Archives pour la catégorie THEMES

Il s’agit d’étudier des thèmes qui peuvent être très variés (l’immigré , les indiens d’Amérique du Nord, la ville de New York, les camps de concentration…) et d’analyser comment ces sujets sont traités par le cinéma.

Les représentations de l’Arabe dans le cinéma français : des « salopards » aux beurs…

(cet article a été rédigé pour le dossier du film L’Esquive)

   En réalisant L’esquive, Adellatif Kechiche propose une image presque idyllique de la jeunesse immigrée : des beurs et des beurettes d’aujourd’hui interprétant une pièce du répertoire classique, sous la houlette d’une enseignante dévouée et passionnée… Cette vision pourrait apparaître presque comme un cliché, trop républicaine pour être vraie. Elle traduit en tout cas une nette évolution de la représentation de l’immigré arabe dans le cinéma français, depuis les années 1930 jusqu’à nos jours. Comme l’a relevé Michel Cadé (L’histoire de France au cinéma), le cinéma hexagonal s’est surtout intéressé à la figure de l’immigré en période de crise, à savoir pendant l’entre-deux guerres et lors des années 1970 (ces deux époques ont des points communs : crise sociale et économique, montée de l’extrême droite, poussée de fièvre xénophobe). Mais l’image de l’Arabe à l’écran a quand même beaucoup évolué, ne serait-ce que parce que certains cinéastes eux-mêmes issus de l’immigration, se sont intéressés au sujet au cours des dernières années (et Kechiche est bien sûr l’un d’entre eux)…

Les années 30 : « une xénophobie permanente »
A cette époque, la représentation de tout ce qui est étranger, dans le sens le plus large, est clairement liée aux angoisses du temps. Comme on le sait maintenant, les idées de la Révolution nationale ont précédé de plusieurs années, l’installation du régime du maréchal Pétain en 1940 (cf notamment L’opinion publique sous Vichy, de Pierre Laborie ou Les années souterraines (1937-1947) de Daniel Lindenberg). Dans le cinéma, François Garçon (De Blum à Pétain) et Jean Pierre Bertin Maghit (Le cinéma sous l’Occupation) ont confirmé la validité de cette thèse. Le premier auteur parle « d’une xénophobie permanente » dans les films des années 1930, même-peut-être surtout- dans les productions les plus anodines.
Il existe ainsi un cinéma antisémite « populaire », qui, sur un ton soit-disant humoristique, débite tous les poncifs du discours contre les Juifs (par exemple dans la série Levy et Cie). Ces Messieurs de la Santé, de Pierre Colombier (1934) évoque clairement les scandales financiers de l’entre deux guerres, et notamment celui de Stavisky (dans le film, le personnage de Schwartz, usurier juif venu d’Europe centrale est particulièrement repoussant). Plus généralement, le cinéma français affiche une méfiance vigilante envers les étrangers, surtout ceux venus s’installer en France. Même dans Les disparus de Saint Agil de Christian-Jacque (1938), l’obsession xénophobe de M. Donnadieu semble correspondre à un sentiment profond (« les étrangers, je ne les aime pas », « les étrangers, c’est la guerre ») : certes, ce personnage paranoïaque est ridiculisé et « l’étranger » par excellence, incarné par Erich Von Stroheim, est finalement innocenté: reste que le malaise demeure. Dans certains films de Sacha Guitry (En remontant les Champs Elysées de 1938, Ils étaient neuf célibataires en 1939), les répliques des personnages sont sans ambiguïté : « nous avons toujours eu en France la fâcheuse tendance d’accueillir chez nous les étrangers qui ne nous étaient pas absolument nécessaires». Un vendeur de journaux pousse ce cri du cœur : « on va quand même pas se laisser envahir »…
Dans un tel contexte, on imagine bien que le traitement des personnages maghrébins ne va pas faire exception, d’autant qu’à l’époque les Arabes ne sont pas encore des immigrés mais des sujets de l’Empire. En fait, le cinéma colonial prend soin d’éviter de donner trop de consistance aux personnages indigènes, qui pourraient exprimer un malaise (en fait, l’époque est alors troublée en Afrique du Nord, comme en témoignent la révolte dans le Rif marocain ou le mouvement de Messali Hadj, L’Etoile nord-africaine : les tournages des films tournés au Maghreb doivent obtenir l’autorisation des autorités coloniales). A l’inverse de l’Européen conquérant, les Arabes ne sont représentés que par « quelques djellabas fantomatiques ». Sylvie Dallet relève que le cinéma colonial de l’époque met en scène avant tout « un espace dans lequel l’indigène, filmé comme un animal, se déplace mystérieusement et que le colon découvre avec précaution ». Les personnages indigènes sont peu crédibles : Annabella en improbable bédouine dans La Bandera, ou l’antipathique inspecteur Slimane dans Pépé le Moko, interprété par Lucas Ledoux. L’Afrique du nord semble le refuge des garçons perdus, des criminels en fuite (Jean Gabin dans Pépé le Moko ou La Bandera réalisés par Julien Duvivier, Pierre-Richard Wilms dans Le Grand Jeu de Jacques Feyder) : la rédemption passe souvent par le combat contre les « salopards », c’est à dire les indigènes en révolte contre le colonialisme français…

Le temps du silence
Des années 1950 aux années 1970, la filmographie sur le sujet se réduit sensiblement, alors même que les flux migratoires venant du Maghreb ou du Sud de l’Europe prennent de l’ampleur. Cette situation paradoxale peut s’expliquer par le climat d’optimisme qui règne à l’époque des « trente Glorieuses » : la France, en pleine expansion économique, peut se permettre d’accueillir et parfois même d’intégrer les travailleurs migrants. Elle a de toute façon besoin de main d’oeuvre, alors que la génération du baby-boom n’est pas encore en âge de travailler. Les immigrés ne posent pas de réels problèmes et de toute façon, on est convaincu qu’ils repartiront bientôt dans leurs pays d’origine. Et puis la guerre d’Algérie qui s’achève en 1962, créé un climat particulier : comme l’a bien montré Benjamin Stora (La Gangrène et l’oubli en 1992, Imaginaires de guerre en 1997), les rapports avec l’Algérie sont très marqués par le conflit qui s’est terminé dans une incompréhension réciproque et une souffrance indicible : le «travail de deuil » a eu du mal à démarrer et le cinéma français a bien sûr souffert de ce malaise persistant, quand il a fallu aborder franchement la question de la représentation des personnages arabes.
Malgré tout, quelques films, parfois militants et souvent généreux, s’intéressent à ces immigrés encore si discrets. En 1970, Michel Drach réalise Élise ou la vraie vie, tirée du roman de Claire Etcherelli. Le film raconte l’histoire d’amour difficile entre une Française, Elise, interprétée par Marie-José Nat et d’Areski, membre du FLN (Mohamed Chouikh). Le réalisateur évoque notamment l’incompréhension entre les deux communautés, leur intolérance réciproque (Michel Drach avance même qu’à l’occasion, la classe ouvrière peut se montrer raciste, idée alors peu politiquement correcte). Pour sa part, Yves Boisset réalise en 1975 Dupont Lajoie, au temps du giscardisme triomphant, alors que les premières mesures sont adoptées pour restreindre l’immigration(en même temps qu’est instituée l’aide au retour). Le cinéaste, avec son efficacité habituelle, dénonce violemment le racisme sournois du petit-bourgeois franchouillard, incarné par Jean Carmet. Il va jusqu’à justifier une sorte de légitime défense des immigrés contre les agressions racistes dont ils sont victimes ( à la fin du film, l’immigré injustement mise en cause par Carmet, vient se faire justice lui-même). Certes, la caricature est sans nuances mais à sa sortie, le film de Boisset a été salué pour son courage, à une époque où le cinéma français se risquait rarement à aborder des sujets aussi sensibles.

Le retour de l’étranger
La situation change au cours de la décennie suivante, alors que la crise économique commence à produire ces premiers effets, en particulier sur l’emploi et que la législation sur l’immigration est de plus en plus restrictive. L’immigré fait une rentrée discrète mais réelle dans le cinéma français des années 1980, comme si on était bien obligé de prendre conscience de son existence.
D’abord, l’immigré-et en particulier l’Arabe- est cantonné à un rôle secondaire : il sort de l’ombre et cette ombre est plutôt menaçante. Les films policiers en particulier ne manquent pas de personnages maghrébins qui opèrent dans les bas-fonds des grandes cités. La Balance de Bob Swain (1982), Le grand Frère de Francis Girod (1982), Tchao Pantin de Claude Berri (1983), Les Ripoux de Claude Zidi (1984), Police de Maurice Pialat (1985), Ripoux contre Ripoux (1990). Dans ces films, les immigrés le plus souvent arabes sont des délinquants, des voyous, des trafiquants de drogue. La bonne volonté de ces cinéastes n’est en général pas en cause (dans Le Grand Frère, Girod prend soin aussi de présenter des personnages maghrébins sympathiques, dignes d’amitié et même d’amour) et ils peuvent toujours invoquer « la réalité des faits et des chiffres » (il y a des délinquants arabes). Reste que « le choix de l’immigré n’est pas innocent, quand il s’agit de mettre en scène des personnages négatifs » (Michel Cadé). Comme le raconte Saïd Taghmaoui, l’un des interprètes de La Haine, « quand j’étais petit, dans les films, les Arabes étaient soit voleurs, soit dealers, jamais de héros qui nous ressemblait ». cette représentation de l’immigré présente le risque de conforter le sophisme du racisme primaire : il y a des délinquants immigrés donc tous les immigrés sont délinquants. On retrouve ce type de problème lorsqu’un cinéaste comme Gérard Blain veut dénoncer l’intolérance d’une famille musulmane : dans Pierre et Djemila (1987), il raconte l’amour impossible entre un jeune Français et une adolescente algérienne. Les responsabilités sont clairement établies (le frère de Djemila fait respecter l’honneur de sa famille en tuant Pierre) et les différences culturelles semblent insurmontables. Certes, une telle situation peut advenir mais en quoi est-elle exemplaire du comportement de toute une communauté?
L’immigré fait aussi son entrée dans un genre cinématographique plus souriant, la comédie, et en particulier dans les films réalisés par les héritiers du café-théâtre, comme Michel Blanc ou Josiane Balasko. Ces cinéastes, souvent inspirés par un antiracisme bon enfant (c’est à cette époque que l’organisation SOS Racisme lance la campagne « Touche pas à mon pote ») présente des personnages immigrés plutôt sympathiques et charmeurs (Isaak de Bankolé dans Black Mic Mac de Thomas Gilou ou Les Keufs de Josiane Balasko, Smaïn dans L’œil au beurre noir de Serge Meynard). Leur origine peut être un handicap (Smain a bien du mal à obtenir un logement…) mais il est aussi un stimulant pour s’intégrer dans la société française. Mais cette image de l’immigré est encore réductrice. Quelques personnages « black » de films récents évoquent irrésistiblement le « bon nègre » des publicités Banania, toujours souriant et enjoué. Certains cinéastes ont tenté de nuancer leur approche, en présentant une image plus équilibrée. Dans La Haine de Mathieu Kassowitz (1995) ou Raï de Thomas Gilou (1995), les personnages immigrés sont certes de petits délinquants, mais ils ne sont pas les seuls. Les jeunes défavorisés, « français de souche » partagent leur mode de vie : dans le film de Jean-Claude Brisseau, De bruit et de fureur tourné en, 1987, « les ethnies sont totalement mêlées dans la vie de tous les jours comme dans la délinquance » (Michel Cadé).

