Archives pour la catégorie FILMOGRAPHIES

Il s’agit d’un certain nombre de filmographies sur différents sujets ou périodes, qui en général sont liées à des articles publiés également sur ce blog.

L’Ancien Régime au cinéma

    En 1952, JP Gorce écrivait à propos de Si Versailles m’était conté et de La conquête de l’Ouest : « le cinéma de l’Ancien Régime est à la culture française ce que le western est à la culture américaine ». La formule est facile mais non dénuée de vérité : comme les films sur l’Ouest américain, les films sur l’Ancien Régime ont alimenté notre mémoire sur la période, avec son lot d’images mythiques…Car, comme le remarque Marcel Oms, longtemps le cinéma a présenté la société pré-révolutionnaire, comme « un monde policé, galant, séduisant, auquel le spectateur englué dans un présent de grisailles, rêve d’être admis… » . Une suite d’images brillantes qui semblent la parfaite illustration de la célèbre phrase de Talleyrand sur l’Ancien Régime : « Celui qui n’a pas vécu pendant les vingt ans qui ont précédé la Révolution, n’a pas connu la douceur de vivre ». Mais comme son « cousin d’Amérique », ce genre de film est remis en cause dans les années 1970 ( pour les westerns, Soldat bleu de Ralph Nelson date de 1970, et pour les films sur l’Ancien régime, Que la fête commence de Bertrand Tavernier est sorti en 1974…) : en France, cette contestation du modèle s’explique par le renouveau de l’historiographie sur l’Ancien Régime ( notamment les travaux d’Ernest Labrousse, de Pierre Goubert, d’Emmanuel Leroy-Ladurie, de Fernand Braudel…) et une approche plus érudite et plus engagée d’une nouvelle génération de cinéastes ( Rosselini, Allio, Failevic, Tavernier… ). Alors apparaissent des oeuvres cinématographiques sur l’Ancien Régime, qui, à défaut d’être de qualité égale, ont toutes des intentions didactiques…

« La douceur de vivre »
Le cinéma de fiction, en particulier celui des studios hollywoodiens , a puisé dans cette période de l’Ancien Régime, tout ce qui pouvait servir à alimenter « l’usine à rêves » : décors somptueux, costumes luxueux, personnages raffinés, intrigues bien agencées et romantiques à souhait ,au travers des romans populaires du XIX° siècle d’Alexandre Dumas à Alexandre Zevaco. Ce cinéma a plutôt privilégié le XVIII° siècle ( le XVI° siècle est jugé sanglant et confus, le XVII° trop classique…).Un film comme Marie-Antoinette de William S.Van Dyke ( 1938 ) ne manque pas d’évoquer le luxe de la Cour, le raffinement des repas, les toilettes somptueuses…mais pour mieux dénoncer les excès de ce monde décadent. En accord avec la vision anglo-saxonne de la Révolution française , la société du XVIII° est présentée comme fascinante mais aussi corrompue, condamnée par ses propres abus. Les causes sociales de la Révolution sont en général réduites à quelques scènes-types, évoquant la misère du peuple : la foule des pauvres quémandant un bout de pain, le miséreux écrasé par le carrosse d’un noble indifférent ( cette vision de l’Ancien Régime se retrouve encore dans le film de James Ivory Jefferson à Paris ). Le cinéma américain insiste d’ailleurs aussi sur la bestialité du peuple qui se déchaîne pendant la Révolution française et le destin tragique de ces personnages de la Noblesse les rend alors attachants ou en tout cas dignes de pitié…

    Le cinéma français a été plus prolixe sur l’Ancien Régime : on peut ainsi relever les fresques « historiques » réalisées par Sacha Guitry ( Les perles de la Couronne -1937-, Remontons les Champs-Elysées-1938-, Si Versailles m’était conté-1953-, Si Paris m’était conté-1955- ). Au delà de la fantaisie du réalisateur, ces films illustrent bien sa nostalgie pour une époque où  » l’esprit français » était à son apogée, sous le règne de quelques Grands Rois comme François Ier dans  Les perles de la Couronne, Louis XIV dans Si Versailles m’était conté, Louis XV dans Remontons les Champs-Elysées ( Guitry n’est pas vraiment « royaliste » mais plutôt attaché  » aux Grands Hommes qui ont fait la France » , et il a plusieurs fois célébré le personnage de Bonaparte…). Quant à la véracité de ces charmantes anecdotes, l’auteur lui-même a indiqué ce qu’il fallait en penser : « je revendique le droit absolu de conter des aventures dont je n’ai pas trouvé la preuve du contraire ». Malgré son peu de crédibilité historique, la vision « galante » de Guitry, version optimiste de celle d’Hollywood, a été longtemps dominante dans le cinéma français et a ainsi façonné une certaine image de l’Ancien Régime…

De cape et d’épée
L’Ancien Régime sert aussi de toile de fond à un genre très populaire en France dans les années 1960, le film de cape et d’épée ( on en produit alors 25 par an : certains historiens du cinéma ont d’ailleurs rapproché le succès de ce genre de l’avènement du pouvoir gaulliste, considéré comme un avatar du système monarchique…). Sur les écrans se succèdent alors d’habiles bretteurs, « cousins » de d’Artagnan (Le chevalier de Pardaillan, Lagardère, Le Capitan ) souvent couplés à un valet débrouillard (ce duo type est souvent incarné par Jean Marais et Bourvil…), sans oublier l’inévitable femme galante d’extraction modeste ( parmi les films les plus connus, Les trois mousquetaires -1953-, Le Bossu -1959-, Le Capitan -1960- tous réalisés par André Hunebelle, la série des Angélique et Le Chevalier de Pardaillan mis en scène par Bernard Borderie…). Ces films de cape et d’épée ne remettent pas en cause les idées reçues sur l’Ancien Régime mais apportent quelques aspects nouveaux, empruntés à l’enseignement officiel de l’histoire . Ainsi, la lente formation de l’unité française y est illustrée par ces personnages de gentilshommes souvent méridionaux, sans le sou mais habiles escrimeurs. En montant à Paris, ils perdent leur accent et se mettent au service de leur Roi, pour l’aider à combattre les élites corrompues ( les Nobles rebelles, ou Mazarin le profiteur..). Leur rôle est essentiellement conservateur, dans le sens où leur mission est « de remettre de l’ordre » : la Monarchie n’y est jamais critiquée et les « Bons Rois » à la Lavisse sont valorisés ( Henri IV, voire Louis XIV…). Aux marges du film de cape et d’épée, quelques films des années 1950-1960 sortent des sentiers battus. Le personnage incarné par Gérard Philippe, dans Fanfan la Tulipe de Christian-Jacque ( 1952 ) fait preuve d’une verve insolente : il apparaît comme « un hybride de gentillesse populaire et de Révolution ». L’armée du Roi est présentée comme une bande d’abrutis, commandée par des officiers cyniques et Louis XV semble intelligent mais bien antipathique. Le Cartouche de Philippe de Broca ( 1961 ) dépeint sans complaisance la caste nobiliaire du XVIII° et le destin tragique du brigand incarné par Jean-Paul Belmondo est présenté comme le prélude de bouleversements plus radicaux…Mon Oncle Benjamin d’Edouard Molinaro (1969 ) est le portrait truculent d’un libre-penseur voltairien, prêt à se mobiliser contre l’ordre établi…

Le cinéma-histoire
Mais c’est surtout à partir des années 1970 que plusieurs cinéastes, surtout en France, renouvellent la vision de l’Ancien Régime au cinéma : Roberto Rosselini, le précurseur qui réalise La prise du pouvoir par Louis XIV dès 1966, puis René Allio ( Les Camisards en 1972, Un médecin des Lumières ), Bertrand Tavernier ( Que la fête commence en 1974 ), Maurice Failevic ( 1788 en…1978 ). La démarche de ces réalisateurs s’inscrit d’abord dans le même contexte historiographique : en effet, beaucoup d’entre eux se sont inspirés des « nouveaux objets » définis par l’école de la  » Nouvelle Histoire », alors en pleine ascension…On peut d’ailleurs noter que plusieurs historiens de cette tendance sont justement des « modernistes » : Fernand Braudel bien sûr, Emmanuel Leroy-Ladurie, Philippe Joutard, Pierre Goubert…La nouvelle génération de cinéastes n’hésite pas à faire preuve d’érudition et utilise certains travaux de recherche : Allio consulte Joutard et Leroy-Ladurie pour Les Camisards, Arlette Farge et Jean-Pierre Peter pour Médecin des Lumières, M.Failevic s’appuie sur les compétences de son scénariste , Dominique de la Rochefoucault pour 1788 (ce dernier participe aussi au scénario d’une dizaine de films ou téléfilms de Rosellini, dont La prise du pouvoir... ). Certains de ces réalisateurs sont aussi engagés ( Allio, Failevic, Tavernier…) et leur regard sur l’histoire n’est pas neutre : étudier une société pré-révolutionnaire, c’est aussi parler de la situation de ces années 1970 . A propos de Que la fête commence, Tavernier explique : « ces traits sociaux nous paraissent étrangement contemporains, sans que nous ayons besoin de les actualiser : l’inflation, la colonisation,le régionalisme breton… ». En tout cas, leur vision de l’Ancien Régime tranche avec l’image qui en était donnée par « les films à costumes » tournés jusque là. Déjà, ces cinéastes privilégient souvent ce qu’on pourrait appeler le « héros collectif », autrement dit le peuple, de préférence à l’individu : un groupe de paysans protestants cévenols dans Les Camisards, une communauté villageoise dans 1788 . Dans Que la fête commence consacré au Régent, Tavernier ne manque pas de conclure son film par une « émotion » paysanne… Cette approche pose d’ailleurs des problèmes de production,comme le constate René Allio :  » Si vous décidez de ne pas passer par un héros central, il ne peut y avoir de vedette donc il faut un autre financement. On peut facilement représenter les classes dominantes : il est beaucoup plus difficile de représenter les classes populaires ». Alors qu’en ces années 1970, le régionalisme est en plein essor, ces réalisateurs évoquent souvent la France des provinces : Les Camisards en Cévennes, Que la fête commence en Bretagne, 1788 dans un village de Touraine, Un médecin des Lumières dans le Bourbonnais… Leurs films décrivent aussi des aspects de la vie quotidienne, très peu évoqués auparavant : les travaux agricoles dans 1788, la médecine dans Un médecin des Lumières et quelques séquences de La prise du pouvoir, la sexualité des classes dirigeantes dans Que la fête commence et La prise du pouvoir, la religion dans Les Camisards, la justice dans Le retour de Martin Guerre…

   Ce cinéma érudit a pu paraître austère à certains ( à propos de La prise du pouvoir, un critique estime que Colbert débite son programme « avec les accents monocordes d’un acteur bressonien… »). D’ailleurs, certains de ces films n’ont eu qu’une audience réduite et les réalisateurs n’ont trouvé leur salut qu’en travaillant pour la télévision ( Failevic pour 1788, Allio pour Un médecin des Lumières ) : ils y ont trouvé des conditions de production convenables et une audience presque inespérée ( 1788 diffusé dans le cadre de l’émission « les dossiers de l’écran » a été regardé par 18 millions de téléspectateurs…). Sans parler d’une légende noire de l’Ancien Régime après une légende dorée, il est clair que ces cinéastes insistent sur les ombres de cette période : l’oppression féodale dans 1788, l’absolutisme religieux dans Les Camisards...Même quand ils évoquent la Cour, c’est pour démonter les stratégies de représentation du pouvoir monarchique ( La prise du pouvoir ) ou souligner l’ambiance corrompue et cynique qui y règne ( Que la fête commence ).

   Cette nouvelle vision de la période s’est maintenant suffisamment imposée pour être intégrée dans tous les films qui se déroulent sous l’Ancien Régime. Ainsi, récemment, ce qu’on pourrait appeler le « cinéma théatral » apparu ces dernières années, reprend souvent à son compte ces nouvelles représentations. Des films comme Les Fourberies de Scapin de Roger Coggio ( 1981 ) , Georges Dandin de Roger Planchon et d’une certaine façon Molière d’Ariane Mouchkine ( 1977 ) font éclater le cadre théâtral et multiplient des scènes de vie quotidienne très réalistes, pour illustrer les rapports entre la littérature et la société qui l’a vu apparaître. A propos du film de Mouchkine, Pierre Goubert approuve la réalisatrice « d’avoir osé montrer la boue, l’ordure, les poux, les charognes, le sang ( de cheval,de femme, de révolté,de comédien ) la disette, et les cagots ». Récemment, Bertrand Tavernier, en réalisant La fille de d’Artagnan ( 1994 ), tente de réconcilier le film de cape et d’épée et le cinéma érudit, dans son évocation de l’Ancien Régime.

   Ainsi, la représentation de l’Ancien Régime au cinéma a bien changé, des « films en dentelles » réalisés dans l’entre deux-guerres aux visions plus « noires » du cinéma-histoire des années 1970. Longtemps, le cinéma de fiction présente une version « rose » de l’Ancien Régime, qui convient parfaitement aux impératifs des producteurs. Mais cette vision réductrice et pour tout dire réactionnaire ne résiste pas au temps, surtout en France où elle contredit de manière flagrante l’enseignement républicain. Dès la fin des années 1950, l’Ancien Régime est brocardé par quelques jeunes insolents comme Fanfan la Tulipe ou Cartouche… Dans les années 1970, le cinéma se réconcilie avec l’Histoire pour donner enfin une vision crédible de l’époque, même si c’est au prix d’un certain didactisme : la sensibilité nouvelle des cinéastes à l’historiographie ne peut être qu’appréciée..

voir aussi filmographie de l’Ancien régime au cinéma

 

L’Antiquité au cinéma

FILMOGRAPHIE :
Une filmographie très complète (50 pages!) est fournie par Henri DUMONT (chronologie du film à l’antique in Le péplum : l’Antiquité au cinéma, Cinémaction n°89).
Les ancêtres :
Cabiria, Giovanni Pastrone, 1914, Italie
avec Lidia Quaranta, Alex Bernard
Intolérance, D.W Griffith, 277 mn, 1916, Etats-Unis
avec Lilan Gish, Robert Harron
Ben-Hur, Fred Niblo, 1925, Etats-Unis
avec Ramon Novarro
Cléopatre, Cecil B. De Mille, 95 mn, 1934, Etats-Unis
avec Claudette Colbert

Péplums et films épiques :
sur l’Égypte
Terre des Pharaons (Land of the Pharaohs), Howard Hawks, 106 mn, 1955, États-Unis
avec Jack Hawkins, Joan Collins, derek Martin
Pharaon (Faraon), Jerzy Kawalerowicz, 174 mn, 1966, Pologne
avec Krystyna Mikolajewska, Geroge Zelnik

sur la Grèce
La guerre de Troie (La guerra di Troia), Giorgi Ferroni, 1961, Italie
avec Steve Reeves, Juliette Mayniel
Hélène de Troie (Helen of Troy), Robert Wise, 118 mn, 1956, États-Unis
avec Stanley Baker, Rossa na Podesta, Brigitte Bardot
Ulysse, Mario Camerini, 1953, Italie
avec Kirk Douglas, Silvana Mangano, Anthony Quinn
La bataille de Marathon ( La bataglia di Maratona), Jacques Tourneur, 95 mn, 1959, Italie
avec Steve Reeves, Mylène Demongeot
-Le colosse de Rhodes (Il colosso di Rodi), Sergio Leone, 111 mn, 1961, Italie
avec Rory Calhoun, Léa Massari, Georges Marchal
Alexandre le Grand (Alexender the Great), Robert Rossen, 143 mn, 1956, États-Unis
avec Richard Burton, Fredric March, Claire Bloom, Danièle Darrieux

sur Rome
Romulus et Remus (Romolo e Remo), Sergio Corbucci, 90 mn, 1961, Italie
avec Steve Reeves, Gordon Scott, Virna Lisi
Spartacus, Stanley Kubrick, 196 mn, 1960, États-Unis
avec Kirk Douglas, Tony Curtis, Laurence Olivier, Jean Simmons
Jules César, Joseph Mankiewicz, 120 mn, 1953, Etats-Unis
avec Marlon Brando, James Mason, Deborah Kerr
Les derniers jours de Pompei, Mario Bonnaro, Sergio Leone, Sergio Corbucci, 90 mn, 1959, Italie
avec Steve Reeves, Fernando Rey, Anne-Marie Bauma,
La chute de l’empire romain (The Fall of the Roman Empire), Anthony Mann, 149 mn, 1963, Etats-Unis
avec Sophia Loren, James Mason, Stephen Boyd, Alec Guinness

sur l’Orient romain
Cléopatre, Joseph Manciewicz, 184 mn, 1960-1936, Etats-Unis
avec Elizabeth Taylor, Richard Burton, Rex Harrison
Ben-Hur, William Wyler, 212 mn, 1959, Etats-Unis
avec Charlton Heston, Stephen Boyd, Jack Hawkins
Barabbas, Richard Fleisher, 162 mn, 1961, Etats-Unis
avec Anthony Quinn, Silvana Mangano, Jack Palance

