L’économie et la société du XX° siècle au cinéma

    Pour montrer comment le cinéma a rendu compte des phénomènes économiques et sociaux du XX° , quasiment en temps réel, on peut comparer deux films de l’entre-deux guerres, qui montrent deux approches opposées des transformations économiques, à savoir La Ligne générale de Serguei M. Eisenstein (1929) et Les raisins de la colère réalisé par John Ford (1940). Il se trouve que ces deux films comportent une séquence presque identique : un tracteur détruit des barrières qui marquent les limites d’un champ. Mais bien sûr, le sens dans les deux œuvres est complètement différent. Dans le film d’Eisenstein, le cinéaste veut montrer que le tracteur, symbole de la modernité et des nouvelles formes d’organisation collective, va permettre à la paysannerie russe de s’émanciper des contraintes de la propriété privée. Par contre, dans le film de John Ford, le cinéaste entend dénoncer l’écrasement des petits paysans du Middle West par les grandes banques de l’Est au nom de la rentabilité…Ainsi ces deux œuvres majeures renvoient à deux réalités économiques et politiques radicalement différentes. Il montre à quel point le cinéma a été témoin de son temps, aussi dans ses dimensions sociales et économiques.
En tout état de cause, on peut relever que ces thèmes ne sont pas un sujet évident et en particulier en Europe et aux États-Unis. Les producteurs, notamment dans les pays capitalistes préfèrent des scénarios distrayants pour attirer le public : pour eux, le cinéma est une industrie de divertissement, et les producteurs hollywoodiens des années assument un anti-intellectualisme primaire…Selon la petite histoire, l’un deux aurait rétorqué à un cinéaste ambitieux : « si vous vous avez un message, envoyez le par la poste ! ». Fritz Lang, quand il est arrivé à Hollywood, s’est vu signifier qu’il n’était pas question d’utiliser les métaphores en cours dans le cinéma européen.
Aussi, le monde du travail est rarement représenté à l’écran jusqu’à la moitié du XX° , alors que le public est surtout composé des classes moyennes : à l’inverse, la classe bourgeoise est sur-représentée à l’écran : dans l’ Italie fasciste , on parle le cinéma des «  téléphones blancs » (Telefoni bianchi) pour évoquer ces films petit-bourgeois, avec des romances à l’eau de rose, dont les intrigues se dénouent souvent au téléphone !

   Malgré tout, le corpus filmique est plus que conséquent, avec plusieurs aspects particuliers . D’abord, certains films sur le sujet sont vraiment des « témoins de leur temps » : La Ligne générale est réalisée au moment de la collectivisation en URSS, Les Temps modernes est tourné dans les années 1930 alors que la modernisation de l’industrie américaine bat son plein, Playtime est filmé dans les années 1960 au moment où des nouveaux quartiers de bureaux sortent de terre, comme celui de la Défense à Paris.
Si il était nécessaire de justifier l’étude de ces films dans le cadre scolaire, il faut indiquer que ce corpus comprend plusieurs chefs d’œuvre absolus, rentrant parfaitement dans cadre de l’histoire des arts : La Ligne générale, Les Temps modernes, Les Raisins de la colère, les films de Jacques Tati . Il y aussi la possibilité de lier l’étude de ces films avec les programmes de troisième et de première.

Les économies de l’entre deux guerres dans le cinéma
Dans les années 1920 à 1940, l’économie mondiale rentre dans ce qu’il est convenu d’appeler la la deuxième révolution industrielle ( de nouvelles énergies comme pétrole et l’ électricité, le développement des industries électriques, chimiques, le taylorisme…) Mais sur ces thèmes , l’approche est différente dans le cinéma soviétique et le cinéma occidental…

La vision soviétique
L’URSS connaît alors un contexte historique et artistique particulier .
Les dirigeants communistes veulent mener à bien l’industrialisation d’un pays très agraire :-Lénine affirme en 1919: « le communisme , c’est le pouvoir des soviets+ l’électricité » et Staline, qui lui succède, veut développer l’industrie à marche forcée dans les différents plans quinquennaux pour renforcer l’URSS face à un monde capitaliste hostile…
Dans le domaine artistique, on relève dans les années 20, l’apparition d’une « génération dorée » de cinéastes très jeunes (20-30 ans) , très doués, dynamiques, surtout engagés à fond du côté de la révolution bolchevique (plusieurs participent à la révolution ou à la guerre civile) : Dojvenko, Eisenstein, Poudovkine, Vertov…
Par conviction, ces cinéastes mettent leurs talents au service de la révolution, avec une certaine liberté de forme, puis dans le cadre plus contraignant du stalinisme triomphant (« réalisme socialiste »). En particulier, ils mettent en valeur dans leurs films la modernisation de l’économie et de la société soviétiques et les progrès réalisés par rapport à l’ancien régime…Les machines sous toutes les formes possibles sont des images récurrentes des films de l’époque…
Pour illustrer , on peut retenir deux exemples : L’ l’Homme à la caméra est réalisé par Dziga Vertov en 1929. C’est l’ exemple même du cinéaste d’avant garde : très radical, il refuse tout lien avec le cinéma bourgeois : pas de tournage en studio, pas d’acteurs professionnels, pas de scénarios élaborés en récit : juste des images prises dans la rue, montrant réalité telle qu’elle est…En 1928-1929, il tourne L’Homme à la caméra , qui retrace une journée dans une grande ville soviétique, de l’éveil au coucher (en parallèle, il montre l’élaboration du film avec le cameraman) : le montage est très heurté, avec de nombreux trucages, des images déformées…Surtout, il montre l’importance des machines qui se mettent en mouvement, les pistons, les engrenages de toute sorte.