Le regard de l’intérieur
Depuis les années 1980, des cinéastes ont apporté un regard bien particulier sur le sujet : ce sont ceux issus directement de l’immigration, qu’ils soient de le première ou de la deuxième génération. Ils réalisent des films largement inspirés de leur propre expérience (Medhi Charef, Mahmoud Zemmouri, Merzak Allaouache dans un premier temps, Karem Dridi, Malik Chibane, Adellatif Kechiche, Yamina Benguigui, Bourelm Guerdjou, Rabah Mauer-Zaïbeche ou Chad Chenouga plus récemment…). On peut rajouter à cette liste non exhaustive des cinéastes comme Christohpe Ruggia (Le Gone du Chaâba) ou Philippe Faucon (Samia), qui se sont inspirés de l’histoire d’immigrés de la deuxième génération pour écrire leurs scénarios (le roman autobiographique d’Azouz Begag pour le premier, et le récit de Soraya Nini « Ils disent que suis une beurette »).
Ainsi, Medhi Charef, qui réalise Le thé au harem d’Archimède en 1984, est arrivé en France très jeune et a vécu de longues années dans les cités de Nanterre et de Gennevilliers, qu’il évoque dans son film. Malik Chibane dans Hexagone (1992) décrit l’ambiance qu’il a bien connu dans son adolescence à Goussainville, dans une banlieue proche de Paris. Dans Wesh Wesh, Rabah Ameur-Zaïmeche s’est clairement inspiré de la vie dans la cité des Bosquets à Montfermeil où il a grandi (il a d’ailleurs impliqué sa famille et ses copains dans le tournage…). La plupart de ces cinéastes ont eu du mal à monter leurs projets car leurs sujets rebutaient les producteurs. Medhi Charef a longtemps travaillé en usine avant d’écrire son histoire et de la porter à l’écran (il a été fortement encouragé par Costa-Gavras et sa femme, productrice du film). Mahmoud Zemmouri, qui fait des études de cinéma, doit attendre plusieurs années avant de tourner son premier long-métrage. Malik Chibane patiente six ans avant de réaliser Hexagone (le film est interprété par des acteurs non professionnels et le CNC lui a refusé l’avance sur recettes).
Ces films ont d’abord le souci de rendre compte de la vie quotidienne des immigrés, telle qu’on la voyait peu dans le cinéma français jusque là . Un critique écrit à propos de Douce France, le film de Malik Chibane, « les personnages se révèlent le mieux au moment où ils ne font rien qui soit en rapport avec l’intrigue, dans leurs gestes les plus anodins, les moments « vides » de leur existence ». Dans Hexagone déjà, Chibane excelle à évoquer ces « petits riens » du vécu des immigrés, mal connu du public français. Il se livre à une explication très pédagogique de la fête du Mouton (même idée dans Le Gone du Chaâba, inspiré par le roman Azouz Begag, quand Christophe Ruggia évoque la circoncision du jeune héros). La plupart de ces réalisateurs ne manquent pas de rappeler quelques dures réalités à propos du sort des immigrés en France depuis les années 1960. Plusieurs de ces films évoquent bien la difficile intégration des premiers immigrés algériens venus à la fin des Trente Glorieuses (Vivre au Paradis se déroule dans le bidonville de Nanterre et fait allusion à la répression de la célèbre manifestation du 17 octobre 1961 à Paris : Inch Allah Dimanche raconte les difficultés qu’éprouve Zouina, tout juste débarquée d’Algérie, et qui vient rejoindre son mari avec ses deux enfants dans une petite ville de Picardie. Plus récemment, Rabah Ameur-Zaïbeche évoque dans Wesh Wesh le problème de la double peine (le héros de son film est condamné à cinq ans de prison et à l’expulsion vers l’Algérie). Cette difficulté à vivre et parfois à survivre est aussi présente dans les deux films d’Abdellatif Kechiche. Dans La Faute à Voltaire, le personnage principal , Jallel, est toujours vulnérable. Le film « s’ouvre et se ferme sur la stricte brutalité du réel telle que peut l’éprouver un émigré maghrébin le jour de son arrivée sur le territoire français puis lors de l’expiration de son autorisation de séjour » (Jacques Mandelbaum, Le Monde). Même dans L’esquive, qui semble souvent se situer « ailleurs », une séquence rappelle brutalement la réalité de la vie : Lydia et ses amis sont interpellés sans ménagement par une patrouille de policiers… Ces cinéastes se défendent d’en rajouter. Medhi Chraef explique à propos du Thé au harem : « je n’ai pas voulu faire un drame social et misérabiliste, j’ai préféré une chronique allègre plutôt qu’un film accusateur conçu pour choquer le spectateur (…) Les immigrés, quand ils rentrent chez eux, ce n’est pas pour comploter contre les Français. Ils vivent comme tout le monde ». Cette idée est reprise par Karem Dridi, quand il parle de son film Bye Bye : « j’ai voulu décrire une famille arabe en allant plus loin que la sympathie, pour que n’importe quel spectateur puisse s’identifier à cette famille ».
Ces réalisateurs évoquent aussi les solidarités inter-ethniques qui existent dans les cités : souvent, le héros maghrébin est flanqué d’un alter-ego « 100% français ». Le personnage principal de Thé au harem, Madjid, est inséparable de Pat, jeune Français d’origine modeste. Dans Bye Bye, Ismael fraternise avec Jacky, son collègue de travail, Moussa et Jean-Luc sont associés dans Douce France. Dans le premier film de Kechiche, Jallel qui débarque dans un foyer pour hommes, est vite adopté par une bande de paumés chaleureux et solidaires. Michel Cadé peut ainsi écrire « qu’au cinéma, du moins, la banlieue est facteur d’intégration (…) C’est dans la délinquance partagée avec les Français de souche que l’immigré s’agrège à la communauté qui le reçoit ». Et en tout cas à l’écran, les couples « mixtes » ne sont pas rares… Sans doute, ce cinéma est-il un peu trop optimiste quand il décrit une intégration en marche. Reste que les enquêtes de certains historiens ou démographes comme Emmanuel Todd ou Michèle Tribalat ont tendance à conforter l’image d’une communauté immigrée plus ouverte qu’on le suppose souvent (en tout cas, cette vision s’oppose clairement à celle des cinéastes afro-américains, comme Spike Lee, qui concluent pour les États-Unis à l’impossibilité irréductible du melting pot).
La plupart des films tournés par ces cinéastes présente aussi des modèles familiaux à la dérive. Les personnages féminins et en particulier les mères sont valorisés alors que la démission des pères est souvent évoquée (ceux qu’on appelle les souffri, parce qu’ils n’arrêtent pas de répéter « qu’ils ont beaucoup souffert »…). Malika, dans Le Thé au harem est presque une sainte : dévouée, travailleuse, généreuse… Le père de Madjid est presque inexistant, gravement diminué par un accident du travail. Dans le film de Karem Dridi, Bye Bye, la tante d’Ismaël porte la famille à bout de bras : elle fait travailler ses filles et fume en cachette pour faire semblant de respecter la tradition religieuse…. D’ailleurs, en général, les hommes mûrs ont rarement le beau rôle. Dans Bye Bye, l’oncle tente de faire preuve d’autorité et le père d’Ismaël et de Mouloud n’est qu’une voix lointaine qui sermonne en vain ses fils par téléphone. La figure maternelle, très présente, est même parfois envahissante. Dans Le Thé à la menthe, Hamoud, petit frimeur de Belleville est bien embarrassé quand sa mère débarque du bled pour le remettre dans le droit chemin.
Mais ces figures féminines ont aussi évolué depuis les années 1980. Abbas Fahdel écrivait en 1990 à propos des premiers films de réalisateurs issus de l’immigration : « une pudeur, typiquement arabe, semble empêcher ces cinéastes d’évoquer la femme autrement que sous les traits de la mère (…) Le cinéma beur n’a pas encore donné à la question de l’émancipation de la femme immigrée la place qu’elle mérite ». De fait, il semble bien qu’il ait été entendu par les metteurs en scène qui ont travaillé depuis cette époque. Ainsi, dans les films qui se déroulent dans les années 1960-1970 (Vivre au Paradis, Inch Allah Dimanche), les réalisateurs montrent bien la situation en porte à faux de ces femmes arabes, coincées entre tradition et désir d’émancipation (Nora dans le premier et Zouina dans le second). Face au désarroi de leurs femmes, leurs époux se réfugient souvent dans le mutisme ou la violence domestique. Dans un film plus récent comme Samia, c’est le grand frère Yacine qui reprend à son compte l’autorité masculine sur sa mère et ses sœurs. Et il le fait avec d’autant plus de hargne qu’il est lui-même constamment humilié et rejeté par la société française. Dans les films les plus récents, ce sont bien les jeunes filles maghrébines qui « font bouger les choses » : dans les couples, ce sont souvent elles qui font les premiers pas et mettent les hommes devant leurs responsabilités (Nacera dans Hexagone, Yasmine dans Bye Bye, Samia ). Elles sont les plus intéressées à s’émanciper des traditions alors que les garçons sont souvent empêtrés dans leurs contradictions (ils ne sont pas sûrs de vouloir assumer le rôle que leur assigne leur « culture » mais ils n’en refusent pas toujours les avantages…). Certains d’entre eux comptent d’ailleurs sur leurs compagnes pour s’en sortir (Slimane conclut à la fin d’Hexagone, reprenant la phrase du poète : « la femme est l’avenir de l’homme »). Sur ce plan, L’esquive est comme un modèle : ce sont les filles, Lydia, Frida, Nanou qui mènent le bal, s’affirment, s’emportent… Krimo s’enferme dans ses inhibitions : son ami Fathi tente d’assumer, avec quelle maladresse, le rôle de l’homme qui rétablit de l’ordre dans tout ce mic-mac sentimental mais ses initiatives sont vaines… Isabelle Reigner dans Le Monde relève : « ce film, peuplé de filles solaires qui marchent comme John Wayne, se réunissent sur un banc comme un gang en conseil de guerre, pourrait être vu comme un manifeste féministe ». Certes, cette émancipation supposée des jeunes filles issues de l’immigration peut sembler irréaliste à certains, au vu de certaines évolutions récentes dans les banlieues. Reste qu’on retrouve bien dans ces films, les idées défendues par des organisations comme « Ni putes ni soumises ». Au bout du compte, on sent bien que les structures familiales de ces communautés ont été mises à rude épreuve au contact de la société française, qui fascine et rejette à la fois. En tout cas, le retour au pays est rarement envisagé sérieusement (voir les réactions de Mouloud dans Bye Bye quand son père lui intime l’ordre de revenir au bled) et la France a toujours le même pouvoir d’attraction pour ceux qui vivent de l’autre côté de la Méditerranée : Saïd, le héros de Bab El Oued City, le film de Merzak Allouache, ne rêve que de s’embarquer pour Marseille.
Certes, le cinéma « vu de l’intérieur » a aussi ses limites : il est souvent difficile de réussir en même temps l’évocation convaincante du milieu immigré et une fiction bien ficelée qui fasse vivre des personnages et qui ne se réduise pas à un documentaire sociologique. Medhi Charef s’est vu reprocher une certaine ambiguïté à propos du Thé au harem : « cette hésitation entre deux registres (réalité/romanesque) est le défaut le plus grave du film : on ne veut pas parler de racisme mais il est présent à chaque plan. A force de ne pas choisir entre la prédominance des souvenirs, l’aspect vécu, le message politique, Medhi Charef avec les meilleures intentions du monde, réussit à faire un film qui met le spectateur mal à l’aise parce qu’on ne sait pas exactement sur on quoi on joue » (Jacqueline Nacache). De même, certains critiques ont estimé que Chibane avait raté son deuxième film Douce France : ils lui reprochent le « décalage entre le sujet choisi (la vie d’immigrés de plusieurs générations) et son traitement irréaliste. Contre toute attente, la banlieue devient le cadre d’un conte de fées qui n’arriverait jamais à s’imposer». On peut d’ailleurs remarquer que ces cinéastes éprouvent des difficultés à sortir de la veine autobiographique (Medhi Charef francise son personnage de Miss Mona, prostitué et travesti, alors que le modèle était l’un de ses amis arabes : le rôle est interprété par Jean Carmet). On peut aussi estimer que ces cinéastes ne se sont pas encore attaqués à certains sujets sensibles, comme la montée de l’intégrisme (et en particulier la situation faite aux femmes), l’antisémitisme qui renaîtrait dans certains milieux. Bref une certaine timidité quand il s’agit d’aborder des problèmes qui font aujourd’hui débat. Mais il est sans doute malvenu de de faire la leçon à ces jeunes réalisateurs alors que le cinéma français a pris tant de temps à s’intéresser « au passé qui ne passe pas » (outre Vichy, on pourrait d’ailleurs évoquer la façon dont les cinéastes ont parlé de la guerre d’Algérie dans notre pays).
D’autant que certains de ces films récents ont réussi justement à être autre chose que du «ciné-beur». Comme l’écrivait encore Abbas Fahdel il y a une dizaine d’années, «l’idéal serait un cinéma qui ne renvoie pas les beurs à leur différence mais qui les montre en tant qu’individus et non pas en tant que communauté». Et il semble bien que ce pari soit en passe d’être tenu. Bye Bye par exemple est salué par la critique comme une réussite : le film de Karem Dridi réussit à conjuguer plusieurs registres, « commencé comme une chronique réaliste et quotidienne, le film est traversé par un souffle romanesque de plus en plus insistant » (Stéphane Bouquet). Beaucoup ont aussi apprécié les qualités du précédent film de Kechiche, La Faute à Voltaire, qui réussit à faire du rôle interprété par Sami Bouajila un vrai personnage, complexe et qui évolue. Selon Jacques Mandelbaum, le réalisateur a fait du clandestin Jallel, « un héros de plein droit en territoire cinématographique français». Quant à L’esquive, Kechiche explique bien ce qu’il a voulu faire : « j’essaie de regarder les individus au delà de leur sexe, de leur race ». Et pour lui, le moyen privilégié est cette langue si particulière qui «démystifie d’une certaine manière les idées de race, de condition sociale, de sexe, de rapport de force de tout genre». On n’est bien sûr pas obligé d’être entièrement d’accord avec les déclarations du cinéaste : reste qu’en sortant du film, et sans en oublier certains enjeux sociaux ou politiques, on est bien persuadé d’avoir assisté à une comédie, quelque soit l’origine de ses interprètes. En cela, on peut penser que l’immigré est en train de trouver sa place dans le cinéma français : ni stéréotype négatif, ni figure emblématique, il est devenu un personnage à part entière (il est d’ailleurs encourageant de constater que des acteurs maghrébins comme Roschdy Zem ou Sami Bouajila, se voient enfin proposer des rôles qui les changent de leurs personnages stéréotypés d’ « arabes de cinéma »…).

   Ainsi, depuis les années 1980, le cinéma français s’est à nouveau intéressé au personnage de l’immigré, et en particulier de l’Arabe. Sa représentation un moment a été ambiguë, car il était souvent associé à la délinquance. Mais les jeunes cinéastes en particulier ceux d’origine maghrébine, ont apporté une vision plus exacte et nuancée des communautés immigrées. Les personnages de leurs films sont plus étoffés, leurs descriptions de la vie quotidienne souvent très réussies. Alors que les réalisateurs américains et italiens par exemple avaient déjà abordé ce thème, le cinéma français est en train de combler son retard. Des cinéastes xénophobes des années 1930 aux réalisateurs immigrés de la deuxième génération, on peut mesurer le chemin parcouru et saluer la vitalité de ce cinéma (cf filmographie en annexe). En ces temps d’intolérance, les films de Dridi, Chibane, Kechiche et quelques autres ont des vertus pédagogiques que les productions d’avant guerre n’avaient sûrement pas…

 

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE :
Les années trente
Le grand Jeu, Jacques Feyder, 1934, 120 mn
avec Pierre-Richard Wilms, Marie Bell, Françoise Rosay, Charles Vanel
La Bandera, Julien Duvivier , 1935, 100 mn
avec Jean Gabin, Robert Le Vigan, Annabella
Pépé le Moko, Julien Duvivier, 1937, 93 mn
avec Jean Gabin, Mireille Balin…

L’antiracisme des années 1970
Élise ou la vraie vie, Michel Drach, 1969, 104 mn
avec Marie-José Nat, Mohamed Chouikh
Dupont Lajoie, Yves Boisset, 1974, 99 mn
avec Jean Carmet, Isabelle Huppert…
L’œil au beurre noir, Serge Meynard, 1987, 90 mn
avec Samïn, Pascal Legitimus, Julie Jezéquel