BIBLIOGRAPHIE :
Le péplum : l’Antiquité au cinéma, sous la direction de Claude Aziza, Cinémaction n°89, 1998
-Claude Michel Cluny, Le péplum in Dossiers du cinéma : Cinéastes II, Casterman 1971
-Alain Garel, Le péplum in Revue du Cinéma n°305, 1976
-Dossier : « Le péplum italien » in Positif n° 456, février 1999
-Noel Howard, Hollywood sur Nil, Ramsay Poche Cinéma, 1978
L’antiquité au cinéma, BT 2, n° 271, 1994

Ulysse, M. Camerini (Dossier Contreplongée)
Pharaon , J. Kawalerowicz (Dossier Contreplongée)
Spartacus, S. Kubrick, (Dossier Contreplongée)
Ben-Hur, W.Wyler (Dossier CLT Les Grignoux)

Filmographie et bibliographie établies par Marcel Wander

La Révolution française au cinéma (filmographie)

 

La Révolution vue d’Hollywood
-Les deux orphelines (Orphans in the Storm), David W. Griffith, 125 mn, 1922
avec Dorothy Gish, Lillian Gish, Monte Blue…
-Le Marquis de Saint Evremond (A Tale of Two Cities), Jack Conway, 121 mn, 1935
avec Ronald Colman, Elisabeth Allan, Basil Rathbone…
-Marie-Antoinette, Woody S. Van Dyke, 160 mn, 1938,
avec Norma Shearer, Tyrone Power, John Barrymore…
-Le livre noir (Reign of Terror), Anthony Mann, 88 mn, 1949
avec Robert Cummings, Arlene Dahl, Richard Basehart…
-Scaramouche, George Sidney, 118 mn, 1952
avec Stewart Granger, Mel Ferrer, Eleanor Parker, Janet Leigh…

La Révolution à la française…
-Le destin fabuleux de Désirée Clary, Sacha Guitry, 117 mn, 1943
avec Sacha Guitry, Jean-Louis Barrault, Gaby Morlay, Geneviève Guitry
-Les Chouans, Henri Calef, 99 mn, 1946
avec Jean Marais, Madeleine Robinson, Marcel Herrand, Pierre Dux
-Le Diable Boiteux, Sacha Guitry, 120 mn, 1948
avec Sacha Guitry, Lana Marconi…
-Si Versailles m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1953
avec Sacha Guitry, Michel Auclair, Paulette Colbert, Jean Marais…
-Si Paris m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1955
avec Sacha Guitry, Françoise Arnoul, Danielle Darieux…
-Caroline Chérie, Richard Pottier, 140 mn, 1950
avec Martine Carol, Marie Dea, Jacques Dacqmine,….
-Marie-Antoinette, Jean Delannoy, 94 mn, 1955
avec Michèle Morgan, Jacques Morel, Richard Todd

Deux visions originales
-Napoléon et la Révolution, Abel Gance
(première version muette 1925-1927, sonorisée en 1932)
avec Albert Dieudonné, Harry Krimer , Antonin Artaud…
-La Marseillaise, Jean Renoir, 100 mn, 1938
avec Pierre Renoir, Louis Jouvet…

La version jacobine :
téléfilms :
-La mort de Marie Antoinette, Stellio Lorenzi, 1958
-La nuit de Varennes, Stellio Lorenzi, 1958
-Quatre vingt treize, Claude Santelli, 1962
-La Terreur et la Vertu, Stellio Lorenzi, 1962
-1788, Maurice Failevic, 1978
-La fin du Marquisat d’Aurel, Guy Lessertisseur, 1980
Fabien de la Drôme, Michel Wyn, 1984

-Les mariés de l’an II, Jean-Paul Rappeneau, 95 mn, 1970
avec Jean-Paul Belmondo, Marlène Jobert, Pierre Brasseur, Sami Frey…
-Le regard de l’étranger
-La nuit de Varennes, Ettore Scola, 150 mn, 1982
avec Jean-Louis Barrault, Marcello Mastroianni, Hanna Schygulla, Harvey Keitel, Jean-Claude Brialy…
-Danton, Andrzej Wajda, 135 mn, 1982
avec Gérard Depardieu, Wojciek Pzoniak, Patrice Chéreau, Roger Planchon…
-Adieu Bonaparte, Youssef Chahine, 115 mn, 1985
avec Michel Piccoli, Mohsen Mohieddin, Patrice Chéreau

Les ambiguités du bicentenaire
-Chouans, Philippe de Broca, 145 mn, 1988
avec Sophie Marceau, Philippe Noiret, Lambert Wilson, Charlotte de Turckheim…
-Vent de galerne, Bernard Favre, 105 mn, 1988
avec Jean-François Casabonne, Monique Mélinaud…
La Révolution française : les années lumière, Robert Enrico, 1989
-la Révolution française : les années terribles, Richard Heffron, 1989
avec Jean-François Balmer, Jane Seymour, Karl-Maria Brandauer, Andrzej Seweryn, Peter Ustinov

BIBLIOGRAPHIE :
-Sylvie Dallet, La Révolution française et le cinéma, Lherminier- Éditions des quatre vents, 1988
-Sylvie Dallet et Francis Gendron, Filmographie mondiale de la Révolution française, Lherminier- Éditions des quatre vents, 1988
-Roger Icart, La Révolution française à l’écran, Milan, 1989
Les écrans de la Révolution, ouvrage collectif , Vertigo, 1989
Révoltes, Révolution, Cinéma, sous la direction de Marc Ferro, Centre Georges Pompidou, 1989
Les images de la Révolution française, présentées par Michel Vovelle, Publications de la Sorbonne, 1988
-La légende de la Révolution française au XX° siècle, sous la direction de Jean-Claude Bonnet et Philippe Roger, Flammarion, 1988
Regards sur la Révolution, Cahiers de la cinémathèque, n° 53, décembre 1989

La Marseillaise, Jean Renoir, Avant-scène n°383-384, juillet-août 1989
La Marseillaise, Jean Renoir (Dossier Contreplongée)
La Révolution française : les années lumière (Dossier Contreplongée)

voir aussi la Révolution française au cinéma

La Révolution française au cinéma (filmographie)

   Plus que tout autre sujet historique ( à l’exception peut-être de la révolution bolchevique…), la Révolution française a été mal traitée par le cinéma, et a souvent été victime de présupposés idéologiques. En particulier, le cinéma hollywoodien, inspiré par la littérature anglo-saxonne sur le sujet, ne s’est pas embarassé de crédibilité historique ou d’une quelconque neutralité…Ce n’est que dans l’entre deux-guerres que des cinéastes comme Abel Gance ou Jean Renoir évoquent la Révolution avec une certaine bienveillance ( évidente dans le cas du réalisateur de La Marseillaise ). Dans l’après-guerre, une nouvelle génération de téléastes et de cinéastes souvent engagés dans le combat politique, défendent une vision plus érudite et surtout plus »jacobine », des évènements révolutionnaires ( Stellio Lorenzi, Maurice Failevic…). Mais les débats qu’ont provoqué des films comme Danton d’Andrej Wajda, ou Les années terribles de Richard Heffron montrent qu’on est loin du consensus et que la représentation de cette période pose toujours problème.

La Révolution vue d’Hollywood
Le cinéma américain est assez peu inspiré par la Révolution française : une quinzaine de longs métrages depuis 1917 se déroulent à cette époque, depuis Orphans in the storm de D.W.Griffith en 1921 à Reign of Terror d’Anthony Mann réalisé en 1949…Sans doute, le sujet est-il trop lointain ou trop complexe pour être traité dans « les usines à rêves » hollywoodiennes. Cela dit, quelques films méritent d’être analysés, comme Le Marquis de Saint-Evremont de Jack Conway ( 1935 ) ou Marie-Antoinette de WS Van Dyke ( 1938 ). D’abord, on peut remarquer que rien ne semble arrêter les réalisateurs américains, et sûrement pas la vérité historique…Dans Le marquis de Saint-Evremont, La Bastille est prise au son d’une martiale  » Marseillaise », et la réunion des États Généraux se transforme en une querelle d’escrimeurs dans le Scaramouche de Georges Sidney ( 1952 ). Avant tout, la vision d’Hollywood sur la Révolution se construit à partir de partis-pris affirmés. Sans doute inspirés par la littérature anglo-saxonne
( surtout A tale of two cities de Charles Dickens plusieurs fois porté à l’écran ), les réalisateurs et scénaristes américains se retrouvent sur quelques idées-forces : l’Ancien Régime était condamnable ( l’arbitraire de la justice royale est fréquemment dénoncé ), la Révolution bourgeoise doit être soutenue ( José Clémente a ainsi remarqué que la prise de la Bastille est une séquence obligée de la production hollywoodienne, comme symbole de la chute de l’absolutisme…). Par contre, la Terreur est présentée sous les traits les plus repoussants : la foule des sans-culotte est bestiale, les aristocrates ( souvent de jeunes femmes pâles au doux visage…) apparaissent comme les victimes de la furie révolutionnaire : Robespierre, Saint-Just, Marat sont les maitres d’œuvre de cette sauvagerie…
Cette vision peu nuancée s’explique : d’abord, elle correspond au point de vue dominant chez les Anglo-saxons, à propos de la Révolution : sympathique quand elle lutte contre l’absolutisme, nettement moins quand elle remet en cause l’ordre social et prétend donner le pouvoir au peuple… Marcel Oms remarque que ces films réussissent toujours à justifier des thèmes chers au cinéma américain : « singularité et triomphe de l’individu, quelque soit son origine, croyance en un libéralisme abstrait, évidence d’une morale naturelle »… D’autre part, les cinéastes américains de l’entre deux-guerres font clairement le rapprochement entre la Révolution française et celle qui vient de se dérouler en Russie. Lilian Gish, interprète du film de Griffith Orphans in the storm estime que cette œuvre est « l’exemple même du film de propagande antibolchevique. Il montre que la tyrannie des Rois et des nobles est difficile à supporter mais que la tyrannie de la foule menée par des dirigeants enragés est intolérable ».

Silence à l’Est
En contrepoint, l’absence de films soviétiques sur la Révolution est troublante, alors que les dirigeants bolcheviks y font une référence constante dans leurs écrits et leurs discours…De fait, Marc Ferro, explique qu’à l’époque stalinienne, la Révolution française est ressentie plutôt comme un « contre-exemple « . D’abord, elle s’est « mal terminée » et les analogies avec la Révolution bolchevique peuvent amener à des conclusions « politiquement incorrectes » : comme le remarque Léon Trotski, si Lénine est Robespierre, l’arrivée au pouvoir de Staline correspond à Thermidor, comparaison jugée sans doute peu flatteuse…

La Révolution à la française
En France même,la filmographie est maigre et souvent bien peu républicaine, de manière surprenante quand on sait l’importance de la Révolution française comme mythe fondateur de la III° République. On peut ainsi relever quelques films de Sacha Guitry , mais qui évoquent surtout la personnalité de Bonaparte ( Remontons les Champs-Elysées-1939-, Le Destin fabuleux de Désirée Clary-1943-, Le Diable boiteux-1948- ). Des films comme Caroline Chérie de Richard Pottier ( 1950 ) utilise la période révolutionnaire comme toile de fond aux aventures de l’héroïne. Inspiré des livres franchement réactionnaires de Cécil Saint-Laurent, le personnage incarné à l’écran par Martine Carol apparaît comme « culbuté par l’histoire », subissant stoïquement toutes les turpitudes révolutionnaires. L’ensemble de cette production, comme le relève Marcel Oms, « traite la Révolution française avec agressivité et dénigrement, méfiance et hostilité, falsification et caricature ».

Deux visions : Gance et Renoir
Cela dit, dans l’entre deux-guerres, deux cinéastes, Abel Gance et Jean Renoir, offrent une vision nouvelle de la Révolution, ne serait-ce que par le ton bienveillant qu’ils adoptent pour évoquer cette période de notre histoire. Les deux d’abord accomplissent un véritable travail de documentation sur leurs sujets ( en particulier, Jean Renoir utilise les travaux d’Albert Mathiez, des études sur les Fédérés marseillais, et même des documents bruts comme les Mémoires de Pierre-Louis Roederer pour le récit du 10 août 1792 ). Abel Gance , dans les différents avatars de son Napoléon, (version muette en 1927, sonorisée en 1935, nouvelle mouture après guerre sous le titre de Napoléon et la Révolution…) reprend certains clichés sur la Révolution : la bestialité de la foule révolutionnaire, les dirigeants Montagnards froids et implacables.. Mais dans ce film qui décrit « l’irrésistible ascension de Napoléon Bonaparte », le général est bien présenté comme le continuateur de la Révolution (il semble même être une sorte de « deus ex-machina », œuvrant dans les coulisses à chaque épisode essentiel..). La Révolution selon Gance se justifie dans le sens où elle permet l’émergence d’un homme d’exception, Napoléon Bonaparte ( certains historiens du cinéma ont d’ailleurs relevé que les différentes versions du film correspondent à des époques où domine l’idée de « l’homme providentiel : les années 1920 et l’avènement des dictatures, les années 1960 et le retour du Général de Gaulle au pouvoir ). Jean Renoir, le réalisateur de La Marseillaise, est encore plus original et son approche de la Révolution préfigure de bien des manières la démarche des cinéastes des années 1960-1970. Le film se veut engagé et souhaite incarner de façon très consciente l’esprit du Front populaire ( il devait être à l’origine financé par une souscription « populaire »…). Les allusions nombreuses à « l’embellie » de 1936 ont été relevées ( en particulier, l’unité de la nation est proclamée comme un mot d’ordre,en un temps où les communistes tendent la main aux catholiques). Surtout, le cinéaste propose une vision radicalement nouvelle de la Révolution française : d’abord, il décrit les évènements révolutionnaires à Marseille, rompant ainsi avec le point de vue parisien dominant jusqu’ alors.Il présente,non des individualités romanesques, mais un « héros collectif » les Fédérés de Marseille. Certes, quelques personnages se détachent ( Arnaud, Javier, Bomier…) mais comme autant de porte-paroles des groupes sociaux qu’ils incarnent ( artisans, fonctionnaires, intellectuels…), chargés d’expliquer le sens de leur action collective. Même le personnage de Louis XVI , incarné par le frère du réalisateur, bénéficie d’un traitement nouveau : son portrait est nuancé, « brave homme confronté à des problèmes qui le dépassent » comme l’a noté Hubert Schang ( dossier Contreplongée : Les années-Lumière ). De bien des façons, le film de Renoir tranche dans la production cinématographique de l’époque sur le sujet…

Une vision plus jacobine
Après la seconde guerre mondiale, cette nouvelle approche de la Révolution se développe, notamment à la télévision dont l’usage se répand à partir des années 1960. Comme l’a bien remarqué Sylvie Dallet, toute une génération de réalisateurs de télévision ( Stellio Lorenzi, Claude Barma, Claude Santelli… ), souvent engagés à gauche voire à l’extrème gauche , choisissent à plusieurs reprises la Révolution française comme sujet de leurs « dramatiques ». La fameuse émission La caméra explore le temps y consacre plusieurs numéros : Le procès de Marie-Antoinette en 1958, La nuit de Varennes en 1960, La Terreur et la Vertu en 1962 ; Claude Santelli réalise 1793 ( 1962 ), Claude Barma La mort de Danton ( 1966 )…Dans le climat euphorique de la Libération, ces réalisateurs veulent une démocratisation de la culture, et pour ce faire ils adoptent le média bientôt le plus populaire. Non sans raisons,ils estiment que le cinéma est incapable d’assumer pleinement ce rôle éducateur, à la fois pour des raisons idéologiques et économiques…Leur vision de la Révolution s’appuie sur une documentation solide et une interprétation « jacobine » de la période qui semble issue des manuels scolaires de la III° République : Robespierre et la Terreur, sans être complètement réhabilités, sont présentés avec nuances et dans leur contexte ( guerre civile, guerres extérieures ), alors que les aspects les plus répressifs du régime terroriste sont relégués au second plan .Ces téléfilms insistent aussi la naissance du parlementarisme, ce qui selon Sylvie Dallet, correspond bien à la mentalité des classes moyennes de ces années 1960.