A la même époque, S.M Eisenstein tourne La Ligne générale ( 1929) ; Le réalisateur est déjà très connu à l’époque pour La Grève, surtout Le Cuirassé Potemkine : il commence le tournage de La Ligne générale mais doit réaliser Octobre pour l’anniversaire de la révolution 1917 et achève finalement le film en 1929…Selon les historiens du cinéma, Eisenstein doit accepter plusieurs interventions de Staline en personne sur le film : celui-ci change le titre (L’Ancien et le Nouveau) et la fin du scénario (montre solidarité ouvriers/paysans)
Plusieurs scènes sont remarquables, outre celle citée en introduction. Par exemple, lorsque les villageois reçoivent l’écrémeuse, à l’instigation de la jeune paysanne Marfa. La séquence est très découpée et comporte de nombreux gros plans de visages, éclairés par en dessous. Surtout, le message politique est clair : l’écrémeuse symbolise le progrès voulu par les autorités et le kolkhoze recrute à tour de bras : l’action collective l’a emporté sur l’individualisme paysan ! Un peu plus loin dans le film, Marfa rêve d’un kolkhoze modèle : des vaches dans étables spacieuses, confortables, une quasi usine agricole. Le rêve devient réalité : grâce au socialisme, la modernisation de l’agriculture est menée à bien et libère des bras pour l’industrie…
Par la suite, le cinéma stalinien reprend le thème de la modernisation de l’économie , avec une forme plus ou moins lyrique…La symphonie du Donbass, de Dziga Vertov (1931) est un documentaire sonorisé sur les mineurs du Donbass. Mais comme on le sait, le régime stalinien est policier et paranoïaque : aussi, plusieurs films reprennent le même type de scénarios : une usine (ou village) veut se moderniser et appliquer les directives du plan mais un ennemi sabote le travail (=vieux, étranger, ingénieur…) : il est finalement démasqué par le Parti et le NKVD (exemple Contreplan de Frederich Ermler et Serguei Youkevitch  en1932)
Ainsi, le cinéma soviétique ne manque pas de promouvoir la modernisation de l’économie de l’URSS, selon les directives du parti.. Les héros du cinéma soviétique sont les symboles de la nouvelle société en train de se construire : les ouvriers stakhanovistes, les paysans kolkhoziens , les komsomols (jeunesses communistes fêtés dans un film de 1938 : Komsomolsk, Serguei Guerassimov). De nombreuses comédies musicales soviétiques , très appréciées du dictateur, sont alors tournées et se terminent en général par un banquet en l’honneur de Staline

La vision occidentale
Dans le cinéma occidental, la modernisation économique est présentée avec plus de réserves, voire d’hostilité : dans plusieurs films importants de l’époque, l’insistance est mise sur les dangers des nouvelles méthodes de travail, comme la taylorisation, nées avant 1914 aux États-Unis et appliquées pendant et après la guerre de 14 -18, notamment dans l’industrie automobile..

Un cinéma qui dénonce
Sur ce sujet, deux films sont incontournables car ce sont des critiques très explicites de la nouvelle organisation du travail.
Le premier film est A nous la liberté, de René Clair (1931). Ce cinéaste est une figure montante du cinéma français des années 30 et il a déjà réalisé deux films qui ont connu certain succès (Sur les toits de Paris, Le Millionnaire) Il est réputé pour réaliser des œuvres légères avec des numéros musicaux, et un ton anarchiste souriant…A nous la liberté raconte l’histoire de deux prisonniers Louis et Émile qui s’évadent de prison : après différentes péripéties, Louis devient patron d’une entreprise de phonographes…Plusieurs séquences du film peuvent être considérées comme une critique explicite du travail à la chaîne aliénant pour l’homme (dans le film, rapprochement très clair entre prison et usine : slogans «prémonitoires » de l’instituteur comme « le travail est obligatoire car le travail c’est la liberté »). René Clair évoque ces machines qui peuvent parfois devenir incontrôlables. Il évoque aussi le rêve utopique d’une usine sans ouvriers, ne fonctionnant qu’avec des machines : dans le film, cette hypothèse est présentée comme un progrès et non un danger…Finalement, Louis remet son usine à ses propres ouvriers et part avec son copain Émile sur les route en chantant A nous la Liberté…
On l’aura compris, ce film a très certainement inspiré le chef d’œuvre de Charlie Chaplin, Les Temps modernes, sorti en 1936. A cette époque, le cinéaste est une immense vedette aux États-Unis (il vient de réaliser Les Lumières de la ville, film encore muet…) Il est devenu complètement autonome du système des studios : il a son propre studio et fait ses films à son propre rythme…Chaplin reprend les idées de René Clair mais de manière plus radicale et plus documentée (il visite les usines Ford de Detroit) : il y consacre d’énormes moyens (un budget 50 fois supérieur, 3 ans de tournage au lieu de 4 mois : il s’en réellement inspiré : il revoit le film de René Clair trois fois pendant le tournage…). Pour évoquer évoquer Les Temps modernes, on peut bien sûr parler de la séquence d’ouverture : en une dizaine de minutes, le cinéaste nous propose une analyse des principes du travail à la chaîne, et de ses conséquences néfastes (cadences infernales, accidents du travail, surmenage…). Sa critique est bien plus plus radicale que celle de René Clair sur les patrons : le personnage du film est présenté comme un oisif (il lit Tarzan dans son bureau!) surveillant ses ouvriers par des caméras installées même aux toilettes, augmentant sans cesse la vitesse de la chaîne : il semble obsédé par la rentabilité (par exemple , il refuse la « machine à manger » car elle n’est pas pratique…). Mais, il y a aussi une critique plus discrète des ouvriers aliénés par leurs machines, incapables de se révolter (on s’est beaucoup interrogé sur les images troublantes du tout début du film : un plan figurant un troupeau de moutons puis les ouvriers sortant du métro… un très bel effet Koulechov !)
Bien sûr, la ressemblance est plus que troublante entre le film de Chaplin et celui de René Clair et certaines séquences sont des « copiées-collées » : en 1936, la société allemande Tobis devenue nazie qui détient les droits du film de René Clair, porte plainte contre Chaplin : le cinéaste français déclare élégamment : « s’il a été inspiré par mon film, je considère cela comme un grand honneur pour moi » (finalement, les poursuites sont abandonnées en 1939).
Un autre film marquant de la période évoque d’une certaine manière, le monde industriel : il s’agit de Metropolis , réalisé par Fritz Lang (1925). Celui-ci est un cinéaste déjà consacré en Allemagne ( a déjà tourné Les trois lumières, Le Docteur Mabuse, Die Niebelungen…). Après cette dernière œuvre située dans l’époque médiévale, il veut se consacrer à une œuvre tournée vers le futur : Metropolis, plus ou moins inspiré par voyage à New York . C’est donc l’ histoire d’une ville du futur, dirigée par le magnat Fredersen , avec une ville en hauteur où réside l’élite et une ville basse, où se trouvent logements ouvriers et usines. Une des premières séquences nous montre Freder, le fils de Fredersen dans la salle des machines, à la recherche de Maria, une jeune fille qu’il a juste croisée et qui le fascine. Il se retrouve dans les sous sols de Metropolis, où travaille une armée d’ouvriers.C’est une vision très noire et très critique de l’industrie du futur : les ouvriers sont comme des esclaves, des automates réduits à des numéros, enchaînés à leurs machines et travaillant à un rythme épuisant : dans une scène hallucinée, la machine est clairement montrée comme une « mangeuse d’hommes », un dieu Moloch dévorant ses propres enfants…Le film est très déconcertant, et n’a d’ailleurs rencontré aucun succès à son époque : d’un côté, il donne vision très noire du système social industriel, de l’autre, il propose une vision édifiante, « à l’eau de rose » : à la fin du film ,Freder retrouve Maria, le savant fou est éliminé, la révolte des ouvriers est matée : le travail peut reprendre…La morale , qui apparaît au début et à la fin du film : « entre les mains et le cerveau, le cœur est le médiateur » En d’autres termes, le capital et le travail peuvent se réconcilier par l’amour !