Le cinéma des réalisateurs issus de l’immigration
Prends 10 000 balles et casse-toi, Mahmoud Zemmouri, 1981, 90 mn
avec Fawzi, Yves Neff
Le Thé au harem d’Archimède, Medhi Charef, 1984, 110 mn
avec Kader Boukhanef, Remi Martin
Bâton rouge, Rachid Bouchared, 1985, 90 mn
avec Jacques Penot, Pierre-Loup Rajot
Hexagone, Malik Chibane, 1993, 85 mn
avec Jalil Naciri, Farid Abdedou
Bye-Bye, Karem Dridi, 1995, 105 mn
avec Sami Bouajila, Philippe Ambrosini
Raï, Thomas Gilou, 1994, 89 mn
avec Tabtah Cash, Samy Naceri
Douce France, Malik Chibane, 1995, 100 mn
avec Hakim Saheaoui, Fréderic Diefenthal
Salut Cousin, Merzak Allouache, 1996, 98 mn
avec Gad Elmaleh, Mess Hattou
Le Gone du Chaâba, Christophe Ruggia, 1998, 96 mn
avec Bouzid Negnoug, Mohamed Fellag
Vivre au paradis, Bourlem Guerdjou, 1999, 95 mn
avec Roschdi Zem, Fadila Belkebla
La faute à Voltaire, Abedllatif Kechiche, 2001, 130 mn
avec Sami Bouajila, Aure Atika, Elodie Bouchez, Brunot Lochet
Inch Allah Dimanche, Yasmine Benguigui, 2001, 108 mn
avec Fejria Deliba, Zinedine Soualem
Samia, Philippe Faucon, 2001, 73 mn
avec Lynda Benahouda, Mohamed Chaouch
17 rue Bleue, Chad Chenouga, 2001, 95 mn
avec Lysiane Meis, Abdel Halis
Wesh Wesh, Rabah Ameur-Zaïmeche, 2002
avec Rabah Ameur-Zaïmeche

Bibliographie :
-Cinémas de l’émigration 3, dossier réuni par Christian Bosseno, Cinémaction n°24, 1983
Cinémas métis, de Hollywood aux films beurs, Cinémaction n°56, 1990
La marginalité à l’écran, Cinémaction n°91, 1999
-6° festival international du film d’Histoire de Pessac : Les émigrants, 1995
L’immigration et l’opinion en France sous la V° république, Yvan Gastaut, Seuil, 2000

Dossiers pédagogiques
Bye-Bye (dossier Les Grignoux)
Bye-Bye (dossier RCA)
Le Gone du Chaâba (dossier Les Grignoux)
-Le Gone du Chaâba (dossier RCA)
-Salut Cousin (dossier Les Grignoux)
-Salut Cousin (Avant scène n° 457)

Images présidentielles dans le cinéma américain

Images présidentielles dans le cinéma américain

(cet article a été rédigé pour le dossier du film Des hommes d’influence)

    Même si la politique n’est pas un sujet évident pour le cinéma de distraction produit par les studios d’Hollywood, elle est quand même présente dans la production cinématographique américaine ,et ce depuis ses débuts. On peut déjà considérer, comme beaucoup d’auteurs, que « tout est politique », que la vision du monde proposée par les films américains les plus innocents apparemment, ne l’est justement pas. Comme l’écrit Anne Marie Bidaud dans son livre Hollywood et le rêve américain, « le cinéma ne peut se développer contre la société qui le produit: en tant qu’industrie commanditée par les plus grands groupes financiers américains, il ne peut également qu’être solidaire de leurs intérêts, économique et idéologique ». Mais, le cinéma américain a aussi souvent représenté le système politique et social des États-Unis, soit comme sujet principal soit comme toile de fond à une fiction : à toutes les époques, il s’est trouvé des réalisateurs , de Capra à Stone, que « la vie de la cité  » ne laissait pas indifférents…

   Dans cette optique, il est intéressant d’étudier l’évolution de l’image du Président dans le cinéma américain. A priori, on peut penser que sa représentation est importante et en quelque sorte « verrouillée » : le chef de l’exécutif est une figure incontournable du système politique américain et il joue à plusieurs reprises dans l’histoire américaine le rôle du «  père de la nation ». La liste des présidents qui se sont succédé à la tête du pays ne manque pas de personnalités fortes, de George Washington et Abraham Lincoln à Roosevelt et Kennedy, sans même parler des figures plus ambiguës ou dramatiques comme Grant, Théodore Roosevelt, Nixon et Clinton…En d’autres termes, de quoi alimenter l’inspiration défaillante des scénaristes, en quête de personnages.
Dans le film Des hommes d’influence, le Président est plus une silhouette qu’un personnage réellement incarné. Il est surtout visible aux journaux télévisés ou en contact téléphonique avec ses conseillers politiques. Mais c’est justement cette discrétion qui a un sens, dans la mesure où le film s’intéresse surtout à l’entourage du chef de l’État : le Président lui-même est à la limite aux mains de ses conseillers. Ce relatif désintérêt pour le premier personnage de l’État a un sens : il traduit bien la crise de l’image présidentielle dans le cinéma américain d’aujourd’hui…

Des débuts timides
Dans l’entre deux guerres, les figures présidentielles sont plutôt rares dans le cinéma américain…Cette relative discrétion est d’autant plus étonnante que les studios d’Hollywood tournent alors beaucoup de biographies épiques (biopics), racontant les « success stories » de grands personnages de l’Histoire (la Warner s’en est presque fait une spécialité…). Quelques exceptions existent cependant : John Ford s’attache dans Vers sa Destinée- Young Mister Lincoln- (1939) à raconter les premiers pas du futur président, encore jeune avocat, au moment où se forgent sa personnalité et ses convictions… En fait, le célèbre réalisateur semble surtout intéressé par l’aspect édifiant de l’apprentissage du jeune Lincoln, en racontant comme ce jeune campagnard (interprété par Henri Fonda) s’élève de « sa cabane à la Maison Blanche » (from the cabin to the White House)…Dans la production d’alors, on retrouve aussi certains personnages qui sont des avatars plus ou moins lointains de Franklin Delano Roosevelt : ainsi, dans le curieux Gabriel à la Maison Blanche (George LaCava, 1932), le ton et la prestance du Président (Walter Huston) évoquent la figure du chef démocrate (sans parler de son programme de lutte contre le chômage et de redressement de l’État). Dans Les Raisins de la colère (John Ford, 1940), l’image rassurante du chef du camp gouvernemental où échoue la famille Joad n’est pas sans rappeler la physionomie du Président de l’époque (il a les traits d’un homme d’âge mûr, les cheveux blancs, et de fines lunettes…). Cette représentation plutôt timide est peut-être due à la prudence des producteurs : la stature des Présidents les plus glorieux est trop imposante et a pu décourager les cinéastes (l’hommage à la statue de Lincoln à Washington est une séquence récurrente des films de Capra…). L’action politique de certains d’entre eux prête à polémique et il est inutile de heurter la sensibilité des futurs spectateurs…

L’époque de tous les dangers
Après guerre, les choses se compliquent, d’autant qu’en 1963, est assassiné Kennedy, image même du Président « qui ressemble à une vedette de cinéma »…L’image est en quelque sorte brouillée alors que la fonction est devenue plus difficile en ces temps de Guerre froide…Dans Point limite (Sidney Lumet, 1964), Henri Fonda négocie durement avec l’URSS et doit même consentir à « atomiser » New York, pour compenser une attaque nucléaire fortuite contre le rival soviétique…L’exercice du pouvoir est bien lourd à porter. Sur le même thème, Peter Sellers dans Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1963) a un air pincé d’intellectuel bureaucrate : l’acteur britannique, qui joue deux autres rôles dans le même film, s’est fait une tête de petit chauve à lunettes, qui « feint la maîtrise de l’affolement ». En fait, il est complètement dépassé par les événements (un général d’extrême-droite lance une attaque surprise contre l’Union soviétique) : il est impuissant face aux manœuvres du complexe militaro-industriel dénoncé en son temps par Eisenhower (le représentant de ce milieu belliciste est incarné par George C. Scott). Dans Sept jours en mai de John Frankenheimer (1964), le Président interprété par Frederic March accuse bien son âge : il est peu aimé, très impliqué dans le sérail politicien de Washington. Mais il doit faire face à un complot d’extrême-droite, mené par un actif général hostile à la Détente (Burt Lancaster). Comme l’aurait dit Churchill, la démocratie reste le pire régime politique, à l’exception de tous les autres…

Le Président face au cinéma engagé
La période suivante est marquée par l’engagement de certains réalisateurs américains : la guerre du Vietnam et le Watergate sont passés par là et les cinéastes sont plus politisés . La dénonciation des abus du pouvoir, et en particulier de la Présidence, est claire : Sidney Pollack dans Les trois jours du Condor (1971), Alan Pakula dans Les Hommes du président (1973), Robert Altman dans Secret Honor (1984). Il faut y ajouter la plupart des films d’Oliver Stone qui traitent souvent de sujets politiques et en particulier ceux sur Kennedy (JFK en 1992) et sur Nixon (Nixon en 1995). Les Présidents sont critiqués par la gauche américaine comme faisant partie d’un système oppressif…Oliver Stone a poussé loin cette conception paranoïaque de l’Histoire : sa thèse des multiples complots qui aboutissent à l’assassinat de Kennedy donne le vertige. Paradoxalement, le cinéaste est plus à l’aise pour évoquer les ambiguïtés du personnage de Nixon, interprété par Anthony Hopkins. Comme l’écrit alors le Monde, « il ne peut dissimuler la compréhension et la compassion que lui inspire cet homme peu à peu abandonné, brisé par un enchaînement funeste d’évènements ».. Mais sa vision de l’Histoire, que le réalisateur lui- même qualifie de « spéculation informée », lui a été vivement reprochée par certains historiens…

Une image de plus en plus brouillée
Dans les années 1990, J-M Frodon remarque que les apparitions du personnage se multiplient dans la production hollywoodienne, comme si il pouvait s’intégrer à nouveau dans les codes narratifs à la mode. On peut ainsi citer dans des genres variés, de la comédie au film de science-fiction : Le Président et miss Wade (Rob Reiner, 1995), Mars attaque (Tim Burton, 1996), Los Angeles 2013 (J. Carpenter, 1996), Independance Day (R. Emmerich, 1996), Les pleins pouvoirs (C. Eastwood, 1996), Meurtre à la Maison Blanche ( D.H Little, 1997), Air Force One (W. Petersen, 1997), , The Second Civil War (Joe Dante, 1997) et bien sûr Couleurs primaires (M. Nichols, 1998)….
Déjà les techniques audiovisuelles permettent maintenant d’intégrer de véritables images d’archives dans les films de fiction : le plus célèbre d’entre eux est Forrest Gump (R. Zemeckis, 1993), dans lequel Tom Hanks croise quelques personnalités de premier plan de l’histoire américaine…
Surtout, ces films retrouvent des thématiques passées. Plus que jamais , le Président dirige la seule superpuissance mondiale (alors que l’URSS a disparu de la scène internationale) et donc la seule capable de défendre la planète des « aliens » de tout poil (les terroristes dans Air Force One, les extraterrestres dans Mars attaque ou Independance Day, même les bestioles des Hommes en noir…). Le personnage est alors incarné par un acteur solide et viril, à la figure énergique (Harrison Ford dans Air Force One).

Les Présidents sur la sellette
Mais comme le remarque Frodon, la tendance puritaine apparue dans les années 1980 traque aussi l’ennemi à l’intérieur des âmes  : le mal ne vient pas seulement des autres mais aussi de nous-mêmes et de notre conduite dépravée… Ces idées, défendues par exemple par la Nouvelle Droite américaine, connaissent leur apogée pendant les mandats de l’acteur-Président Reagan : une vague de rectitude morale balaie la scène politique aux Etats-Unis, exigeant des dirigeants une conduite irréprochable…Les affaires de cœur de Clinton ont contribué à renforcer le scepticisme à l’égard de la conduite morale des hommes qui dirigent l’Etat. Le Président est de moins en moins un « intouchable ». Le critique du Monde s’est amusé à relever les traits de caractère prêtés aux Présidents dans plusieurs films de fiction récents : le chef de l’exécutif apparaît corrompu et malhonnête dans Los Angeles 2013, narcissique dans The Second Civil War, faible dans Meurtre à la Maison Blanche, idiot dans Mars attaque, concupiscent et meurtrier dans Les pleins pouvoirs, tel qu’en lui même dans Couleurs primaires…Les acteurs qui incarnent ces personnages présidentiels ont des profils correspondant à cette image pour le moins troublée : ce sont des hommes imposants, forts mais avec aussi des aspects inquiétants et ambigus (Gene Hackman dans Les pleins pouvoirs, Jack Nicholson dans Mars attaque, John Travolta dans Couleurs primaires). Ainsi, la fonction n’est pas remise en cause. Par contre, les faiblesses trop humaines de ces Présidents sont largement évoquées, comme si la société américaine commençait à prendre conscience des limites du mythe présidentiel. De ce point de vue, Des hommes d’influence est un aboutissement : le Président apparaît comme une marionnette aux mains de ses conseillers politiques…Il n’est sans doute pas indifférent qu’aux élections présidentielles américaines, l’abstention atteigne 50% des inscrits, même pour élire le chef suprême…

 

Le cinéma britannique et les immigrés d’Asie

Le cinéma britannique et les immigrés d’Asie

(cet article a tété rédigé pour le dossier du film Fish and Chips)

    Depuis la fin des années 1980 surtout, le cinéma anglais se distingue par sa sensibilité particulière aux milieux populaires. Souvent avec humour, il se fait l’écho de leurs problèmes, notamment après une décennie de thatcherisme…La plupart des films de Ken Loach (Riff-Raff, Raining stones, Ladybird, My Name is Joe…), certaines œuvres de Stephen Frears (The Snapper, The Van), de Terence Davies (Distant Voices, Long Day Close) et de Mike Leigh (Naked), les succès plus récents de Mark Hermann (Les virtuoses) et de Peter Cattaneo (The Full Monty) témoignent de la vitalité de cette inspiration sociale du cinéma britannique…A propos des immigrés, pauvres parmi les pauvres, la filmographie est limitée au cours des années 1970 (on peut quand même citer le film de Jerzy Skolimowski, Travail au noir, réalisé en 1982 : il raconte l’histoire de Polonais clandestins qui viennent aménager un appartement en Angleterre, alors que le général Jaruleswki procède à un coup d’état « légal » dans leur propre pays…).