   Dans les années 1970, une convergence essentielle s’opère entre Cinéma et Histoire : toute une génération de cinéastes ( Allio, Cassenti, Comolli,Tavernier…) utilise les travaux de la Nouvelle Histoire pour renouveller en profondeur le film historique . Mais, on doit bien relever que ces cinéastes, s’ils ont abordé l’Ancien Régime ( Les Camisards, Que la fête commence…),le XIX° siècle ( La Cecilia, Le juge et l’assassin ) et la période contemporaine ( La vie et rien d’autre, L’Affiche rouge, L’ombre rouge...), se sont peu intéressés à la période révolutionnaire. Pourtant, l’intérêt porté par les historiens, surtout de l’école marxiste, aux mouvements sociaux de la Révolution, est ancien,comme le montrent les travaux d’Albert Mathiez, Georges Lefevre, Albert Soboul, relayés dans les années 1960 par les études de Guy Bois ou Michel Vovelle… Ce sont encore des réalisateurs de télévision « qui prennent le risque » de traiter la Révolution avec une approche nouvelle : surtout 1788 de Maurice Failevic sur un scénario de Dominique de la Rochefoucault, réalisé en 1978 et La fin du Marquisat d’Aurel de Guy Lessertisseur ( 1980 ). Dans ces deux téléfilms, la Révolution est abordée par « ses franges », c’est à dire en insistant sur les aspects sociaux. Le monde rural y est présenté « en profondeur » et collectivement, avec une érudition presque savante ( on y évoque les techniques et les usages agricoles, comme la pratique des biens communaux, l’âpreté des rapports sociaux entre les seigneurs et les paysans…) et des thèmes nouveaux apparaissent ,comme la montée de la bourgeoisie…

Ainsi, cette période des années 1960-1970 marque une nette évolution dans la représentation de la Révolution à l’écran. Pour Sylvie Dallet, le film de Jean Paul Rappeneau, Les Mariés de l’an II ( 1971 ), comme une espèce de « point d’équilibre » : sur le ton de la comédie, le cinéaste présente un bilan « globalement positif » de la Révolution. Certes, les excès de la Terreur sont dénoncés mais aussi « expliqués » par la situation périlleuse de la France à cette époque : à la fin du film, le héros petit-bourgeois incarné par Jean Paul Belmondo « fait son devoir », en allant s’engager pour combattre les ennemis de la Révolution….

Le regard de l’étranger
Toujours pendant ces années 1970, la Révolution inspire trois cinéastes étrangers, et non des moindres puisqu’il s’agit de Youssef Chahine, Ettore Scola et Andrej Wajda. Le film du réalisateur égyptien Adieu Bonaparte ( 1984 ) aborde un sujet profondément original, à savoir l’expédition de Bonaparte en Égypte. Avec une érudition parfaite, il souligne les ambiguïtés des intentions françaises et relève les malentendus entre « libérateurs » et indigènes : il tente de mesurer l’impact de cette présence sur la société de son pays...La nuit de Varennes d’Ettore Scola ( 1981 ) aborde le sujet de manière symbolique : sur la route de Varennes en juin 1791, un groupe de personnages emblématiques de l’Ancien Régime et du monde nouveau discourent à l’infini : se retrouvent ainsi un Casanova vieillissant, Restif de la Bretonne, l’américain Tom Paine, une aristocrate suivante de la Reine…Mais c’est sans conteste le film d’Andrej Wajda, Danton, réalisé en 1982 avec le concours du ministère français de la culture, qui a provoqué le plus de polémique… La tonalité crépusculaire de l’œuvre, la qualité de l’interprétation ( Gérard Derpadieu en Danton, Wojciech Pszoniak en Robespierre, Patrice Chéreau en Desmoulins ) ont forcé l’attention. Mais, la représentation de la Terreur a posé problème ,dans la mesure où elle est avant tout marquée par les préoccupations politiques du réalisateur . Même s’il en est parfois défendu, Wajda, militant de « Solidarité », a bien voulu parler de la Pologne en « état de siège » des années 1980 en évoquant la Terreur de 1793. Sans insister,on notera que le cinéaste polonais fait « l’impasse » sur le contexte historique de la période et que pour les besoins de sa cause, il va parfois un peu loin dans l’analogie …Ainsi, la fameuse séquence où Robespierre essaie le costume pour la fête de l’Être Suprême et corrige David sur le tableau du Serment du Jeu de Paume est une allusion transparente au culte de la personnalité et au « réalisme socialiste » en vigueur dans les pays communistes. Or, cette scène est une pure « invention » historique, ce qui affaiblit le propos de Wajda, malgré la puissance de son évocation…

Les ambiguïtés du Bicentenaire
A l’approche du Bicentenaire de 1789, la situation du cinéma français est paradoxale : d’abord, le thème de la révolte vendéenne connaît un regain de faveur, encouragé par la querelle historiographique… D’autre part, la production « officielle » sur la Révolution ne propose que des oeuvres convenues,parfois même contestables comme Les années terribles de Richard Heffron .
Deux films tournés sur la révolte des paysans de l’Ouest ( Chouans de Philippe de Broca-1988-, Le vent de galerne de Bernard Favre-1989-) renouvellent la vision du cinéma sur le sujet. Jusque là, les oeuvres réalisées sur ce thème avaient le souci de renvoyer dos à dos deux fanatismes également coupables, celui des « colonnes infernales » et celui des « Blancs », et n’oubliaient pas d’évoquer le contexte international. Mais les deux films cités ne respectent plus cette symétrie et s’inspirent d’un contexte historiographique nouveau, apparu dans les années 1980. A cette époque, plusieurs livres adoptent un ton franchement polémique pour évoquer l’action des armées républicaines en Vendée ( surtout le livre de Reynald Seycher publié en 1986 : Le génocide franco-français : la Vendée vengée ). Ces auteurs insistent sur l’idée d’une connexion Vendée-Auschwitz et l’amalgame Jacobins-Bolcheviks-Nazis est clairement affirmé : ces thèmes sont popularisés auprès du grand public par l’activisme éditorial et médiatique de Philippe de Villiers ( député de Vendée, secrétaire d’État à la culture de 1986-1988, promoteur du spectacle du Puy de Fou ). Certes, Philippe de Broca et Bernard Favre font preuve de prudence et ne reprennent pas à leur compte les affirmations les plus extrémistes : dans Chouans par exemple, le noble libéral incarné par Philippe Noiret soutient la première phase de la Révolution ; Le Vent de galerne insiste sur le caractère populaire de la révolte vendéenne et se veut l’équivalent des Camisards de René Allio. Mais, si leur description des forces contre-révolutionnaires est assez crédible, ces films retombent souvent dans la caricature, dès qu’il s’agit de décrire le camp « d’en face ». Dans Chouans, le personnage interprété par Lambert Wilson, censé incarner le représentant en mission « pur et dur », est une somme des clichés sur le terroriste « tel qu’on le rêve »…

   Lors de la comémoration du Bicentenaire de la Révolution, deux films sont présentés comme des oeuvres quasiment « officielles », estampillées par la Mission du Bicentenaire : il s’agit des Années-lumière de Robert Enrico et des Années terribles réalisées par Richard Heffron ( David Ambrose a élaboré les scénarios des deux épisodes ).Les réalisateurs bénéficient de conditions de production exceptionnelles : un budget de 300 millions de francs, 180 acteurs dont Klaus-Maria Brandauer, François Cluzet, Jean-François Balmer, Andrej Seweryn….avec la caution scientifique de l’historien Jean Tulard. Le contexte même imposait aux réalisateurs d’offrir une vision de la Révolution plutôt consensuelle. Robert Enrico s’en explique très bien :  » je me suis imposé de prendre ne compte les images familières que les manuels scolaires ont popularisés. Il s’agissait de réactiver une mémoire collective nourrie d’habitudes à respecter pour mieux faire passer un message positif sur les acquis irréversibles de la Révolution française ». Son film se présente comme une suite de scènes « incontournables » de tous les grands évènements révolutionnaires, en démarquant au plus près l’imagerie la plus répandue ( la séquence du serment du Jeu de Paume se présente comme le tableau de David « animé » …). Quand cela était possible, les évènements ont été tournés sur les lieux mêmes où ils s’étaient déroulés ( Hôtel de Ville, Versailles…) ou dans des endroits judicieusement choisis ( le château de Tarascon pour la Bastille, celui de Fontainebleau pour les Tuileries…).Mais comme le notait José Clémente, ce positivisme a ses limites et s’il rend la Révolution française lisible, il ne l’explique pas. Le peuple est singulièrement absent de ce long récit et comme le précise David Ambrose, ce sont les cadres, les « Yuppies » d’alors qui sont présentés comme les acteurs de l’Histoire en marche.
A ce propos,on peut relever toutes les incidences du débat historiographique des années 1980 sur la représentation de la Révolution à l’écran. A l’époque, l’interprétation libérale de François Furet sur la période révolutionnaire est dominante dans le champ médiatique, même si certains historiens s’en démarquent nettement, comme Maurice Agulhon ou Michel Vovelle, Président de la commission du Bicentenaire ( sans même parler des disciples de Mathiez et de Soboul, dont Claude Mazauric ). François Furet estime que la Terreur est en germe dès le début de la Révolution ( en 1965, il ne parlait que d’un « dérapage »..) et rejette toute explication par « les circonstances » ( la guerre civile, les guerres extérieures..) : il ne manque pas de souligner les analogies avec l’histoire de l’URSS et selon lui, le régime terroriste est bien l’ancêtre de tous les régimes dictatoriaux du XX° siècle. Or, cette approche se retrouve à l’écran, du Danton de Wajda aux Années terribles de Richard Heffron, en passant par Chouans de Philippe de Broca : dans tous les films cités, les personnages de Montagnards ont un petit air stalinien qui ne trompe pas….De même, les historiens de la « galaxie Furet » privilégient la dimension politique de la Révolution aux dépens des autres aspects, notamment sociaux : cette optique est reprise dans les films « officiels » du Bicentenaire, qui valorisent les dirigeants et réduisent le peuple à un rôle de figurant souvent manipulé (dans Les années-lumière, la séquence sur les journées d’octobre 1789 met en scène le peuple de Paris reprenant mécaniquement les mots d’ordre que lui souffle Marat…).

   Au terme de cette rapide évocation de la Révolution française à l’écran, on peut estimer que Cinéma et Histoire se sont retrouvés, pour le meilleur et pour le pire. Longtemps,la Révolution n’est qu’une toile de fond pour les réalisateurs qui cherchent un cadre dramatique aux aventures de leurs personnages mais leur vision est souvent réductrice et réactionnaire : si la monarchie absolue est condamnée, la Terreur devient l’archétype de la dictature « au nom du peuple ». Avec Renoir et les cinéastes des années 1960-1970, la représentation de la Révolution est plus équilibrée, plus érudite, et les approches se diversifient. Mais dans les années 1980, le cinéma reflète d’une certaine manière les débats historiographiques du temps, que ce soit la « redécouverte » des guerres de Vendée ou les idées défendues par François Furet, et il n’ évite pas toujours la caricature. Décidément, la représentation de la Révolution française reste un enjeu idéologique d’importance, et on peut se demander si, comme l’affirme François Furet, « la Révolution est vraiment terminée »…

La Révolution, suite et fin ?
Ces dernières années, il semble bien que le thème de la Révolution française ait peu inspiré les cinéastes , si on excepte le film de James Ivory, Jeffferson in Paris (1995), qui s’intéresse au séjour du célèbre américain, en tant qu’ambassadeur de la jeune république auprès de Louis XVI. Si les les liens de Jefferson avec les nobles libéraux comme Lafayette sont bien montrés, par contre les motivations du peuple en colère sont sommairement exposées…En 2001, Eric Rohmer nous présente une approche de la Révolution française très critique dans L’Anglaise et le duc, qui rejoint d’une certaine façon la vision libérale d’un François Furet, en s’interrogeant en particulier sur la période de la Terreur.
Par contre, un personnage de l’époque semble toujours inspirer le cinéma : il s’agit bien sûr de Marie Antoinette, au centre de deux films plutôt réussis mais dans des genres bien différents : celui de Sofia Coppola, sorti en 2005 et Les Adieux à la Reine, de Benoit Jacquot (2011). On peut relever la Reine de France avait déjà inspiré de nombreux cinéastes, à Hollywood (Marie Antoinette, de W. S. Van Dyke en 1938) ou en France (les plus notables serait La Marseillaise de Jean Renoir en 1938 et le film de Jean Delannoy, sorti en 1956, en avec Michèle Morgan dans le rôle principal)
Le Marie-Antoinette de Sofia Coppola privilégie un angle particulier : il nous décrit la jeune reine comme une jeune fille perdue dans un milieu dont elle ne maitrise pas les règles et où elle s’ennuie profondément…Elle se distrait dans une succession de fêtes plus ou moins orgiaques, avec un petit groupe d’amies fidèles, prêtes à la suivre dans ses excentricités. Elle vit dans « une bulle coupée du monde extérieur » , comme le dit la réalisatrice, et donc l’Histoire (et le peuple) est en quelque sorte hors-champ. Ce décalage a pu énerver certains , notamment parmi les historiens, qui ont vite fait de relever les anachronismes du film : l’absence de contexte historique accentue le caractère frivole du personnage, qui semble de tout temps…Mais comme le dit Benoit Jacquot, son film est « insolent, extrêmement snob mais assumant complètement son snobisme ». Sa vision du personnage est cohérente, pas plus ni moins fantaisiste que celle d’un Sacha Guitry : on peut donc lui accorder (ou non) le même crédit Quant à l’interprétation de la figure de Marie-Antoinette .