Images de patrons
On retrouve une même ambiguïté quand le cinéma occidental évoque les chefs d’entreprise et plusieurs cas de figures peuvent être relevés.
Les patrons sympathiques sont peu nombreux au cinéma si ce n’est Louis dans A nous la liberté : il vient du bas de l’échelle sociale, il n’est pas snob, généreux avec ses ouvriers, et prêt à tout lâcher pour aller avec son copain…
D’autres sont plus froids et présentés comme des managers sans états d’âme : ainsi, le patron des Temps modernes est obsédé par la rentabilité et guère productif !
Certains encore sont plus ambigus : dans le cinéma français de l’entre deux guerres, apparaissent des figures de financiers adaptées de romans (Saccard dans L’Argent de Marcel L’Herbier transposé dans les années 20, David Glover de Julien Duvivier d’après le roman d’Irène Nemirovsky) Dans ces deux films, les patrons sont des financiers spéculateurs froids et implacables (Golder peu ému par suicide d’un ami à qui il refuse de l’aide…) Par contre, les deux hommes sont humanisés par leurs sentiments humains : ils sont capables d’amour (Saccard pour le cœur de Line, Golder pour sa fille…)
Enfin, certains sont clairement présentés comme des délinquants : dans plusieurs films notamment américains, analogie troublante est faite entre patrons et voyous :
Dans les films américains de gangsters des années 20-30 (Little Caesar, Public ennemy, Scarface), l’image du gangster est très proche de celle du self made man : il réussit dans la vie par son énergie, intelligence, sa force, sa capacité à éliminer les concurrents…
Les studios sont d’ailleurs obligés de mettre en garde le public qui pourrait être séduit par ces success stories : un intertitre précise même parfois au début ou à la fin du film ,« le crime ne paie pas » !
On retrouve cette même image dans Le Docteur Mabuse de Fritz Lang (1922) : le personnage principal est un génie du crime, qui applique ses méthodes brutales pour réussir des coups en bourse…
Au total, l’image des patrons est plutôt négative, et parfois même clairement dénoncée : dans La vie est à nous de Jean Renoir , film de commande du PCF pour les élections de 1936, la propagande anti patronale est virulente : grands bourgeois des 200 familles, sont accusés de piller la France, pour compenser leurs pertes au jeu !

La crise des années 1930 dans le cinéma occidental
Sur la grande crise économique, les cinémas européens sont plutôt discrets voire silencieux: en France par exemple , très peu de films évoquent le milieu ouvrier et ses difficultés ou alors de manière métaphorique. Dans Le crime de M. Lange, Jean Renoir (1936) raconte l’ histoire d’une coopérative ouvrière dans l’imprimerie avec un patron maléfique et escroc…Dans La belle équipe de Julien Duvivier (1936), une bande de copains gagne au loto et monte une guinguette : mais le bistrot fait faillite par manque de solidarité…Enfin, Le jour se lève de Marcel Carné (1939) raconte les aventures amoureuses d’un ouvrier métallurgiste, François incarné par Jean Gabin, qui finit par tuer son rival et met fin à ses jours peu après. Mais, il n’y a pas vraiment d’évocation de la crise sociale, si ce n’est les conditions de travail dans l’usine où travaille François.