Un cinéma autobiographique
Par contre, au cours des années 1980, de nombreux films abordent le thème de l’immigration et notamment celle venue du sous-continent indien (la communauté africaine et antillaise est peu présente à l’écran…). L’association du cinéaste Stephen Frears et du scénariste Hanif Kureishi donne naissance à deux œuvres importantes (My Beautiful Laundrette en 1985, Sammy and Rosie Get Laid en 1987). En 1993, est réalisé Bhaji on the Beach par Gurinder Chadha : Uduyan Prasad met en scène Brothers in Trouble (1996) et My Son The Fanatic (1998). Sans oublier Fish and Chips de Damien O’Donnell, d’après la pièce d’Ayub Khan-Din. On aura remarqué la présence importante de réalisateurs et scénaristes eux-mêmes issus de l’immigration, qui donne à l’ensemble de ces films une dimension particulière. Beaucoup de ces histoires ont été vécues de l’intérieur (plusieurs scénarios sont autobiographiques) et sont souvent racontées avec un sens certain de l’autodérision.
D’abord, tous ces films évoquent la dure condition de ces immigrés souvent clandestins, vivant dans des conditions misérables et exploités sans vergogne par le patronat britannique, en butte à un racisme parfois virulent. En particulier, Brothers in Trouble décrit bien la misère sociale, affective, sexuelle des travailleurs pakis soumis au bon vouloir des « parrains » de la communauté. Pour les faire venir en Angleterre, les loger dans des habitations insalubres, ces profiteurs extorquent de fortes sommes aux clandestins sans recours. Les employeurs anglais savent aussi jouer de leur statut précaire pour leur accorder des salaires dérisoires et des travaux pénibles (dans le film, ils sont employés dans une usine textile tout droit sortie du XIX° siècle…).

Des traditions dénoncées
Un des thèmes récurrents de cette filmographie est le poids des traditions (et en particulier de la religion islamique) sur les membres de la communauté exilée. Les femmes sont présentées comme des victimes du système patriarcal. Dans plusieurs films, est évoqué le problème des mariages arrangés par les parents ou les oncles… Dans Brothers in Trouble, le personnage incarné par Om Puri veut obliger sa compagne anglaise à épouser son neveu : le petit groupe de femmes dans Bhaji on the Beach ne parle que de cela…Quant aux fils Kahn (Fish and Chips), leur sort matrimonial a été soigneusement réglé par leur père George. Pour certains immigrés, cette endogamie est un réflexe de légitime défense face au racisme de la société britannique, autre thème souvent abordé dans ces films.. Dans My Beautiful Laundrette, Zaki, un des immigrés pakistanais, constate : « comment voulez-vous que l’Angleterre raciste nous donne la moindre chance de faire quoi que ce soit, si on ne lui arrache pas de force ? ». Et une femme d’ajouter : « comment pourrait-on se croire chez soi sur cette petite île ridicule au large de l’Europe ? ».

Fascinante Angleterre
Cela dit, l’Angleterre fascine quand même ces immigrés venus de si loin pour échapper à leur misère.. Le héros de Brothers in Trouble, arrivé clandestin et misérable, finit par faire venir sa famille et devient postier de sa gracieuse Majesté…Hashida dans Bhaji on the Beach entreprend des études supérieures et fait la fierté de ses parents. Comme le dit le père d’Omar dans My Beautiful Laundrette, « l’homme blanc nous assiège. Pour nous autres, l’éducation, c’est le pouvoir ». Dans le même film, Nasser résume bien le sentiment ambivalent des immigrés face à leur pays d’accueil : « dans ce fichu pays que nous détestons et nous aimons, on peut avoir tout ce qu’on veut. Tout est là, à portée de main. Voilà pourquoi je crois à l’Angleterre. Il suffit de savoir presser les mamelles du système ». Un credo presque thatcherien à la gloire du libéralisme anglais qui leur donne enfin leur chance, alors que le règne de la Dame de Fer n’a pas été de tout repos pour les immigrés…On est aussi frappé du nombre de personnages pakistanais qui « s’affichent » avec une épouse ou une compagne d’origine britannique : Nasser et Rachel dans My Beautiful Laundrette, Rafi et Alice dans Sammy, Parvez et Bettina dans My Son the Fanatic et bien sûr George et Ella dans Fish and Chips…Comme si la première conquête de l’homme immigré était la femme anglaise et que l’intégration passait par le métissage…
Cet distance prise face aux traditions est encore plus nette pour la seconde génération qui ne peut plus supporter les pesanteurs de son milieu d’origine. Dans My Beautiful Laundrette, Omar se voit accusé par son père de singer les Britanniques (il vit en couple avec Johnny, ancien punk raciste…) : « on nous hait en Angleterre, et toi, tu passes ton temps à leur lécher le cul, à te prendre pour un vrai petit British ! ». La fille de Nasser dans le même film préfère quitter sa famille plutôt que de suivre la voie qu’on lui a tracée. Hashida dans Bhaji on the Beach finit elle-aussi par s’émanciper de la tutelle de son milieu, malgré l’opprobre des femmes plus âgées de la communauté (même si une des femmes du groupe n’est pas insensible à la campagne de séduction d’Oliver, charmant quinquagénaire anglais). Grinder fuit le domicile conjugal pour échapper aux violences de son époux. La structure familiale traditionnelle apparaît sérieusement remise en cause dans la plupart de ces films.

Le parcours exemplaire d’Hanif Kureishi
La représentation de l’immigré pakistanais dans le cinéma anglais doit beaucoup à l’œuvre d’Hanif Kureishi. C’est un romancier à succès (en particulier Le bouddha de banlieue écrit en 1990 puis adapté à la télévision) et le scénariste de trois films importants (My Beautiful Laundrette, Sammy…, My Son the Fanatic). Son travail est largement autobiographique : son père est attaché d’ambassade et pakistanais, sa mère anglaise et ouvrière…Il affirme avoir beaucoup souffert du racisme pendant sa jeunesse (un de ses professeurs ne l’appelle que « le Pakistanais ») et il est alors très attiré par les mouvements noirs les plus extrémistes (Black Panthers, Black Muslims…). Mais leur racisme anti-blanc virulent le choque, alors qu’il est issu d’un couple mixte et que son meilleur ami est un jeune Anglais devenu skin (le modèle de Johnny dans My Beautiful Laundrette). Sa vision de l’immigration est plus nuancée et plus originale…
Après un séjour au Pakistan, il revient troublé par l’intolérance qui y règne, déçu par « les innombrables monologues médiévaux infligés par les mollahs ». Un ami de ses oncles l’avertit : « la religion est en train de sodomiser ce pays. Elle commence à nous empêcher de gagner de l’argent. Nous voilà entraînés par cette dynamique de régression (…) Le Pakistan est devenu l’un des principaux pays à fuir d’urgence…Et cette tirade se retrouve telle quelle dans le scénario de My Beautiful Laundrette…Cette génération des quinquagénaires, selon Kureishi, est en porte à faux : d’une part, elle se sent investie d’une mission émancipatrice, comme Ali Bhutto qui a fait ses études à Oxford et qui se voit bien en « président Mao du sous-continent indien ». Le scénariste anglo-pakistanais s’en est sans doute inspiré pour créer le personnage de Rafi dans Sammy…Quand il est agressé par sa bru Rosie, celui-ci rétorque : « c’est notre gouvernement qui a réveillé les foules opprimées et chassé les impérialistes occidentaux… ». Mais d’autre part, ces Pakistanais d’âge mûr sont très proches, par leurs études et leurs modes de vie, des élites britanniques, qu’ils jalousent et qu’ils imitent…Cette génération est surnommée la génération cocktail, sans doute pour son goût prononcé pour les alcools britanniques…Ses maîtres à penser sont Shaw et Russell.
Hanif Kureishi souligne aussi le désarroi de la seconde génération, à laquelle il appartient et qui s’est vite laissée séduire par les charmes du swinging London . Dans Sammy, Rafi apostrophe son fils : « vous les jeunes cosmopolites, vous me stupéfiez. Pour vous, le monde de la culture est une sorte de gigantesque grand magasin. Vous entrez et vous prenez ce qui vous intéresse. Mais vous ne vous attachez à rien. Votre vie est incohérente, superficielle ». Il est d’ailleurs très déconcerté par les relations assez libres entre Sammy et Rosie. Le romancier et scénariste met aussi en garde contre la tentation islamiste, qui guette les jeunes immigrés pakis qui sont rejetés par la société britannique : « les fils d’immigrés ont du mal à faire le joint entre les traditions du pays de leurs pères et le monde libéral, moderne. Alors, ils se réfugient dans une certaine étroitesse d’esprit. Pour les Indo-Pakistanais, il s’agissait de trouver une place dans la société. Maintenant, ils cherchent davantage à affirmer une identité (Hanif Kureishi à propos du scénario de My Son The Fanatic). Comme ceux de sa génération, Kureishi se méfie d’une image trop idyllique de l’Angleterre . Certes, il y est attaché un peu à la manière de George Orwell (« les puddings à la graisse de rognons et les piliers rouges des boites aux lettres ont pénétré mon âme »). Mais, il reste lucide : « il s’agirait de voir si ces clichés à propos de tolérance recouvrent la moindre réalité »…

   Aussi, l’image des immigrés en particulier asiatiques est bien présente dans les films britanniques : elle est même assez nuancée pour faire progresser la tolérance entre les communautés. La filmographie sur ce sujet montre une société anglaise plus métissée, plus bigarrée, et qui a l’air de ne pas s’en porter plus mal, au grand dam des conservateurs de tout bord…

Filmographie (non exhaustive…)
Travail au noir, Jerzy Skolimowski (1982), 1h.37
avec Jeremy Irons, Eugene Lipinski
My Beautiful Laundrette, Stephen Frears (1985), 1h.37
avec Daniel Day-Lewis, Gordon Warnecke, Sared Joffrey
Sammy and Rosie Get Laid, Stephen Frears (1987), 1 h.41
avec Shashi Kappor, Frances Barber, Claire Bloom, Ayub Kahn-Din
Bhaji on the Beach, Gurinder Chadha (1993), 1h40
avec Kim Vithana, Jimmi Harkishin, Sarita Khajuria
Brothers in Trouble, Udayan Prasad, (1996), 1h 35
avec Om Puri, Pavan Malhotra, Angeline Ball
My Son The Fanatic, Udayan Prasad (1998), 1 h.28
avec Om Puri, Rachel Griffiths, Akbar Kurtha
Fish and Chips,de Damien O’Donnell (2000), 1 h36
avec Om Puri, Linda Bassett, Jimy Mistry

 

 

Aristocrates et domestiques dans le cinéma anglo-saxon

Aristocrates et domestiques dans le cinéma anglo-saxon

(cet article a été rédigé pour le dossier du film Les Vestiges du jour )

Le cinéma hollywoodien, qui n’oublie jamais qu’il est avant tout un moyen d’évasion, ne pouvait manquer d’évoquer le monde inaccessible mais merveilleux de l’aristocratie…Mais cette évocation est aussi pour les réalisateurs américains une façon de « régler leurs comptes » avec l’ancienne métropole coloniale et d’affirmer la supériorité morale des Etats-Unis : en effet, l’aristocratie représentée dans le cinéma américain est très souvent associée avec la Grande-Bretagne et l’image qui en est donnée n’est pas loin de la caricature : le Lord anglais est un personnage guindé, imbu de lui-même, plein de morgue et de mépris pour les classes inférieures. Son attachement aux rites sociaux de sa caste le rend ridicule ou odieux et son comportment est souvent tyrannique (voir les personnages incarnés par Charles Laughton dans Les révoltés du Bounty de F.Llyod -1935- et dans La reine vierge de G.Sidney -1953-, ou par Claude Rains, dans Les aventures de Robin des bois de M. Curtiz-1938-). Le personnage complémentaire de l’aristocrate, le majordome, est un être falot, sans personnalité , incapable d’ assumer son autonomie. On peut d’ailleurs remarquer que cette « identification négative » est systématiquement utilisée par les studios hollywoodiens. Ainsi, les acteurs britanniques, comme Charles Laughton, Basil Rathbone, Stanley Baker ou plus récemment…Anthony Hopkins, se voient souvent cantonnés à des rôles de « méchants » : ils présentent le double avantage d’incarner l’ancienne tyrannie et de parler l’anglais avec un accent déconcertant pour le public américain, ce qui les désigne à la vindicte populaire…

    Cela dit, le regard est évidemment différent selon les cinéastes et les époques. On peut apprécier la variété de ces approches à travers trois films réalisés par des cinéastes américains venant d’horizons très divers : L’extravagant M. Ruggles de Leo MacCarey (1934), La folle ingénue d’Ernst Lubitsch (1946) et The Servant de Joseph Losey (1963). Le film de Leo Mac Carey conte les aventures d’un valet anglais, Marmaduke Ruggles incarné par Charles Laughton, qui se retrouve à son grand regret au service de riches Américains dans une bourgade perdue de l’Ouest, Red Gap. Mais dans cette rude contrée, le domestique britannique finit par adopter complétement les valeurs morales américaines, et en particulier le fameux état d’esprit pionnier. Il est ainsi capable de réciter à des Yankees éberlués le fameux discours de Lincoln à Gettysburg, un des textes fondateurs des Etats-Unis. A la fin du film, Ruggles enfin émancipé ouvre « l’Anglo-American Bar« , qui devient l’endroit à la mode dans toute la région. Tout est déjà en place dans le film de Leo Mac Carey, et en particulier l’apologie sans nuances du système américain, « où chacun a sa chance » (le Nouveau monde est bien « the land of opportunity« ). Le valet Ruggles trouve dans ce pays neuf les conditions idéales et se donne même le luxe de faire la leçon à ces Américains qui semblent avoir oublié parfois leurs propres valeurs. Le cinéaste n’oublie pas non plus l’hymne à la liberté d’entreprendre, complément indispensable de la démocratie américaine, quand il nous montre l’ancien domestique monter sa propre affaire. Certes, le réalisateur américain nuance son propos : le Lord anglais est ainsi présenté comme un homme sincère, qui se range dans le camp du progrès, mais sa femme est l’incarnation même de l’aristocrate européenne sophistiquée…
Le film d’E.Lubitsch, La folle ingénue, est l’histoire de deux déclassés, Cluny Brown, une pétulante jeune femme d’origine modeste (incarnée par Jennifer Jones) et un auteur tchèque, Adam Belinsky, réfugié en Grande-Bretagne (interprété par Charles Boyer), qui se rencontrent par hasard dans un appartement londonien. Les deux personnages se retrouvent un peu plus tard dans une riche famille aristocratique anglaise, les Carmel, lui comme invité et elle comme domestique…Lubitsch, qui a quitté son pays à cause de l’arrivée au pouvoir de Hitler, s’est sûrement en partie identifié au personnage de Belinsky, « reflet estompé du réalisateur, tchèque fuyant d’abord le péril nazi, mi-artiste et mi-imposteur ». Le cinéaste décrit l’aristocratie avec ironie, comme un monde figé dans ses rites et ses préjugés. Les domestiques sont présentés comme xénophobes et plus conformistes encore que leurs maitres. Ils sont les gardiens de la Loi et comme l’a noté François El Guedj, ils se trouvent à l’office, fondement de la maison dans tous les sens du terme. Le majordome et la gouvernante dans la folle ingénue préfigurent sur un mode caricatural, le couple formé par Stevens et Miss Kenton dans les Vestiges du jour…Les Carmel apparaissent comme des innocents bienheureux, qui n’arrivent pas à comprendre que certains essaient « de construire un monde nouveau et meilleur ». Mais surtout, « alors que l’Europe danse sur un volcan » selon l’expression consacrée, le réalisateur montre l’inconscience de ces élites européennes devant la montée des périls. Comme le dit Jacqueline Nacache, il dénonce « l’aveuglement de ces êtres figés, imperméables à tout ce qui dépasse les limites de leurs regards, au point de ne pas voir l’irruption du monde extérieur sous leur toit »…Dans le film de Lubitsch, cette société apparaît d’ailleurs déboussolée et les convenances sont parfois mises à mal : une nièce de plombier qui prend le thé chez des aristocrates, un aventurier tchèque reçu par un Lord anglais comme l’un de ses pairs, des signes que les temps changent…Les deux héros de la folle ingénue terminent leur aventure, en fuyant l’Europe, ses illusions et ses dangers, pour se réfugier aux Etats-Unis, itinéraire autrefois suivi par le cinéaste d’origine allemande, qui peut donner ainsi un coup de chapeau ultime à sa patrie d’adoption…

