The Visitor, un film humaniste de son temps

The Visitor, un film de Thomas McCarthy
États-Unis,  1 heure 45 , 2007
Interprétation : Richard Jenkins, Haaz Sleiman, Danai Zurira , Hiam Hababb
Synopsis :

    Professeur d’économie dans une université du Connecticut, Walter Vale, la soixantaine, a perdu son goût pour l’enseignement et mène désormais une vie routinière. Il tente de combler le vide de son existence en apprenant le piano, mais sans grand succès…
Lorsque l’Université l’envoie à Manhattan pour assister à une conférence, Walter constate qu’un jeune couple s’est installé dans l’appartement qu’il possède là-bas : victimes d’une escroquerie immobilière, Tarek, d’origine syrienne, et sa petite amie sénégalaise Zainab n’ont nulle part ailleurs où aller. D’abord un rien réticent, Walter accepte de laisser les deux jeunes gens habiter avec lui.
Touché par sa gentillesse, Tarek, musicien doué, insiste pour lui apprendre à jouer du djembe. Peu à peu, Walter retrouve une certaine joie de vivre et découvre le milieu des clubs de jazz et des passionnés de percussions. Tandis que les deux hommes deviennent amis, les différences d’âge, de culture et de caractère s’estompent.
    Mais lorsque Tarek, immigré clandestin, est arrêté par la police dans le métro, puis menacé d’expulsion, Walter n’a d’autre choix que de tout mettre en œuvre

The Visitor, un film humaniste de son temps

    The Visitor, le film de Thomas McCarthy, sort sur les écrans en 2008, soit quelques années après l’attentat contre les tours de New York le 11 septembre 2001. A sa manière, il s’inscrit dans un mouvement plus général : les opinions publiques du monde occidental commencent à prendre conscience des limites du tout-répressif mis en place dans presque tous les pays dans leur lutte contre le terrorisme. Cette remise en cause des dérives de l’arsenal juridique en particulier contre l’immigration clandestine « s’est progressivement imposée comme un sujet cinématographique, à la fois pour des raisons militantes et romanesques » (Vincent Lowy, Cinéma et mondialisation, 2011). Comme l’écrit cet auteur, « le cinéma exprime prioritairement la mauvaise conscience occidentale, en prenant fait et cause pour les migrants et ceux qui les aident». Et de citer deux réalisations de cinéastes français : Eden à l’ouest de Constantin Costa-Gavras (2009) et Wellcome de Phlippe Lioret , la même année.
Aux États-Unis même, plusieurs films évoquent l’intervention américaine en Irak (il s’agit de la troisième guerre d’Irak, déclenchée par George W. Bush en mars 2003, et qui aboutit au renversement du régime de Saddam Hussein : le président déclare la guerre terminée en mai 2003 mais les troupes se maintiendront dans le paix jusqu’en 2011…). On peut ainsi citer American Soldiers de Sidney Fury (2005), Battle for Haditah de Nick Broomfield (2007), Redacted, de Brain de Palma (2008), Les démineurs de Kathryn Bigelow (2009) et plus récemment Green Zone de Paul Greenglass (2010). La plupart de ces réalisations portent un regard critique sur l’intervention américaine et semblent douter de l’efficacité de la stratégie présidentielle. Comme à l’époque de la guerre du Vietnam, plusieurs films s’interrogent sur les effets traumatisants pour les soldats américains, qui ne comprennent pas les motifs de la guerre qu’ils mènent (De Palma avait tourné un film sur le conflit vietnamien –Outrages en 1989, dont le scénario a inspiré celui qu’il a réalisé sur l’Irak…). Des films ont aussi été tournés dans le même registre à propos de l’intervention des États-Unis en Afghanistan (Road to Guantanamo, de Michael Winterbottom en 2006, Lions et agneaux de Robert Redford en 2007).
   The Visitor a sans doute des ambitions plus modestes mais en même temps, son approche est peut-être plus subtile : en évoquant les rapports entre un américain moyen et quelques immigrés clandestins à New York, il est un témoignage intéressant sur l’état de la société américaine traumatisée par le 9/11…