    La crise est peut-être plus présente dans le cinéma allemand , mais les films évoquent plutôt les problèmes des années 1920 que les années 1930. Dans La Rue sans joie, Georges Wilhem Pabst décrit la Vienne de 1921 en pleine crise, où les femmes se prostituent pour survivre…Le dernier des hommes de F. Murnau (1924) raconte les malheurs d’un vieux maître d’hôtel à Berlin, qui ne supporte pas d’être rétrogradé. Par contre, deux films évoquent directement les effets très graves de la crise sur l’Allemagne. Il s’agit d’Alexander Platz de Piel Jutzi (1931) adapté du roman d’Alfred Doblin et de Ventres glacés de Slatan Dudow (1932) d’après un scénario de Bertold Brecht : c’est l’histoire d’une colonie ouvrière autonome à Berlin et le cinéaste et son scénariste ne cachent pas leur engagement communiste…

Par contre, la crise est beaucoup plus présente dans le cinéma américain. Déjà, le cinéma américain est lui-même en crise : le nombre de spectateurs passe de 65 millions en 1928, à 75 en 1931, mais passe 60 en 1932 (100 000 licenciements par semaine à l’époque). On assiste aussi à de nombreuses fermetures de nombreuses salles (400 sur 700 pour la WB) et certains mogols sont écartés (Goldwyn, Zukor…) : 4 sur 8 des majors (studios hollywoodiens les plus importants) passent sous l’emprise des banques de l’est et les studios tentent de nouvelles formules pour attirer les clients (deux films pour un, les bonbons à l’entracte , les femmes hôtesses…).
En tout cas, il semble impossible de faire comme si la crise n’existait pas alors que toute la société américaine est touchée, y compris en Californie…la crise est donc présente sur les écrans, même si cette évocation peut prendre des formes très diverses. Ainsi, la Warner se « spécialise » dans les films « sociaux » ou abordant des sujets de société au sens large. Certains réalisateurs se montrent sensibles à ces thèmes, comme King Vidor, Mervyn Leroy, William Wellman, …avec parfois des noms illustres (Ford, Chaplin) Les acteurs les plus employés pour leur physique « populaire » sont Paul Muni, George Raft, Humphrey Bogart ou James Cagney.

Une description frontale de la crise
Déjà dans Les Temps modernes, plusieurs séquences sont des évocations précises de la crise économique et sociale qui sévit alors : le plan montrant une usine fermée, la manifestation des chômeurs dont le vagabond prend la tête bien malgré lui, les anciens ouvriers qui en sont réduits à voler dans un grand magasin pour survivre…
Surtout, un film fait sensation : il s’agit des Raisins de la colère , de John Ford sorti en 1940, qui remporte deux Oscars (dont celui de meilleur réalisateur). Ford est un cinéaste déjà confirmé qui a réalisé de nombreux films, le plus souvent des westerns (seulement en 1939, Stagecoach, Young Mr Lincoln, Sur la piste des Mohawks). Il est appelé par Darryl Zanuck pour adapter à l’écran le roman de John Steinbeck, gros succès de librairie en 1939 (prix Pulitzer) (on peut estimer que le film assez fidèle au roman , même si il est moins radical, avec une fin plus optimiste…). Il s’agit de l’ histoire de la famille Joad, métayers dans Oklahoma, qui sont obligés de quitter leurs terres à cause de la sécheresse et surtout des banques de l’est qui trouvent la formule peu rentable…Ils se mettent en route pour aller chercher du travail en Californie, en empruntant la fameuse route 66…Le film est remarquable, avec notamment une pléiade d’acteurs « plus vrais que nature «  (Henry Fonda, John Carradine, Jane Darwell…) et certaines séquences sont très « pédagogiques ». Ainsi, quand Tom revient à la ferme, désertée par ses habitants, son voisin Muley Graves lui explique la situation et en particulier comment les métayers ont été chassés de leurs terres par les grandes banques de l’Est. Plus tard dans le film, la famille Joad arrive dans un bidonville en Californie , où les migrants sont entassés, en attente de trouver un travail. Et à la merci des grands propriétaires fonciers qui peuvent leur imposer leurs conditions salariales. Le film devient presque documentaire : il souligne la pauvreté de ces paysans et la collusion entre le patronat et la police locale pour exploiter cette main d’œuvre vulnérable…
Mais d’autres films américains décrivent la pauvreté et la misère aux États-Unis, comme cadre ou moteur de l’action . Par exemple, dans Je suis un évadé, de Mervin Leroy (1932) , le film raconte l’ histoire d’un ancien combattant Allen, licencié, qui parcourt les États-Unis en tout sens : il se résout à vendre ses médailles militaires. C’est une dénonciation à la fois de la dureté des temps pour les ouvriers et les conditions de vie dans les centres pénitentiaires surtout dans le Sud. D’autres films évoquent les quartiers misérables (Rue sans issue, The Bowery), ou les bandes de jeunes vagabonds laissés à l’abandon (Wild Bunch of Boys).

La crise sociale dans tous les genres hollywoodiens
En fait, la crise sociale imprègne aussi presque tous les genres d’Hollywood, parfois de manière inattendue…
Les comédies (screwball comedy = comédie loufoque, bizarre)
en général, ces films racontent des histoire de couples venant de milieux sociaux différents et opposés (souvent femme de la haute bourgeoisie, homme d’un milieu populaire…) : la femme découvre le monde des pauvres. A la fin, l’histoire se conclut « vers le haut » : l’homme plus modeste devient membre de la haute société…
Dans My man Godfrey, réalisé par Gregory La Cava en 1936, deux sœurs d’une famille riche de New York participent à un concours stupide, un rallye pour ramener un vagabond…: elles vont le chercher dans un bidonville, et tombent sur un certain Godfrey.

Les comédies musicales
Là aussi, apparaît un scénario type : un groupe d’artistes avec un metteur en scène veulent monter un spectacle ,mais ont des problèmes d’argent : finalement, ils réussissent quand même à monter leur projet qui remporte un énorme succès…
Un très bel exemple est Chercheuses d’or, tourné par Mervin Leroy en1933. le show intègre même la première guerre mondiale, la pauvreté des noirs, les soupes populaires…(c’est dans ce spectacle qu’est interprétée la fameuse chanson  « the forgotten man », expression utilisée par FDR en 1932).