  Quant au film Les Adieux de la Reine, le cinéaste a fort bien réussi son pari de renouveler le genre, alors que ce personnage a déjà fait l’objet de nombreux films. Ce qui peut intéresser le professeur d’histoire, c’est l’évocation très réussie d’un Versailles pas si brillant que cela : les rats pullulent, la saleté règne, la plupart des résidents s’entassent dans des chambres exiguës…L’ambiance « fin de règne » a fasciné Benoit Jacquot (il la compare à celle régnant à la tête de l’état en… mai 1968) : ces hauts dirigeants hésitant sur la marche à suivre, les aristocrates prenant connaissance avec effroi des listes de têtes à faire tomber en cas de Révolution…De plus, il prend le parti de décrire cette période très particulière (entre le 14 et le 17 juillet 1789) à travers les yeux d’un personnage fictif mais crédible (la liseuse de la Reine, Mlle Laborde). Le personnage de Marie-Antoinette devient aussi plus complexe : femme capricieuse, passant de la douceur à l’arrogance, d’un caractère authentiquement réactionnaire, elle ne comprend pas « le monde qui change » et surtout le refuse…Selon le réalisateur, c’est lorsque le tragique des évènements s’impose à elle, qu’elle « cesse de devenir une princesse évaporée et devient la reine de France ». A ce jour, c’est sans doute le film qui rend le plus justice à ce personnage tant décrié par l’historiographie…
En tout cas, le fait que le cinéma « traite » de la Révolution française par l’évocation d’une telle figure montre bien qu’un tournant a été pris : l’histoire du collectif s’efface devant les destinées individuelles, et en particulier celles qui passent bien à l’écran. Mais le septième art n’a sans doute pas dit son dernier mot : la réussite de certains films situés dans le passé et qui prennent comme personnages principaux les « oubliés de l’histoire » (on pense à Heimat, d’Edgar Reitz, de ou Jimmy’s Hall de Ken Loach, films sortis en 2013) montre qu’on peu aussi  filmer le temps passé par le bas…

 

le cinéma allemand des années 1920 aux années 1930 (filmographie)

Ernst Lubitsch :
Madame Dubarry, 1919
Anne Boylen, 1920

Le cinéma expressionniste allemand :
Le cabinet du docteur Caligari (Das Kabinett des Doktors Caligari), Robert Wiene, 1919
Le Golem (der Golem), Paul Wegener, 1920
Le cabinet des figures de cire (Wachsfigurenkabinett), Paul Leni, 1924

Le retour au réel :
Le Kammerspeile :
La nuit de la Saint Sylvestre (Sylvester), Lupu Pick, 1923
Variété, Edwald Andreas Dupont, 1924
Le dernier des hommes (Der letze Mann), Friedrich Wilhelm Murnau, 1924
Le journal d’une femme perdue (das Tagebuch einer Verlorenen), Georges Wilhelm Pabst, 1928
Les films de rue :
La Rue (Die Strasse), Karl Grüne, 1923
La Rue sans joie (Die freudlose Gasse), Georges Wilhelm Pabst, 1925
-Asphalt, Joe May, 1929
La « nouvelle objectivité »
Berlin , symphonie d’une grande ville (Berlin, Symphonie einer Grosssatdt), Walter Ruttmann, 1927
Les Hommes le dimanche (menschen am Sonntag), Robert Siodmack, Edgar G. Ulmer, Billy Wilder, 1929
Berlin Alexanderplatz, Phil Jutzi, 1931
Ventres glacés (Khüle Wampe), Slatan Dudow, 1932

Les « grands maîtres »du cinéma allemand
Friedrich Wilhelm Murnau
Nosferatu le Vampire (Nosferatu, eine Symphonie des grauens), 1921
Le dernier des hommes (Der letze Mann), 1 924
Faust, 1925
Georges Wilhelm Pabst
La Rue sans joie (Die freudlose Gasse), 1925
Le journal d’une femme perdue (das Tagebuch einer Verlorenen), 1928
Loulou, 1929
Quatre de l’infanterie ( Westfront), 1930
L’Opéra de quat’sous (Dreigroschenoper), 1931
La tragédie de la Mine (Kameradschaft), 1931
Fritz Lang
Les Araignées (Die Spinnen), 1919
Les trois Lumières (Der Müde Tod), 1921
Le docteur Mabuse (Doktor Mabuse der Spieler), 1922
Die Nibelungen (deux parties : La mort de Siegfried et La vengeance de Kriemhilde), 1924
Metropolis, 1925
Les Espions (Spione), 1928
La Femme sur la lune (Frau im Mond), 1929
M Le Maudit (Mörder), 1931
Le testament du docteur Mabuse, 1933

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE :
-Fritz Lang, Les trois lumières, textes réunis par Alfred Eibel, Flammarion, Paris, 1988
-Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Flammarion, Paris, 1987
-Lotte Eisner, Fritz Lang, Cahiers du Cinéma, Paris 1984
-Lotte Eisner, L’écran démoniaque, Ramsay, Paris 1985
-Bernard Eisenschitz, Le cinéma allemand, Nathan, Paris 1999
-Michel Marie, M Le Maudit, Nathan Synopsis, Paris 1996

La Guerre froide (et la Détente) au cinéma (filmographie)

   A l’époque de la Guerre Froide, le cinéma est arrivé dans son âge adulte : depuis les années 1930,on connaît son efficacité comme moyen de propagande : il a été utilisé par les dictatures et les démocraties lors du conflit mondial : aussi, il se trouve impliqué, surtout aux Etats-Unis, dans le combat politique et la Guerre Froide peut s’incarner directement à l’écran. Ce n’est qu’à partir des années 1960, une fois la tension idéologique retombée, que les réalisateurs pourront porter un regard plus distancié sur la période…( dans tout l’article qui suit, nous entendons la Guerre Froide au sens large, c’est à dire l’affrontement entre les deux grandes puissances dans les années 1950-1960, mais aussi les évènements intérieurs dans les deux camps liés à ce climat , comme par exemple le Maccarthysme aux États-Unis, la répression dans les pays de l’Est…).

Un cinéma de combat
En parcourant la filmographie de l’époque, on constate d’abord que c’est surtout le cinéma américain qui s’est engagé dans le combat idéologique. Dans la production soviétique, les allusions à la Guerre Froide sont peu fréquentes, pour autant que l’on puisse connaître les films de cette période. Déjà, leur nombre total est faible ( 19 en 1946, 61 en 1956 ). Surtout, et en partie pour rivaliser avec Hollywood, le cinéma soviétique privilégie les fresques monumentales à la gloire des Grands Hommes du pays et bien sûr les récits le plus souvent tragiques de la « Grande guerre patriotique » (La bataille de Stalingrad de Petrov, La chute de Berlin de Michael Tchiaourelli -1949- ). La plupart de ces films font la part belle au culte de la personnalité alors à son apogée ( Le chevalier à l’étoile d’or de Youli Raizman-1950- ), mais font preuve d’une certaine discrétion sur le combat idéologique : cette modération s’explique sans doute par le pacifisme affiché par les dirigeants soviétiques, qui veulent présenter le camp occidental comme l’agresseur.
Le cinéma américain est davantage mis à contribution dans la lutte idéologique contre le camp communiste. Les conditions de production changent radicalement et les réalisateurs et scénaristes font désormais l’objet d’une surveillance étroite. La Commission des activités anti-américaines, créée en 1938 pour lutter contre l’influence des Nazis, est  » réactivée » : elle procède à plusieurs audiences publiques afin d’épurer Hollywood de l’idéologie communiste ( en 1947, les « témoins amicaux » prêts à coopérer, comme Adolphe Menjou, Gary Cooper, Ronald Reagan…,puis les « témoins inamicaux » dont les fameux « Dix d’Hollywood »-John Lawson, Dalton Trumbo, Herbert Biberman…, accusés et jugés pour « outrage au Congrès »; en 1951, reprise des auditions en particulier des « repentis » célèbres comme Edward Dmytryk ou Elia Kazan, anciens communistes qui « donnent des noms »…). Les producteurs les plus importants (Sam Goldwyn, Harry Cohn, Jack Warner, Louis Mayer…) proclament, lors d’une réunion à l’hôtel « Waldorf Astoria » de New-York, « qu’ils n’engageront plus de personnes qui préconisent le renversement du gouvernement des États-Unis « . En d’autres termes, toutes les personnes suspectes d’être des « libéraux » (au sens américain, c’est à dire de gauche ) se retrouvent sur des « listes noires » et sont interdits d’embauche dans les grands studios d’Hollywood. Cette exclusion devient rapidement réalité, et de nombreux scénaristes se retrouvent au chômage ou sont obligés de travailler sous des noms d’emprunt ,comme Dalton Trumbo. La carrière de certains acteurs comme John Garfield, Paul Robeson ou Zero Mostel est brisée et les cinéastes les plus engagés préfèrent s’expatrier en Europe ( Joseph Losey, John Berry, Jules Dassin…).
Dans ces conditions, le cinéma hollywoodien s’engage dans la Guerre Froide. Les historiens du cinéma dénombrent une trentaine de films qu’on peut qualifier d’anticommunistes.Chaque grand studio veut son film « antirouge »: la MGM produit Guet-apens de Victor Saville ( 1949 ), la Warner, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas ( 1951 ), la Paramount, My son John de Leo Mac Carey ( 1952 ).Outre les réalisateurs cités, quelques cinéastes chevronnés s’engagent dans la lutte « antirouge » : William Wellman, Sam Fuller, Henri Hattaway et dans un registre différent, Elia Kazan et Edward Dmytryk ( à l’inverse, on remarquera la discrétion ou l’habilité de réalisateurs comme John Ford, Howard Hawks, John Huston qui gardent leurs distances). La plupart de ces films font preuve d’un solide manichéisme : le communisme y est souvent comparé à une maladie qui peut gangrener la société américaine.Reprenant les thèmes développés par le sénateur Mac Carthy, toute critique contre l’American way of life est vite assimilée à une attitude communiste : beaucoup de ces films relatent des affaires d’espionnage « atomique » sur le territoire américain, dans lesquelles les agents du FBI ont le beau rôle ( Le rideau de fer de William Wellmann -1948-, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas -1951-) : c’est aussi une manière pour les Américains d’expliquer la rapidité avec laquelle l’URSS rattrape les États-Unis dans la course aux armes nucléaires, et d’alimenter la paranoïa ambiante. Cette menace communiste est particulièrement grave quand elle s’attaque à la famille américaine elle-même. Dans My son John de LeoMac Carey, c’est le fils aîné, incarné par le trouble Robert Walker, qui est « contaminé » par la doctrine communiste et sa conversion entraîne toute sa famille dans le drame : sa mère sombre dans la dépression, le père dans l’alcoolisme : la délivrance ne peut venir que par le sacrifice de celui par qui le mal est arrivé. Certains de ces films se déroulent en Europe et en particulier à Berlin, lieu symbolique de l’affrontement Est-Ouest ( The big lift de G.Seaton -1949-, Man on a thight rope d’Elia Kazan -1952-, Les gens de la nuit de Nunnaly Johnson-1954- ) : mais les scénaristes ne s’attardent pas en général à décrire la vie au delà du rideau de fer, et leur représentation du monde communiste reste caricaturale.

La guerre des mondes
Dans ces mêmes années 1950, le cinéma de science-fiction connaît un essor remarquable, en partie à cause du climat de Guerre Froide de l’époque. D’abord, de nombreux films évoquent, sous des formes métaphoriques, la lutte entre la Terre ( c’est à dire les  États-Unis et le camp occidental ) et des mondes menaçants , comme la planète rouge Mars. Soit il s’agit d’expéditions dans ces endroits inconnus ( Red Planet Mars de Harry Horner -1952- ), soit il faut se défendre contre des envahisseurs venus d’autres univers ( Invaders from Mars de William Menzies-1953-, La guerre des mondes de Byron Haskin-1953- ). A ce propos, l’imagination des cinéastes se déchaine pour donner à ces êtres les formes les plus extravagantes, sous le prétexte qu’elles sont le fruit de mutations « atomiques » : carotte géante dans La chose d’un autre monde de Christian Nyby et Howard Hawks ( 1953 ), gigantesques calamars dans It conquered the world de Roger Corman ( 1956 ) , masse gélatineuse, le fameux « Blop », dans Danger planétaire d’Irwin Yeawoth ( 1958 ). Quand l’URSS lance avant les États-Unis ses premiers satellites à partir de 1957, l’image des soucoupes volantes semble à beaucoup d’Américains l’anticipation d’une réalité à venir…L’idée qu’on retrouve dans la plupart de ces films est  » qu’il est dangereux d’aller fureter dans des alternatives utopistes » et qu’en quelque sorte « on est bien mieux chez soi… »

Les voies de la résistance…
Cependant, l’idée d’un cinéma américain « aux ordres » doit être nuancée : d’abord l’importance des films  » antirouges » est toute relative si on la rapporte à l’ensemble de la production hollywoodienne ( une trentaine de films pour toute la période alors que la moyenne annuelle est proche de 360 long-métrages…). Pour les studios, le cinéma doit rester un divertissement et, dans ces années, la comédie musicale brille de tous ses feux ( Un Américain à Paris de Gene Kelly-1951-, Chantons sous la pluie de Kelly et Stanley Donen-1952-, Tous en scène de Vincente Minnelli- 1953-…). De plus, tout le milieu du cinéma n’est pas passé dans le camp maccarthyste et beaucoup sont choqués par cette « chasse aux sorcières » : plusieurs acteurs et réalisateurs, comme Humphrey Bogart,Laureen Bacall, John Huston, Groucho Marx, Frank Sinatra, se mobilisent pour soutenir les « Dix d’Hollywood » .Le « libéral » Joseph Manciewiz conserve la présidence de la puissante Association des réalisateurs américains, malgré les attaques du très conservateur Cecil B.de Mille, avec le soutien inattendu de John Ford et de la majorité de ses collègues… En fait, de nombreux cinéastes parviennent à contourner les interdits pour exprimer leur vision pessimiste de l’Amérique, en utilisant des genres moins exposés, comme le film noir ou le western. Dans les films noirs des années 1940-1950, la société américaine est représentée comme un véritable enfer, bien loin de l’image propre et lisse, diffusée par la propagande officielle : les grandes villes sont gangrenées par la violence et la corruption, les personnages sont fragiles, motivés seulement par l’appât du gain et le sexe .Les droits les plus élémentaires sont battus en brèche par les maffias de tous ordres ( L’enfer de la corruption d’Abraham Polonsky -1948-, La cité sans voiles de Jules Dassin-1948-, Quand la ville dort de John Huston-1950-, Règlement de comptes de Fritz Lang- 1953-…). De même, les westerns évoluent pendant les années 1950 : avant guerre, ils célébraient sans états d’âme les mythes fondateurs de l’histoire américaine : la Conquête de l’Ouest, la bravoure des pionniers, la sauvagerie des Indiens… Mais ces idées sont remises en cause après 1945 : le héros est moins viril et sûr de lui, ses motifs moins nobles et l’ambiance parfois crépusculaire ( La Vallée de la Peur de Raoul Walsh-1947-). L’image de l’Indien est revalorisée,ce qui rend plus difficile la justification de son extermination ( La flèche brisée de Delmer Daves -1950- ). Certains westerns font même allusion au climat de lâcheté et de fanatisme qui règne alors aux États-Unis, sous la férule de Mac Carthy ( Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann –, Johnny Guitare de Nicholas Ray-1954- ). Dans un autre registre, les cinéastes « repentis » justifient leur attitude dans leurs films, en faisant l’apologie de la délation qui peut s’avérer nécessaire ( Sur les quais d’Elia Kazan -1954-, L’homme aux colts d’or d’Edward Dmytryk -1959- ). Ainsi, comme le relève Michel Luciani, bon nombre de fictions « ont contourné l’obstacle par la maitrise du double langage, par le symbole et l’allégorie. Endormis pendant des années dans les usines à rêves, les artistes du cinéma américain ont dû d’un seul coup se surpasser ou disparaître ».