La terre promise des immigrés
Avec sa galerie de personnages (Tarek, Zineb, Mouna…), le film de Thomas McCarthy nous rappelle l’importance de l’apport de l’immigration, légale ou non, dans la population des États-Unis. Les chiffres restent importants : depuis les années 1980, l’immigration légale représente chaque année entre 500 et 800 000 personnes, l’immigration clandestine près d’un million . On estime ainsi à près de 11 millions en 2006 les immigrés en situation irrégulière qui sont présents sur le territoire américain. La croissance démographique des États-Unis vient à près de 40% de l’immigration.
Si l’on se focalise sur les populations venues des pays arabes, elles comptent près de 3,5 millions de personnes, essentiellement originaires du Levant (Syrie, Liban, Jordanie, Palestine…) et sont majoritairement chrétiennes (plus de 60%). Les régions où ces immigrés se sont surtout installés sont la Californie, l’état du Michigan (la ville de Dearborn est la ville américaine qui compte le grand pourcentage d’arabes américains), le New Jersey. A New York même, cette communauté s’élève à 200 000 personnes sur 2,2 millions de personnes (longtemps, le quartier du Lower Manhattan était appelé Little Syria ou Little Damas…). Les immigrés venus d’Afrique noire, notamment francophones comme Zineb qui vient du Sénégal, sont de plus en plus nombreux (près de 50 000 arrivent chaque année sur le territoire américain, leur nombre s’élève à 650 000 en 1998). Ils s’installent à New York (ils sont plus de 73 000 immigrés d’origine africaine et un des quartiers de Harlem s’appelle Little Senegal) , Washington, Atlanta….
Certes, ces populations ont parfois du mal çà s’intégrer et le film nous présente toute une gamme d’attitudes possibles. Celui qui semble le mieux intégré est l’avocat qui se charge du cas de Tarek, M. Shah : il a fait des études de droit et se sent complètement américain. D’ailleurs, lorsque Mouna l’interroge sur ses origines, il peut répondre tranquillement : « le Queens »…La situation est plus complexe pour Tarek et sa mère Mouna : ils ont quitté la Syrie pour des raisons clairement politiques. Le père du jeune homme était journaliste, et à la suite d’un article qui avait déplu au régime bassiste, il s’était retrouvé en prison. Les conditions de sa détention sont tellement éprouvantes qu’il meurt deux mois après sa libération : sa femme et son fils préfèrent alors l’exil. Pour Tarek, le choix est clairement assumé : il veut rester aux États-Unis et vivre de sa musique. Quant à sa mère, elle sent bien toute la fragilité de leur situation, mais quand Zineb lui demande si son pays lui manque, elle répond : « mon pays, c’est ici »…En tout cas, on ne manque pas aux États Unis de vous faire part de tous les américains originaires de pays arabes, qui ont « réussi » : cela va de Paul Anka, chanteur de charme, le musicien Frank Zappa, les acteurs et actrices Farid Murray Abrams et Salma Hayek en passant par le célèbre avocat Ralph Nader. Pour les protagonistes du film, il est clair que « le retour au pays » ne se fera que « contraint et forcé »…