Les films d’horreur ou fantastiques
De manière plus métaphorique, les historiens du cinéma estiment que ce genre de films est aussi en rapport avec la crise économique : ce genre se développe alors , avec les films de James Whale sur Frankenstein , films de Tod Browning (Freaks, Dracula), King Kong d’Ernest Schoedsack..(selon le principe de Samuel Goldwyn : « tu commences par un tremblement de terre et après tu fais monter la tension… »)
Pour certains, ces films sont des symptômes (des réponses?) d’une société en crise, qui doute d’elle même et qui montre ses fantasmes sur l’écran…par exemple, dans King Kong, le gorille monstrueux s’en prend à New York, vitrine du capitalisme triomphant des années 20 (symbolisé par Empire State building, dont construction vient de s’achever).

    Ainsi, le cinéma américain est profondément imprégné par la crise économique et sociale qui frappe le pays : malgré tout, ce cinéma reste optimiste. Les films se concluent presque toujours par des happy ends grâce à l’énergie, au volontarisme des personnages principaux (cf notamment comédies musicales dans Place au rythme de Busby Berkeley (1937) , Mickey Rooney et Judy Garland à la tête bande d’adolescents qui montent un spectacle)
Souvent aussi, l’action du gouvernement Roosevelt est saluée par les réalisateurs. En fait, beaucoup de films imprégnés de l’esprit du New Deal.Plusieurs exemples en témoignent. Dans Les Raisins de la Colère, sortis en pleine année électorale, alors que FDR est en piste pour un troisième mandat : à la fin du film, la famille Joad trouve enfin son bonheur dans un camp organisé par le gouvernement fédéral…(le roman de Steinbeck se termine de manière beaucoup plus tragique).
Dans le film de William Wellman Héros à vendre (1933), le personnage de Tom est obligé de quitter la direction de son entreprise: il va sur les routes avec autres chômeurs et et finit par se retrouver dans un restaurant coopératif de son amie May, sous l’égide du New Deal…Dans Wild Boys, réalisé par le même cinéaste et la même année, une bande d’adolescents est jugée pour vagabondage: les jeunes bénéficient de la clémence du juge qui préfère l’apaisement et la réconciliation, dans l’esprit de Roosevelt…(seul contre exemple dans Je suis un évadé : la  fin est ambiguë : le héros toujours en cavale, retrouve son amie qui lui demande comment il survit, répond : « je vole »…)
Ainsi, le cinéma américain adopte une position centriste : il est bien sûr anti communiste. Il critique le système capitaliste mais ne veut pas sa destruction : il compte sur l’action individuelle ou du gouvernement pour le réformer…

   On peut aussi noter que cette période de crise a aussi beaucoup inspiré les cinéastes du Nouvel Hollywood, des années 1970-1980…
Parmi les œuvres les plus illustres on peut citer Bonnie and Clyde , Arthur Penn qui raconte la trajectoire tragique d’un couple de hors la loi qui volent les banques dans les années 30, espèces de « Robins des bois », On achève bien les chevaux, Sidney Pollack, qui décrit un des marathons de danse organisés dans les années 1930 pour distraire le public, L’Empereur du Nord, Robert Aldricht qui évoque ces hoboes vagabonds, sillonnant l’Amérique dans des trains de marchandises, Honky Tonk Man , Clint Eastwood qui présente le personnage d’un musicien country vagabond, très inspiré de Hank Williams, En route vers la Gloire, Hal Ashby qui raconte l’histoire du chanteur folk Woodie Gutrhie…Pourquoi un tel engouement de tous ces cinéastes des années 1960-1970 pour cette période ? De fait, il correspond bien aux mouvements de contestation des années 1960, pacifistes et en faveur des droits civiques de leur génération. Ce sont des personnages singuliers, en rupture avec le système, toujours en mouvement…Certains cinéastes ont connu l’époque de la dépression (Ashby élevé dans une ferme, Penn né en 1922, Eastwood en 1930…). Ce retour sur une période de crise correspond aussi à une époque où l’Amérique doute d’elle-même, après la Guerre froide et alors que, dans les années 1960, les États-Unis connaissent des problèmes intérieurs et extérieurs (lutte droits civiques, guerre du Vietnam).

Les trente Glorieuses au cinéma
Dans la période suivante , de 1945 aux années 1970, le cinéma continue à témoigner en temps réel, d’autant que, surtout en Europe, des mouvements de cinéma apparaissent qui prétendent être en prise avec la réalité de leur époque (cinéma néo réaliste en Italie, avec Vittorio de Sica, Roberto Rosselini, la Nouvelle Vague en France avec Chabrol, Truffaut, Godard…)
Déjà, le cinéma européen évoque les difficultés de l’après guerre. Surtout, le cinéma néo-réaliste italien veut rompre avec les pratiques précédentes : pas de tournages en studios, emploi d’acteurs non professionnels, une sensibilité certaines envers milieux défavorisés. Ainsi, dans Allemagne année zéro (1948), Roberto Rosselini va tourner sur place dans les ruines de Berlin et montre les difficultés des allemands survivants au travers de l’histoire de la famille Kohler (surtout fils Edmund, âgé de 12 ans, sa sœur prostituée, son frère en fuite…). Vittorio de Sica dans Le voleur de bicyclette (1948) raconte l’ histoire d’Antonio Ricci, ouvrier chômeur des faubourgs de Rome : il obtient job de colleurs d’affiches mais doit avoir un vélo…qu’il se fait voler quelque temps plus tard. Il part à la recherche de son voleur avec son fils.
En France, plusieurs cinéastes de gauche évoquent les difficultés de la population juste après guerre (Les portes de la nuit, Marcel Carné , Le point du jour, Louis Daquin, Antoine et Antoinette, Jacques Becker). Leurs films racontent des histoires de petites gens, aux prises avec les problèmes de la vie quotidienne : ravitaillement, logement, conditions de travail…

    Mais à partir des années 50, commence la période des trente Glorieuses, dans les pays occidentaux, en particulier en Europe de l’Ouest, et notamment en France…
L’ aspect de cette période de forte croissance économique qui retient surtout l’intérêt des cinéastes français est la transformation du paysage urbain, y compris dans des films dits mineurs…Mélodie en sous-sol est réalisé par Herni Verneuil, avec des dialogues de Michel Audiard (1962) : il raconte l’ histoire de Charles, vieux gangster sortant de prison, qui retourne dans sa banlieue de Sarcelles, complètement transformée. Toute la première séquence du film est quasiment un cours de sociologie sur cette période : le train de banlieue rempli des travailleurs quotidiens, les discussions des passagers sur les congés payés, les images de Sarcelles alors en plein chantier, la petite maison coincée entre les HLM…(en fait, tout le film basé sur l’opposition entre le vieux (Gabin) et le jeune gangster -Delon).

