement un immense succès…Le film de R. Rodriguez, El Mariachi (1997) semble passer en revue les clichés habituels sur la culture chicano, en particulier l’érotisme et la violence…
On peut cependant nourrir quelque espoir sur l’évolution de l’image des Latinos. La communauté hispanique devient trop importante pour qu’on la choque par une image excessivement péjorative. Sans doute au nom du « politiquement correct », elle est plus « ménagée » que par le passé : dans le dernier film de John Singleton, Shaft affronte un dealer latino pervers à souhait mais sa principale adjointe est aussi une hispanique…Les succès d’acteurs comme Antonio Banderas ou Jennifer Lopez confirment qu’il est possible que des artistes latinos réussissent le cross-over (plaire à un public plus large que sa propre communauté). On peut ainsi penser que le cinéma américain, qui a finalement donné un espace aux cinéastes afro-américains, saura aussi s’ouvrir à la culture hispanique.. De ce point de vue, la carrière de Luiz Valdez est encourageante. Il commence par travailler au sein du Teatro Campesino qui raconte les luttes des braceros des années 1960 : par la suite, il devient auteur de théâtre (Zootsiut en 1977, sur les dandys mexicains d’après guerre) puis scénariste (La Bamba, en 1987). Il a entrepris l’écriture d’un film sur le syndicaliste César Chavez : mais il ne veut pas entendre parler d’un traitement du sujet par les grands studios d’Hollywood: « il connaît leur traitement des luttes des travailleurs, indécent à l’exception des Raisins de la colère » (Spike Lee avait eu la même démarche en réalisant Malcom X, refusant qu’un cinéaste blanc s’empare du sujet…).
La communauté hispanique peut maintenant espérer un traitement cinématographique plus digne de sa culture. Du bandido mal rasé au Latino en lutte, le chemin parcouru est déjà long. Sans doute le temps est-il venu d’un cinéma plus autobiographique, qui racontera les destins singuliers d’une communauté si diverse, une façon de s’éloigner définitivement des personnages trop stéréotypés.

Une filmographie sélective :
Le sel de la terre, Herbert Biberman, 1953
La soif du mal, Orson Welles, 1955
Police frontière, Tony Richardson, 1981
La Bamba, Luis Valdez, 1986
Milagro, Robert Redford , 1987
El Mariachi, Robert Rodriguez, 1993
Lone Star, John Sayles, 1996
Bread and Roses, Ken Loach, 2000
Traffic, Steven Soderbergh, 2001
Long way home, Peter Sollett, 2003

Laisser un commentaire