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Bob Roberts, ou la politique à l’américaine

Bob Roberts, un film de Tim Robbins

États-Unis, 1h 43, 1992

interprétation : Tim Robbins,  Giancarlo Esposito,  Ray  Wise,  Gore Vidal,  Alan Rickman

Synopsis :

1990. Le chanteur de Country Bob Roberts (Tim Robbins ), self-made man millionnaire, se porte candidat au Sénat, dans l’Etat de Pennsylvanie..Il se prononce, au travers de ses chansons, en faveur d’un retour aux valeurs détruites par le laxisme des années 1960 : il est l’un des porte-parole de cette Nouvelle Droite apparue lors de la première Présidence de Ronald Reagan : il en appelle ainsi aux idéaux fondamentaux de l’Amérique conservatrice: la famille, la religion et fonde une organisation chargée de lutter contre la drogue (  » Broken Dove » )…Avec l’aide de ses conseillers, Chet Mac Gregor ( Ray Wise ) et Lukas Hart III ( Alan Rickman ), Roberts mène une campagne électorale impitoyable contre son adversaire démocrate, le sénateur sortant Brickley Paiste ( Gore Vidal ), dans une ambiance typique de ces années 1990, alors que tous les coups bas sont permis (accusations diffamatoires, insultes,manipulations des médias)…
Alors que les sondages indiquent que l’écart avec le sénateur Paiste diminue, Bob Roberts est mis en cause par un journaliste indépendant Bugs Raplin ( Giancarlo Esposito ), qui l’accuse d’être impliqué dans un scandale financier lié à un trafic de drogue…Les chances de l’emporter pour le candidat-chanteur semblent compromises, à moins d’un évènement imprévu..

 

Bob Roberts, ou la  politique à l’américaine
En réalisant Bob Roberts, Tim Robbins a délibérément choisi le ton de la satire pour dépeindre le monde politique et médiatique des États-Unis. Mais comme le dit le cinéaste lui-même, la réalité a souvent fini par rejoindre la fiction qu’il avait imaginée . Deux aspects méritent d’être évoqués : le déroulement d’une campagne électorale américaine et l’émergence depuis les années 1980 d’une Droite extrême de plus en plus influente…

Une nouvelle génération d’hommes politiques
D’abord , le personnage imaginé par Tim Robbins est typique de la nouvelle génération de politiciens américains nés après la seconde guerre mondiale ( dans le film, Bob Roberts est censé naître en 1955 )…Ces baby-boomers partent à la conquête du pouvoir dans les années 1980…Roberts aurait très bien pu appartenir à la cohorte des 73 freshmen ( nouveaux élus) menés par Newt Gingrich et qui ont pris d’assaut le Congrès en novembre 1994 ( ces parlementaires s’étaient engagés à appliquer le « Contrat avec l’Amérique », de tonalité franchement réactionnaire ). Alors que pour la première fois le Parti Républicain détient la majorité dans les deux Assemblées du Congrès, il engage une partie de bras de fer avec le pouvoir exécutif , notamment pendant l’année 1996 à propos du vote du budget ( Clinton utilisera son droit de veto à plusieurs reprises et la situation sera parfois bloquée…)…Cette nouvelle génération a une culture politique différente de celle qui l’a précédée, surtout marquée par les années de la grande Dépression et la Seconde Guerre Mondiale ( c’est le cas de personnalités comme Lyndon B. Johnson, Richard Nixon et même dans une moindre mesure de John Fitzerald Kennedy…). Elle a vécu son adolescence et sa jeunesse dans un contexte différent, celui de la Guerre Froide et de la guerre du Vietnam, pour le meilleur et pour le pire ( dans le film, la mère de Bob Roberts est présentée comme une peacenick c’est à dire une militante de la paix et l’enfant est élevé dans une sorte de communauté hippie). Ce conflit de générations s ‘est d’ailleurs incarné lors de l’élection présidentielle de 1996, entre Bob Dole le vétéran de la Deuxième Guerre Mondiale et Bill Clinton, de « la génération Vietnam »…Mais ces « jeunes loups » ont eu du mal à faire leur trou, car le système parlementaire américain donne un avantage considérable aux sortants. Certains parlementaires semblent d’ailleurs presque indéracinables ( ce fut le cas de plusieurs dirigeants, souvent démocrates sudistes, comme Sam Rayburn, LB Johnson, ou Mike Mansfield…) : un sénateur exerce en moyenne 2,5 à 3 mandats…Les élus profitent de leur situation acquise, en obtenant des subventions pour l’état qu’ils représentent ( pork barrel = tirelire des fonds gouvernementaux ) ou des faveurs individuelles pour leurs électeurs ( caseworks ). Aussi, les nouveaux venus doivent-ils consacrer toute leur énergie à se faire connaître, notamment en menant « une politique de terrain » ( grass roots politics ). Bob Roberts et son équipe, qui affrontent un sénateur démocrate solidement implanté, sillonnent les routes de Pennsylvanie dans leurs bus ultra-sophistiqué et multiplient les apparitions publiques…

Le coût des campagnes électorales
Le film de Tim Robbins est une bonne évocation d’une campagne électorale « à l’américaine ». Le montage très serré de courtes séquences donne une impression de frénésie qui correspond bien à l’intensité d’une élection aux États-Unis : les réunions où les supporters affichent leur passion, avec leurs banderoles, leurs badges et leurs calicots, les émissions télévisées où le candidat ne manque pas d’apparaître, même les concerts où le chanteur exprime ses idées en chansons,…Le film est aussi rythmé par l’annonce des sondages en faveur de l’un ou l’autre candidat, jusqu’au résultat final…Mais Bob Roberts évoque aussi d’autres aspects intéressants. Ainsi, les campagnes électorales aux États-Unis nécessitent des fonds de plus en plus considérables, pour des raisons que nous évoquerons plus loin : en 1976, un sénateur dépensait en moyenne 595 000 $ pour obtenir son siège et près de 2,5 millions en 1990 ( les sommes vont jusqu’à 5 millions en Floride, 9 millions en Californie…). Certes, surtout depuis le scandale du Watergate , des lois ont été votées qui imposent des règles plus contraignantes ( cf article sur le Sénat des États-Unis ). Mais les dépenses ne sont pas plafonnées, au nom de la liberté individuelle…Aussi, les candidats passent une bonne partie de leur temps à rassembler des fonds ( fund raising ). Actuellement, l’essentiel vient des contributions individuelles ( plus de 50% du total ) : mais l’argent est aussi fourni de plus en plus par les Comités d’action politique ( Political Action Committees = Pacs ). Ces organismes sont de nature très diverse : syndicats, groupes professionnels , grandes sociétés ( General Electric, ATT, Philip Morris, ou des mouvements défendant une cause particulière ( par exemple les associations anti- avortement…). Au total, l’aide financière de ces Pacs représentait déjà 28% des sommes dépensées aux élections sénatoriales de 1986..Un tel système avantage bien sûr les politiciens aisés, qui peuvent investir leur fortune personnelle : les exemples récents de Ross Perot et de Steve Forbes en sont l’illustration. Le premier cité, candidat aux élections présidentielles de 1992 et de 1996 possède une des plus grosses fortunes des États-Unis ( près de 3 milliards de dollars ) et a dépensé plusieurs dizaines de millions de dollars lors de sa première campagne ( il a obtenu 19% des voix, soit le meilleur score jamais atteint par un candidat indépendant ). Cette prime aux plus riches est aussi sensible au Congrès : en 1982, 35 sénateurs ( sur 100 ) sont des milliardaires…Et si la dynastie des Kennedy a régné si longtemps sur l’État du Massachusets, elle le doit en partie à la fortune familiale…Dans le film, Bob Roberts est aussi présenté comme un homme très riche ( un journaliste précise même qu’il « pèse » 40 millions de dollars…), un businessman avisé qui a même su profiter du krach d’octobre 1987…

Une affaire de professionnels
Cette inflation des dépenses électorales est due notamment à la professionnalisation croissante de la vie politique aux États-Unis . Surtout depuis les années 1960, les politiciens américains ont recours à des cabinets spécialisés dans le marketing politique, qui ont proliféré dans les années 1980 ( en 1988, on comptait près de
5 000 cabinets, qui interviennent même dans des élections locales, le seuil de rentabilité étant fixé à 5 000 électeurs…). L’idée essentielle est d’appliquer à la politique les méthodes de la publicité, avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer ( dans son livre The Selling of The PresidentComment on vend un président-, Joe Mac Ginnis décrit l’application de ces théories lors de la campagne de Richard Nixon en 1968 ). Ces consultants politiques, chargés de la conception et de l’organisation des stratégies politiques des candidats, ont pris une place grandissante : ils sont à la fois cause et conséquence des changements dans la vie politique aux États-Unis ( selon la formule « le marché crée le produit, le produit crée le marché » ) . Ils sont en particulier responsables du coût toujours plus important des campagnes électorales ( un cabinet se fait payer au moins 25 000 $ pour enquêter sur l’adversaire qu’on veut battre : en 1994, les candidats au Congrès ont dépensé près de 16 millions $ pour ce genre d’opérations…). Dans Bob Roberts, le candidat est effectivement assisté de toute une équipe : des conseillers financiers pour ses affaires privées, des hommes chargés de sa sécurité, et aussi plusieurs personnes qui s’occupent de sa campagne électorale ( son ami Lukas Hart III et surtout Chet Mac Gregor ). Ce « staff » a des activités multiples : organiser les réunions, préparer les passages du candidat à la télévision, concevoir et réaliser les spots télévisés qui vont mettre en valeur leur « homme » ou au contraire « démolir » l’adversaire, analyser les sondages afin de modifier éventuellement la stratégie…