    Un cinéaste est clairement passionné par l’évolution de la société française: Jacques Tati (proche de l’économiste Alfred Sauvy). Dans les années 50 , a tourné deux films pleins de charme et qui ont connu un réel succès , plutôt provinciaux ou ruraux : Jours de fête et Les vacances de M. Hulot...Dans les trois films suivants, Jacques Tati reprend le personnage de Hulot, qu’il plonge dans le monde contemporain des années 1960. Ainsi, dans Mon oncle (1958), M. Hulot habite dans le vieux quartier Saint Maur, dans une maison biscornue. Pas très loin, la famille Arpel (sa sœur et son beau-frère, directeur d’une usine de plastique) avec leur petit garçon : ils habitent une villa ultra-moderne, avec un petit jardin design, fermée+ par une grille, dans un style résolument contemporain. Ainsi, Tati oppose la banlieue presque campagnarde de Saint Maur, autour d’une petite place, dans une ambiance conviviale et chaleureuse au quartier où résident les Arpel, composé de pavillons individuels dans l’espace clos typique des classes moyennes en pleine ascension. C’est l’apparition d’un monde sophistiqué au point de vue technologique, qui se veut ultra fonctionnel et rationnel (même le poisson du jardin qui crache de l’eau quand arrive un visiteur). Mais Jacques Tati est très réticent envers ce monde nouveau, froid et déshumanisé : à la fin du film, la machine se grippe un peu quand son beau-frère s’enhardit à prendre les flèches à contre-sens…
Jacques Tati revient à nouveau sur un sujet de société contemporaine dans le film Playtime ( 1964-1967). Le scénario est inspiré à Jacques Tati par la visite des bâtiments des aéroports européens des années 1960 (notamment Orly), le quartier de la Défense dont on commence la construction à l’époque. Le tournage est très compliqué : de 1964 à 1967, on reconstitue d’immenses décors en région parisienne sur 15 000 m². Le coût est faramineux et le budget 6 fois plus important que prévu, 150 personnes sont mobilisées. Le scénario est réduit à l’essentiel : un groupe de touristes américaines visitent la capitale. Elles vont passer une soirée dans le restaurant Royal Garden : dans le même temps, M. Hulot vient pour un entretien d’embauche dans une société du nouveau quartier avec des immeubles flambants neufs…Le film présente des espaces modernes déshumanisés, sans repères, où l’homme est de trop, et en tout cas complètement perdu… (nombreux gags où on se cogne aux portes vitrées, Hulot se retrouvant en dehors malgré lui…). Par la suite, Jacques Tati est encore inspiré par le monde moderne : il tourne Trafic en 1971, dans lequel Hulot, dessinateur d’automobiles, qui doit acheminer un modèle à exposition d’Amsterdam…
En fait, les cinéastes sont en général peu séduits par les nouveaux paysages urbains. Une exception cependant, Eric Rohmer est sensible par l’architecture à la beauté froide et il est allé tourner certains de ses films dans des villes nouvelles, comme Les nuits de la pleine lune, à Marne la Vallée et L’amie de mon amie à Cergy-Pontoise…

   Quand aux cinéastes de la Nouvelle Vague, ils portent également une critique de la société de consommation, et en particulierles films de Jean-Luc Godard . Dans les années cinquante, le jeune critique des Cahiers du cinéma est assez indifférent aux questions politiques et sociales ou adopte un comportement ambigu. Mais dans la décennie suivante, il est influencé par les mouvements philosophiques les plus radicaux sur la société de leurs temps (Henri Lefevre, les situationnistes comme Guy Debord ou Raoul Vaneigheim) Il tourne plusieurs films qui sont de virulentes critiques de la consommation. Dans une séquence assez étonnante, de Pierrot le Fou (1965), les invités à une soirée débitent des textes publicitaires qui servent de dialogues. Dans Deux ou trois choses que je sais d’elle (1967), Marina Vlady incarne une mère de famille qui habite dans des grands ensembles, entourée de multiples objets ménagers, et qui se livre à la prostitution occasionnelle pour arrondir les fins de mois. Week-end (1967) est l’histoire d’un couple de français moyens (Roland/Corrine) qui passe son week-end dans des embouteillages monstrueux et sanglants…(cela donne l’occasion à Godard de tourner un long travelling… de 7 minutes! ).

   Il y a quand même quelques films sur les oubliés de la croissance : Les chiffonniers d’Emmaüs, de Robert Darenne, est réalisé en 1955 sur l’action de abbé Pierre en 1947. Les cœurs verts d’Édouard Luntz (1966) raconte l’histoire de bandes de blousons noirs venues des grands ensembles,avec des acteurs non-professionnels très crédibles. Élise ou la vraie vie, de Michel Drach (1969) est le récit d’un amour impossible entre une jeune femme bordelaise éprise d’un ouvrier parisien, Areski, pendant la période de la guerre Algérie (le film est inspiré du roman de Claire Etcherelli).