Enfin, Joseph Losey, qui quitte les Etats-Unis dans les années 1950 pour fuir le maccarthysme et qui s’est expatrié en Grande-Bretagne, réalise the servant en 1963. Le film raconte l’évolution des rapports entre un jeune Lord anglais ( incarné par l’acteur James Fox, qui joue le rôle de Lord Darlington dans les Vestiges du jour) et son majordome (remarquablement interprété par Dick Borgade). Les relations entre les deux personnages s’inversent progressivement et à la fin du film, c’est le maitre qui est aux ordres de son serviteur…Les critiques n’ont pas manqué de relever les connotations freudiennes du film, l’homosexualité latente qui est suggérée entre les deux hommes; ils ont aussi insisté sur l’approche quasi marxiste de Losey : la classe opprimée finit par prendre le dessus sur celle qui l’opprime. Certes, les moyens pour parvenir à ce rapport de forces n’ont pas grand chose à voir avec la praxis révolutionnaire mais l’objectif est clair . Comme l’écrit F. El Guedj, « c’est ici le valet qui manipule l’étiquette : c’est lui qui organise la montée vers le sévice dans un climat de revanche sociale ».
Le film de Losey est bien dans l’air du temps, alors qu’en Grande-Bretagne le pouvoir des élites est remis en cause. Après guerre, plusieurs cinéastes anglais ont eux aussi évoqué le déclin de cette aristocratie menacée par les temps nouveaux, que ce soit sur le ton de la dérision (Dans Noblesse oblige de Robert Hamer-1949-, Alec Guinness élimine froidement toute une famille pour s’emparer du titre et de l’héritage) ou sur le ton de la révolte (dans le film If de Lindsay Anderson -1969-, les rejetons de l’élite britannique se rebellent contre le système scolaire qui les opprime et massacrent allégrement les dirigeants de leur Université…). Dans un autre film de Losey (Accident, 1967), Dick Borgade qui interprète cette fois le rôle d’un professeur d’Oxford, déclare à son jeune étudiant : »tous les aristocrates sont nés pour être tués »…

Ainsi, ces réalisateurs américains , le patriote, l’immigré et l’expatrié, ont le même regard critique sur l’aristocratie anglaise mais leurs arrière-pensées sont bien différentes. Pour les deux premiers, l’évocation de ce monde en déclin sert à mettre en valeur « l’American way of life« . Pour Losey, la classe supérieure britannique représente le système dans son ensemble : elle meurt de ses contradictions, incapable de justifier la légitimité de sa domination , et son déclin est le signe d’un malaise social plus profond. La critique du cinéaste « libéral » chassé d’Hollywood est donc autrement plus radicale. En ce sens, François El Guedj a raison d’écrire que « The Servant a pratiquement suspendu sur un paroxysme la lignée des butlers du cinéma anglo-saxon » car on voit mal comment aller plus loin, après ce film qui renverse toutes les valeurs…Aussi, Les Vestiges du jour de James Ivory peut apparaître comme un recul. Bien sûr, l’aveuglement de Lord Darlington est souligné, l’aliénation du majordome Stevens est mise en évidence…Reste que le cinéaste américain semble bien fasciné par le monde qu’il nous dépeint…

L’Indien dans le cinéma américain : l’histoire d’une reconnaissance…

L‘indien dans le cinéma américain : L’histoire d’une reconnaissance…

(cet article a été rédigé pour le dossier du film Cœur de tonnerre)

  Au delà de son interêt proprement cinématographique, Cœur de Tonnerre, le film de Michael Apted permet d’évoquer un sujet récurrent surtout dans les westerns : l’image de l’Indien dans le cinéma américain. De ce point de vue, Cœur de Tonnerre s’inscrit dans un contexte précis : le renouveau du film pro-indien après la réussite inespérée du film de Kevin Costner, Danse avec les loups...Mais il présente en plus un aspect original par rapport à la production antérieure : le film de Michael Apted décrit des Indiens contemporains, en lutte pour la défense de leurs droits dans les années 1970.

Des Indiens humains
Auparavant, on peut rappeller les grandes étapes de la représentation de l’Indien dans la production holywoodienne.
Dans les temps « héroïques » du Muet, l’image de l’Amérindien est sans doute plus nuancée qu’on a longtemps cru (voir à ce sujet les analyses de Jean-Louis Leutrat et de Georges -Henri Morin ou la rétrospective organisée par la Cinémathèque sur les westerns des années 1910 en novembre 1997). Comme l’écrit Claudine Kaufmann, « l’Indien y est traité à l’égal des Blancs, il est même souvent paré de vertus qui font cruellement défaut à ces derniers ». Beaucoup de ces productions ont souvent une dimension ethnologique, comme ces Indian Stories réalisés entre 1900 et 1914 et qui prétendent reconstituer la vie et les coutumes des Indiens (d’autant qu’il existe encore quelques survivants de l’époque héroïque…). David W. Griffith présente des personnages d’Indiens qui bénéficient d’un traitement plutôt favorable : ce sont des incarnations du bon Sauvage dans la tradition du XVIII° (ce n’est alors pas le cas des Noirs représentés dans les films du réalisateur de Naissance d’une Nation…) ; Thomas Ince est un admirateur de la race indienne et essaie de donner une image juste et sensible des Peaux Rouges ( The Great Massacre en 1912, The Way of the mother en 1913) : il n’hésite pas à recruter de véritables Indiens, d’ailleurs habitués au spectacle (ils ont souvent participé au Wild West Show de Buffalo Bill). Dans les années 1920, on peut aussi relever plusieurs films qui affichent un parti-pris pro-indien. Ainsi, The Silent Enemy de H.P Carver (1930) décrit les activités d’une tribu isolée dans les forêts canadiennes, un peu à la manière d’un Robert Flaherty évoquant les mœurs des Esquimaux dans Nanouk of The North (1920).

L’Indien , un obstacle à la conquête de l’Ouest
Mais progressivement , le discours sur les Indiens change de ton : « l’avènement du Parlant et l’élargissement du marché du western ont contribué à canoniser cette image négative de l’Indien sanguinaire que nous connaissons tous » (Raphael Bassan, revue du Cinéma, n° 435). C’est en effet l’époque où un certain nombre de réalisateurs prestigieux (John Ford, Cecil B.DeMille, Raoul Walsh, King Vidor,…) élabore la forme classique du western. Or, la mythologie de l’Ouest mise au point par ces cinéastes est sans pitié pour les premiers occupants du continent américain : les Indiens deviennent un obstacle à éliminer, dans la marche irrésistible vers l’Ouest. Il n’est pas question qu’ils puissent entraver le « destin manifeste » du peuple américain et ils s’apparentent aux divers fléaux naturels comme la grêle ou l’orage, que les colons devaient affronter dans la Prairie.
Aussi, leur image dans la production hollywoodienne se dégrade sérieusement : les Indiens apparaissent comme une masse anonyme de sauvages hostiles et cruels (quand un personnage indien est individualisé, il est souvent incarné par un acteur à l’aspect patibulaire, comme Wallace Beery en Mangua dans le premier Dernier des Mohicans, ou comme Boris Karloff en chef des Senecas dans Les Conquérants du Nouveau Monde de Cecil B. DeMille…). On s’intéresse fort peu à leur manière de vivre : le village indien apparaît surtout lors de la classique scène où le Blanc est torturé au milieu de Peaux-Rouges hurlants (Gary Cooper dans Les Aventures de Buffalo Bill du même Cecil B.DeMille). Ils frappent brusquement, apparemment sans (bonne) raison, et ne l’emportent sur les Blancs, que lorsqu’ils profitent d’une supériorité numérique écrasante ( comme par exemple dans la séquence de Little Big Horn dans La Charge fantastique de Raoul Walsh).
Il existe bien sûr des exceptions et les cinéastes que nous avons cité ont souvent assez de talent pour ne pas apparaître trop manichéens. King Vidor par exemple raconte dans NorthWest Passage l’odyssée d’une troupe de Rangers qui ravage avec sauvagerie…un village indien. William Wellman évoque dans Buffalo Bill (1944) l’histoire d’un des personnages les plus illustres amis en trace un portrait nuancé :le héros qu’il nous présente est plutôt fragile ,au point de culpabiliser d’avoir tué son ami Cheyenne, le chef Main Jaune.
Mais, en général le western classique laisse peu d’espace aux Amérindiens. Le Mythe de l’Ouest n’est pas prêt d’être remis en cause, d’autant, que, dans ces années 1930, l’Amérique s’est mise à douter d’elle-même après le krach économique et qu’elle a grand besoin d’un fondement idéologique solide…

Vers la reconnaissance
La période des années 1950 est celle du doute. Certes, l’idéologie maccarthyste fait peser une chape de plomb sur la production hollywoodienne, mais certaines questions se posent en termes différents. Au moment où la lutte des Noirs pour leurs droits s’intensifie, certains réalisateurs s’attachent à présenter les Indiens comme des êtres humains sensibles et surtout doués de valeurs morales. Dans le très célèbre film de Delmer Daves Broken Arrow (1950), le chef Apache Cochise est un honnête homme, qui préfère une bonne paix à une mauvaise guerre ( ce film a la réputation, un peu usurpée, d’être le premier western pro-indien…). Les personnages indiens commencent à être « aimables », c’est à dire susceptibles de provoquer l’amour des Blancs comme Sonseeaharay qui attire James Stewart dans le film de Delmer Daves ou la jeune Indienne Teal Eye qui séduit le compagnon de Kirk Douglas dans La Captive aux yeux clairs d’Howard Hawks (1952) (on remarquera quand même que les réalisateurs n’osent pas encore proposer le schéma inverse : une jeune femme blanche attirée par un Indien…).
Mais cette représentation nouvelle, qui témoigne d’une réelle sympathie des cinéastes pour la cause indienne, a quand même ses limites. D’abord, les personnages d’Indiens sont encore interprétés par des acteurs…blancs, comme Jeff Chandler, Anthony Quinn, Robert Taylor, Burt Lancaster…Surtout, on fait la différence entre le « bon » Indien qui veut traiter avec les Blancs et s’intégrer à leur monde, et le Peau-Rouge extrémiste qui refuse toute concession, genre Geronimo (on retrouve cette opposition dans le film de Delmer Daves). Dans La Porte du Diable , Anthony Mann évoque justement les difficultés de Lance Poole (Robert Taylor), métis Indien qui a combattu dans les rangs de l’Union, à trouver sa juste place dans le monde des Blancs…

Une image retournée
Dans les années 1960-1970, la représentation de l’Indien évolue encore, à un moment où l’Amérique connaît d’importants mouvements politiques et sociaux. : la contestation à la guerre du Vietnam s’étend, en particulier dans la jeunesse étudiante, le mouvement noir se radicalise, après les déceptions des actions non-violentes (Malcom X et la Nation of Islam, les Black Panthers). C’est à cette époque qu’un mouvement original apparaît dans la communauté amérindienne : En 1968, est fondé à Minneapolis (Minnesota) l’American Indian Movement (AIM), qui tente de fédérer l’ensemble des tribus du continent. Plusieurs actions spectaculaires sont entreprises, comme les occupations de l’ile d’Alcatraz (1969) et du site de Wounded Knee (1973), ou la longue marche de San Francisco à Washington entre février et juillet 1978. Une lutte juridique acharnée est aussi menée pour empêcher certaines grandes compagnies d’énergie, soutenues par l’État fédéral, de mettre la main sur les richesses minérales situées dans les réserves indiennes ( dans ces territoires, se trouvent 30% du charbon des États-Unis, 30% du pétrole, 90% de l’uranium…). C’est justement toutes ces luttes qui constituent le contexte historique dans lequel évoluent les personnages de Cœur de Tonnerre
A cette époque, une nouvelle génération de cinéastes souvent « libéraux » (c’est à dire aux États-Unis plutôt à gauche voire à l’extrème-gauche…) représente les Indiens de manière radicalement nouvelle (on donne parfois à l’ensemble des films qu’ils ont réalisé, le nom de wilderness cycle cycle de la vie sauvage– car la plupart évoquent une époque où l’Ouest est encore sauvage…).
D’abord, comme à l’époque du Muet, la vie quotidienne des Indiens est montrée de manière réaliste : les acteurs sont cette fois vraiment Indiens (le savoureux Chief Dan George dans Little Big Man, Will Sampson dans Josey Wales), les coutumes décrites avec précision (par exemple la Danse du Soleil dans Un Homme nommé Cheval d’Elliot Silverstein). Certains dialogues sont même interprétés en langue indienne ( dans Les Cheyennes de John Ford…). Surtout, le monde indien apparaît comme largement supérieur à celui des Blancs et les héros ne cachent pas leur préférence (comme le personnage interprété par Dustin Hoffmann dans Little Big Man). Les Indiens vivent en harmonie avec la Nature, ne tuant les animaux que par nécessité et leur vie sexuelle semble épanouie (la représentation des villages indiens présente plus d’une analogie avec celle des communautés hippies…). A l’inverse, les Blancs ont une image particulièrement négative : ils sont violents, cruels, hypocrites, attirés par l’appât du gain. Certains personnages légendaires sont dépeints avec férocité, comme le général Custer présenté comme un fou mégalomane dans Little Big Man. Pour la première fois, des réalisateurs américains évoquent avec précision des épisodes du génocide des Indiens, comme le massacre de Sand Creek dans Soldier Blue ou celui de la Washita dans le film d’Arthur Penn. Ces séquences devaient d’ailleurs rappeler aux spectateurs américains de l’époque d’autres atrocités commises par l’armée des États-Unis, mais cette fois dans des villages vietnamiens (comme la destruction du village de My Lai en 1968).
Ainsi, des années 1930 aux années 1970, l’image de l’Indien a été presque « retournée » : l’Amérindien n’a plus le rôle négatif d’antan, il est devenu le symbole d’un « Paradis perdu », saccagé par l’arrivée intempestive des Blancs sur le continent…