L’après 11 septembre…
Mais si les États-Unis étaient encore une terre promise plutôt accueillante à tous ces immigrés jusqu’à la fin des années 1990, il est évident que les attentats du 11 septembre 2001 changent la donne en profondeur, notamment sur le plan juridique et administratif : comme l’explique l’avocat à Mouna, « avant cette date », on ne traquait pas les gens. La politique a radicalement changé » et il donne l’exemple de son oncle, expulsé après 23 ans de présence sur le territoire américain.
En particulier, le gouvernement Bush fait adopter 6 semaines seulement après le drame le célèbre Patriot Act, adopté à une majorité écrasante dans les deux assemblées ( 98 voix contre 1 au sénat, 357 voix contre 66 à la chambre des représentants) puis signé solennellement par le président lui-même le 26 octobre : son intitulé complet est en soi tout un programme : « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism » (« Unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés nécessaires à l’interception et à l’obstruction du terrorisme » ). Elle permet notamment un renforcement sans précédent de la surveillance des citoyens américains et bien sûr des ressortissants étrangers sur le territoire américain : le FBI peut procéder à la surveillance, quasiment sans frein juridique et sans justification d’aucune sorte, des dossiers personnels dans les bibliothèques et les hôpitaux, les communications téléphoniques et par internet…Ce système à la « big brother » est bien entendu mis en place au nom de la lutte contre le terrorisme. En ce qui concerne la population étrangère, les mesures d’arrestation, de détention, et d’expulsion sont très souvent arbitraires : dès novembre 2001, le gouvernement lance un vaste programme d’arrestation dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » qui culmine, fin novembre 2001, avec la détention incommunicado (sans droit de communiquer avec l’extérieur, les proches des personnes arrêtées n’ayant aucune nouvelle concernant leur disparition) de plus 1 200 personnes, pour la plupart des étrangers, arabes ou provenant de pays musulmans. Les associations de défense des droits de l’homme parlent alors de « profilage ethnique » .
En janvier 2002, le ministère de la Justice rédige un mémorandum, connu sous le nom d’Absconder Apprehension Initiative, qui prévoit l’arrestation et l’expulsion des personnes faisant l’objet de mesures d’expulsion. Il annonce alors qu’il va mettre les noms de 314 000 immigrés en situation irrégulière sur les bases de données criminelles du FBI, visant en particulier 6 000 personnes venant de pays arabes ou/et musulmans, De nombreuses personnes arrêtées et expulsées l’ont été en dehors du cadre légal (ainsi, ces réfugiés syriens, détenus pendant neuf mois dans le cadre de ce texte, forçant leur enfant, citoyen américain, à vivre seul, tandis qu’on leur refuse le droit de prouver le fait qu’ils aient été soumis à des actes de torture en Syrie).
Dans ces conditions, les immigrés clandestins vivent sous la menace permanente d’une arrestation et d’une reconduite à la frontière, sans réelle possibilité d’appel ou de recours. C’est bien ce qui arrive à Tarek, lorsqu’il est appréhendé dans le métro puis retenu dans un centre de détention du Queens. La vie y est difficile : dans ce centre qui n’a pas l’air d’une prison et où sont enfermées 300 personnes, les détenus ne peuvent recevoir des visites qu’entre 17 et 22 heures, n’ont pas le droit de recevoir directement du courrier, et les mesures de sécurité sont drastiques : caméras de surveillance, sas avant d’entrer au parloir, fouilles, cellules constamment éclairées…Les informations aux visiteurs, comme Walter, sont réduites au minimum : les gardes renvoient en général les familles en les priant de s’informer auprès des services de l’immigration…
Pour Tarek, c’est d’autant plus difficile à supporter qu’il considère que ses compagnons et lui-même sont des victimes et non des terroristes en puissance :comme il le dit à Walter, , les « vrais islamistes» ont des réseaux, des soutiens, de l’argent… Leurs transferts vers d’autres centres , comme ceux de la Louisiane, sont décidés sans qu’ils soient prévenus (Walter et Mouna n’apprennent le transfert de Tarek qu’après qu’il ait été effectué…). Il se trouve que, dans le cas du jeune Syrien, sa mère n’a pas arrangé les choses en lui cachant un courrier administratif qui l’informait qu’il devait quitter les États-Unis. En tout cas, Mouna réagit brutalement à cette répression aveugle, qui a fui son pays pour des raisons politiques : «on se croirait en Syrie», dit-elle à Walter quand elle constate à quel point la justice américaine est arbitraire…