Comme dans la période précédente, le cinéma occidental est donc plutôt critique sur les transformations économiques et sociales des trente Glorieuses mais il existe quand même certains films qui glorifient l’enrichissement de la population, souvent avec ton ironique, comme dans La Belle Américaine de Robert Dhéry (1961)
qui raconte l’ histoire de Marcel, ouvrier de la région parisienne qui a l’occasion d’acheter une belle voiture américaine pour un prix ridicule…

Enfin, quand le cinéma de l’époque présente des personnages de patron, il existe aussi une évolution : l’ image du petit patron avec son entreprise familiale, paternaliste, est encore présente mais de plus en plus on voir apparaître le personnage du manager à l’américaine…Dans Souvenirs d’en France d’André Téchiné (1975), le film raconte l’histoire de l’entreprise familiale Pedret, qui fabrique des machines agricoles, de 1936 aux années de Gaulle Mais à la fin du film, la fille de la famille impose un management américain, avec des investissements en matériel, et bien sûr un « dégraissage » des effectifs…Le film de Pierre Granier Deffere, Une étrange affaire, (1981) présente le personnage de Malair, formidablement interprété par Michel Piccoli, venu rétablir la situation financière d’un grand magasin parisien : il vient « faire le ménage » avec une équipe de choc, en s’appuyant sur des cadres dynamiques et fait irrésistiblement penser à un Bernard Tapie de cinéma : en tout cas, le modèle entrepreneur a bien changé depuis l’époque précédente.

Les années de la mondialisation : réussites financières et crises sociales…
A partir des années 1980,l’ économie se « mondialise » selon l’expression consacrée, , avec en particulier une dérégulation tous azimuts, mise en œuvre notamment par Margaret Thatcher en Angleterre et Ronald Reagan aux États-Unis, et en particulier dans le secteur financier…
Ces transformations, ruptures ou traumatismes ont inspiré nombre de films documentaires , qui ont obtenu des succès populaires importants et surprenants : par exemple, les films de Michael Moore, comme Roger and me (1989) où le cinéaste tente de rencontrer le PDG de General Motors, Roger Smith , The Big one (1997) qui évoque le chômage des différentes régions américaines, ou encore Capitalism : a love affair (2009).

   Plus récemment, d’autres documentaires abordent ces mêmes thèmes comme Inside Job, de Charles Ferguson (2010), ou Cleveland contre Wall Street, de Jean-Stéphane Bron (2010), qui reconstitue un procès fictif des banques responsables de la crise des subprimes.
Les films de fiction se sont beaucoup intéressés à l’univers des financiers de Wall street, certains d’y trouver des personnages forts et souvent ambigus et des intrigues intéressantes à raconter. Ainsi, plusieurs films ont été réalisés sur les yuppies, les golden boys des années 1980 qui pratiquent la spéculation à Wall street et à qui tout semble réussir (Wall Street, Le Bûcher des vanités, American Pyscho) souvent tirés de romans à succès (Tom Wolfe, Bret Easton Ellis). L’œuvre la plus connue et la plus intéressante est sans doute Wall Street, réalisé par Oliver Stone (1987), qui raconte l’ histoire d’un trader escroc, Gordon Gekko (Michael Douglas) qui prend sous son aile un jeune courtier Bud Fox (Martin Sheen) . Dans une séquence étonnante, Gekko expose à son protégé les rouages du système capitaliste avec un cynisme arrogant…Ce film connaît une carrière surprenante car il est devenu un film-culte… chez les traders, alors qu’il se veut une dénonciation du monde financier (en particulier la fameuse réplique : « greed is good » est très appréciée à Wall street !). Oliver Stone , peut-être un peu gêné, a tourné une suite en 2010 : Wall street : l’argent ne dort jamais mais apparaît bien pessimiste quant à la possibilité de réformer le système (dans le deuxième Wall Street, Gekko s’exclame : «  now, greed is legal »). Encore récemment en 2013, Martin Scorsese a repris ce thème avec sa virtuosité habituelle dans Le loup de Wall street, en décrivant l’ascension et la chute d’un personnage fascinant et ambigu, Jordan Belfort interprété par Leonardo di Caprio.

    Mais, en général, le cinéma occidental, et en particulier les réalisateurs les plus engagés, a plutôt mis à nu les conséquences sociales difficiles, parfois désastreuses de la mondialisation…
De ce point de vue, le cinéma britannique s’est montré très dynamique dans années 1990 :à la suite de Ken Loach, de nombreux films dénoncent l’écrasement de la classe ouvrière par les mesures ultra-libérales de Margaret Thatcher (Premier Ministre entre1979 et 1990), dont les effets ont été surtout visibles dans les vieilles régions industrielles de l’Angleterre: Raining stones à Manchester, Les virtuoses dans le Yorkshire minier, The Full Monty dans les usines métallurgiques de Sheffield. Dans tous ces films, les cinéastes insistent sur la solidarité de la classe ouvrière britannique, qui tente de s’en sortir collectivement (un groupe de chômeurs dans the Full Monty, un orchestre dans Les virtuoses, un bande de copains dans différents films de Loach…). Très récemment, le film Pride réalisé par Matthew Warchus en 2014 raconte l’alliance assez inattendue entre gays londoniens, qui viennent soutenir les mineurs du pays de Galles en lutte contre le gouvernement conservateur…
D’autre part, ces films se distinguent par un traitement souvent ironique ou humoristique de sujets graves : dans  The Full Monty, un petit groupe de chômeurs menés par Gaz tentent de se transformer en Chippendales pour ramasser de l’argent ! Dans La part des anges de Ken Loach (2012), une sympathique bande de déclassés écossais monte une arnaque sur des bouteilles de whisky hors de prix. Par contre, l’issue de ces films n’est pas toujours heureuse : dans The Navigators,qui évoque la privatisation du chemins de fer britannique, l’issue est dramatique : dans les autres films mentionnés, les ouvriers remportent des succès sur leurs oppresseurs, mais qui semblent bien éphémères…