La gestion des signes
Les candidats et leurs consultants sont notamment sensibles à ce que Jean-Pierre Lassale appelle « la gestion des signes ». Tout est fait pour que l’homme politique apparaisse le plus souvent possible dans les médias audiovisuels qui ont une importance décisive dans le choix des électeurs ( aux États-Unis, 99% des foyers ont au moins un poste de télévision, 55% plus d’un récepteur : les Américains regardent ce média en moyenne 3 heures par jour et accordent en général leur confiance aux informations diffusées….) Or, selon les consultants politiques, le candidat qui passe à la télévision, doit mettre en avant ses qualités d’homme et non son programme . Comme l’écrivait un des conseillers de Richard Nixon, « ceux de la TV génération sont émotifs, non structurés, directs et spontanés (…) La raison repousse le téléspectateur, elle l’agresse (…) L’impression peut le motiver, sans requérir d’effort de pensée. Les émotions sont plus faciles à provoquer ». Aussi, les messages doivent-ils être simples, brefs et soigneusement préparés ( les fameuses « petites phrases » – sound bites aux États-Unis-, qui vont être reprises au journal télévisé…). On peut d’ailleurs considérer que les médias se sont parfaitement prêtés au jeu : leurs compte-rendus sont souvent superficiels et ils ne dédaignent pas le sensationnel : comme le déplore l’ancien journaliste du Washington Post, Carl Bernstein,  » nous couvrons la campagne ( électorale ) comme si c’était une course de chevaux, et les candidats des personnages de roman-photo »….La traditionnelle insolence de la presse américaine semble être un lointain souvenir…Ainsi, dans le film de Tim Robbins, Bob Roberts ne manque pas une occasion de se montrer à la télévision, même dans des situations qui ne lui sont pas à priori favorables mais dont il sait tirer avantage. Quand il est interrogé par une journaliste plutôt incisive, il réplique en l’accusant d’être communiste…Lorsqu’il est invité dans une émission de variétés Cutting Live, il impose son programme de chansons « engagées »…A plusieurs reprises, Bob Roberts et son équipe montrent leur savoir-faire : le spot télévisé en faveur du candidat est réduit à l’essentiel et insiste sur sa personnalité (  » For a new day, Vote Bob » )..Lors du face à face avec le sénateur Paiste, le débat d’idées est inexistant mais Bob Roberts en profite pour glisser quelques formules qui doivent faire mouche ( il déclare ainsi : « je défendrai les valeurs de l’homme de la rue à Washington », phrase d’une tonalité très populiste…). Son adversaire démocrate regrette d’ailleurs qui l’émission se soit réduite à une « séance-photo »…

La publicité négative
Le film de Tim Robbins évoque aussi une pratique particulière du débat politique aux États-Unis et qui n’existe pas en France, en tout cas pas sous cette forme : il s’agit de la « publicité négative » télévisuelle, très utilisée par les politiciens américains. Un des premiers exemples de ce procédé est le fameux spot « Daisy« , que les Démocrates avaient conçu en 1964 contre le Républicain Barry Goldwater : pour montrer les risques qu’entrainerait l’élection de ce candidat plutôt belliciste, on voyait une petite fille effeuillant une marguerite ( Daisy), pendant qu’une voix égrenait le compte à rebours précédent une explosion nucléaire… En 1988, la campagne de Michael Dukakis est déstabilisée par un spot télévisé qui le rendait responsable de la libération d’un dangereux criminel ( Alors qu’il était gouverneur du Massachusetts, le candidat démocrate avait autorisé une permission pour un délinquant noir, Willie Horton, accusé d’avoir violé une femme blanche…cf la transcription de ce spot célèbre). Une illustration de ces pratiques est donnée dans Bob Roberts : alors qu’un téléphone sonne sans arrêt, une voix-off accuse le sénateur Paiste de « vouloir aider les chômeurs paresseux, de se voter une augmentation à lui-même » et conclut  » Pendant qu’il dort, nous vivons son cauchemar ; réveillez-vous, Votez Bob ». Cette surveillance des élus est d’ailleurs un procédé courant des organisations d’extrème-droite : celles-ci relèvent les votes des parlementaires sur les sujets sensibles ( l’avortement, la religion.. ), pour décider s’ils méritent d’être soutenus ou combattus ( morality rating record ).

Les coups bas
Mais le débat politique aux États-Unis prend parfois un aspect plus déplaisant encore. Les hommes politiques n’hésitent pas à fouiller dans la vie privée de leurs adversaires, et à étaler sur la place publique, ce qui pourrait les mettre en difficulté…Cette attitude correspond d’abord au vieux fonds puritain de ce pays majoritairement protestant . Il y règne, selon l’expression de Lucien Romier, un  » collectivisme moral » et les Américains sont persuadés qu’un candidat qui postule à une charge publique, doit se montrer irréprochable dans sa vie privée. Ils sont attentifs à la corruption mais aussi à toute « déviance » par rapport à la norme ( la drogue, l’alcoolisme, l’homosexualité, l’infidélité,…). Par le passé, plusieurs hommes politiques ont eu à souffrir de cette « vigilance ». La carrière de Ted Kennedy a été sérieusement compromise par la fameuse affaire de Chappaquidick Bay en 1969 ( sa jeune secrétaire avait été tuée dans un accident de la route, alors que le sénateur était au volant…). En 1987, le sénateur démocrate du Colorado Gary Hart, sérieux candidat à l’investiture de son parti, doit renoncer quand la presse révèle sa liaison avec une actrice. Lors de la campagne présidentielle de 1992, la fidélité conjugale de Bill Clinton est mise en doute par des journaux à scandale…Actuellement, les politiciens américains engagent des spécialistes des « coups pourris » ( dirty tricks ), noblement désignés sous le nom d' »oppositions researchers » ( en abrégé, opps ), chargés des enquêtes qui vont compromettre le concurrent…Nul doute qu’ils ont été mis à contribution pour impliquer le couple présidentiel dans l’affaire Whitewater ( en 1992, le parti démocrate avait dépensé 30 000$ pour enquêter sur la vie privée de George Bush et de son fils…). Ces informations , souvent douteuses, sont parfois reprises par la presse dite « sérieuse ». En 1992, le magazine Time publie des reportages sur « L’enfance oubliée de Bill Clinton », alors qu’US News consacre 6 pages à « La vie cachée de Bill Clinton »…Le film Bob Roberts fait allusion à ce genre de procédé : l’adversaire du candidat chanteur est ainsi accusé d’entretenir une liaison avec sa jeune secrétaire, comme semble le montrer une photo prise à son insu ( par la suite, le sénateur Paiste se justifie en affirmant que l’image était truquée et que la jeune fille était une amie de sa petite-fille… Mais le mal est fait comme l’indiquent très vite les sondages…).
Enfin, le film nous présente un homme politique qui monte de toutes pièces un attentat contre lui même, afin de se donner une image de martyr et de l’emporter sur son rival. Certes , les attentats politiques ne sont pas rares aux États-Unis, et la la longue série de politiciens blessés ou tués en témoigne. Parmi les plus connus, on peut citer John Fitzerald Kennedy en novembre 1963, son frère Bob Kennedy en juin 1968, George Wallace paralysé à la suite d’une agression en 1972, le président Ronald Reagan blessé en mars 1981…Mais il ne semble pas qu’un candidat ait été aussi loin que le suggère Tim Robbins : le cinéaste a sans doute poussé la caricature un peu loin pour les besoins de sa démonstration…

Bob Roberts, apôtre de la Nouvelle Droite
Un autre intérêt du film au point de vue politique est d’attirer l’attention sur un courant politique, qui a pris une influence certaine depuis les années 1980, celui de la Nouvelle Droite. A plusieurs reprises au cours du film, Bob Roberts est qualifié d’épithètes qui le rattache à cette tendance :  » le Rebelle Conservateur », « le martyr de la Nouvelle Droite », le  » Yuppie fasciste »…

Une idéologie revancharde et réactionnaire
La Nouvelle Droite n’est pas un parti structuré, mais plutôt « un enchevêtrement de mouvements, de groupuscules, tous orientés vers la défense des causes conservatrices » ( Mokhtar Ben Barka ). On y trouve des groupes de réflexion ( think tanks ), comme la Heritage Foundation créée en 1974 et qui a élaboré une partie du programme de Ronald Reagan ; des Pacs, comme le National Conservative Political Action Committee ; et enfin des groupes défendant une seule cause ( single issue groups ), comme la célèbre National Rifle Association, la coalition pro-life, ou des associations de parents ( People of America responding to Educational needs in Today’s Society = PARENTS ). Tous ces mouvements apparaissent à la fin des années 1970 et au début des années 1980 ( l’inventeur de la Nouvelle Droite, Richard Viguerie crée son organisation en 1974, Jerry Falwell fonde la Moral Majority en 1979 ) et sont bien sûr « dopés » par la victoire de « leur » candidat Ronald Reagan aux élections présidentielles de 1980…
Si tous ces groupes peuvent parfois s’opposer, ils s’accordent pour défendre une idéologie fondamentalement conservatrice et même réactionnaire. Il flotte souvent comme un parfum de revanche dans les discours des dirigeants de la Nouvelle Droite. Selon eux, les années 1960-1970 ont été une période noire pour les États-Unis : ils dénoncent violemment la contre-culture , les mouvements contre la guerre du Vietnam, le laxisme, la mollesse devant l’ennemi communiste…Comme l’écrit Nicole Bernheim à propos de l’élection de Reagan, « les Américains qui avaient rongé leur frein devant l’avènement des hippies, les manifestations pacifistes, les émeutes noires,  » la société permissive » des années 1970, se sentirent vengés, soulagés ». Ces idées se retrouvent dans le film de Tim Robbins, quand Bob Roberts s’indigne : « les années 1960 sont une tache sur notre histoire. Jamais l’illégalité et l’immoralité n’ont été aussi répandues » et de prophétiser dans une de ses chansons  » The times are changing back ».