Un certain regard européen
Dans les pays alliés des États-Unis, l’engagement est beaucoup moins marqué. En Grande-Bretagne, plusieurs films sont réalisés sur des sujets liés à la Guerre Froide (le cinéaste Carol Reed en particulier adapte à l’écran plusieurs romans de Graham Greene, dont le plus célèbre, Le Troisième homme ). Le ton est encore anticommuniste, mais avec une nuance d’autodérision ( Notre agent à la Havane -1960- ) et une vision moins manichéenne des camps en présence. A propos du Troisième homme, Marc Ferro remarque que le film est hostile aux Soviétiques, accusés de tremper dans de louches trafics de médicaments, mais qu’il souligne aussi « l’angélisme » des Américains,qui décidément ne comprennent rien aux subtilités du vieux continent. En France, la filmographie sur le sujet est inexistante ( sauf à considérer La belle Américaine de Robert Dhéry comme porteuse d’un message politique…). Les films américains les plus virulents dans l’anticommunisme sont d’ailleurs édulcorés par les distributeurs : l’intrigue de Pick up on South Street, qui met en scène des espions communistes, devient une histoire de drogue, malgré l’opposition du réalisateur Sam Fuller. Dans Courrier diplomatique de Henry Hattaway, les Soviétiques sont métamorphosés en mystérieux « Slavons »… Cette situation particulière s’explique peut-être par l’influence des idées de gauche dans les milieux du cinéma en France et aussi par la prudence des distributeurs, peu soucieux de braquer l’opinion publique certainement moins « antirouge » qu’aux États-Unis ( à l’époque, le PCF recueille encore près d’un quart des suffrages..).

La fin des certitudes

   A partir de 1955, les deux Grands amorçent le rapprochement qui aboutit à la Détente après 1962. Mais ce processus est lent, hésitant, marqué par de nombreux « incidents » , de l’écrasement de la révolte hongroise en 1956 à la crise des fusées à Cuba en 1962. La stratégie dite « des représailles massives » prônée par Foster Dulles ne semble plus adaptée et le dynamisme de l’URSS dans la course technologique inquiète les  États-Unis.

Des espions fatigués
Le cinéma s’est fait l’écho de ces débats et de ces hésitations, en particulier aux États-Unis. Dans le film d’espionnage, genre privilégié à l’époque précédente, le changement de ton est sensible. Certes, la série des James Bond , inaugurée en 1962 par James Bond contre Docteur No, semble dans le droit fils des films « antirouges » des années 1950 ( ces films sont d’ailleurs violemment dénoncés pour leur agressivité par les Soviétiques ). Mais on peut aussi relever qu’à l’exception de Bons baisers de Russie ( 1963 ), l’agent 007 affronte le plus souvent des « méchants » issus de pays du Tiers-Monde ( dans Goldfinger, les tueurs sont décrits comme des « chigroes », »croisement improbable de Chinois et de Nègres »…) : le ton est donc plutôt xénophobe, voire raciste plus qu’anticommuniste ( d’ailleurs, le SPECTRE, l’organisation criminelle que combat James Bond s’attaque en général aux deux Grands..). Mais pour les autres films d’espionnage, l’heure est au désenchantement. Déjà, dans Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959 ), les agents des deux camps sont des professionnels qui se ressemblent, et les secrets d’état qu’ils se disputent semblent bien dérisoires ( des « MacGuffin » dans le langage hitchcockien…). Surtout dans les années 1960, plusieurs films sont réalisés à partir des livres de John LeCarré et Len Deighton ( L’espion qui venait du froid de Martin Ritt -1965-, Ipcress, danger immédiat de Sidney Furie-1965-, M15 demande protection de Sidney Lumet -1966-). Or, ces écrivains s’inspirent des affaires qui agitent alors le monde des services secrets (en particulier, la défection de Kim Philby en 1962, qui montre l’importance de l’infiltration du KGB dans le MI5 britannique ), et renouvellent complètement la vision de cette lutte souterraine entre les deux grandes puissances. Dans ces livres comme dans ces films, les personnages d’espions ne sont plus des héros bardés de certitudes, mais ce sont des hommes désabusés, fatigués,et qui agissent comme par réflexe, sans mobile politique apparent ; des « anti-James Bond » en quelque sorte ( par exemple, Alex Leamas dans L’espion qui venait du froid ). Les services occidentaux emploient les mêmes méthodes détestables que « le camp d’en face » et il est bien difficile de distinguer le bien du mal, tant la lutte se livre  » à fronts renversés  » : dans L’espion.., le MI5 utilise un ancien nazi pour s’infiltrer dans la hiérarchie de la RDA et n’hésite pas à sacrifier un de ses propres agents… La confusion est à son comble dans le film La lettre du Kremlin réalisé par John Huston en 1969, dans lequel espions russes et américains collaborent ensemble dans une ambiance malsaine de règlements de compte, de « coups fourrés » et de corruption…

Le cinéma de politique-fiction
Cette époque voit aussi le développement du film de « politique-fiction », qui traite des évènements les plus contemporains, souvent tourné par des cinéastes « libéraux ». Plusieurs films évoquent ainsi la menace d’extrème-droite pesant à l’intérieur même des  États-Unis et les personnages imaginés par les cinéastes s’inspirent à l’évidence de personnalités ayant réellement existé comme le sénateur Joseph Mac Carthy ou le général Mac Arthur ( Tempête à Washington d’Otto Preminger -1962-, Un crime dans la tête de John Frankheimer-1962-, Sept jours en mai du même réalisateur -1964- ). D’autres encore montrent les problèmes que posent la stratégie nucléaire menée jusque là par les États-Unis ( Point limite de Sidnet Lumet -1964-, Aux postes de combat de J.B Harris-1965- ). Le film le plus réussi sur ce thème est sans doute celui de Stanley Kubrick, Docteur Folamour réalisé en 1964, qui réussit à traiter ce sujet avec une ironie grinçante ( le sous-titre donne le ton : ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe ). Très bien documenté, le cinéaste dresse une galerie de portraits « à clef » : un Président façon Kennedy, un général paranoïaque à la Mac Arthur, un officier typique représentant du complexe militaro-industriel, un savant fou ex-nazi « récupéré » par les Américains, incarnation possible de l’ingénieur Werner Von Braun…. Le film expose aussi la mécanique infernale mise en place par la course aux armements atomiques et montre les limites de la dissuasion mal maitrisée.

Une même évolution à propos de la Guerre Froide est sensible dans d’autres genres cinématographiques : dans la comédie de Billy Wilder Un, deux, trois ( 1961 ), James Cagney incarne un fringant homme d’affaires représentant de la firme Coca-Cola, prêt à tout pour aller s’implanter en Europe de l’Est et qui ne s’embarrasse surtout pas de considérations idéologiques. Dans le même film, le farouche militant communiste abandonne son idéal brutalement et sans état d’âme.. Dans les films de science-fiction, les personnages d’extra-terrestres n’ont plus d’intentions hostiles ( dans Teen-agers from Outer Space de T.Graef -1959-, le voyageur venu de l’espace tombe amoureux d’une jeune rock’n’rolleuse…).

A partir des années 1960, le cinéma américain s’est donc libéré du carcan idéologique de la période précédente : il exprime la crise d’identité d’une Amérique moins sûre d’elle même . Les films de cette époque insistent moins sur les divergences politiques entre les deux camps que sur les aspects qui les rapprochent. Une page est donc tournée. Alors qu’en 1975, la Commission des activités anti-américaines est dissoute, certains réalisateurs et scénaristes autrefois écartés reviennent travailler à Hollywood ( Dalton Trumbo qui écrit le scénario du film Spartacus de Kubrick, Abraham Polonsky qui réalise Willie boy en 1970…. ). Les cinéastes de la génération suivante se montrent beaucoup plus indépendants et n’hésitent pas à mettre en cause les institutions américaines ( la CIA dans Les trois jours du Condor de Sidney Pollack-1973-, le Président lui-même dans Les hommes du Président d’Alan Paluka-1976- ). Ils montrent toute leur liberté d’esprit à propos de la guerre du Vietnam, qui a inspiré nombre d’entre eux ( Francis Ford Coppola, Elia Kazan, Michael Cimino, Oliver Stone, Stanley Kubrick…). Quelques uns abordent même le thème du MacCarthysme pour en dénoncer les excès, au nom de la liberté d’expression bafouée ( Nos plus belles années de Sidney Pollack-1973-, Le prête-nom de Martin Ritt-1976-, La liste noire d’Irwin Winkler -1991- ). Certes, les années Reagan sont marquées par une floraison de films « antirouges », comme aux plus beaux temps de la Guerre froide : la série des Rambo, qui affronte les Vietnamiens ( Rambo II en 1986 ) puis les Soviétiques en Afghanistan ( Rambo III en 1988 ), le personnage de Rocky encore interprété par Sylvester Stalone, qui combat contre un boxeur russe dans Rocky IV ( 1985 ), Invasion USA de Joseph Zito ( 1985 ), qui reprend un titre des années 1950 et qui évoque l’invasion de la Floride par des troupes sovieto-cubaines… Mais, l’effondrement du bloc communiste à partir de 1989 tarit pour un temps cette source d’inspiration et les conservateurs américains s’inquiètent à nouveau de la moralité des films produits par Hollywood.

« The French Touch »
En Europe, dans les années 1960-1970, le nombre de films consacré à la Guerre Froide reste faible : dans le genre du film d’espionnage, comme aux États-Unis, les scénarios présentent des personnages plus complexes, des hommes-machines, manipulés par leurs services : Les Espions d’Henri-Georges Clouzot ( 1957 ), Le silencieux de Claude Pinoteau ( 1972 ) . Mais un film de cette période retient surtout l’attention : L’Aveu de Konstantin Costa-Gavras ( 1970 ). Adapté du livre d’Arthur London, il évoque les procès staliniens qui se déroulent au lendemain de la guerre en Tchécoslovaquie socialiste ( en particulier, le procès Slansky en 1952 ). Ce film rigoureux et austère est presque une œuvre expiatoire pour le réalisateur, le scénariste ( Jorge Semprun ) et l’interprète principal ( Yves Montand ), tous trois proches ou membres du Parti communiste. Cette génération d’intellectuels de gauche, qui avait préféré se taire auparavant pour ne pas donner d’arguments au « camp d’en face », prend maintenant ses distances avec le passé stalinien du mouvement communiste. En quelque sorte, leur démarche « croise » celle des cinéastes américains, surtout préoccupés de s’émanciper du Maccarthysme. Plus récemment encore, plusieurs films français se sont intéressés à la période, dans une veine presque « populiste » ( Vive la Sociale de Gérard Mordillat-1984-, Rouge Baiser de Vera Belmont-1985-, Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes de Jacques Zilbermann-1993- ). Certes, les personnages sont des « staliniens de base » et leur sectarisme, voire leur aveuglement ne sont pas occultés : dans Rouge Baiser, Laurent Terzieff qui incarne un vieux militant de retour du camp » socialiste » essaie d’informer ses camarades sur la réalité dans les démocraties populaires mais se heurte à leur incompréhension. Dans le même film, l’héroïne est exclue pour « titisme ». Mais ces réalisateurs parlent de ces hommes et de ces femmes avec chaleur et affection, insistant sur leur dévouement et leur sincérité ( on pense notamment au personnage joué par Josiane Balasko, dans Tout le monde… ) : cette vision des choses est bien spécifique au cinéma français et elle correspond au rapport particulier et parfois nostalgique qu’entretiennent les anciens militants du PCF avec l’organisation qui a marqué leurs vies.

    Ainsi, la Guerre Froide est bien présente dans le cinéma des années 1950 à nos jours, mais sa représentation a varié selon les époques et les pays. Pendant la Guerre Froide elle-même, c’est un cinéma de combat qui s’impose surtout aux États-Unis, alors que les réalisateurs « libéraux » se réfugient dans la métaphore. A partir des années 1960, le regard porté sur la Guerre Froide se nuance, comme dans les films d’espionnage qui en arrivent à renvoyer les deux camps dos à dos. Aux États-Unis, un cinéma politique dynamique remet en cause les idées reçues de l’époque précédente et n’épargne plus les institutions : une réflexion sur l’histoire de cette période commence, même si on peut la juger limitée… En France, l’époque inspire davantage les réalisateurs, qui dénoncent les excès du sectarisme des militants communistes, mais avec un regard chaleureux sur les hommes… En d’autres termes, la vision de la Guerre Froide est moins polémique que par le passé : elle s’est approfondie et enrichie de nouveaux points de vue, dans un contexte politique nouveau.

voir filmographie guerre froide et détente au cinéma

 

La destruction des juifs à l’écran : du silence à la réflexion…

Cet article a été rédigé pour le dossier Contreplongée, Le Pianiste

 

   Le Pianiste de Roman Polanski a reçu une véritable consécration internationale, à la fois du public et de la critique (le film a raflé de nombreuses récompenses, et en particulier, la Palme d’Or du festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film à Hollywood). Avant lui, deux autres œuvres, traitant également de la Shoah avaient également été plébiscitées par les spectateurs et les institutions cinématographiques : il s’agit bien sûr de La liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993 et La vie est belle de Roberto Benigni en 1998… Des années 1930 à nos jours, la représentation au cinéma de la destruction des Juifs par les nazis a connu une évolution complexe, qu’il n’est pas inutile de rappeler à grands traits : en particulier, elle témoigne de l’évolution du travail de mémoire sur cette question sensible de l’époque contemporaine.

Le temps du silence
Dans les premières années du régime hitlérien, les nazis tentent encore d’afficher une facade de respectabilité envers l’extérieur. Alors que les premières mesures discriminatoires contre les Juifs sont adoptées, on prend garde à ne pas trop effaroucher les observateurs étrangers. Lorsque les délégations internationales se succèdent à Berlin pour les Jeux Olympiques de 1936, Goebbels prend soin de camoufler tous les signes antisémites trop ostentatoires (pancartes excluant les Juifs des lieux publics, affiches trop agressives..). La propagande du régime offre quelques rares images de camps de concentration (Dachau, Oranienburg, Mathausen sont alors ouverts : certains Juifs y sont enfermés notamment après la nuit de Cristal en 1938, d’autres pour «souillure raciale», quand ils ont eu des relations avec des «Aryens»). Mais les documents diffusés ne présentent bien sûr que des lieux idylliques, ressemblant plus des camps scouts qu’à un enfer concentrationnaire. Tout juste a-t-on récupéré quelques minutes de films , sans doute tournées clandestinement au cours de la «Nuit de Cristal», qui montrent des femmes juives, complètement nues et houspillées par quelques brutes SS…Dans un pays où la propagande est aussi encadrée, cette situation n’est pas surprenante.

    Plus étonnant est ce qu’on peut observer en dehors de l’Allemagne nazie, et en particulier à Hollywood aux États-Unis. En fait, la production cinématographique de l’époque est quasiment muette sur la question des persécutions antisémites. Certes, le système des studios est avant tout orienté vers le divertissement et on voit mal cette «machine à rêves» aborder des sujets politiques trop audacieux, qui risqueraient de dérouter le public, dans un pays fortement isolationniste. De plus, les patrons des grands compagnies hésitent à se couper du marché européen et l’Allemagne a fait connaître aux Majors ses exigences quant aux films distribués sur son territoire. Aux États-Unis, les idées de droite et même d’extrême-droite ont de puissants relais : les membres d’Hollywood les plus réactionnaires, comme Gary Cooper, Ward Bond ou John Wayne, combattent toutes les idées jugées trop libérales. L’association des Américains d’origine allemande (Deutsch American Bund) monte au créneau lors qu’un projet de film lui semble dangereux pour la «mère-patrie» (ce sera notamment le cas quand Chaplin va annoncer son intention de tourner Le dictateur…). Depuis les travaux du chercheur américain Ben Urwand  , on sait même que le consul allemand ne se gênait pas pour intervenir et était parfois convié par certains producteurs à donner son avis sur les productions américaines: c’est à sa demande que le film sur la vie d’Émile Zola, produit par la Warner,  est »expurgé » de toute allusion à la « race » de Dreyfus…

Une dernière raison plus paradoxale de ce silence est qu’un certain nombre de producteurs d’Hollywood sont… d’origine juive. En abordant trop franchement le thème de l’antisémitisme, ils craignent de réveiller l’hostilité latente qui existe aux États-Unis, et en particulier en Californie contre les Juifs («S’il y a la guerre, on va dire que c’est la faute aux Juifs… »). certaines déclarations sont même déconcertantes : après s’être rendu en Allemagne en 1934, le célèbre producteur Irving Thalberg conseille aux Juifs de ne pas réagir et rejette toute idée d’interventions internationales contre la politique antisémite des nazis: «un grand nombre de Juifs perdront la vie… Mais Hitler et l’hitlérisme perdront et les Juifs resteront».Au total, très peu de films abordent le sujet, ou alors de manière métaphorique : dans Le Bossu de Notre Dame sorti en 1939, William Dieterle évoque le sort des Juifs sous l’oppression nazie en décrivant le milieu des …Gitans.