   Dans le cinéma français, la prise de conscience des problèmes sociaux et économiques a été difficile et tardive (dans les années 80, des cinéastes comme Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Pascal Bonitzer sont plus concernés par les questions psychologiques et intimes des milieux intellectuels favorisés d’où ils viennent).
Mais à partir des années 1990, nombreux films français commencent à évoquer les problèmes sociaux, souvent de manière très directe (selon historien Michel Cadé, plus de trente films de ce genre sont sortis entre 1991 et 1999).
Un cinéaste comme Robert Guediguian, se distingue par son engagement : plusieurs de ses films évoquent avec tendresse le milieu des petites gens du quartier de Marseille , l’Estaque…(Marius et Jeannette est  le plus célèbre…).
Dans tous ces films, les conditions de travail difficiles sont évoquées (La vie rêvée des anges d’Eric Zonca réalisé en 1998, qui se passe dans des ateliers textiles du nord de la France) et surtout le problème du chômage est omniprésent, avec souvent des scènes d’embauche ou de débauche comme dans État des lieux , JF Richet (1994) ou En avoir ou pas de Laetitia Masson (1995).
En même temps, le ton est très désenchanté dans la plupart de ces films : les luttes sont rarement victorieuses (sauf Nadia et les hippopotames, qui évoque la grève des cheminots en 1995).
Au contraire, le plus souvent, les conflits se terminent par des échecs et les solutions sont individuelles et non collectives. (dans le dernier Guediguian, Les neiges du Kilimandjaro, on procède au tirage au sort des employés qui vont être licenciés : les ouvriers s’opposent alors les uns aux autres…). Dans La Loi du marché, Thierry, interprété par Vincent Lindon, affirme clairement que le temps de l’action collective est passée et qu’il ne compte plus que sur ses propres forces. La classe ouvrière semble en plein doute : dans Ressources humaines, de Laurent Cantet (1999), Frank, fils d’ouvrier devenu cadre aux Relations Humaines affronte violemment son propre père lors de la restructuration de l’usine pour l’application de la loi des 35 heures : le conflit social se double d’un conflit de génération…

   Dans le même temps, les cadres ne sont pas mieux lotis et doutent de leur rôle :  Violence des échanges en milieu tempéré , de Jean Marc Moutout (2003) raconte l’histoire d’un cadre, Philippe Seigner, chargé de dégraisser le personnel, qui est partagé entre son chef Hugo et sa petite amie Éva, révoltée par ce qu’on lui fait faire. Ces cadres sont aussi vulnérables et susceptibles d’être licenciés :dans Une époque formidable, de Gérard Jugnot (1991), le personnage principal Michel Berthier est licencié de son entreprise . Les vingt premières minutes du film constitue une véritable descente aux enfers : il perd ainsi perd son travail, sa carte bancaire, sa femme, sa voiture et se retrouve rapidement SDF , à dormir dans le métro. Certains ne supportent pas ce déclassement amenés à solutions extrêmes : Dans Le Couperet, réalisé par Konstantin Costa Gavras (2004) d’après le roman de Donald Westlake, un ingénieur en papiers spéciaux, Bruno Davert est licencié : il invente une solution radicale : exécute tous ses rivaux potentiels pour nouvelle embauche…Une manière de pousser le principe de compétition à son terme ultime : on est vraiment dans le « struggle for life » mais encore fois la solution est individuelle et non collective…
Ce thème de l’ économie et de la société est donc très présent dans le cinéma du XX°. Si on regarde la production des films récents, on est frappé de voir que le sujet inspire encore et toujours les cinéastes français, jusqu’au film de Stéphane Brizé, La loi du marché en 2015 qui a permis à Vincent Lindon d’obtenir le prix bien mérité de meilleur acteur…(voir la chronique n°9 consacré à ce sujet sur ce blog).

   Pour les enseignants Histoire Géographie, ce corpus de films est une mine très riche de documents sur les mentalités et problèmes à différentes époques, avec bien sûr en prenant quelques précautions pour l’analyse.
D’abord, beaucoup des cinéastes qui ont traité ces sujets, sont engagés à gauche : il existe très peu de films positifs sur «la  mondialisation heureuse » (aux États-Unis, il existe des films sur des succes-stories mais ce sont souvent des destins contrariés : ainsi, Francis Ford Coppola réalise un film sur l’inventeur de voitures Tucker en 1988,  et Marc Abraham sur l’ingénieur Robert Keans concepteur de nouveaux essuie-glaces, en 2009 mais dans les deux cas, les inventeurs sont mis en faillite par des grandes compagnies : le film de David Fincher Social Network, sorti en 2010 est consacré à Mark Zuckerberg , le créateur de Facebook mais le portrait est pour le moins contrasté..)
De manière plus générale, pour des raisons d’efficacité de scénario, le cinéma aborde l’économie ou la société en s’intéressant aux situations extrêmes : le méchant trader, les chômeur paumé, les classes populaires écrasées par la crise mais peu de choses sur les évolutions lentes, assez peu cinématographiques…
Au total , un certain recul est donc nécessaire quand on utilise ces documents : comme tout document historique, un film doit être analysé, critiqué mais il est toujours « exploitable » car il veut dire quelque chose sur l’époque qu’il a l’a vu naître…
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que le cinéma a bien joué son rôle de dénonciation de certaines situations économique et sociale insupportables (Les Temps modernes, Les Raisins de la Colère par exemple). Par contre, dans les films actuels, on sent une grande hésitation quant aux solutions à proposer : le repli sur l’individu? Sur la famille? En tout cas, les grandes actions collectives ne sont plus de mises avant…

Selon ma longue expérience personnelle, il y a la possibilité d’utiliser en classe des extraits ou en entier de nombreux films mentionnés dans cet article
-en extraits :
La ligne générale
Les temps modernes
Metropolis
Les raisins de la colère
Le voleur de bicyclettes
Mon oncle
Playtime
Une époque formidable
Wall street…

-en films entiers :
Les Temps modernes
Les raisins de la colère
Mon oncle
Les virtuoses
The Full Monty

filmographie économie et société du XX° au cinéma

chronique 9 : le film social à la française

Laisser un commentaire