   Cette idée d’une Amérique en déclin est essentielle, car ces mouvements de la Nouvelle Droite sont imprégnés de fondamentalisme religieux : pour eux, le peuple américain s’est détourné de Dieu et du coup subit tous les fléaux . Pat Robertson, le célèbre télé-évangeliste fulmine ainsi « contre les assassins d’enfants, les lobbies qui réclament la légalisation des mariages homosexuels, et les adversaires de la morale chrétienne ». Ce retour aux valeurs chrétiennes est à leurs yeux primordial : ils réclament l’interdiction de l’avortement ( ils souhaitent le vote d’un amendement à la Constitution en ce sens ), des unions entre personnes de même sexe. Une de leurs cibles privilégiées est « l’école sans Dieu » : ils demandent notamment la prière quotidienne dans les établissements scolaires et l’enseignement du créationnisme, à égalité avec l’évolutionnisme. Bob Roberts ainsi prône le retour à la religion : dans ses chansons, il dénonce ces enseignants « qui ne veulent pas de prière dans leurs écoles » et déplore que « le Monde se détourne de Dieu »…

  Les idéologues de la Nouvelle Droite sont aussi d’accord pour estimer que le capitalisme libéral est le meilleur des systèmes économiques. Certes, ce credo est partagé par la quasi-totalité de la classe politique aux États-Unis mais sans doute pas sous cette forme extrémiste. D’abord, ils croient à la réussite individuelle, au mythe du « self made man », dont la réussite témoigne de l’élection divine…Après la jeunesse altruiste des années 1960-1970, apparait la « génération du moi » ( the me generation ), beaucoup plus préoccupée par son enrichissement personnel. Bob Roberts est bien l’un de ces Yuppies ( Young Urban Professionnals ) de l’époque Reagan , qui profitent de l’âge d’or de la spéculation à Wall Street. Le chanteur lors d’un concert avoue :  » je voulais être riche » et il est présenté par un journaliste comme « le potentiel du rêve américain »…Les dirigeants de la Nouvelle Droite ont aussi repris à leur compte les théories des économistes libéraux à propos de l’État ( F. Von Hayek, Milton Friedman et l’école de Chicago ). Ils sont partisans de « l’économie de l’offre » ( supply side economy ) et veulent supprimer tout ce qui pourrait gêner le fonctionnement « naturel » du marché. En particulier, ils veulent une réduction drastique des charges fédérales, et en conséquence la suppression des programmes sociaux ( certains évoquent un « anti New Deal conservateur » )…Cette idée s’accompagne souvent d’un discours moralisateur : « le premier principe est que, pour s’en sortir, les pauvres ne doivent pas seulement travailler, mais ils doivent travailler plus dur que ceux qui appartiennent aux classes supérieures. Toutes les générations précédentes ont fait de tels efforts » ( Georges Gilder, Richesse et Pauvreté ). Selon la formule de Kurt Vonnegut, « est pauvre celui qui n’a pas su devenir riche » et donc ne mérite pas qu’on s’intéresse à lui. Ces idées se retrouvent aussi dans le discours de Bob Roberts qui veut réduire les programmes sociaux et accuse son rival de vouloir les augmenter ( le sénateur Paiste incarne un Démocrate de « la vieille école », partisan d’une intervention de l’État pour prendre en charge les plus pauvres, dans les traditions des « grands » présidents de son parti : Roosevelt, Kennedy, Johnson et sa « Grande Société » ). De même, le candidat chanteur évoque « les chômeurs professionnels », tous ces miséreux « qui n’arrêtent pas de se plaindre encore et encore », une antienne beaucoup entendue pendant la Présidence Reagan…
A propos du racisme, les représentants de la Nouvelle Droite se distinguent par leur discrétion : on peut relever qu’aucun dirigeant conservateur n’appartient à une minorité, et que certains d’entre eux comme Pat Robertson ont parfois fait des déclarations antisémites. Surtout, les réductions des programmes sociaux vont affecter les groupes les plus défavorisés, qui se trouvent être les Noirs ou les Hispaniques…Même remarque pour la remise en cause de l' »affirmative action », qui est censée compenser les handicaps des minorités…L’attitude de Bob Roberts est aussi ambiguë : certes, un de ses assistants est Noir ( germanophone de surcroît…) et le chanteur est un moment accompagné par un chœur de gospel…Mais sa sollicitude s’arrête là : le seul Afro-américain présent dans son équipe semble surtout servir d’alibi : il est d’ailleurs violemment pris à partie par la journaliste noire de la télévision, qui lui reproche « de laisser sa peau au vestiaire »…

   Enfin, la Nouvelle Droite affiche un patriotisme intransigeant : notamment, elle veut conserver la position dominante des États-Unis dans le monde et elle est littéralement obsédée par la lutte contre le communisme. La Défense est d’ailleurs le seul domaine où les Conservateurs admettent l’engagement de l’État. Comme le dit John T. Dolan, « nous voulons rétablir la supériorité militaire absolue des États-Unis. Si vous êtes contre l’accroissement des dépenses militaires, vous n’avez pas une position conservatrice. C’est une attitude fondamentale ». Plusieurs organisations de la Nouvelle Droite ont d’ailleurs joué un rôle actif dans la lutte contre les mouvements de gauche en Amérique Latine : elles utilisent souvent de pseudo-associations humanitaires pour financer des réseaux paramilitaires privés ( Pat Robertson a ainsi aidé les Contras au Nicaragua, en lutte contre le gouvernement sandiniste dans les années 1980 ) . Dans le film Bob Roberts, ces activités sont évoquées dans plusieurs séquences . Lukas Hart III, ami et financier du candidat, est montré en train d’être auditionné par une Commission du Congrès qui enquête sur sa fondation Broken Dove, et ses agissements au Nicaragua. Les parlementaires s’interrogent sur la réalité de cette aide humanitaire, alors qu’on a retrouvé des armes et des traces de drogue dans l’un des avions de l’organisation abattu par les Sandinistes. Cette affaire rappelle évidemment celle de l’Irangate, qui a défrayé la chronique aux États-Unis pendant le second mandat de Ronald Reagan. En novembre 1986, on apprend que le Président a autorisé des ventes d’armes à l’Iran, afin d’obtenir la libération d’otages américains au Liban. L’argent récupéré aurait servi à acheter des armes pour les Contras au Nicaragua. Toute cette opération aurait été montée par la CIA mais à l’insu du Congrès ( en fait, l’amendement Boland voté en 1984 interdisait justement tout soutien des Etats-Unis à ces mouvements ). Après une enquête menée par une Commission parlementaire en 1987, des poursuites sont engagées contre des responsables du Conseil National de Sécurité, notamment l’amiral Poindexter et le fameux lieutenant-colonel Oliver North. Ce dernier se montre particulièrement arrogant devant les Sénateurs, mais « couvre » le Président Reagan, mis hors de cause. Episcopalien fondamentaliste et ancien agent de la CIA, il a bien pu servir de modèle au personnage de Lukas Hart III qui, dans le film, s’indigne que « le Congrès freine la sauvegarde de la démocratie en Amérique centrale ». Bob Roberts a aussi l’occasion de manifester son nationalisme à propos de l’engagement des États-Unis contre l’Irak, quelques mois avant le déclenchement de la guerre du Golfe. A plusieurs reprises, il apporte son soutien au Président Bush et reproche à son concurrent démocrate son manque d’ardeur patriotique. Le sénateur Paiste, qui exprime sans doute les convictions du réalisateur, estime que Sadam Hussein est un bouc-émissaire bien commode, un nouvel « être immonde » après Fidel Castro, le dictateur panaméen Noriega ou le dirigeant lybien Kadhafi, qui correspond bien à l’image de « l’homme que vous aimerez haïr  » ( the man you love to hate ). Dans son entretien au Monde, Tim Robbins souligne surtout la manipulation de l’opinion américaine par Bush et les médias. Comme il est rappelé à la fin du film, la population devient favorable à une intervention militaire en novembre 1990 alors qu’elle y était hostile quelques semaines plus tôt…