Le temps du combat
Alors que la guerre commence, les représentations cinématographiques vont bien sûr évoluer, car les enjeux ont changé. Dans les deux camps, le ton change et l’on passe d’une certaine discrétion à une propagande ou à un engagement sans nuances. Pour les nazis surtout, le temps est venu de «régler définitivement la question juive» : sans entrer dans le débat des historiens à propos de la «solution finale», il est clair qu’entre 1939 et 1942, les nazis franchissent rapidement plusieurs pas dans la politique antijuive : création des ghettos, tueries par les Einsaztgruppen sur le front est, et enfin mise en place de six camps d’extermination. Mais on ne dispose que de quelques images sur toutes ces opérations : on a retrouvé quelques extraits de films, souvent très brefs (parfois quelques secondes seulement), et en général on ne dispose d’aucune information sur les conditions de tournage (la plupart du temps, on ne connaît ni le lieu, ni la date, ni l’auteur des images…). Ainsi, une séquence montre un groupe de Juifs embarquant dans un train de marchandises, sous l’œil attentif de quelques soldats allemands (le cameraman, visiblement autorisé, s’est même placé à l’intérieur du wagon pour filmer les déportés en train d’y monter). Alors que le convoi démarre, des bouts de papier tombent des fenêtres. Dans un autre extrait, toujours d’origine inconnue, on voit des soldats allemands en train de «trier» des Juifs, sans doute dans un pays d’Europe de l’Est. L’un d’entre eux saisit une femme et repousse l’enfant qui veut rejoindre sa mère. Enfin, un film, tourné sans doute clandestinement, présente l’exécution d’un groupe de Juifs en Lettonie par un des fameux «commandos spéciaux» utilisés à partir de 1941. Sur les chambres à gaz elles-mêmes, il n’existe aucun document cinématographique: par contre, on a retrouvé deux photos, prises par des membres du Sonderkommando d’Auschwitz, avant et après le gazage d’un groupe de femmes. Longtemps après la guerre, on a aussi découvert un nombre assez important de documents photographiques sur l’arrivée des convois de Juifs Hongrois en 1944 dans le même camp.
Par contre, on sait que les nazis ont réalisé eux-mêmes plusieurs films, et en particulier dans les ghettos de Pologne (Lublin, Lodz, Cracovie et bien sûr Varsovie) : plusieurs journaux ou témoignages de Juifs du ghetto de Varsovie s’en font l’écho (en particulier Emmanuel Ringelblum et Bernard Goldstein) et Polanski y fait allusion dans Le Pianiste… Ces séquences étaient soigneusement mises en scène, à des fins de propagande, à la fois pour donner une image flatteuse des ghettos et et décrire les Juifs comme des profiteurs. La plupart de ces documents ont été conservés : ces séquences ont été utilisées par les nazis eux-mêmes dans certains montages d’images (par exemple dans Der ewige Jude, de Fritz Hippler) mais aussi par des cinéastes après le conflit (par exemple, dans Le Temps du ghetto de Fréderic Rossif ou Korczak de Andrzej Wajda). Très récemment, 8 minutes de film en couleurs ont été retrouvées, présentant des images du ghetto de Varsovie entre 1940 et 1942…Les nazis vont pousser le cynisme jusqu’à demander à un réalisateur d’origine juive, Kurt Geron, de tourner un film en 1944 sur le ghetto «modèle» de Theresienstadt (Terezin): ce «documentaire», intitulé Le Führer offre une ville aux Juifs, qui décrit la vie idyllique des Juifs dans ce camp, est présenté aux autorités de la Croix Rouge (quelque temps après, toute l’équipe artistique et technique est gazée à Auschwitz).
Les nazis réalisent aussi des films de propagande antisémites dans les années 1940-1942, sans doute pour préparer l’opinion publique allemande (et européenne) aux mesures radicales qui vont être prises à l’encontre des Juifs. Ainsi,  en 1941) , on peut surtout citer plusieurs films sortis tous les trois en 1940 : une production assez importante , Les Rotschild d’Erich Waschneck, un «documentaire» de Fritz Hippler sur la question juive, Der ewige Jude (Le Juif éternel), et Le Juif Süss de Veit Harlan . Le Juif éternel est réalisé par le directeur de la section cinématographique du ministère de la propagande et se veut une évocation «historique» sur les Juifs en Europe (on y intègre des images tournées en 1940 dans les ghettos polonais, et même un extrait de M Le Maudit de Fritz Lang). Le Juif Süss est censé raconter l’histoire d’un «Juif de Cour» , dans le duché du Wurstemberg au XVIII° siècle. Bien sûr, le ton de ces films est violemment antisémite et ils bénéficient du soutien du ministère de Goebbels : ils ont tous deux une diffusion très importante en Allemagne et dans l’Europe occupée (on a souvent dit que le film de Veit Harlan avait connu un certain succès populaire à Paris…).
De l’autre côté de l’Atlantique, la mobilisation du cinéma américain est aussi de plus en plus forte : dès 1940, plusieurs œuvres majeures sont tournées par des réalisateurs prestigieux, et qui abordent clairement le sujet des persécutions antisémites dans l’Allemagne de Hitler. On peut bien sûr citer Le Dictateur de Charlie Chaplin, enfin sorti en 1940 après bien des problèmes, mais aussi Mortal Storm de Frank Borzage, qui raconte l’histoire d’un professeur d’université juif et de sa fille, qui s’échappent des griffes des nazis. La même année, Mervin Leroy dans  Escape fait le récit de la fuite d’une actrice juive, qui parvient à s’évader d’un camp de concentration, première évocation à l’écran de ce type d’endroit… Certes, la question juive n’est pas centrale dans ce corpus de films : les cinéastes de l’époque privilégient plutôt le film de guerre ou le film d’espionnage pour développer leurs idées anti-nazies (en particulier les metteurs en scène, souvent d’origine européenne comme Alfred Hitchcock , qui réalise Correspondant 17, ou Fritz Lang, qui tourne Les bourreaux meurent aussi ou Des espions sur la Tamise). Sans doute, sont-ils sensibles à certaines considérations commerciales (ce type de film est sans doute plus populaire) et même politiques (le génocide est mal connu aux États-Unis, en tout cas de l’opinion…). Mais si le cinéma américain aborde rarement de façon précise l’extermination des Juifs, peut-être faute d’être correctement informé sur le sujet, il réserve encore quelques surprises. En 1943, André de Toth tourne None shall escape, qui évoque clairement les déportations des juifs polonais vers les camps de concentration et même la constitution d’un tribunal international, pour juger les criminels de guerre nazis, deux ans avant Nuremberg…

Le temps de la confusion
Lorsque les troupes alliées pénètrent dans les camps de concentration, le choc des images est particulièrement violent (le général Eisenhower considère que cette vision permettra de faire comprendre aux GI le sens de leur combat…). On sait que les nazis avaient prévu de faire disparaître toute trace de leur politique d’anéantissement : Treblinka par exemple est complètement détruit par les Allemands eux-mêmes, avant la fin des combats. Aussi, les cameramen des armées alliées filment dans l’urgence les images les plus épouvantables qui soient : déportés squelettiques, amas de cadavres, corps mutilés des prisonniers… Rien n’est épargné aux spectateurs des actualités de l’époque. A Bergen-Belsen par exemple, un officier britannique chef de la section cinéma et chargé de l’action psychologique, Sidney Berstein, entreprend de filmer tout ce qu’il peut du camp où sont entassés près de 40 000 personnes, affaiblies par la faim et le typhus (ce sont notamment les fameuses séquences où l’on voit un bulldozer conduit par un soldat anglais qui pousse devant lui un tas de cadavres décharnés). Il est assisté par un certain Alfred Hitchcock, qui lui donne quelques judicieux conseils : montrer quelques images champêtres et paisibles filmées à quelques mètres du camp de concentration, montrer à l’écran le nom des firmes allemandes qui apparaissent sur les installations du camp… Le célèbre cinéaste anglais lui suggère même de montrer les charniers avec quelques notables de la région, afin que personne ne mette en doute l’existence de telles horreurs… Mais si ces images ont été reprises dans plusieurs documentaires d’archives, elles ne seront pas montées à l’époque, car les britanniques craignent de braquer la population allemande.
A Auschwitz, le camp est libéré par les troupes soviétiques en juin 1945, qui sont déçues par la froideur de l’accueil des survivants: de fait, ne restaient que quelques milliers de malades, épuisés et hébétés. Les Russes mettent alors en scène une séquence montrant la joie des déportés quand l’Armée rouge vient les libérer (en fait, les prisonniers sont des figurants, joués par des paysans polonais réquisitionnés dans les villages avoisinants). Mais les Soviétiques renonceront à diffuser par la suite ce morceau d’anthologie… En tout cas, les images ne manquent pas mais elles sont produites dans la plus grande confusion. Faute d’information, on ne distingue absolument pas entre les camps de concentration (Buchenwald, Dachau, Mathausen…) et les centres de mise à mort des Juifs (comme Auschwitz, Treblinka ou Sobibor) : Sylvie Lidenperg, qui a étudié les actualités françaises de 1944-1945, constate que l’origine de beaucoup de ces documents n’est pas clairement identifiée. Certaines séquences sont même diffusées sans aucun commentaire explicatif.
Cette confusion se retrouve encore dix ans plus tard , dans le très fameux documentaire réalisé par Alain Resnais, Nuit et Brouillard. Quand le cinéaste est chargé de ce projet en 1955, il n’a encore réalisé que des documentaires sur la peinture ainsi qu’un court-métrage sur l’Art africain . C’est sans doute à cause de ses qualités reconnues dans ce genre cinématographique qu’il se voit confier par le Comité d’Histoire pour la seconde guerre mondiale, le projet de réaliser un moyen-métrage sur le monde concentrationnaire, à l’occasion du dixième anniversaire de la libération des camps. Il est assisté par l’écrivain Jean Cayrol, qui va rédiger le commentaire et qui a personnellement éprouvé la dureté des camps ( il a été déporté au camp d’Oranienburg). Pour réaliser son montage, Resnais puise à des sources diverses : des séquences qu’il tourne sur place à Auschwitz, des archives photos et filmées de divers pays, ainsi que les films tournés par des cinéastes des armées alliées, lors de l’ouverture des camps. Le réalisateur « emprunte » quelques images au film La dernière étape de la cinéaste polonaise Wanda Jakubowska. Malgré les grandes qualités de l’œuvre, il faut s’attarder sur ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse du film de Resnais, à savoir l’absence de toute mention précise de l’extermination des Juifs. Comme l’a remarqué Annette Wieviorka , la mémoire du génocide connaît plusieurs phases à partir de 1945 : jusqu’aux années 1960, l’idée s’impose « d’unifier le sort de tous les déportés en faisant de tous les camps, Birkenau et Buchenwald, Dachau et Treblinka,un seul grand camp mythique ouvert en 1933 et libéré en 1945,où tous, Juifs et non-Juifs,auraient connu indifféremment le même sort : « Nuit et Brouillard est emblématique de cette vision ». Et de fait, si le fonctionnement des chambres à gaz est décrit précisément, le sort particulier réservé aux Juifs n’est pas clairement explicité ( les déportés raciaux sont seulement mentionnés au début du film, dans la longue énumération de tous les « raflés » d’Europe : de même, aucune distinction n’est faite entre camp de concentration et camp d’extermination…). La « bonne foi » de Resnais et de Cayrol n’est bien sûr pas en cause : en fait, cette vision correspond à l’état des connaissances et l’état d’esprit de ces années 1950. Dans le livre La tragédie de la déportation publié par Olga Wormser et Henri Michel en 1954, recueil de témoignages qui a servi de base au travail de Resnais et de Cayrol, le génocide n’est pas encore distingué du système concentrationnaire. Même si certains survivants comme Eugen Kogon ou Georges Wellers ont déjà témoigné, les grandes synthèses sont encore à venir ( en particulier celle de Raoul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, publiée aux États-Unis dans les années 1960 mais seulement en 1988 en France ). Plus profondément, les déportés raciaux eux-mêmes ne souhaitent pas alors être différenciés des autres déportés. Selon Annette Wieviorka, le « marché implicite » est le suivant : les Juifs « taisent la spécificité de leur destin. Ils deviennent en échange des patriotes et résistants, voués à l’anéantissement en tant qu’antifascistes ». Cette vision est particulièrement celle du PCF qui prend alors « en charge » la mémoire de la déportation .Pour les survivants si peu nombreux ( 4% seulement sont rentrés des camps d’extermination contre 40% des autres camps ), c’est aussi une manière de s’intégrer ( en particulier les Juifs d’origine étrangère, si actifs dans les groupes de FTP-MOI ). Aussi, Resnais et Cayrol ne peuvent être tenus pour responsables d’une interprétation alors dominante parmi les déportés eux-mêmes ( comme en témoignent les prises de position de la FNDIRP à l’époque ). Le cinéma de fiction commence également à s’emparer du sujet, mais avec les mêmes hésitations. En 1947, la cinéaste polonaise Wanda Jakubowska, elle-même ancienne déportée, réalise La dernière étape, qui raconte l’histoire d’un groupe de femmes prisonnières à Birkenau, solidaires face aux brutalités nazies. La réalisatrice s’entoure de nombreuses précautions pour rendre crédible son projet : elle tourne sur les lieux mêmes, en engageant des camarades qui ont aussi été détenues dans le camp. Mais l’aspect antisémite est comme gommé alors que Jakubowska insiste sur l’engagement communiste de ces femmes…Ce n’est qu’au début des années 1960 que certains films abordent clairement la politique antisémite des nazis. En 1961, Frederic Rossif réalise Le temps du ghetto, qui rassemble une trentaine de témoignages de Juifs survivants et des images filmées par les nazis eux-mêmes. Le cinéma américain commence aussi à s’intéresser au sujet, souvent en adaptant des best-sellers (Le journal d’Anne Frank de George Stevens ou Exodus d’Otto Preminger par exemple).