   Au cours de la période suivante, l’image de l’Indien s’estompe dans le cinéma américain…D’abord parce que le genre du western connaît un déclin peut-être irréversible (le nombre de films de ce genre diminue de façon sensible : une demi-douzaine entre 1980 et 1990 contre plus de quarante dans la décennie précédente…). Les « grands » cinéastes du genre se font rares : la carrière de Sam Pekincpah s’achève, alors que celle de Clint Eastwood démarre, mais celui-ci ne tourne qu’un western, Pale Rider à cette époque…Le contexte politique a aussi changé : le mouvement de contestation des Indiens a été étouffé par la répression brutale du FBI, notamment après l’occupation de Wounded Knee. Signe des temps, Michael Cimino réalise en 1980 La Porte du Paradis, qui décrit l’âpreté des luttes sociales lors de la Conquête de l’Ouest…Mais cette vision est trop dérangeante pour le public américain comme pour les studios hollywoodiens et le cinéaste subit un échec cinglant…

Autour de Danse avec les loups
Aussi, le succès du film de Kevin Costner en 1991 constitue presque un paradoxe : il intervient en effet dans une Amérique post-Reagan, qui prône le retour aux valeurs traditionnelles. Le président Républicain, lui-même acteur dans plusieurs westerns, ne manquait pas de donner en exemple le courage et la volonté de ces pionniers de l’Ouest. Le film de Kevin Costner, qui se situe bien dans la lignée des films pro-indiens des années 1960-1970, obtient donc un succès qui surprend la profession (la maison de production Orion tergiverse longtemps avant de financer le projet…). D’autant que l’acteur-réalisateur ne semble faire aucune concession. Il s’assure de la caution scientifique d’un universitaire Sioux, Albert White Hat, qui lui fournit tous les détails nécessaires à une reconstitution authentique : en particulier, le spécialiste a traduit les dialogues interprétés par les personnages indiens en langue Lakota et un tiers du film est présenté en version originale Sioux sous-titrée , une hérésie, aux États-Unis… Costner, qui ne s’était pas fait une réputation d’acteur engagé, n’a pas caché ses intentions : « le film décrit un chapitre de l’Histoire américaine que tout le monde connaît mais refuse d’appeler un génocide. On a exterminé les Indiens et détruit toute leur culture pour posséder leur terre ». C’est après le succès reconnu par toute la profession (Danse avec les loups a reçu 7 Oscars…) qu’Hollywood s’est intéressé à un thème si prometteur de bénéfices…Désormais « L’Indien apparaît sous les dehors les plus sympathiques qui soient : il est naturel, il est bio, il est light » (Bernard Geniès, Nouvel Observateur, 1992). En d’autres termes, il est devenu « historiquement correct » et parfaitement consommable…Plusieurs des réalisateurs « blancs » apprécient en particulier l’écologie « naturelle » des peuples indiens.. Kevin Costner, Michael Apted ou Val Kilmer, qui sont parfois eux-mêmes des militants de la cause écologiste, apprécient le respect que portent les Amérindiens à leur environnement…Ils sont sensibles aux luttes menées dans les réserves contre l’exploitation intensive des matières premières par certaines grandes entreprises privées…

Une brèche est ouverte dans laquelle vont s’engouffrer quelques cinéastes, sincèrement sympathisants de la cause indienne (sans oublier certains acteurs comme Robert Redford qui ont mené un long combat pour réaliser ou produire des oeuvres courageuses… ). Leur démarche a aussi l’interêt d’évoquer les problèmes les plus contemporains des Amérindiens. C’est ainsi en 1992 que Michael Apted réalise avec l’aide de Redford , deux films qui évoquent dans des registres différents (un documentaire et une fiction) des incidents qui se sont produits dans la réserve indienne de Pine Ridge au Dakota du Sud. Incidents à Oglala est une enquête minutieuse sur la mort de deux agents du FBI survenue dans ce territoire…Le film met en évidence la misère de ces populations laissées à l’abandon et les manupilations du FBI dans sa lutte acharnée contre les militants de l’AIM…Dans Coeur de Tonnerre, un agent du FBI d’origine indienne, interprété par Val Kilmer, est envoyé dans la réserve sioux pour élucider un meurtre : il s’oppose à des responsables Indiens corrompus et dévoile une conspiration montée pour s’emparer des richesses situées sur le territoire indien…En passant, il renoue avec les valeurs de son peuple…C’est la même année qu’est réalisé Dark Wind par Errol Morris, une adaptation d’un des célèbres romans de Tony Hillerman (le héros de ses livres est un policier Navajo Joe Leaphorn) , ainsi que Le Dernier des Mohicans réalisé par Michael Mann . Dans ce dernier film, Le cinéaste adopte d’ailleurs une démarche assez voisine de celle de Costner : il se dit sensible à « l’injustice faite aux Indiens » (…) On les a exterminés, on a annihilé leur culture et l’idéologie coloniale qui les a anéantis est loin d’être morte ». Le principal héros indien du Dernier des Mohicans, Chingachook, dit à son fils adoptif Œil de Faucon : « la frontière avance avec le soleil et elle chasse l’homme rouge hors des forêts sauvages. Jusqu’au jour où il ne restera plus rien. Plus de frontière…Alors notre race n’existera plus ou ne nous ressemblera plus ».
Ces cinéastes ont aussi récupéré comme interprètes des vétérans des luttes de l’AIM des années 1970, comme s’ils avaient voulu donner une garantie de plus de leur sincérité…John Trudell, qui joue dans les deux films de Michael Apted comme témoin et comme acteur, a été l’un des principaux militants du Red Power. Il a participé à tous les actions d’éclat (Alcatraz, Wounded Knee,…) et présidé le mouvement pendant plusieurs années…Il l’a d’ailleurs payé cher : le FBI l’a longtemps pourchassé et sa famille a disparu dans un incendie suspect…Russel Means, qui interprète Chongachook dans Le Dernier des Mohicans, est l’un des cofondateurs de l’AIM et porte parole des Indiens lors de l’occupation de Wounded Knee.
Mais cet engouement pour le monde indien semble déjà retombé : certes, des personnages amérindiens sont apparus dans quelques films récents (Dead Man de Jim Jarmush en 1996, Sunchaser de Michael Cimino en 1996, The Brave de Johnny Depp en 1997). Geronimo de Walter Hill est même consacré totalement aux derniers temps du chef Apache ( ce film a notamment le mérite de dénoncer la manipulation historique qui consistait à présenter le méchant Geronimo opposé au bon Cochise, en oubliant d’évoquer la déportation tragique des Apaches en Floride…). Mais, les Amérindiens ont considéré ces films réalisés par des Blancs avec une méfiance certaine. Russel Means est sans indulgence pour les films de Michael Apted et dénigre Danse avec les loups, sorte de « Lawrence des Plaines », qui permet au public américain de « ne pas se sentir coupable ». Un autre film PowWow Hihgway réalisé à la même époque par Jonathan Wacks (1989) a aussi choqué certains membres de la communauté car il présentait des personnages trop stéréotypés d’Indiens ivrognes et violents. Graham Greene, qui a joué dans Danse avec les loups et Cœur de Tonnerre, dénonce les nouveaux clichés des cinéastes blancs à propos des rôles qu’on donne aux Amérindiens : « maintenant que nous sommes plus les « méchants » ou les « nobles » de service, les réalisateurs se sentent presque tous obligés de faire de l’Amérindien un être mystique, forcement en quête de ses racines »… Les producteurs d’Hollywood restent aussi prudents et hésitent à confier des rôle de premier plan à des acteurs indiens : le personnage de Jim Chee dans Dark Wind est interprété par Lou Diamond Phillips connu pour sa prestation dans La Bamba, et Val Vilmer s’est donné bien du mal à faire la preuve de la pureté de son ascendance indienne. Enfin, on peut constater, qu’à l’inverse des Afro-américains, les réalisateurs indiens ont du mal à faire entendre leur différence. Leur existence est avérée mais peu connue du grand public. Ces cinéastes indiens émergent après les luttes des années 1970 mais sont surtout des documentalistes. Par la force des choses, car la réalisation d’une fiction suppose un budget conséquent, en général inaccessible…On peut ainsi citer Victor Masayesva, Phil Lucas, Chris Spotted Eagle, qui a dénoncé les conditions de vie des détenus indiens dans The Great Spirit Within The Hole (1983). Plusieurs d’entre eux sont d’origine canadienne comme Alanis Obomsawin (elle a pu tourner, avec l’aide de l’Office National du Film de Montréal une enquête sur les incidents qui avaient opposé les Indiens Mic-Mac et les autorités du Québec…). Les œuvres de fiction sont rares mais on peut mentionner le film de Bob Hicks, Return of the Country (1982), première œuvre de ce genre réalisée par un Indien. Le ton est aussi original car ce court-métrage est une satire décapante, où l’un des personnages imagine un monde à l’envers : un Président Indien, une réserve blanche…Mais la diffusion de ces films reste confidentielle (en général, des festivals ou des chaînes de télévision spécialisées) et aucun cinéaste indien n’a réussi le cross-over (c’est à dire être entendu au delà de sa propre communauté), comme ont pu le faire des réalisateurs afro-américains comme Spike Lee ou Mario Van Peebles…Comme l’écrit Paul-Louis Thirard, « le sort du peuple indien est fort différent (comme le montre le cinéma aussi, reflet du réel) de celui du peuple noir, différemment opprimé, différemment contestataire. En théorie, rien n’empêcherait la « mise en spectacle » de l’exploitation indienne de donner lieu à la même commercialisation que celle de la vie de Malcom X. Mais malgré quelques échos, on ne semble pas (pas encore) en être là » (Positif, n° 383, janvier 1993). Peut-être les Indiens payent-ils leur refus de s’intégrer à la société blanche…Leur présence à l’écran reste marginale comme leur existence dans l’Amérique d’aujourd’hui…
Au terme de cette rapide étude, on mesure à quel point l’image de l’Indien a varié et a été sensible à la conjoncture idéologique. Cette évolution est presque cyclique : d’une vision quasi rousseauiste dans les films du Muet, on est passé à une représentation de l’Indien presque diabolique…Après guerre, est venu le temps des remises en cause et de la réhabilitation. Au bout de près d’un siècle, les Indiens ont quand même obtenu du cinéma américain qu’il reconnaisse leur différence..On peut même estimer que certains de leurs auteurs, chanteurs, et même cinéastes d’origine indienne sont parvenus à faire entendre leur différence : Sherman Alexie et Jim Welsh dans la littérature, John Truddel dans le rock ou encore Chris Eyre, qui réalise en 1998 Phoenix Arizona , film entièrement mis en œuvre par des Indiens .

 

FILMOGRAPHIE (TRÈS ) SÉLECTIVE :
L’époque du Muet :
Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans) : Maurice Tourneur, Clarence Brown (1920)
The Silent Enemy : HP Carver (1930)

Le Western classique :
Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman) : Cecil B. DeMille (1936)
La Chevauchée fantastique (Stagecoach) : John Ford (1939)
La Charge Fantastique (They Died with tier boots on) : Raoul Walsh (1942)

Les années 1950 :
La Flèche brisée (Broken Arrow) : Delmer Daves (1950)
La Porte du Diable (Devil’s Doorway) : Anthony Mann (1950)
La Captive aux yeux clairs (The Big Sky) : Howard Hawks (1952)
Bronco Apache (Apache) : Robert Aldrich (1954)
Le massacre de Fort Apache (Fort Apache) : John Ford (1947)
Les Cheyennes (Autumn Cheyenne) : John Ford (1964)

« Le cycle de la sauvagerie » :
Willie Boy (Tell Them Willie Boy Is Here) : Abraham Polonsky (1969)
Soldat Bleu (Soldier Blue) : Ralph Nelson (1970)
Un Homme nommé Cheval (A Man Called Horse) : Elliot Silverstein (1970)
Little Big Man : Arthur Penn (1971)
Jeremiah Johnson : Sidney Pollack (1972)

Les années 1990 :
Danse avec les loups ( Dancing With The Wolves) : Kevin Costner (1991)
Le Dernier des Mohicans (Last Of the Mohicans) : Michael Mann (1992)
Incident à Oglala : Michael Apted (1992)
Cœur de Tonnerre (Thunderheart) : Michael Apted (1992)
Geronimo : Walter Hill (1993)
Dead Man : Jim Jarmush (1996)
Sunchaser : Michael Cimino (1996)
The Brave : Johnny Depp (1997)
Phoenix Arizona (Smoke Signals) : Chris Eyre (1998)

La vie politique aux Etats-Unis et sa représentation au cinéma

   Même si la politique n’est certes pas un sujet évident pour le cinéma de distraction produit par les studios d’Hollywood, elle est quand même présente dans la production cinématographique américaine ,et ce depuis ses débuts. On peut déjà considérer, comme beaucoup d’auteurs, que « tout est politique », que la vision du monde proposée par les films américains les plus innocents apparemment, ne l’est justement pas. Comme l’écrit Anne Marie Bidaud dans son livre Hollywood et le rêve américain, « le cinéma ne peut se développer contre la société qui le produit: en tant qu’industrie commanditée par les plus grands groupes financiers américains, il ne peut également qu’être solidaire de leurs intérêts, économique et idéologique ». Mais, le cinéma américain a aussi souvent représenté le système politique et social des États-Unis, soit comme sujet principal soit comme toile de fond à une fiction : à toutes les époques, il s’est trouvé des réalisateurs , de Capra à Stone, que « la vie de la cité  » ne laissait pas indifférents…