L’influence de la Nouvelle Droite
Ce courant politique dispose de moyens financiers considérables, et en particulier de l’appui d’hommes d’affaires très riches ( Heritage Fondation bénéficie du soutien du brasseur milliardaire Joseph Coors et du groupe de presse Reader’s Digest…)…En plus, les stratèges conservateurs ont parfaitement intégré les technologies les plus modernes de la communication et savent les utiliser au services de leurs idées ( ainsi les réseaux câblés de télévision, le « direct mail » c’est à dire le courrier personnalisé géré par ordinateur, qui permet de collecter des fonds ou de mener des campagnes politiques…). A propos de cette alliance entre idées réactionnaires et techniques de pointe, Serge Halimi parle du « mariage entre Internet et la chaise électrique »…Plusieurs personnalités de la Nouvelle Droite sont à la tête d’empires multimédias, comme Richard Viguerie, Jerry Fallwell, ou encore Pat Robertson. Ce dernier présente tous les jours un talk-show sur une chaine spécialisée ( Christian Broadcasting Network ) suivi par 2 millions d’auditeurs, dirige un centre d’Enseignement supérieur ( Regent University ), un hôtel pour conférences ( the Founders Inn ) et un centre d’expédition du courrier ( Mail Room ) : au total, son groupe réalise un chiffre d’affaires d’un demi-milliard de $, et Pat Robertson lui-même a un revenu d’un demi-million de dollars annuels. Bob Roberts est lui aussi un homme polyvalent : il est à la fois un chanteur de country à succès, et un homme d’affaires avisé ( l’équipement électronique de son bus lui permet de spéculer sur toutes les places boursières du globe…) . Avec son ami Lukas Hart III, il anime également une fondation Broken Dove, chargée de venir en aide aux drogués…

Un bilan nuancé
Il est difficile de faire un bilan exact de l’action de la Nouvelle Droite. R. Reagan ,qui avait repris une partie de ses idées, n’a pu obtenir le soutien du Congrès et les résultats législatifs ont été « décevants »..Certes, les programmes sociaux ont été réduits, mais le déficit budgétaire est resté considérable et les impôts ont même augmenté pendant sa Présidence. Quant à son successeur George Bush, il a été jugé trop modéré par les plus radicaux ( Pat Robertson l’a même qualifié « d’Antéchrist »…). Au niveau local, les organisations de la Nouvelle Droite ont marqué des points : plusieurs États, surtout dans le Sud et l’Ouest, ont obligé les écoles à enseigner le créationnisme, ont adopté des lois restrictives à propos de l’avortement ou des délinquants récidivistes…Mais, pour l’instant, ces législations ont souvent été remises en cause par la Cour suprême…Plusieurs dirigeants conservateurs ont subi des échecs quand ils se sont présentés « à visage découvert » : Pat Robertson aux élections primaires du Parti Républicain en 1988, Pat Buchanan à celles de 1992 et de 1996…David Duke, ancien membre du Klan et candidat au poste de gouverneur de Louisiane, est battu en 1991.
Mais malgré ces revers, la Nouvelle Droite conserve une forte influence, alors que l’audience des deux grands partis traditionnels est en recul. Les  » victimes » de la classe moyenne blanche ( the angry white male ) ont tendance à chercher refuge dans les valeurs traditionnelles et on ne compte plus les mouvements prônant le retour à la famille et à la religion ( ainsi les Promise Keepers – les Fidèles de la Parole donnée- qui s’engagent à respecter le pacte conjugal et qui comptaient plus de 250 000 membres en 1994…). Comme l’écrit Mokhtar Ben Barka,  » la Nouvelle Droite banalise l’inacceptable, rend crédible l’incroyable, accroit la peur dans les esprits modérés (…) Au minimum, elle répand le doute (…) Bien implantée dans le paysage politique américain, elle n’est pas prête à disparaitre. Elle répond à de vieilles angoisses et de vieux rêves ». Son influence est sensible au Parti Républicain : sous la houlette de Newt Gingrich, le Grand Old Party a élaboré en 1994 un « Contrat pour l’Amérique » qui reprend plusieurs de ses idées ( sur la réduction des programmes sociaux, la législation anti-avortement…). Lors de la Convention du Parti à San Diego en août 1996, la plate-forme du candidat Bob Dole a été inspirée par les idéologues de la Christian Coalition et notamment par Ralph Reed, discret représentant de Pat Robertson. Certes, l’électorat centriste et surtout les femmes, reste peu sensible aux thèmes les plus extrémistes. Reste que le centre de gravité de la vie politique aux États-Unis s’est nettement déplacé vers la droite de l’échiquier. Le ralliement de Bill Clinton à certaines idées de ses adversaires Républicains en témoigne ( notamment à propos du démantèlement du Welfare State ). Enfin, aux marges de la Nouvelle Droite, gravitent des groupes fanatisés, qui n’hésitent pas à utiliser la violence pour défendre leurs idées. Pour mémoire, on peut mentionner la trentaine d’attentats commis par des commandos anti-IVG et qui ont provoqué la mort de plusieurs personnes travaillant dans des cliniques pratiquant l’avortement. Ou encore l’activisme des milices privées prêtes à tout pour défier l’État fédéral ( ces groupes sont sans doute à l’origine de l’attentat d’Oklahoma City en avril 1995 qui a fait 167 morts, et peut-être de l’explosion d’une bombe meurtrière aux J.O d’Atlanta en juillet 1996 ).

Ainsi, le film de Tim Robbins informe sur des problèmes bien réels de la vie politique aux Etats-Unis, sur la forme et le fond : la dérive préoccupante du débat politique et l’apparition d’une Nouvelle Droite d’autant plus dangereuse qu’elle maitrise parfaitement les techniques de communication…En ce sens, Bob Roberts est un film utile…

 

La vie politique aux Etats-Unis et sa représentation au cinéma

   Même si la politique n’est certes pas un sujet évident pour le cinéma de distraction produit par les studios d’Hollywood, elle est quand même présente dans la production cinématographique américaine ,et ce depuis ses débuts. On peut déjà considérer, comme beaucoup d’auteurs, que « tout est politique », que la vision du monde proposée par les films américains les plus innocents apparemment, ne l’est justement pas. Comme l’écrit Anne Marie Bidaud dans son livre Hollywood et le rêve américain, « le cinéma ne peut se développer contre la société qui le produit: en tant qu’industrie commanditée par les plus grands groupes financiers américains, il ne peut également qu’être solidaire de leurs intérêts, économique et idéologique ». Mais, le cinéma américain a aussi souvent représenté le système politique et social des États-Unis, soit comme sujet principal soit comme toile de fond à une fiction : à toutes les époques, il s’est trouvé des réalisateurs , de Capra à Stone, que « la vie de la cité  » ne laissait pas indifférents…