Le temps de la réflexion
Au début des années 1980, le contexte politique et historiographique évolue. Grâce à certaines œuvres majeures d’historiens américains notamment (le livre fondamental de Raul Hilberg finit par être traduit pendant cette période), on commence à prendre conscience de la spécificité de la politique d’extermination des Juifs d’Europe par les nazis. En même temps en France, le rôle essentiel joué par Vichy dans la déportation des Juifs dans notre pays est clairement souligné par des chercheurs comme Robert Paxton ou Michaël Marrus. Toute une génération de jeunes historiens va désormais prendre comme objet d’étude la question des Juifs au cours de la seconde guerre mondiale (on pense à Annette Wieviorka, Henry Rousso, Philippe Burrin…). C’est dans ce climat nouveau que sort Shoah en 1985. Sans exagérer, on peut estimer que la sortie du film de Claude Lanzmann marque un tournant essentiel dans la représentation de la question juive au cinéma et on peut presque parler d’un avant et d’un après Shoah . Ce très long métrage (9 heures 30!) est d’abord une oeuvre monumentale : le cinéaste y consacre 11 ans de sa vie, enregistre 350 heures d’entretiens. L’idée essentielle du réalisateur est que la Shoah ne peut pas s’expliquer, et que toute tentative de comprendre est quasiment obscène. Il refuse toute utilisation d’images d’archives, car il estime cette représentation restrictive et dangereuse : «l’image tue l’imagination». Comme il le dit lui-même, « si j’avais trouvé un film secret montrant comment 3 000 Juifs mouraient ensemble dans une chambre à gaz, non seulement je ne l’aurai pas montré mais je l’aurai détruit. Je suis incapable de dire pourquoi. Ça va de soi ». Aussi, on connaît la démarche de l’auteur : son film se compose de longs entretiens, souvent pénibles et heurtés, avec les survivants mis en situation dans les camps où ils « revivent » leurs souffrances ( au total, 5 bourreaux, 8 témoins, 15 victimes, 3 personnalités officielles dont Raul Hilberg). Aucune perspective historique (Lanzmann ne respecte pas vraiment un récit chronologique) mais une approche qui se veut éthique. Il s’agit bien d’essayer d’exprimer l’indicible. Et de fait, certaines séquences ont marqué à jamais les spectateurs, comme Abraham Bomba, le « coiffeur » de Treblinka, incapable de poursuivre l’entretien avec le cinéaste, la voix étouffée par l’émotion. Lanzmann peut parfois paraître péremptoire et sentencieux (il est systématiquement consulté, dès qu’un film sort sur le sujet), et sa démarche a été critiquée. Annette Wierviorka s’insurge quand il parle de faire disparaître toute image d’archive nouvelle des camps et Georges Bensoussan s’interroge sur sa manière d’aborder le sujet, qui ignore l’Histoire : «la sacralisation et le vocabulaire quasi mystique dont use Lanzmann sont le plus sûr chemin de la relativisation qui menace cette catastrophe». Reste que la problématique du réalisateur est d’une grande cohérence (les autres films qu’il a tourné sur le même sujet restent dans la même ligne : Un vivant qui passe, Auschwitz 1943-Theresienstadt 1944 en 1998 et Sobibor, 14 octobre 1943 en 2000, Le Dernier des Injustes en 2013 ).
Depuis le film du réalisateur français, la production cinématographique sur le sujet est devenue pléthorique, que ce soit dans le documentaire ou dans le domaine de la fiction, et dans le monde entier. En ce qui concernent les montages d’archives, de nombreuses œuvres intéressantes ont été produites. D’abord, parce qu’on a pris conscience que les derniers survivants étaient en train de disparaître. Steven Spielberg, après avoir réalisé La liste de Schindler, se lance en 1994 dans un vaste projet : tenter de recueillir les témoignages de tous les rescapés de la Shoah, où qu’ils se trouvent dans le monde. Des milliers d’enquêteurs ont été formés pour se charger de ce travail, qui devrait permettre l’enregistrement de près de 300 000 entretiens (en 1998, déjà 42 000 avaient été réalisés). En 1999, le film de James Moll Les derniers jours est un montage de plus d’une dizaine de témoignages de Juifs hongrois emmenés à Auschwitz en 1944. Parfois, certains réalisateurs réussissent à exploiter des sources jusque là négligées : Jean Luc Godard a affirmé de manière provocatrice qu’il y avait sûrement quelque part beaucoup d’archives sur la Shoah («si je m’y mettais, je trouverai des images des chambres à gaz au bout de vingt ans») : déclaration bien péremptoire mais les historiens retrouvent encore aujourd’hui des documents intéressants (l’ouverture des archives soviétiques a ainsi permis de retrouver les 8 minutes de film en couleur tournées au ghetto de Varsovie par l’armée allemande). La conférence de Wannsee, réalisé par Heinz Schirk en 1984, est un film joué par des acteurs mais s’inspire d’ un document exceptionnel : le rapport détaillé de cette fameuse réunion dans la banlieue de Berlin, présidée par Heydrich et qui aurait abouti à la mise en forme administrative de «la solution finale ». Eyal Sivan et Rony Brauman, quant à eux, réalisent Un spécialiste en 1999, à partir des 350 heures d’enregistrement du procès Eichmann à Jerusalem en 1961. On sera nettement plus réservé sur certains films de montage, comme celui de Frédéric Rossif, De Nuremberg à Nuremberg (1989) : dans ce long documentaire, certains procédés prêtent parfois à confusion : une séquence qui évoque les chambre à gaz est immédiatement suivie par des images tournées à Bergen-Belsen, représentant des corps décharnés. Pour le moins, le montage est maladroit car il montre des extraits venant de sources totalement différentes et qui donne un sens discutable à l’enchaînement des images. L’historienne Annette Wierviorka s’est aussi inquiétée d’une certaine dérive des documentaires les plus récents : alors que les survivants étaient peu sollicités dans les années 1950 et 1960, il semble que ce soient les témoins qui fassent l’histoire, mais sans qu’on prenne en compte l’appareil critique et scientifique indispensable pour mettre en perspective leurs témoignages.
Dans le domaine de la fiction, on assiste au même phénomène : il serait fastidieux d’énumérer tous les films sortis depuis les années 1970 mais on peut donner quelques indications chiffrées. En 1984, Annette Insdorf, qui consacre un livre au sujet, estime que 172 films ont déjà été tournés sur ce thème. Pour sa part, le mémorial de Yad Vashem de Jérusalem a recensé 1194 films évoquant le génocide entre 1985 et 1995 soit plus de 150 par an depuis 1993. Si on ne retient que le sujet du ghetto de Varsovie, on peut citer une bonne demi-douzaine de films, comme Au nom de tous les miens de Robert Enrico, Korczak d’Andrzej Wajda, 1943, L’ultime révolte de John Avnet, Jacob le Menteur de Frank Beyer, ou encore L’étoile de Robinson de Soren Kragh-Jacobsen.
Dans cette abondante production, on peut relever quelques tendances remarquables. Dans la production réalisée en France, les films qui s’intéressent au sujet insistent le plus souvent sur la politique de Vichy, complice des nazis dans la déportation des Juifs. Plusieurs d’entre eux mettent en avant l’action des Français qui ont permis aux Juifs d’échapper à l’extermination (par exemple, Le vieil homme et l’enfant, Les guichets du Louvre, Je suis vivante et je vous aime, Monsieur Batignole). Une manière d’illustrer la thèse de Serge Klarsfeld, qui estime que les Juifs de France ont été-relativement-épargnés par le génocide, grâce à l’aide de la population française… Certaines œuvres récentes abordent aussi un thème nouveau : le travail de mémoire sur la Shoah et ce qu’il en reste dans le souvenir des survivants (La mémoire est-elle soluble dans l’eau? De Charles Najman, l’excellent film d’Emmanuel Finkiel Voyages, ou plus récemment Un monde presque paisible de Michel Deville).
D’autres films très célèbres ont provoqué des polémiques. Ainsi, La liste de Schindler en son temps a posé problème pour certains. Steven Spielberg raconte l’histoire d’un Juste, industriel allemand du nom d’Oscar Schindler, qui sauve la vie de centaines de Juifs, en les employant dans ses entreprises . Si les bonnes intentions du cinéaste américain ne sont pas en cause, certains , comme Claude Lanzmann, se sont inquiétés du traitement du sujet : un certain esthétisme, des procédés parfois trop appuyés (la petite fille à la robe rouge qui apparaît à plusieurs reprises), des séquences dont le sens est ambigu (les femmes juives qui prennent une «vraie» douche à Auschwitz…). A cette occasion, on a pu parler « d’américanisation de la Shoah » (dans le documentaire Les derniers jours, une musique quelque peu redondante accompagne les moments les intenses). De même , le film de Roberto Benigni a aussi soulevé quelques controverses. Comme on le sait, le cinéaste italien a évoqué le sort des Juifs sur le mode de la comédie. La première partie de La vie est belle ne pose pas de problèmes (d’autant que le cinéma transalpin a déjà traité du fascisme sur un ton humoristique, comme dans La marche sur Rome de Dino Risi ). Par contre, les séquences qui se déroulent dans ce qui devrait être un camp de concentration ont laissé parfois perplexes. Benigni a bien précisé qu’il avait conçu son film comme une fable sur le sujet (il invoque Primo Levi qui raconte que certains déportés se demandaient si «tout cela n’était pas qu’une vaste blague…»). Reste que cette vision se heurte à la brutalité des images réelles et donc a pu déconcerter certains spectateurs… De manière plus générale, certains ont posé le problème : «peut-on faire des films de fiction à partir de l’Holocauste? La réponse est clairement non : le temps ne fait rien à l’affaire. Oui, il y a des tabous comme il y a des barrières de langage. Pour ne pas brouiller le souvenir du plus grand crime de l’histoire, les sourires ne doivent pas avoir leur place à Auschwitz» (Robert Holcman, Le Monde, 1998).

   Depuis ces derniers films, les débats se sont quelque peu apaisés et les productions contemporaines montrent que les cinéastes ont bien intégré certains éléments du problème, évoquant même des sujets plutôt occultés ( par exemple la responsabilité du Vatican dans Amen de Costa-Gavras). De plus en plus, on tente de respecter une certaine vérité historique, d’intégrer les recherches historiographiques, de mener une véritable réflexion sur la place de la Shoah dans notre mémoire collective. Le dernier film de Roman Polanski, sobre et nuancé sur un sujet qui touche de près son auteur, s’inscrit bien dans cette tendance actuelle. Comme l’écrit Hélène Frappat dans Les Cahiers du Cinéma, «ce n’est ni une fresque unanimiste cherchant à faire pleurer le public américain, ni un pensum sur la solitude de l’artiste en temps de guerre», mais une oeuvre qui montre que le cinéma est aussi capable de porter un regard adulte sur l’un des principaux drames de notre histoire contemporaine

BIBLIOGRAPHIE :
-Anette Insdorf, L’Holocauste à l’écran, Cinémaction, Editions du Cerf, 1985
-Jean François Forgues, Éduquer contre Auschwitz : histoire et mémoire, ESF éditeur, 1997
-Claude Lanzmann, Un vivant qui passe, Arte éditions, 1997

-Sylvie Lindeperg, Les écrans de l’ombre : la seconde guerre mondiale dans le cinéma français 1944-1969, CNRS Editions, 1997
-Sylvie Lindeperg, Cléo de 5 à 7, les actualités filmées de la Libération, : archives du futur, CNRS Editions, 2000
-Sylvie Lindeperg, La voix des images : quatre histoires de tournages au printemps-été 1944, Éditions Verdier , 2013
-Annette Wieviorka, Déportation et génocide : entre la mémoire et l’oubli, Hachette,1995
-Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Plon, 1998

Au sujet de la Shoah, ouvrage collectif, Belin, 1990
Cinéma et mémoire : Antisémitisme et exclusion, numéro spécial Contreplongée, octobre 1990
La déportation, le système concentrationnaire nazi, BDIC (Musée d’Histoire contemporaine), 1995
La libération des camps et le retour des déportés, Editions Complexe, 1995
Savoir la Shoah, CRDP Bourgogne, 1998
La Shoah : témoignages, savoirs, oeuvres, Presses universitaires de Vincennes, 1999
(article de Sylvie Lindeperg : L’écran aveugle )
Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999
(article de Philippe Mesnard : La mémoire cinématographique de la Shoah )
-Sylvie Lindeperg, Cléo de 5 à 7, les actualités filmées de la Libération, : archives du futur, CNRS Editions, 2000
Mémoire des camps, sous la direction de Clément Chéroux, Marval, 2001
-L’histoire infilmable : les camps d’extermination nazis à l’écran, Vincent Lowy, L’Harmattan, 2001

Films
Le Dictateur, Charlie Chaplin (Dossier Contreplongée)
-Jean Cayrol, Nuit et Brouillard, Fayard, 1997

-Nuit et Brouillard, Alain Resnais (Avant-scène n°1, 1961)
-Nuit et Brouillard, Sylvie Lindeperg, éditions Odile Jacob, 2007

-Claude Lanzmann, Shoah, Fayard, 1985
-Claude Lanzmann, Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures , Editions Cahiers du Cinéma, 2001

La liste de Schindler, Steven Spielberg (Dossier Contreplongée)-R. Brauman et E. Sivan, Éloge de la Désobéissance : à propos « d’Un spécialiste », Le Pommier, 1999

-Roberto Benigni et Vincenzo Cerami, La vie est belle, Folio, 1998

FILMOGRAPHIE :
Le temps du combat
Le Juif Süss, Veit Harlan, 1940, Allemagne
Der exige Jude (le Juif éternel), Fritz Hippler, 1940, Allemagne
-Les Rotschild , Erich Waschneck, 1941, Allemagne
Le Dictateur (The Great Dictator), Charlie Chaplin, 1940, Etats-Unis
Mortal Storm, Frank Borzage, 1940, Etats-Unis
None shall Escape, André de Toth, 1943, Etats-Unis

Le temps de la confusion
La dernière Etape (Oswiecim/Auschwitz), Wanda Jakubowska, 1948, , Pologne
Nuit et Brouillard, Alain Resnais, 1956, France
Le destin d’un homme (Soudba tcheloviek), Sergueï Bondartchouk, 1959, URSS,
Le temps du ghetto, Frederic Rossif, , 1961, France
Le vieil homme et l’enfant, Claude Berri, 1967, France

Le temps de la réflexion
La Conférence de Wannsee (Der Wannsee Konkeferenz), Heinz Schirk, 1984, Allemagne
Shoah, Claude Lanzmann, 1985, France
De Nuremberg à Nuremberg, Frederic Rossif, 1989, France
Korczak, Andrzej Wajda, 1989, Pologne
La Liste de Schindler ( Schindler’s List), Steven Spielberg, 1993, États-Unis
-L’étoile de Robinson, Soren Kragh-Jacobsen, 1997, Danemark
-La vie est belle (La vita è bella), Roberto Benigni, 1998, Italie
-Je suis vivante et je vous aime, Roger Kahane, 1998, France
-Train de vie, Radu Mihaileanu, 1998, France
-Un spécialiste, Rony Brauman et Eyal Sivan, 1999, France
-Voyages, Emmanuel Finkiel, 1999, France
-Jakob le Menteur, Peter Kassovitz, 1999, Etats-Unis
-Les derniers jours (The Last Days), James Moll, 1999, Etats-Unis
-Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, 2000, France
Amen, Constantin Costa-Gavras, 2001, France
Le Pianiste, Roman Polanski, 2001, Etats-Unis
1943, l’utilme révolte, John Avnet, 2001, Etats-Unis
Monsieur Batignole, Gérard Jugnot, France
Un monde presque paisible, Michel Deville, 2002, France
La petite prairie aux bouleaux, Marcelle Loridan, 2003, France

-Monsieur Batignole, Gérard Jugnot, 2002
Zone libre, Christophe Malavoy , 2005
-On l’appelait Sarah, Gilles Paquet-Brenner, 2010
-L’Armée du Crime, Robert Guediguian, 2009
-La rafle, Rose Bosh, 2010

 

 

L’Ancien Régime au cinéma (filmographie)

FILMOGRAPHIE

Versailles vu d’Hollywood
Les deux orphelines (Orphans in the Storm), David W. Griffith, 125 mn, 1922 avec Dorothy Gish, Lillian Gish, Monte Blue…
Le Marquis de Saint Evremond (A Tale of Two Cities), Jack Conway, 121 mn, 1935 : avec Ronald Colman, Elisabeth Allan, Basil Rathbone…
Marie-Antoinette, Woody s. Van Dyke, 160 mn, 1938,
avec Norma Shearer, Tyrone Power, John Barrymore…
Scaramouche, George Sidney, 118 mn, 1952
avec Stewart Granger, Mel Ferrer, Eleanor Parker, Janet Leigh…