Le temps des certitudes
Pendant longtemps, le cinéma hollywoodien a affiché ses intentions : il s’agit bien de défendre le système américain, évidemment le meilleur au monde. En 1957, c’est à dire dans un contexte de Guerre froide, le Président de la MPAA (Motion Pictures American Association ) , Eric Johnston déclare que les films hollywoodiens ont bien réussi « à vendre les concepts de notre démocratie ». De fait, dès les années 1920, la démocratie « à l’américaine » est une valeur constamment défendue, en tout temps et en tout lieu, depuis l’Antiquité ( The Egyptian de Michael Curtiz – 1954-) jusqu’à la Guerre Froide (One, two, three de Billy Wilder -1961-, I was a Communist for the FBI de Gordon Douglas -1951-). Comme l’écrit Michel Cieutat, « dans tous les cas de désordre, l’Amérique et son cinéma préconisent toujours le recours pratique ou symbolique aux urnes ». Ce principe est systématiquement invoqué pour résoudre les problèmes ( « Let’s vote« ), dans Stagecoach ( 1939 ) de John Ford pour se prononcer sur la poursuite du voyage, dans Lifeboat ( 1944 ) d’Alfred Hitchcock pour décider du sort du nazi…Quand les élections sont représentées à l’écran, « c’est souvent l’occasion pour les cinéastes de rendre hommage au parfait fonctionnement du système législatif américain » ( Michel Cieutat ). Dans les westerns, les scènes d’élections locales pour la désignation du shérif par exemple sont comme les balbutiements prometteurs d’une démocratie en devenir et à venir, qui mettra un terme à la loi de la jungle qui règne encore dans l’Ouest…
Les films hollywoodiens privilégient aussi un certain type d’homme politique, qui doit incarner la perfection du système américain : ils aiment « ces individus issus de rien, parvenus seuls au sommet de la réussite (…), qui sont plébiscités et par là-même transformés en symboles de la vitalité du rêve américain ( Michel Cieutat ). Abraham Lincoln représente parfaitement ce type de personnage qui s’élève « de la cabane en rondins à la Maison Blanche » ( « from the log cabin to the White House » ), et l’on pense bien sûr au fameux film de John Ford, Vers sa destinée ( Young Mr Lincoln, 1939 ), où le futur président est incarné par Henri Fonda. L’équivalent de cet archétype dans la fiction pourrait être M. Deeds, interprété par Gary Cooper dans le film de Frank Capra, Mr Deeds goes to Town ( 1936 ) : le personnage est un Américain moyen provincial, devenu subitement millionnaire, qui se retrouve brutalement sur le devant de la scène, ou encore Jefferson Smith, autre personnage de Capra, » boy-ranger » promu au rang de personnalité politique dans Mr Smith goes to Washington
( 1939 )…
A l’inverse, Hollywood ne manque pas de discréditer les idéologies révolutionnaires ; par exemple, la révolution mexicaine n’est pas épargnée par les cinéastes américains ( même dans le film du « libéral » Elia Kazan, Viva Zapata-1952-, les réformes agraires instaurées par le général mexicain sont « oubliées »…), et bien sûr la révolution bolchévique, lointaine mais si inquiétante, est toujours présentée de façon négative, à l’exception notable de Mission to Moscow de Michael Curtiz ( 1943 ) et du film de Warren Beatty, Reds, réalisé en 1981 ( la plupart des films « anti-rouges » ont été tournés à l’époque de la Guerre Froide ou pendant la présidence de Ronald Reagan… Mais leur impact est resté limité, pour des raisons artistiques -peu d’œuvres de valeur-, et des causes économiques-le sujet était peu attrayant pour le grand public…).
Mais si le cinéma américain soutient sans état d’âme le système politique des États-Unis, il sait aussi en montrer les imperfections. Dans les années 1930 et 1940, un cinéaste comme Franck Capra y consacre 4 films, dans l’ordre : Mr Deeds goes to Town ( 1936 ), Mr Smith goes to Washington ( 1939 ), Meet John Doe ( 1941 ), State Union ( 1948 )…Ses personnages ( Longfellow Deeds, un brave type de la campagne; Jefferson Smith un genre de boy-scout simplet; LongJohn Willoughby, un chômeur désabusé…) incarnent sous différents avatars l’Américain moyen ( « the common man » ) : ils sont d’ailleurs interprétés par des vedettes très populaires de l’époque, auxquelles le public peut s’identifier sans peine : Gary Cooper, James Stewart, Spencer Tracy.
Comme il le dit lui-même, Capra veut faire des films sur « le type qui balaie, le pauvre gars qui s’est fait rouler »…Tous ses films dénoncent les puissants, les groupes d’intérêt politiques et économiques, qui écrasent les plus faibles et faussent le fonctionnement naturel du système. En ce sens, le réalisateur est bien dans la mouvance populiste, si importante aux États-Unis depuis la fin du XIX° siècle. Lui-même arrivé à 6 ans dans son pays d’adoption, il adhère sans réserves au « rêve américain » et s’insurge contre ceux qui veulent le dénaturer. En vrac, sont ainsi dénoncés la presse corrompue (Meet John Doe, State Union ), les industriels avides et les riches égoïstes ( Mr Deeds, Mr Smith ), les appareils politiques ( Mr Smith, State Union ). Dans ses premiers films, F. Capra croit assez au système pour estimer qu’un homme seul peut vaincre les  » Méchants » et faire triompher le bon droit, en général au cours de séquences mémorables où le héros emporte la décision grâce à son courage et sa conviction ( l’exemple le plus fameux est le long discours que Jefferson Smith prononce devant le Sénat américain et qui emporte l’adhésion des sénateurs dans Mr Smith…). Capra croit à l’individualisme et se méfie de l’interventionnisme de l’État ( le cinéaste, quoique fasciné par le personnalité de Franklin Delano Roosevelt, est un Républicain convaincu… ). A la même époque, d’autres films mettent en garde contre la séduction du fascisme, comme le curieux Gabriel at the White House, de Gregory La Cava (1932-33), La flamme sacrée de George Cukor ( 1942 ).
Mais le film le plus marquant de cette période sur le sujet reste à tous égards le chef d’œuvre d’Orson Welles, Citizen Kane ( 1941 ). Au delà de ses qualités artistiques, le premier film du jeune prodige venu du théâtre d’avant-garde est aussi une réflexion sur le pouvoir, et notamment le pouvoir politique. On sait que le modèle du principal personnage est le magnat de la presse, William Randolph Hearst, propriétaire d’un empire de 28 journaux, 13 magazines, et 8 stations de radio. Cette personnalité influente et controversée, isolationniste forcené et populiste parfois à la limite du fascisme, avait tenté d’obtenir le poste de gouverneur de l’État de New-York. Malgré des dépenses considérables, il avait été battu après une campagne électorale intense…Orson Welles ne manque pas de dénoncer l’hypocrisie de ces milliardaires qui se prétendent « amis du peuple ». Dans le film, Kane prévient son banquier : « Voyez-vous, j’ai de l’argent et des biens au soleil. Si je ne m’occupe pas des déshérités, peut-être quelqu’un sans argent et sans biens s’en chargera-t-il, quelqu’un sans argent et sans biens au soleil et ce serait très fâcheux… »autrement dit la société serait vraiment en péril si le mouvement était conduit par des dirigeants vraiment issus du peuple…Le cinéaste oppose la « vraie gauche » au paternalisme du démagogue. L’ami de Kane, Leland, interprété par Joseph Cotten, l’avertit : « ça ne va pas te plaire du tout quand tu t’apercevras que tes travailleurs considèrent que leurs droits sont dûs et ne sont pas un cadeau ». De même, Welles dénonce les mœurs douteuses de la vie politique de cette époque : la victoire de Kane, acquise à coups de milliers de dollars et qui semble inéluctable, est brisée nette quand la presse à scandales révèle sa liaison clandestine avec une actrice…Les « coups bas » ( dirty tricks ) ne datent pas d’aujourd’hui…

Les paradoxes de la Guerre froide
Dans les années 1950-1960, Hollywood est pris dans la fièvre anti-communiste et ne fait pas de concessions. la commission des activités anti-américaines ( HUAC = House of Un-American Activities ) veut ainsi expurger les milieux du cinéma et commence ses auditions de témoins en 1947 ( d’autres auditions auront lieu par la suite, en 1951, 1953… ). A part les Dix d’Hollywood, ( c’est à dire ceux qui avaient refusé de témoigner et avaient été condamnés ), on estime qu’au total une trentaine de témoins ( dont Kazan, Dmytryk, Rossen…) ont donné les noms d’environs 300 personnes : une « liste noire » est établie, qui interdit de donner du travail à tous ceux suspectés d’être des « rouges ». La production cinématographique de l’époque est donc marquée par son anticommunisme implacable, et son apologie sans nuance des institutions américaines. Plusieurs films soulignent notamment le danger intérieur que représente l’idéologie révolutionnaire. Dans My son John, de Léo Mac Carey ( 1952 ), une famille américaine est contaminée par le virus communiste, car le fils est devenu un « rouge »…Aussi, il est remarquable que, dans ce contexte, certains cinéastes, sans doute dotés d’une forte personnalité, aient réussi à réaliser des films qui brisent le consensus. Deux d’entre eux méritent d’être cités, Robert Rossen et surtout Elia Kazan. Les deux réalisateurs ont d’ailleurs des points communs : d’abord proches des communistes, ils comparaissent devant la commission des activités anti-américaines et finissent par accepter de témoigner ( Kazan ira jusqu’à s’offrir une page entière dans des journaux pour afficher une profession de foi anti-communiste ).
Robert Rossen, d’abord en 1949, alors qu’il n’a pas encore « témoigné », réalise un film sur un personnage illustre et controversé de la vie politique américaine, le gouverneur de Louisiane, Huey Long. Issu
d’un milieu modeste, celui-ci s’impose dans un des États les plus pauvres de l’Amérique avec beaucoup de démagogie et des idées populistes. Alors qu’il semblait promis à un destin national, il est assassiné en 1935…D’après le livre de Robert Penn Warren, Rossen tourne Les Fous du Roi ( All the King’s Men, 1949 ) , avec comme principal interprète Broderick Crawford. Le film est alors à contre-courant : il met en cause un politicien « fascisant » ( alors que la priorité de l’époque est la lutte contre les « Rouges »…), il décrit un climat politique paranoïaque et les méthodes douteuses des hommes politiques, soit autant de « détails » qui peuvent très bien s’appliquer à l’atmosphère pesante qui règne alors aux États-Unis, en pleine « chasse aux sorcières »…Le film d’Elia Kazan, Un Homme dans la foule ( A Man in the crowd, 1957 ) est encore plus original. Il raconte la résistible ascension d’un chanteur de country, Lonesome Rhodes, devenu une vedette nationale avec l’aide non désintéressée de publicitaires. Il met son talent et son sens du public au service d’hommes politiques ultra-conservateurs ( on aura remarqué que plusieurs de ces thèmes se retrouvent d’une manière ou d’une autre, dans le film de Tim Robbins, Bob Roberts…). Le ton du film est virulent et plusieurs répliques sont réellement prémonitoires. Lors d’une séquence, un des politiciens analyse le rôle futur de la télévision dans la politique :  » Avec la Télévision, nous avons le plus grand instrument de persuasion des masses dans l’histoire du monde (…) La politique est entrée sur une nouvelle scène, celle de la Télévision. Au lieu des débats bavards, les gens veulent des slogans condensés. Il est temps de changer. De la fanfare et du fric…Du punch et du glamour »…Lonesome Rhodes se transforme en consultant politique : il conseille à son candidat d’avoir un chien plutôt qu’un chat, de pratiquer la chasse plutôt que la philatélie, afin de séduire le public le plus populaire…Kazan revendique la violence de la critique sociale : « On a dit que le film était contre Nixon, contre Eisenhower, contre le « big business » et bien c’est vrai…Je pense que le public américain s’est reconnu dans le film. Je l’ai montré comme un agrégat de pantins ridicules qu ‘on peut mener par le bout du nez. Dans Un homme dans la foule, le démagogue est le résultat de notre système social, de la façon dont certaines choses sont organisées dans notre pays. Il y a eu les Huey Long, il y a les Mac Carthy…Aussi longtemps que ces forces sociales existeront, ces hommes apparaitront tous les 5 ou 10 ans… » ( Cahiers du Cinéma, n°130 ). On peut penser que le cinéaste a dû apprécier l’approbation gênée (?) de la presse d’extrême-gauche : le People’s world, un des organes du Parti communiste américain écrit : « deux mouchards devant la Commission ( Kazan et son scénariste Budd Schulberg ) conspirent pour produire un des plus beaux films progressistes qu’il nous ait été donné de voir depuis des années (…) Il aidera le public à comprendre de quelle manière l’opinion publique est manipulée aux États-Unis et dans quel but ». Sans aucun doute, Kazan avec ce film veut prouver qu’il n’a pas renoncé à porter un regard critique sur la société américaine, même s’il a pris ses distances avec ses anciens amis plus engagés.
Cela dit, les temps sont durs pour les « réprouvés » : Herbert Biberman, scénariste et réalisateur, un des fameux « Dix d’Hollywood » éprouve les plus grandes difficultés à tourner un film sur les problèmes sociaux au Nouveau-Mexique : Le Sel de la terre, qui raconte la grève d’ouvriers mexicains,est réalisé dans des conditions très difficiles en 1954 : le cinéaste doit ainsi affronter les pressions des studios, des syndicats anti-communistes, du FBI et même d’Howard Hugues ! Son film est quasiment interdit de distribution jusqu’en 1965…Il est vrai que Biberman ne s’était pas rétracté devant la Commission…