Le temps des certitudes
Pendant longtemps, le cinéma hollywoodien a affiché ses intentions : il s’agit bien de défendre le système américain, évidemment le meilleur au monde. En 1957, c’est à dire dans un contexte de Guerre froide, le Président de la MPAA (Motion Pictures American Association ) , Eric Johnston déclare que les films hollywoodiens ont bien réussi « à vendre les concepts de notre démocratie ». De fait, dès les années 1920, la démocratie « à l’américaine » est une valeur constamment défendue, en tout temps et en tout lieu, depuis l’Antiquité ( The Egyptian de Michael Curtiz – 1954-) jusqu’à la Guerre Froide (One, two, three de Billy Wilder -1961-, I was a Communist for the FBI de Gordon Douglas -1951-). Comme l’écrit Michel Cieutat, « dans tous les cas de désordre, l’Amérique et son cinéma préconisent toujours le recours pratique ou symbolique aux urnes ». Ce principe est systématiquement invoqué pour résoudre les problèmes ( « Let’s vote« ), dans Stagecoach ( 1939 ) de John Ford pour se prononcer sur la poursuite du voyage, dans Lifeboat ( 1944 ) d’Alfred Hitchcock pour décider du sort du nazi…Quand les élections sont représentées à l’écran, « c’est souvent l’occasion pour les cinéastes de rendre hommage au parfait fonctionnement du système législatif américain » ( Michel Cieutat ). Dans les westerns, les scènes d’élections locales pour la désignation du shérif par exemple sont comme les balbutiements prometteurs d’une démocratie en devenir et à venir, qui mettra un terme à la loi de la jungle qui règne encore dans l’Ouest…
Les films hollywoodiens privilégient aussi un certain type d’homme politique, qui doit incarner la perfection du système américain : ils aiment « ces individus issus de rien, parvenus seuls au sommet de la réussite (…), qui sont plébiscités et par là-même transformés en symboles de la vitalité du rêve américain ( Michel Cieutat ). Abraham Lincoln représente parfaitement ce type de personnage qui s’élève « de la cabane en rondins à la Maison Blanche » ( « from the log cabin to the White House » ), et l’on pense bien sûr au fameux film de John Ford, Vers sa destinée ( Young Mr Lincoln, 1939 ), où le futur président est incarné par Henri Fonda. L’équivalent de cet archétype dans la fiction pourrait être M. Deeds, interprété par Gary Cooper dans le film de Frank Capra, Mr Deeds goes to Town ( 1936 ) : le personnage est un Américain moyen provincial, devenu subitement millionnaire, qui se retrouve brutalement sur le devant de la scène, ou encore Jefferson Smith, autre personnage de Capra, » boy-ranger » promu au rang de personnalité politique dans Mr Smith goes to Washington
( 1939 )…
A l’inverse, Hollywood ne manque pas de discréditer les idéologies révolutionnaires ; par exemple, la révolution mexicaine n’est pas épargnée par les cinéastes américains ( même dans le film du « libéral » Elia Kazan, Viva Zapata-1952-, les réformes agraires instaurées par le général mexicain sont « oubliées »…), et bien sûr la révolution bolchévique, lointaine mais si inquiétante, est toujours présentée de façon négative, à l’exception notable de Mission to Moscow de Michael Curtiz ( 1943 ) et du film de Warren Beatty, Reds, réalisé en 1981 ( la plupart des films « anti-rouges » ont été tournés à l’époque de la Guerre Froide ou pendant la présidence de Ronald Reagan… Mais leur impact est resté limité, pour des raisons artistiques -peu d’œuvres de valeur-, et des causes économiques-le sujet était peu attrayant pour le grand public…).
Mais si le cinéma américain soutient sans état d’âme le système politique des États-Unis, il sait aussi en montrer les imperfections. Dans les années 1930 et 1940, un cinéaste comme Franck Capra y consacre 4 films, dans l’ordre : Mr Deeds goes to Town ( 1936 ), Mr Smith goes to Washington ( 1939 ), Meet John Doe ( 1941 ), State Union ( 1948 )…Ses personnages ( Longfellow Deeds, un brave type de la campagne; Jefferson Smith un genre de boy-scout simplet; LongJohn Willoughby, un chômeur désabusé…) incarnent sous différents avatars l’Américain moyen ( « the common man » ) : ils sont d’ailleurs interprétés par des vedettes très populaires de l’époque, auxquelles le public peut s’identifier sans peine : Gary Cooper, James Stewart, Spencer Tracy.
Comme il le dit lui-même, Capra veut faire des films sur « le type qui balaie, le pauvre gars qui s’est fait rouler »…Tous ses films dénoncent les puissants, les groupes d’intérêt politiques et économiques, qui écrasent les plus faibles et faussent le fonctionnement naturel du système. En ce sens, le réalisateur est bien dans la mouvance populiste, si importante aux États-Unis depuis la fin du XIX° siècle. Lui-même arrivé à 6 ans dans son pays d’adoption, il adhère sans réserves au « rêve américain » et s’insurge contre ceux qui veulent le dénaturer. En vrac, sont ainsi dénoncés la presse corrompue (Meet John Doe, State Union ), les industriels avides et les riches égoïstes ( Mr Deeds, Mr Smith ), les appareils politiques ( Mr Smith, State Union ). Dans ses premiers films, F. Capra croit assez au système pour estimer qu’un homme seul peut vaincre les  » Méchants » et faire triompher le bon droit, en général au cours de séquences mémorables où le héros emporte la décision grâce à son courage et sa conviction ( l’exemple le plus fameux est le long discours que Jefferson Smith prononce devant le Sénat américain et qui emporte l’adhésion des sénateurs dans Mr Smith…). Capra croit à l’individualisme et se méfie de l’interventionnisme de l’État ( le cinéaste, quoique fasciné par le personnalité de Franklin Delano Roosevelt, est un Républicain convaincu… ). A la même époque, d’autres films mettent en garde contre la séduction du fascisme, comme le curieux Gabriel at the White House, de Gregory La Cava (1932-33), La flamme sacrée de George Cukor ( 1942 ).
Mais le film le plus marquant de cette période sur le sujet reste à tous égards le chef d’œuvre d’Orson Welles, Citizen Kane ( 1941 ). Au delà de ses qualités artistiques, le premier film du jeune prodige venu du théâtre d’avant-garde est aussi une réflexion sur le pouvoir, et notamment le pouvoir politique. On sait que le modèle du principal personnage est le magnat de la presse, William Randolph Hearst, propriétaire d’un empire de 28 journaux, 13 magazines, et 8 stations de radio. Cette personnalité influente et controversée, isolationniste forcené et populiste parfois à la limite du fascisme, avait tenté d’obtenir le poste de gouverneur de l’État de New-York. Malgré des dépenses considérables, il avait été battu après une campagne électorale intense…Orson Welles ne manque pas de dénoncer l’hypocrisie de ces milliardaires qui se prétendent « amis du peuple ». Dans le film, Kane prévient son banquier : « Voyez-vous, j’ai de l’argent et des biens au soleil. Si je ne m’occupe pas des déshérités, peut-être quelqu’un sans argent et sans biens s’en chargera-t-il, quelqu’un sans argent et sans biens au soleil et ce serait très fâcheux… »autrement dit la société serait vraiment en péril si le mouvement était conduit par des dirigeants vraiment issus du peuple…Le cinéaste oppose la « vraie gauche » au paternalisme du démagogue. L’ami de Kane, Leland, interprété par Joseph Cotten, l’avertit : « ça ne va pas te plaire du tout quand tu t’apercevras que tes travailleurs considèrent que leurs droits sont dûs et ne sont pas un cadeau ». De même, Welles dénonce les mœurs douteuses de la vie politique de cette époque : la victoire de Kane, acquise à coups de milliers de dollars et qui semble inéluctable, est brisée nette quand la presse à scandales révèle sa liaison clandestine avec une actrice…Les « coups bas » ( dirty tricks ) ne datent pas d’aujourd’hui…

Les paradoxes de la Guerre froide
Dans les années 1950-1960, Hollywood est pris dans la fièvre anti-communiste et ne fait pas de concessions. la commission des activités anti-américaines ( HUAC = House of Un-American Activities ) veut ainsi expurger les milieux du cinéma et commence ses auditions de témoins en 1947 ( d’autres auditions auront lieu par la suite, en 1951, 1953… ). A part les Dix d’Hollywood, ( c’est à dire ceux qui avaient refusé de témoigner et avaient été condamnés ), on estime qu’au total une trentaine de témoins ( dont Kazan, Dmytryk, Rossen…) ont donné les noms d’environs 300 personnes : une « liste noire » est établie, qui interdit de donner du travail à tous ceux suspectés d’être des « rouges ». La production cinématographique de l’époque est donc marquée par son anticommunisme implacable, et son apologie sans nuance des institutions américaines. Plusieurs films soulignent notamment le danger intérieur que représente l’idéologie révolutionnaire. Dans My son John, de Léo Mac Carey ( 1952 ), une famille américaine est contaminée par le virus communiste, car le fils est devenu un « rouge »…Aussi, il est remarquable que, dans ce contexte, certains cinéastes, sans doute dotés d’une forte personnalité, aient réussi à réaliser des films qui brisent le consensus. Deux d’entre eux méritent d’être cités, Robert Rossen et surtout Elia Kazan. Les deux réalisateurs ont d’ailleurs des points communs : d’abord proches des communistes, ils comparaissent devant la commission des activités anti-américaines et finissent par accepter de témoigner ( Kazan ira jusqu’à s’offrir une page entière dans des journaux pour afficher une profession de foi anti-communiste ).
Robert Rossen, d’abord en 1949, alors qu’il n’a pas encore « témoigné », réalise un film sur un personnage illustre et controversé de la vie politique américaine, le gouverneur de Louisiane, Huey Long. Issu
d’un milieu modeste, celui-ci s’impose dans un des États les plus pauvres de l’Amérique avec beaucoup de démagogie et des idées populistes. Alors qu’il semblait promis à un destin national, il est assassiné en 1935…D’après le livre de Robert Penn Warren, Rossen tourne Les Fous du Roi ( All the King’s Men, 1949 ) , avec comme principal interprète Broderick Crawford. Le film est alors à contre-courant : il met en cause un politicien « fascisant » ( alors que la priorité de l’époque est la lutte contre les « Rouges »…), il décrit un climat politique paranoïaque et les méthodes douteuses des hommes politiques, soit autant de « détails » qui peuvent très bien s’appliquer à l’atmosphère pesante qui règne alors aux États-Unis, en pleine « chasse aux sorcières »…Le film d’Elia Kazan, Un Homme dans la foule ( A Man in the crowd, 1957 ) est encore plus original. Il raconte la résistible ascension d’un chanteur de country, Lonesome Rhodes, devenu une vedette nationale avec l’aide non désintéressée de publicitaires. Il met son talent et son sens du public au service d’hommes politiques ultra-conservateurs ( on aura remarqué que plusieurs de ces thèmes se retrouvent d’une manière ou d’une autre, dans le film de Tim Robbins, Bob Roberts…). Le ton du film est virulent et plusieurs répliques sont réellement prémonitoires. Lors d’une séquence, un des politiciens analyse le rôle futur de la télévision dans la politique :  » Avec la Télévision, nous avons le plus grand instrument de persuasion des masses dans l’histoire du monde (…) La politique est entrée sur une nouvelle scène, celle de la Télévision. Au lieu des débats bavards, les gens veulent des slogans condensés. Il est temps de changer. De la fanfare et du fric…Du punch et du glamour »…Lonesome Rhodes se transforme en consultant politique : il conseille à son candidat d’avoir un chien plutôt qu’un chat, de pratiquer la chasse plutôt que la philatélie, afin de séduire le public le plus populaire…Kazan revendique la violence de la critique sociale : « On a dit que le film était contre Nixon, contre Eisenhower, contre le « big business » et bien c’est vrai…Je pense que le public américain s’est reconnu dans le film. Je l’ai montré comme un agrégat de pantins ridicules qu ‘on peut mener par le bout du nez. Dans Un homme dans la foule, le démagogue est le résultat de notre système social, de la façon dont certaines choses sont organisées dans notre pays. Il y a eu les Huey Long, il y a les Mac Carthy…Aussi longtemps que ces forces sociales existeront, ces hommes apparaitront tous les 5 ou 10 ans… » ( Cahiers du Cinéma, n°130 ). On peut penser que le cinéaste a dû apprécier l’approbation gênée (?) de la presse d’extrême-gauche : le People’s world, un des organes du Parti communiste américain écrit : « deux mouchards devant la Commission ( Kazan et son scénariste Budd Schulberg ) conspirent pour produire un des plus beaux films progressistes qu’il nous ait été donné de voir depuis des années (…) Il aidera le public à comprendre de quelle manière l’opinion publique est manipulée aux États-Unis et dans quel but ». Sans aucun doute, Kazan avec ce film veut prouver qu’il n’a pas renoncé à porter un regard critique sur la société américaine, même s’il a pris ses distances avec ses anciens amis plus engagés.
Cela dit, les temps sont durs pour les « réprouvés » : Herbert Biberman, scénariste et réalisateur, un des fameux « Dix d’Hollywood » éprouve les plus grandes difficultés à tourner un film sur les problèmes sociaux au Nouveau-Mexique : Le Sel de la terre, qui raconte la grève d’ouvriers mexicains,est réalisé dans des conditions très difficiles en 1954 : le cinéaste doit ainsi affronter les pressions des studios, des syndicats anti-communistes, du FBI et même d’Howard Hugues ! Son film est quasiment interdit de distribution jusqu’en 1965…Il est vrai que Biberman ne s’était pas rétracté devant la Commission…