L’Ancien Régime vu par Guitry
Les perles de la Couronne, Sacha Guitry, 120 mn, 1937
avec Sacha Guitry, Jacqueline Delubac, Arletty
Remontons les Champs-Elysées, Sacha Guitry, 100mn, 1938
avec Sacha Guitry, Lisette Lanvin, Pauline Carton, Jacqueline Delubac…
Si Versailles m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1953
avec Sacha Guitry, Michel Auclair, Paulette Colbert, Jean Marais…
Si Paris m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1955

De cape et d’épée…
Les trois Mousquetaires, André Hunebelle, 1953
avec Georges Marchal, Bourvil…
Le Bossu, André Hunebelle, 112 mn, 1959
avec Jean Marais, Bourvil, François Chaumette…
Le Capitan, André Hunebelle, 95 mn, 1960
avec Jean Marais, Bourvil…
Les trois Mousquetaires, Bernard Borderie, 1961
avec Gérard Barray, Georges Descrières…

Les « belles de nuit »….
Angélique, Marquise des Anges, Bernard Borderie, 104 mn, 1964
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Jean Rochefort…
Angélique et le Roy, Bernard Borderie, 100 mn, 1966
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Sami Frey…
Angélique et le Sultan, Bernard Borderie, 105 mn, 1967
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Jean-Claude Pascal…

Les « mauvais garçons »
-Fanfan la Tulipe, Christian-Jacque, 102 mn, 1952
avec Gérard Philippe, Gina Lollobrigida, Noël Roquevert…
-Cartouche, Philippe de Broca, 1961
avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Marcel Dalio, Jean Rochefort…

Le cinéma de la Nouvelle Histoire
La prise du pouvoir par Louis XIV, Roberto Rosselini, 100 mn, 1966
avec Jean-Marie Patte, Raymond Jourdan…
Les Camisards, René Allio, 100 mn, 1972
avec Jacques Debarry, Gérard Desarthe,…
Que la fête commence, Bertrand Tavernier, 120 mn, 1974
avec Philippe Noiret, Jean Rochefort, Marina Vlady, Christine Pascal…
1788, Maurice Failevic, 1978 (téléfilm)
Molière, Ariane Mouchkine, 250 mn, 1978
avec Philippe Caubère, Brigitte Catillon, Joséphine Derenne, Daniel Mesguich…
Le retour de Martin Guerre, Daniel Vigne, 118 mn, 1982
avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Roger Planchon
Un médecin des Lumières, René Allio, 1988 (téléfilm)

Un thème toujours à la mode
Ridicule, Patrice Leconte, 102 mn, 1992
avec Charles Berling, Judith Godrèche, Fanny Ardant, Bernard Giraudeau…
La Reine Margot, Patrice Chéreau, 163 mn, 1993
avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Virna Lisi, Vincent Perez…
La fille de d’Artagnan, Bertrand Tavernier, 132 mn, 1994
avec Sophie Marceau, Philippe Noiret, Jean-Luc Bideau, Sami Frey, Claude Rich…
Beaumarchais l’insolent, Edouard Molinaro, 100 mn, 1995
avec Fabrice Lucchini, Sandrine Kimberlain…

Jefferson in Paris, James Ivory, 1995, 139 mn, avec Nick Nolte, Greta Scacchi
Marquise, Vera Belmont, 118 mn, 1997
avec Sophie Marceau, Lambert Wilson, Bernard Giraudeau, Patrick Timsit..

Marie Antoinette, Sofia Coppola, 123 mn, 2005, avec Kirsten Dunts, Jason Schwartzmann

Les adieux à la Reine, Benoit Jacquot, 160 mn, 2011, avec Léa Seydoux, Diane Kruger
BIBLIOGRAPHIE
L’ancien Régime au Cinéma, les Cahiers de la Cinémathèque, N°51-52, été 1989
-René Allio et Jean Jourdheuil, Un médecin des Lumières, Actes Sud, 1988
-Sacha Guitry, Cinéma, éditions Omnibus, 1993

Les adieux à la Reine, avant scène cinéma n°601

Ridicule, Patrice Leconte (Dossier Contreplongée)
Le retour de Martin Guerre, Daniel Vigne (Dossier Contreplongée)

Le cinéma en URSS, des années 1920 aux années 1940 : entre art et propagande

   Pour les dirigeants bolcheviks, le cinéma est un moyen de propagande privilégié: selon une citation peut-être apocryphe, Lénine aurait ainsi confié à A. Lounatcharski en 1922 : « de tous les arts, le cinéma est le plus important ». En tout cas, dès les premiers combats de la guerre civile, les chefs communistes comprennent l’intérêt du cinéma pour leur propagande et développent un département cinématographique aux armées : ce sont les fameux « kino-trains » ou « agit-trains », qui circulent à l’arrière du front, et qui comportent tout l’équipement nécessaire à la production et à la diffusion de documentaires afin d’assurer « l’édification des masses » (Dziga Vertov participera à cette expérience originale). Dès 1919, le secteur du cinéma est nationalisé et des organismes officiels, sous différentes appellations (VFKO, Soskino, Sovkino…) sont chargés de prendre en main la production cinématographique. C’est aussi en Russie soviétique qu’est fondée la première école de cinéma du monde. C’est d’ailleurs au cours des années 1920 que de nombreuses théories sont élaborées par des cinéastes ou des artistes russes (on pense notamment aux idées de Lev Koulechov ou de Sergueï Eisenstein à propos des différents types de montage…). En tout cas, le cinéma soviétique commence à se faire connaître dès les années 1920, par la qualité de ses réalisateurs (pour ne citer que les plus connus, Vsevolod Poudovkine, Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov, Alexandre Dovjenko). Mais s’il connaît un véritable âge d’or pendant près d’une décennie, il s’est sévèrement repris en mains lors de la période stalinienne.

L’âge d’or du cinéma soviétique

   Au cours de cette première période, il faut d’abord insister sur l’engagement enthousiaste de ces cinéastes soviétiques envers la cause de la Révolution. Ces jeunes gens (de 15 ans pour Kozintsev à
27 ans pour Poudovkine) ont pleinement adhéré aux idéaux communistes et certains ont même participé, à des titres divers, aux combats de la guerre civile (Koulechov, Vertov, Eisenstein, Dovjenko…). On peut d’ailleurs constater que la plupart d’entre eux sont restés fidèles au communisme, y compris pendant la période stalinienne : les plus rebelles continuent à travailler pour le régime jusqu’aux années 1940-1950, au prix d’autocritiques sans doute douloureuses et avec parfois bien des difficultés. Au cours des années 1920, cette « génération dorée » n’aborde que des sujets politiques ou
historiques, parfois sur commande du gouvernement (Eisenstein se voit proposer les sujets du cuirassé Potemkine, d’Octobre et de La ligne générale) . Il y a peu d’histoires « futiles », c’est à dire psychologiques, dans les scénarii des films russes de la période. Même quand Abraham Room évoque un trio amoureux dans Trois dans un sous-sol, c’est plutôt pour évoquer l’émancipation de la femme dans la nouvelle société soviétique…Par contre, certains thèmes sont récurrents dans la filmographie de cette époque : la dénonciation de l’Ancien régime tsariste (La Grève, La Mère), le rappel des luttes d’avant 1914, la geste révolutionnaire d’Octobre (La fin de Saint-Pétersbourg, Octobre, Arsenal), la guerre civile (Tempête sur l’Asie, Chtchors), la collectivisation des terres (La ligne générale, La Terre)… Si le cinéma soviétique est très homogène quant aux sujets qu’il traite, il l’est beaucoup moins en ce
qui concerne la façon d’évoquer ces thèmes…Déjà, les réalisateurs utilisent toute la palette des genres cinématographiques (le commissaire à l’instruction, Anatoli Lounatcharski , ne cache pas sa
fascination pour l’efficacité du cinéma hollywoodien et estime que la manière de filmer des studios peut être utile pour servir la Révolution). Ainsi, Lev Koulechov tourne une comédie burlesque mais à caractère politique (Les aventures extraordinaires de M. West au pays des Soviets) , Jacob Protazanov réalise Aelita, film de science-fiction dans lequel des martiens exploitent une masse de prolétaires.
De plus, les cinéastes soviétiques n’hésitent pas à tester les théories les plus avant-gardistes dans leurs films : ainsi Eisenstein tente d’appliquer ce qu’il nomme « le montage des attractions » , qui consiste à monter deux plans successifs avec des images apparemment sans rapport entre elles, mais dont l’addition provoque une idée ou un choc chez le spectateur (l’exemple le plus connu de l’époque est une séquence de La Grève, où le massacre d’ouvriers par l’armée du tsar est monté alternativement avec des scènes tournées dans un abattoir…). Dziga Vertov, tout aussi radical, refuse d’engager des acteurs professionnels, de tourner dans des décors de studio et ne veut pas de fiction considérée comme artificielle : il filme directement dans la rue des scènes de la vie quotidienne et c’est le montage qui donne du sens à l’ensemble (son film le plus célèbre est L’Homme à la caméra)…D’autres, comme Poudovkine, appliquent les théories de montage de Koulechov (La Mère, La fin de Saint-Pétersbourg) ou manifestent une sensibilité plus lyrique (Dovjenko quand il filme les campagnes d’Ukraine dans La Terre).
Mais à la fin de la période, ces cinéastes si inventifs semblent être aller au bout de leurs possibilités : les débats font rage à propos du cinéma le plus prolétarien (une dispute célèbre oppose Vertov et Eisenstein). Ils se heurtent également à l’incompréhension du public qu’il sont censés toucher : le film d’Eisenstein Octobre est ainsi boudé par les spectateurs les plus populaires, peu sensibles au montage sophistiqué de certaines séquences. D’autres, comme Poudovkine, appliquent les théories de montage de Koulechov (La Mère, La fin de Saint-Pétersbourg) ou manifestent une sensibilité plus lyrique (Dovjenko quand il filme les campagnes d’Ukraine dans La Terre).

La reprise en main stalinienne

    Alors que Staline contrôle de plus en plus le pouvoir suprême après la mort de Lénine, cette reprise en main touche aussi le secteur cinématographique. En 1937, un nouvel organisme d’état , le Soyouzkino, est mise en place et confié à Boris Choumiatski, personnage particulièrement dogmatique et hostile aux cinéastes les plus audacieux comme Vertov ou Eisenstein (ce dernier sera d’ailleurs obligé de se livrer à une autocritique publique). Il est prévu de construire d’immenses studios sur la mer Noire, produisant plus de cent films par an et employant des milliers de personnes, en quelque sorte un pendant soviétique au Hollywood californien…Mais le projet ne verra jamais le jour, faute de moyens financiers. Par contre, la vigilance idéologique est renforcée et les films, à toutes les étapes de leur réalisation, font l’objet d’un suivi tatillon : près d’une centaine
de films seront ainsi « mis sur les étagères », c’est à dire censurés par la bureaucratie stalinienne (soit près de 10% de la production totale). Eisenstein lui-même aura de graves problèmes : son film La Ligne générale sera modifié sur intervention personnelle de Staline (le titre, la séquence finale) et celui qu’il tournera d’après l’histoire de Pavel Morozov, Le pré de Béjine, sera carrément détruit, au motif que son traitement de l’histoire est trop mystique…
Mais surtout, les artistes vont devoir suivre la ligne imposée par le Parti et Staline. C’est en effet au Congrès des Ecrivains en 1934 que prend définitivement forme la théorie élaborée par Jdanov et qui sera appliquée dans tous les domaines artistiques, le « réalisme socialiste ». Cette nouvelle ligne, en rupture avec les tentations avant-gardistes de la période précédente, consiste à produire un art « socialiste dans le fond, réaliste dans la forme ». Il ne s’agit plus de déconcerter le peuple avec des modes d’expression incompréhensibles mais de trouver des formes simples qui permettent de faire passer l’essentiel, à savoir la cause du socialisme. De même, les sujets que doivent traiter les cinéastes sont imposés par le parti de manière planifiée : les grandes figures de l’histoire de la Russie (Pierre le Grand, Alexandre Nevski, Koutouzov…), les « héros » de la révolution et de la guerre civile (Lénine surtout mais aussi Tchapaiev…), les « hommes nouveaux » qui apparaissent avec la société soviétique (kolkhoziens, ouvriers stakhanovistes, scientifiques…)…Les autorités exigent aussi une parfaite lisibilité des scénarii, pour qu’ils soient compréhensibles du public populaire. On retrouve ainsi souvent dans les films soviétiques de l’époque, le « trio infernal » : l’homme du peuple, ouvrier ou paysan, plein de bonne volonté mais un peu naïf, « l’ennemi du peuple », le saboteur étranger ou le koulak hostile au nouveau régime, et enfin l’homme du parti, souvent membre du NKVD, qui montre la ligne juste et rétablit la situation…C’est par exemple ce schéma qui est appliqué dans le célèbre film des Vassiliev, qui raconte la vie d’une figure très populaire de la guerre civile, Tchapaiev (Marc Ferro a consacré à ce film une analyse très éclairante
dans son ouvrage devenu classique, Cinéma et Histoire). Enfin, ces films « staliniens » ont toujours une « fin heureuse », avec souvent un banquet final qui réunit la communauté et célèbre l’action du parti et de son chef suprême (c’est souvent le cas dans les comédies musicales soviétiques, très appréciées de Staline, comme Volga-Volga ou Les tractoristes…).
Au cours de « la grande guerre patriotique », les cinéastes connaissent une période de répit car le pays est quelque peu désorganisé et le poids des autorités un peu moins contraignant. L’urgence est de mobiliser toutes les énergies et Staline doit laisser la bride sur le cou aux cinéastes : aussi, les films tournés alors se signalent par une certaine liberté de ton : en particulier, les souffrances du peuple russe ne sont pas occultées, et même la collaboration de certains russes avec l’occupant nazi est évoquée (par exemple, L’arc en ciel de Mark Donskoï). Mais très vite après la seconde guerre mondiale, les autorités procèdent à une reprise en main du cinéma soviétique, alors que le culte de la personnalité bat son plein (c’est cette fois Staline lui-même qui occupe la première place sur les écrans, comme dans La Chute de Berlin de Mikhail Tchiaoureli). Le dictateur s’oppose d’ailleurs à la diffusion de la seconde partie d’Ivan le Terrible réalisé par Eisenstein, car il estime que le film du cinéaste présente l’ancien tsar de manière trop négative et qu’on pourrait faire des rapprochements embarrassants…Le parti impose plus que jamais ses directives aux cinéastes afin que la ligne officielle soit respectée et diffusée (Dovjenko tourne Mitchourine en 1948, l’histoire d’un biologiste de génie à l’époque tsariste, qui réfute les théories de Mendel et qui peut poursuivre ses travaux grâce à la révolution bolchevique : son disciple sera un certain Lyssenko, qui connaît son heure de gloire dans les années 1940…). La production cinématographique en URSS tombe alors à son plus bas niveau (moins d’une vingtaine de films par an).

   Cette rapide évocation montre bien que si on peut parler d’un cinéma de propagande à propos des oeuvres des réalisateurs en URSS, il est utile de préciser le contexte historique dans lequel s’inscrivent les différentes œuvres : les films des années 1920 ont une liberté de ton et de forme qu’on ne retrouve pas dans le cinéma stalinien, beaucoup plus conformiste et encadré. Il peut être intéressant de le rappeler, quand on utilise certaines séquences des œuvres d’Eisenstein, cinéaste dont les rapports avec Staline sont plus complexes qu’il y paraît…Par contre, des extraits des films staliniens -souvent médiocres-des années 1950 gardent toute leur efficacité pédagogique !

voir aussi filmographie du cinéma russe et soviétique