Une liberté nouvelle
Dans les années qui suivent, la situation évolue : la Détente succède à la Guerre Froide et les studios ne sont plus en mesure d’imposer leur loi comme avant ( même la Commission des activités anti-américaines finit par disparaitre dans les années 1970…). Aussi, les cinéastes ne se privent pas de critiquer tel ou tel aspect du système politique ou de l’action du gouvernement américain. Sans entrer dans le détail, on peut mentionner quelques films marquants, même si leur valeur artistique est variable. Dans les années 1960, la politique nucléaire des Etats-Unis est mise en cause dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick ( Dr Strangelove, 1963 ), le danger d’un complot fasciste dans l’armée est dénoncé dans 7 jours en mai de John Frankenheimer ( 1964 ), les méthodes de Mac Carthy sont évoquées dans le film d’Otto Preminger, Tempête à Washington ( 1962 )….Dans la décennie suivante, le jeu de massacre continue et l’on voit même certains réalisateurs aborder franchement la période du Mac Carthysme ( Nos plus belles années de Sidney Pollack en 1973, Le Prête-nom de Martin Ritt en 1976, …en attendant La Liste noire d’Irving Winkler en 1991 ). Un film comme Votez Mac Kay de Michael Ritchie ( The Candidate, 1972 ) est intéressant car il traite du problème de la détérioration du débat politique aux États-Unis. Le réalisateur dénonce en particulier le rôle néfaste des conseillers politiques dont les méthodes finissent par dépolitiser complètement les campagnes électorales. Dans le film, Robert Redford incarne un jeune écologiste, pris en mains par un consultant de ce genre : alors qu’il a renoncé à toutes ses idées pour emporter la victoire, le candidat « heureux élu » s’interroge : « et maintenant, qu’est ce qu’on fait? »…L’affaire du Watergate est évoquée avec une efficacité certaine, dans Les Hommes du Président ( All President’s Men, 1976 ), réalisé par Alan Pakula. Les films qui évoquent la guerre du Vietnam sont particulièrement nombreux et dans tous les registres possibles : la quasi-comédie dans Good morning Vietnam, de Norman Jewison ( 1988 ), la description brutale et réaliste ( Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino en 1978, Platoon d’Oliver Stone en 1986, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick en 1987…), voire le ciné-opéra ( Apocalypse Now de Francis Ford Coppola en 1979 ) : mais, ces œuvres s’attachent en général plus à décrire le traumatisme émotionnel d’une génération qu’à analyser la politique du gouvernement américain dans cette région du monde…On peut aussi relever que le mouvement de contestation des années 1960-1970 a été peu ou mal représenté à l’écran, si l’on excepte quelques films musicaux ( Woodstock de Michael Wadleigh en 1970 bien sûr ), et ceux d’Oliver Stone réalisés plus récemment ( Né un quatre juillet -1989-, the Doors -1991- ). Un des films de l’époque qui traite directement ce sujet, Des fraises et du sang de Stuart Hangman ( Strawberry statement, 1970 ), donne de la jeunesse contestataire une image plutôt superficielle, plus intéressée à sa propre libération sexuelle qu’à transformer la société : par contre, le film évoque avec réalisme la brutalité de la répression policière sur les campus américains, images sans doute peu fréquentes dans le cinéma d’alors…Ainsi, à partir des années 1970, le film politique ne fait plus peur aux producteurs et il est significatif qu’un cinéaste comme Sidney Lumet, « honnête artisan » hollywoodien, se soit attaqué à plusieurs reprises à des sujets d’actualité, avec même un certain courage. Des films comme Network ( 1976 ) ou Les coulisses du pouvoir ( 1986 ) sont des descriptions assez convaincantes du monde politico-médiatique aux États-Unis. Ainsi, dans Les coulisses du pouvoir, Richard Gere interprète un jeune et sémillant consultant politique qui vend ses services à un milliardaire, personnage plutôt médiocre, qui s’est porté candidat au poste de sénateur au Nouveau-Mexique. Le film démontre bien le dévoiement d’un système dans lequel les politiciens ne sont plus que des « produits »…

Les limites du genre
On peut aussi rapidement évoquer les sujets politiques ou sociaux qui ne sont jamais ou très peu évoqués par le cinéma américain : la lutte des Noirs pour leurs droits, les problèmes de la communauté noire ne sont apparus que récemment sur les écrans , souvent dans des réalisations de cinéastes afro-américains ( Boyz’n the hood de John Singleton en 1992, Malcom X de Spike Lee, 1992 ). Les conflits sociaux sont très peu abordés : on peut bien sûr citer les chefs d’œuvre de l’entre deux-guerres comme Les Temps Modernes de Charlie Chaplin et Les Raisins de la colère de John Ford ( 1940 ) : mais depuis les années 1950, le sujet est peu évoqué par le cinéma américain : on peut mentionner pour mémoire FIST de Norman Jewison avec Sylvester Stalone ( 1978 ), Norma Rae de Martin Ritt ( 1979 ) ou l’excellent documentaire de Michael Moore sur les usines GM à Flint dans le Michigan, Roger and me ( 1989 )…En fait, il n’est pas question de ternir le « rêve américain » de la classe moyenne, qui croit à la réussite individuelle et ne veut pas entendre parler d’affrontements « classe contre classe » ( en 1935, un journaliste a trouvé une formule heureuse pour évoquer cette vision du monde : « the Rolls Royce approach of life« …). Ces « oublis » montrent bien que tous les tabous ne sont pas levés et que la société américaine a parfois du mal à évoquer tous ses problèmes.
D’ailleurs, même lorsque les cinéastes américains des années 1970-1980 abordent des sujets politiques, ils s’en tiennent souvent à des schémas déjà connus. Ainsi, l’archétype du héros  » à la Capra » perdure jusqu’à nos jours : il mène un combat solitaire contre les puissants et parvient à rétablir la situation : Robert Redford dans Les Trois jours du Condor ( 1971 ) se bat seul contre des comploteurs diaboliques agissant au coeur de la CIA, ou encore Dustin Hoffman et le même Redford incarnant Carl Berstein et Bob Woodward, les journalistes du Washington Post aux prises avec le clan Nixon dans Les Hommes du président...Comme l’écrit Michel Cieutat, « Hollywood a toujours eu en réserve un descendant du Jefferson Smith de Capra qui le temps d’une révélation, peut rétablir la lumière dans les ténèbres ». Ce type de scénario, où la Presse a souvent le beau rôle, permet de ne pas désespérer du système dans son ensemble. Cette même prudence se retrouve dans la manière d’évoquer le thème des marginaux, sujet récurrent dans le cinéma américain presque depuis ses débuts : de très nombreux films dressent les portraits de ces vagabonds ( homeless ), de ces asociaux ( cette tradition est aussi littéraire, de Mark Twain et son Huckleberry Finn, jusqu’à Jack Kerouak dans les années 1950 ). Dès les années 1930, William Wellman montre à l’écran des jeunes victimes de la crise dans Wild boys of the Roads ( 1933 ). En 1953, Lazlo Benedek évoque les bandes de motards dans L’Equipée sauvage. Cette tendance ne s’est pas démentie dans les années 1960 et jusqu’à nos jours : les cinéastes continuent à présenter des personnages inadaptés à la société, seuls ou en couple, qu’on peut retrouver dans des films comme Easy Rider de Dennis Hopper ( 1969 ), Macadam Cowboy de John Schlesinger ( 1969 ), L’Epouvantail de Jerry Schatzberg ( 1973 ) et récemment Le Clochard de Berverley Hills de Paul Mazursky ( 1986 ). La plupart de ces héros ont un destin tragique et finissent en victimes expiatoires de l’ordre social. Surtout, comme le remarque Anne-Marie Bidaud,
leur représentation au cinéma ne constitue pas un danger : « ces personnages permettent d’être ému sans être menacé parce qu’ils n’ont pas d’avenir ». Ils ne présentent pas de solution alternative et leur sort tragique renforce l’idée qu’il n’y a point de salut hors de l’ordre établi.

De Capra à Stone….
Enfin, il faut mentionner, même rapidement, les films d’Oliver Stone : ce réalisateur, très marqué personnellement par les années 1960 ( il s’est engagé dans l’armée américaine au Vietnam pour en revenir complètement désabusé), s’est littéralement passionné pour les problèmes politiques de cette période et y a consacré l’essentiel de son travail : Platoon ( 1986 ), Salvador ( 1986 ), Né un quatre juillet ( 1989 ) , les Doors ( 1991 ), JFK ( 1992 ), Nixon ( 1995 ). Le cinéaste est présenté par certains critiques comme l’héritier lointain de Frank Capra, héritage en tout cas revendiqué par Stone lui-même…Quelques détails de mise en scène sont effectivement des rappels des films de Capra : le long discours de Jim Garrison, interprété par Kevin Costner, renvoie à celui de Jefferson Smith ( incarné par James Stewart ) dans Mr Smith goes to Washington ; le Lincoln Memorial où se rend le héros de Capra est aussi utilisé comme lieu symbolique dans JFK et Nixon… Comme d’autres cinéastes et comme son illustre prédecesseur, Stone utilise le héros « seul contre tous » : le personnage principal de Né un quatre juillet est présenté ainsi par J.M. Frodon : « un brave petit Yankee qui, traumatisé par l’expérience vietnamienne, découvre qu’on l’a floué sur les valeurs de son pays ». De même, Jim Garrison est un petit juge provincial en lutte contre les forces du mal. Comme Capra, le réalisateur de JFK et de Nixon s’attaque aux Puissants, aux groupes d’interêt qui opèrent dans l’ombre, au risque d’ailleurs de quelques approximations historiques :  » Avec Kennedy et Nixon, on s’est rendu compte que le pouvoir n’était pas entre les mains du Président mais dans celles des industriels, des militaires, des responsables de la CIA,de Wall Street, de la Mafia, qui limitent les pouvoirs de l’exécutif. On ne peut pas défier impunément ces pouvoirs-là que nous appelons « la Bête » dans le film. Kennedy a essayé et on l’a tué. C’est la même chose avec Nixon, car il a fait la paix avec l’URSS, la Chine et finalement avec le Vietnam et on ne lui a pas pardonné » ( Oliver Stone ). Il retrouve en quelque sorte le populisme du réalisateur de Mr Smith, qui lui aussi voulait revenir aux vraies valeurs. Un de ses plus solides soutiens en France, Michel Cieutat, écrit à son propos : « ce qui compte pour Stone, c’est qu’il puisse dénoncer farouchement les nombreuses trahisons par l’Amérique elle-même de son rêve des origines ». Mais la démarche d’Oliver Stone est très controversée: à l’occasion de la sortie de JFK, les critiques ont été féroces : Jack Valenti, Président de La MPAA le compare à Leni Riefensthal, et le journaliste du Washington Post , George Lardner Jr, l’accuse « d’avoir falsifié l’histoire ». De fait, le cinéaste, en évoquant des personnages historiques réels ( Kennedy, Nixon, les Doors ) s’est autorisé à reconstituer de « vrais-faux  » documents d’époque, un peu à la manière de Welles dans Citizen Kane. Oliver Stone, qui s’accorde « 14,5% de licence poétique » (sic), multiplie donc des séquences tournées en formats différents ( 8, 16, 35 mm…) avec des textures variées, qui sont censées donner une impression de réalité. Mais cette méthode lui est vivement reprochée, surtout parce qu’elle est utilisée au service d’une vision de l’Histoire par trop simpliste :  » les films de Stone sont des cris de rage de gamin à qui on a cassé ses jouets, non des réflexions sur une société » ( J-M. Frodon ). Mais, si la filiation de Capra à Stone peut être évoquée hors de toute considération stylistique, le ton a quand même bien changé. Dans les films du réalisateur italo-américain, la critique du système était toujours compensée par l’espoir que les institutions fonctionneraient mieux, une fois les « impuretés éliminées ». Il n’est pas sûr que Stone partage cet optimisme : « il n’a jamais cessé de blâmer les pires aspects de la politique et de la société américaine. Il ne fait pas de quartier. Ce système américain n’est pas seulement imparfait, il est profondément injuste et ne doit plus servir de modèle » ( Michel Cieutat ). Même les Méchants sont ambigus : dans son dernier film, Nixon était à priori l’archétype du Mal…Et bien, le cinéaste semble lui trouver des excuses, et le rend sympathique, tant sa détresse est humaine. Touché par le syndrome de Stockholm, il est « pris en otage par son personnage », et il ne l’accable pas…

    Ainsi, le cinéma américain ne s’est jamais désintéressé de la vie politique et continue à produire des films sur ce sujet ( en 1996, le film City Hall de Harold Becker, interprété par Al Pacino raconte les magouilles d’une municipalité corrompue, comme par exemple celle de New-York à l’époque d’Ed Koch, Absolute Power , réalisé par Clint Eastwood évoque un Président bien particulier… …). Certes, on peut estimer que cette critique du système politique américain est intéressée ( elle conclut toujours à l’avantage des États-Unis ), incomplète, superficielle…Reste qu’elle a le mérite d’exister. Le cinéma européen n’a pas toujours le même intérêt pour les problèmes politiques de son temps. Les réalisateurs italiens ont certes abordé sans crainte les dysfonctionnements politiques et sociaux de leur pays : Francesco Rosi ( Main basse sur la ville en 1963, L’affaire Mattei en 1972, Cadavres exquis en 1975…), Elio Petri ( Enquête sur un citoyen au desssus de tout soupçon en 1970, La classe ouvrière va au Paradis en 1971 ), ou plus récemment Nani Moretti ( Palombella Rossa-1989 ) , Daniele Luchetti ( Le porte-serviette – 1990 ) et Mimmo Calopestri ( La seconda volta-1996 ). Mais à l’inverse, les cinéastes français se sont montrés plus timides et la filmographie sur ce thème est plutôt maigre, même si on peut toujours citer les films d’Yves Boisset ( L’Attentat en 1972, RAS en 1973, Dupont la Joie en 1975, Le juge Fayard en 1976, ) ou de Claude Chabrol ( Nada d’après Jean Patrick Manchette en 1973 ), les quelques long-métrages évoquant les guerres coloniales ( Muriel d’Alain Resnais en 1963,  La 317° section de Pierre Schoendoerffer en 1961, Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier en 1971, Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer en 1977, jusqu’à Indochine de Régis Wargnier… ) et des œuvres plus engagées ( Coup pour coup de Marin Karmitz -1972-, Mourir à trente ans de Romain Goupil -1987-). En fin de compte, les réalisateurs américains, venus d’horizons divers, ont maintenu une tradition du film politique, de Frank Capra à Oliver Stone, en passant par Orson Welles , Elia Kazan et…Tim Robbins. La dénonciation des vices du système est toujours vigoureuse, avec peut-être la bonne conscience et l’optimisme en moins…