Une liberté nouvelle
Dans les années qui suivent, la situation évolue : la Détente succède à la Guerre Froide et les studios ne sont plus en mesure d’imposer leur loi comme avant ( même la Commission des activités anti-américaines finit par disparaitre dans les années 1970…). Aussi, les cinéastes ne se privent pas de critiquer tel ou tel aspect du système politique ou de l’action du gouvernement américain. Sans entrer dans le détail, on peut mentionner quelques films marquants, même si leur valeur artistique est variable. Dans les années 1960, la politique nucléaire des Etats-Unis est mise en cause dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick ( Dr Strangelove, 1963 ), le danger d’un complot fasciste dans l’armée est dénoncé dans 7 jours en mai de John Frankenheimer ( 1964 ), les méthodes de Mac Carthy sont évoquées dans le film d’Otto Preminger, Tempête à Washington ( 1962 )….Dans la décennie suivante, le jeu de massacre continue et l’on voit même certains réalisateurs aborder franchement la période du Mac Carthysme ( Nos plus belles années de Sidney Pollack en 1973, Le Prête-nom de Martin Ritt en 1976, …en attendant La Liste noire d’Irving Winkler en 1991 ). Un film comme Votez Mac Kay de Michael Ritchie ( The Candidate, 1972 ) est intéressant car il traite du problème de la détérioration du débat politique aux États-Unis. Le réalisateur dénonce en particulier le rôle néfaste des conseillers politiques dont les méthodes finissent par dépolitiser complètement les campagnes électorales. Dans le film, Robert Redford incarne un jeune écologiste, pris en mains par un consultant de ce genre : alors qu’il a renoncé à toutes ses idées pour emporter la victoire, le candidat « heureux élu » s’interroge : « et maintenant, qu’est ce qu’on fait? »…L’affaire du Watergate est évoquée avec une efficacité certaine, dans Les Hommes du Président ( All President’s Men, 1976 ), réalisé par Alan Pakula. Les films qui évoquent la guerre du Vietnam sont particulièrement nombreux et dans tous les registres possibles : la quasi-comédie dans Good morning Vietnam, de Norman Jewison ( 1988 ), la description brutale et réaliste ( Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino en 1978, Platoon d’Oliver Stone en 1986, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick en 1987…), voire le ciné-opéra ( Apocalypse Now de Francis Ford Coppola en 1979 ) : mais, ces œuvres s’attachent en général plus à décrire le traumatisme émotionnel d’une génération qu’à analyser la politique du gouvernement américain dans cette région du monde…On peut aussi relever que le mouvement de contestation des années 1960-1970 a été peu ou mal représenté à l’écran, si l’on excepte quelques films musicaux ( Woodstock de Michael Wadleigh en 1970 bien sûr ), et ceux d’Oliver Stone réalisés plus récemment ( Né un quatre juillet -1989-, the Doors -1991- ). Un des films de l’époque qui traite directement ce sujet, Des fraises et du sang de Stuart Hangman ( Strawberry statement, 1970 ), donne de la jeunesse contestataire une image plutôt superficielle, plus intéressée à sa propre libération sexuelle qu’à transformer la société : par contre, le film évoque avec réalisme la brutalité de la répression policière sur les campus américains, images sans doute peu fréquentes dans le cinéma d’alors…Ainsi, à partir des années 1970, le film politique ne fait plus peur aux producteurs et il est significatif qu’un cinéaste comme Sidney Lumet, « honnête artisan » hollywoodien, se soit attaqué à plusieurs reprises à des sujets d’actualité, avec même un certain courage. Des films comme Network ( 1976 ) ou Les coulisses du pouvoir ( 1986 ) sont des descriptions assez convaincantes du monde politico-médiatique aux États-Unis. Ainsi, dans Les coulisses du pouvoir, Richard Gere interprète un jeune et sémillant consultant politique qui vend ses services à un milliardaire, personnage plutôt médiocre, qui s’est porté candidat au poste de sénateur au Nouveau-Mexique. Le film démontre bien le dévoiement d’un système dans lequel les politiciens ne sont plus que des « produits »…

Les limites du genre
On peut aussi rapidement évoquer les sujets politiques ou sociaux qui ne sont jamais ou très peu évoqués par le cinéma américain : la lutte des Noirs pour leurs droits, les problèmes de la communauté noire ne sont apparus que récemment sur les écrans , souvent dans des réalisations de cinéastes afro-américains ( Boyz’n the hood de John Singleton en 1992, Malcom X de Spike Lee, 1992 ). Les conflits sociaux sont très peu abordés : on peut bien sûr citer les chefs d’œuvre de l’entre deux-guerres comme Les Temps Modernes de Charlie Chaplin et Les Raisins de la colère de John Ford ( 1940 ) : mais depuis les années 1950, le sujet est peu évoqué par le cinéma américain : on peut mentionner pour mémoire FIST de Norman Jewison avec Sylvester Stalone ( 1978 ), Norma Rae de Martin Ritt ( 1979 ) ou l’excellent documentaire de Michael Moore sur les usines GM à Flint dans le Michigan, Roger and me ( 1989 )…En fait, il n’est pas question de ternir le « rêve américain » de la classe moyenne, qui croit à la réussite individuelle et ne veut pas entendre parler d’affrontements « classe contre classe » ( en 1935, un journaliste a trouvé une formule heureuse pour évoquer cette vision du monde : « the Rolls Royce approach of life« …). Ces « oublis » montrent bien que tous les tabous ne sont pas levés et que la société américaine a parfois du mal à évoquer tous ses problèmes.
D’ailleurs, même lorsque les cinéastes américains des années 1970-1980 abordent des sujets politiques, ils s’en tiennent souvent à des schémas déjà connus. Ainsi, l’archétype du héros  » à la Capra » perdure jusqu’à nos jours : il mène un combat solitaire contre les puissants et parvient à rétablir la situation : Robert Redford dans Les Trois jours du Condor ( 1971 ) se bat seul contre des comploteurs diaboliques agissant au coeur de la CIA, ou encore Dustin Hoffman et le même Redford incarnant Carl Berstein et Bob Woodward, les journalistes du Washington Post aux prises avec le clan Nixon dans Les Hommes du président...Comme l’écrit Michel Cieutat, « Hollywood a toujours eu en réserve un descendant du Jefferson Smith de Capra qui le temps d’une révélation, peut rétablir la lumière dans les ténèbres ». Ce type de scénario, où la Presse a souvent le beau rôle, permet de ne pas désespérer du système dans son ensemble. Cette même prudence se retrouve dans la manière d’évoquer le thème des marginaux, sujet récurrent dans le cinéma américain presque depuis ses débuts : de très nombreux films dressent les portraits de ces vagabonds ( homeless ), de ces asociaux ( cette tradition est aussi littéraire, de Mark Twain et son Huckleberry Finn, jusqu’à Jack Kerouak dans les années 1950 ). Dès les années 1930, William Wellman montre à l’écran des jeunes victimes de la crise dans Wild boys of the Roads ( 1933 ). En 1953, Lazlo Benedek évoque les bandes de motards dans L’Equipée sauvage. Cette tendance ne s’est pas démentie dans les années 1960 et jusqu’à nos jours : les cinéastes continuent à présenter des personnages inadaptés à la société, seuls ou en couple, qu’on peut retrouver dans des films comme Easy Rider de Dennis Hopper ( 1969 ), Macadam Cowboy de John Schlesinger ( 1969 ), L’Epouvantail de Jerry Schatzberg ( 1973 ) et récemment Le Clochard de Berverley Hills de Paul Mazursky ( 1986 ). La plupart de ces héros ont un destin tragique et finissent en victimes expiatoires de l’ordre social. Surtout, comme le remarque Anne-Marie Bidaud,
leur représentation au cinéma ne constitue pas un danger : « ces personnages permettent d’être ému sans être menacé parce qu’ils n’ont pas d’avenir ». Ils ne présentent pas de solution alternative et leur sort tragique renforce l’idée qu’il n’y a point de salut hors de l’ordre établi.