Une prise de conscience progressive
Le film The Visitor raconte aussi l’itinéraire d’un homme, Walter, présenté comme l’américain moyen, certes professeur d’université mais pas spécialement sensibilisé aux problèmes des immigrés clandestins. Il enseigne l’économie dans un établissement du Connecticut et participe à une conférence sur la mondialisation à New York mais sa carrière universitaire ne semble pas le passionner : il n’a pas écrit une ligne depuis vingt ans , comme il l’avoue à Mouna, et se contente de signer des textes écrits par d’autres. Sans doute a-t-il été profondément marqué par la perte de sa femme et il ne semble pas avoir un caractère facile : au début du film, il rabroue sèchement un de ses étudiants, qui veut lui rendre un devoir en retard et n’accepte pas ses excuses et il affiche souvent une mine revêche et sévère.
Ce n’est que progressivement qu’il s’intéresse à la situation de ses locataires forcés, Tarek et Zineb, quand il constate leur désarroi. Finalement, il se lie d’amitié avec le jeune Syrien, qui l’initie aux percussions et à la joie de jouer du djembe « sans réfléchir »…. Il finit aussi par se rapprocher de la mère de Tarek, qui l’impressionne par sa dignité et son sens du sacrifice et il en tombe amoureux. Son comportement évolue donc au contact de ses nouveaux amis et son regard s’éclaire, notamment quand il change de lunettes pour présenter un visage plus avenant. A la fin du film, quand il voit le traitement qu’on inflige à son jeune ami, il laisse éclater sa colère mais ne peut que constater son impuissance. Il s’indigne : « vous ne pouvez pas emmener les gens comme cela » mais Mouna le dissuade d’insister.. Il n’est pas vraiment question de se révolter mais de penser « autrement »…Il est maintenant susceptible de remettre en cause l’unanimisme patriotique imposé d’en haut. Sur ce plan là, le film de McCarthy évite tout happy end artificiel et tout moralisme pesant : il s’agit juste d’un homme qui s’est ouvert au monde qui l’entoure…
Ainsi, The visitor, réalisé à une époque où la guerre d’Irak n’est pas terminée et où la rhétorique guerrière tourne à plein dans les médias américains, montre qu’au cinéma du moins, les américains sont capables d’une autre vision du monde, plus humaniste et altruiste…C’est en tout cas l’ambition du réalisateur, qui a eu l’occasion de voyager au Proche-Orient et notamment au Liban : comme il le dit dans un entretien, « il y a une chose qu’on oublie, derrière les gros titres des journaux, ce sont les êtres humains des deux côtés (…) il veut des « visages humains sur ces situations sans jugement manichéen ». Il dit aussi s’être rendu compte à quel point les Américains étaient sous-informés à propos des centres de détention dans lesquels sont enfermés les « suspects » (le réalisateur a passé près d’un an et demi à enquêter sur ces centres). Il voulait ainsi combler un manque d’information et donner un autre point de vue sur la façon dont le gouvernement traitait les étrangers comme des suspects potentiels. Sur tous ces aspects, son film est une vraie réussite.

 

DE LA REALITE A LA FICTION

Pour montrer que le réalisateur Tom McCarthy a pu s’inspirer de faits réels, nous transcrivons ici un texte (en anglais) à propos de la situation d’un jeune syrien, Nadin Hamoui, détenu dans des conditions qui rappellent celles que doit subir Tarek dans le film The Visitor
(ce texte provient du site de l’organisation ACLU, American Civil Liberties Union)

June 9, 2003
The Seattle Immigration and Naturalization Service (INS) arrested Nadin Hamoui and her parents – Safouh Hamoui and Hanan Ismail – on 22 Feb. 2002 on the grounds of immigration violation. Nadin and her mother Ismail were detained for nine months, and her father is still in custody. Nadin’s younger sister and brother (a U.S. citizen) were left at home without their parents in all those months.

«  »Volunteer experts have declared that my father will probably be killed if we are deported to Syria?My mother may lose her life in Syria because she has a serious illness?believe me; we are fighting for our lives! » » –
Nadin Hamoui

Nadin’s family fled Syria in 1992, because her father Safouh Hamoui was accused of attempting to assassinate the Vice President. They entered the United States as tourists, and have failed to gain political asylum for seven years. The INS gave out a deportation order in 2000. The family ignored the order because their then-attorney told them that the INS would not act while the order was contested.
The «  »Alien Absconder Initiative » » gives local law enforcement agencies access to the names of 314,000 immigrants who allegedly have orders for deportation or removal. On a Muslim holiday on 22 Feb. about 15 local police officers banged on Nadin’s door early in the morning, and arrested Nadin and her parents. During the arrest, a police officer pointed his gun and flashlight at the face of Nadin’s mother, while she insisted to cover her hair; and Nadin’s father was handcuffed like a criminal.
Local police are already detaining and deporting alleged «  »absconders » » under the «  »Alien Absconder Initiative » » even though many of these immigrants may have a legal defense against deportation. In this case, Nadin’s family has not had a hearing about the evidence that they will be tortured in Syria.
Besides the Arab American Community Coalition, other groups working to free the family include the Hate Free Zone Campaign of Washington, Washington chapter of the American Immigration Lawyers Association, and the Arab American Anti-Discrimination Committee.

 

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