De Capra à Stone….
Enfin, il faut mentionner, même rapidement, les films d’Oliver Stone : ce réalisateur, très marqué personnellement par les années 1960 ( il s’est engagé dans l’armée américaine au Vietnam pour en revenir complètement désabusé), s’est littéralement passionné pour les problèmes politiques de cette période et y a consacré l’essentiel de son travail : Platoon ( 1986 ), Salvador ( 1986 ), Né un quatre juillet ( 1989 ) , les Doors ( 1991 ), JFK ( 1992 ), Nixon ( 1995 ). Le cinéaste est présenté par certains critiques comme l’héritier lointain de Frank Capra, héritage en tout cas revendiqué par Stone lui-même…Quelques détails de mise en scène sont effectivement des rappels des films de Capra : le long discours de Jim Garrison, interprété par Kevin Costner, renvoie à celui de Jefferson Smith ( incarné par James Stewart ) dans Mr Smith goes to Washington ; le Lincoln Memorial où se rend le héros de Capra est aussi utilisé comme lieu symbolique dans JFK et Nixon… Comme d’autres cinéastes et comme son illustre prédecesseur, Stone utilise le héros « seul contre tous » : le personnage principal de Né un quatre juillet est présenté ainsi par J.M. Frodon : « un brave petit Yankee qui, traumatisé par l’expérience vietnamienne, découvre qu’on l’a floué sur les valeurs de son pays ». De même, Jim Garrison est un petit juge provincial en lutte contre les forces du mal. Comme Capra, le réalisateur de JFK et de Nixon s’attaque aux Puissants, aux groupes d’interêt qui opèrent dans l’ombre, au risque d’ailleurs de quelques approximations historiques :  » Avec Kennedy et Nixon, on s’est rendu compte que le pouvoir n’était pas entre les mains du Président mais dans celles des industriels, des militaires, des responsables de la CIA,de Wall Street, de la Mafia, qui limitent les pouvoirs de l’exécutif. On ne peut pas défier impunément ces pouvoirs-là que nous appelons « la Bête » dans le film. Kennedy a essayé et on l’a tué. C’est la même chose avec Nixon, car il a fait la paix avec l’URSS, la Chine et finalement avec le Vietnam et on ne lui a pas pardonné » ( Oliver Stone ). Il retrouve en quelque sorte le populisme du réalisateur de Mr Smith, qui lui aussi voulait revenir aux vraies valeurs. Un de ses plus solides soutiens en France, Michel Cieutat, écrit à son propos : « ce qui compte pour Stone, c’est qu’il puisse dénoncer farouchement les nombreuses trahisons par l’Amérique elle-même de son rêve des origines ». Mais la démarche d’Oliver Stone est très controversée: à l’occasion de la sortie de JFK, les critiques ont été féroces : Jack Valenti, Président de La MPAA le compare à Leni Riefensthal, et le journaliste du Washington Post , George Lardner Jr, l’accuse « d’avoir falsifié l’histoire ». De fait, le cinéaste, en évoquant des personnages historiques réels ( Kennedy, Nixon, les Doors ) s’est autorisé à reconstituer de « vrais-faux  » documents d’époque, un peu à la manière de Welles dans Citizen Kane. Oliver Stone, qui s’accorde « 14,5% de licence poétique » (sic), multiplie donc des séquences tournées en formats différents ( 8, 16, 35 mm…) avec des textures variées, qui sont censées donner une impression de réalité. Mais cette méthode lui est vivement reprochée, surtout parce qu’elle est utilisée au service d’une vision de l’Histoire par trop simpliste :  » les films de Stone sont des cris de rage de gamin à qui on a cassé ses jouets, non des réflexions sur une société » ( J-M. Frodon ). Mais, si la filiation de Capra à Stone peut être évoquée hors de toute considération stylistique, le ton a quand même bien changé. Dans les films du réalisateur italo-américain, la critique du système était toujours compensée par l’espoir que les institutions fonctionneraient mieux, une fois les « impuretés éliminées ». Il n’est pas sûr que Stone partage cet optimisme : « il n’a jamais cessé de blâmer les pires aspects de la politique et de la société américaine. Il ne fait pas de quartier. Ce système américain n’est pas seulement imparfait, il est profondément injuste et ne doit plus servir de modèle » ( Michel Cieutat ). Même les Méchants sont ambigus : dans son dernier film, Nixon était à priori l’archétype du Mal…Et bien, le cinéaste semble lui trouver des excuses, et le rend sympathique, tant sa détresse est humaine. Touché par le syndrome de Stockholm, il est « pris en otage par son personnage », et il ne l’accable pas…

    Ainsi, le cinéma américain ne s’est jamais désintéressé de la vie politique et continue à produire des films sur ce sujet ( en 1996, le film City Hall de Harold Becker, interprété par Al Pacino raconte les magouilles d’une municipalité corrompue, comme par exemple celle de New-York à l’époque d’Ed Koch, Absolute Power , réalisé par Clint Eastwood évoque un Président bien particulier… …). Certes, on peut estimer que cette critique du système politique américain est intéressée ( elle conclut toujours à l’avantage des États-Unis ), incomplète, superficielle…Reste qu’elle a le mérite d’exister. Le cinéma européen n’a pas toujours le même intérêt pour les problèmes politiques de son temps. Les réalisateurs italiens ont certes abordé sans crainte les dysfonctionnements politiques et sociaux de leur pays : Francesco Rosi ( Main basse sur la ville en 1963, L’affaire Mattei en 1972, Cadavres exquis en 1975…), Elio Petri ( Enquête sur un citoyen au desssus de tout soupçon en 1970, La classe ouvrière va au Paradis en 1971 ), ou plus récemment Nani Moretti ( Palombella Rossa-1989 ) , Daniele Luchetti ( Le porte-serviette – 1990 ) et Mimmo Calopestri ( La seconda volta-1996 ). Mais à l’inverse, les cinéastes français se sont montrés plus timides et la filmographie sur ce thème est plutôt maigre, même si on peut toujours citer les films d’Yves Boisset ( L’Attentat en 1972, RAS en 1973, Dupont la Joie en 1975, Le juge Fayard en 1976, ) ou de Claude Chabrol ( Nada d’après Jean Patrick Manchette en 1973 ), les quelques long-métrages évoquant les guerres coloniales ( Muriel d’Alain Resnais en 1963,  La 317° section de Pierre Schoendoerffer en 1961, Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier en 1971, Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer en 1977, jusqu’à Indochine de Régis Wargnier… ) et des œuvres plus engagées ( Coup pour coup de Marin Karmitz -1972-, Mourir à trente ans de Romain Goupil -1987-). En fin de compte, les réalisateurs américains, venus d’horizons divers, ont maintenu une tradition du film politique, de Frank Capra à Oliver Stone, en passant par Orson Welles , Elia Kazan et…Tim Robbins. La dénonciation des vices du système est toujours vigoureuse, avec peut-être la bonne conscience et l’optimisme en moins…

A propos d’American History X : l’extrème droite aux Etats-Unis

American History X,  un film de Tony Kaye

États-Unis, 1 h 59, 1999

interprétation : Edward Norton, Edward Furlong, Elliot Gould…

Synopsis :

A travers l’histoire d’une famille américaine, ce film tente d’expliquer l’origine du racisme et de l’extrémisme aux États-Unis. Il raconte l’histoire de Derek qui, voulant venger la mort de son père, abattu par un dealer noir, a épousé les thèses racistes d’un groupuscule de militants d’extrême droite et s’est mis au service de son leader, brutal théoricien prônant la suprématie de la race blanche. Ces théories le mèneront à commettre un double meurtre entrainant son jeune frère, Danny, dans la spirale de la haine (Allociné)

L’EXTRÊME DROITE AUX ÉTATS UNIS
Une menace permanente…

   A priori, le système politique américain laisse peu d’espace à l’expression de mouvements situés aux extrêmes. Mis en place dans la première moitié du XIX°, le bipartisme a régné presque sans partage jusqu’à nos jours . Si l’on excepte quelques membres de la Chambre des Représentants, la quasi totalité des parlementaires appartiennent à l’un ou l’autre des deux grands partis outre-atlantique…Certes, quelques candidats populistes ont pu réussir des scores flatteurs : George Wallace, qui fonde en 1968 le Parti américain indépendant, obtient 13,5% des voix aux élections présidentielles. Ross Perot, à l’origine du Parti réformateur, atteint 19% des suffrages exprimés en 1992…Mais leurs tentatives ont été sans lendemains…
En tout cas, ce n’est pas la constitution qui est en cause…Le premier amendement a souvent été interprété de manière absolue par les différentes instances judiciaires américaines : la liberté d’opinion et d’expression font l’objet d’une attention constante (on a ainsi parlé de l’absolutisme du premier amendement : First Amendment Absolutism). tout citoyen américain a le droit absolu d’exprimer ses opinions, même si elles sont extrêmes, et si elles ne s’accompagnent pas de violences ou de faits répréhensibles… En 1978, la Cour Suprême annule des arrêtés municipaux interdisant une manifestation néo-nazie qui devait se dérouler dans une banlieue de Chicago, essentiellement peuplée de Juifs parfois survivants des camps, au motif qu’on ne pouvait attenter à la liberté d’expression. Pendant la guerre du Vietnam, certains opposants pacifistes, d’abord condamnés pour avoir exprimé leur hostilité à la guerre, ont obtenu gain de cause auprès de la Cour Suprême…C’est la raison pour laquelle les mouvements extrémistes aux États-Unis ne se privent pas d’étaler leur propagande nazie, y compris les œuvres de Hitler et de ses complices et toute la littérature négationniste, qui sont très aisément accessibles (Dans le film, Danny explique à son professeur Sweeney qu’il a mis une semaine à lire Mein Kampf…).
En fait, ce sont surtout les idées d’extrême gauche qui ont été marginalisées…Il y a bien eu quelques tentatives au cours de l’histoire des États-Unis mais elles se sont soldées par des échecs (Le parti progressiste de Théodore Roosevelt au début du siècle, la popularité du sénateur La Follette dans les années 1920, le Parti communiste, qui n’a jamais dépassé quelques milliers d’adhérents…). C’est surtout pendant la période de la Guerre Froide que les Etats-Unis ont restreint la liberté d’expression pour tous ceux qui professaient des opinions communistes (Smith Act de 1940, loi Taft-Harley en 1947, Communist Control Act en 1954).

La permanence de l’extrême droite
Par contre, l’extrême droite américaine, sans avoir jamais réussi à s’imposer politiquement au niveau national, a acquis une influence qu’on ne peut négliger (certains politiciens extrémistes comme David Duke en Louisiane ou Tom Metzger en Californie obtiennent des succès locaux mais limités…) . Si l’on remonte dans l’histoire américaine, on doit relever qu’au Sud des Etats-Unis, le Ku Klux Klan , fondé en 1866 par un ancien général sudiste pour s’opposer à l’émancipation des Noirs, semble toujours prêt à renaître de ses cendres (on en serait au 5° Klan : les chiffres 33/5 s’expliquent ainsi : trois fois la onzième lettre, le K, pour sa cinquième renaissance…). Après des débuts meurtriers (3500 assassinats lui sont attribué entre 1866 et 1875, encore 1100 entre 1900 et 1914…), le KKK connaît une première éclipse pour réapparaître dans les années 1920 (en 1925, près de 5 millions de membres : 40 000 klanistes défilent en tenue dans les rues de Washington, devant la Maison Blanche). Après la seconde guerre mondiale, le Klan est encore présent, notamment quand la lutte des Noirs pour les droits civiques s’intensifie dans les années 1950…

La nébuleuse des organisations d’extrême droite
Au plan organisationnel, l’extrême droite aux États-Unis est marquée par son morcellement…Roger Martin, spécialiste de la question (cf Amerikkka, Voyage dans l’internationale fasciste) relève près de 70 organisations différentes, rassemblant entre 30 000 et 70 000 personnes (pour chaque militant, il estime qu’il y a 10 sympathisants prêts à passer à l’action et 70 sympathisants passifs…). Cette diversité s’explique par des nuances idéologiques (tel mouvement ayant des priorités différentes…plutôt le racisme contre les Noirs, l’antisémitisme, la lutte contre le gouvernement fédéral…) mais aussi pour des raisons plus prosaïques. Ainsi, de nombreux mouvements sont sous la coupe d’une personnalité « charismatique » et déclinent quand leur leader disparaît… ou est incarcéré (ainsi James Venable des Chevaliers nationaux du KKK, Tom Metzger, chef de l’organisation White Aryan Resistance, dominent sans partage leur organisation ; les frères Gerhardt dirigeants du Parti Nationaliste américain blanc, ont été emprisonnés à la suite d’attentats où ils étaient impliqués…). Les luttes entre chefs sont fréquentes, et les différents leaders s’entredéchirent pour le contrôle des militants : Thom Robb, qui prend la tête d’un des plus violents Klans dans les années 1990, est traité de K K Klown par ses rivaux. David Duke , à la tête des Chevaliers du KKK, se voit reprocher ses « manipulations financières et son goût du vedettariat »… Dans American History X, l’âme damnée de l’organisation néo-nazie est Cameron, habile à manipuler les frères Derek et Danny Vinyard…Ainsi, les mouvements d’extrême droite pullulent littéralement, sur une bonne partie du territoire américain (surtout dans les états du Sud et de l’Ouest) : on compte près de 30 Klans différents, une bonne dizaine de mouvements nazis (dont deux en Californie…) sans compter les innombrables organisations hybrides (survivalistes, groupes militaro-religieux comme les Nations aryennes, groupes anti-pouvoir fédéral comme le Posse Comitatus…)

Le pot commun de l’extrême droite américaine
Au delà de leurs divergences, tous ces mouvements se retrouvent sur l’essentiel : un fond idéologique commun, un même recrutement social, des pratiques d’action identiques…
L’extrême droite américaine amalgame plusieurs tendances : au vieux fond de racisme anti-noir prôné par le KKK, elle ajoute un violent antisémitisme et un rejet absolu de tout ce qui vient du gouvernement fédéral, accusé d’être complice « des nègres et des youpins »…Ainsi, la plupart de ces extrémistes dénoncent le ZOG, autrement dit le Zionist Occupation Government, qui se cache derrière les autorités fédérales… Le gouvernement des États-Unis est dénoncé pour avoir trahi le peuple américain au profit du GATT, « qui livrera nos vies et notre sécurité à l’étranger » et pour avoir signé l’ALENA, « qui saignera l’Amérique au profit des millions de Mexicains qui n’ont pas envie de travailler »…Les très fameuses milices du Montana se sont constituées en communautés quasi indépendantes et refusent d’acquitter leurs impôts…Ce syncrétisme extrémiste se retrouve dans les paroles de la chanson que chante Seth, l’ami de Derek dans American History X , sur l’air de John Brown’s Body... : « Mes yeux ont vu le glorieux massacre au zoo, On s’est baigné dans le sang des noirs et des métis, On va démonter la machine sioniste Juif après Juif, L’homme blanc va de l’avant… ». Lorsque le héros du film veut recruter de nouveaux adhérents, il s’emporte contre ce gouvernement qui dépense 3 milliards de dollars pour les immigrés latinos en Californie « alors qu’ils se foutent de notre pays »…
Le recrutement de tous ces mouvements est aussi bien ciblé : il s’agit avant tout des jeunes hommes blancs de la classe moyenne américaine, qui se sentent persécutés et méprisés. En particulier, ils supportent très mal que la culture noire l’emporte sur celle des Blancs : ils estiment aussi que la fameuse affirmative action pour mieux intégrer les Noirs mise en place dans les années 1960 s’est faite à leurs dépens…Ils se sentent attaqués dans leur virilité par la montée en puissance des idées féministes et sont mal à l’aise devant la vitalité de la communauté homosexuelle. Dans le film, un des frères s’indigne parce que son professeur Sweeney est « fier d’être Noir »…Le père des deux garçons incarne très bien « l’homme blanc en colère » ( angry white male ou AWM), qui commence à apparaître dans les années 1990: lors d’un repas familial, il s’énerve contre « l’arrogance » nouvelle des Noirs : « on encense les Noirs à tout va »…Il prévient ses fils : « ces histoires d’égalité, c’est pas si simple » et de s’insurger contre la « discrimination positive » qui pénalise les gens qui ne sont pas de couleur : « j’ai récupéré deux Noirs dans mon équipe, alors que deux Blancs ont mieux réussi aux tests ». Pour lui, le seul principe vraiment américain qui vaille est : « t’es le meilleur, t’as le boulot »…Et le père de soupçonner « un plan occulte ou autre chose »…Au passage, il montre sa méconnaissance de la culture noire (il semble tout ignorer du roman de Richard Wright, Native Son –Un enfant du pays, 1940…).
Les organisations d’extrême droite ont aussi des moyens d’action très semblables, et en particulier l’utilisation de la force armée. La grande majorité d’entre elles mettent sur pied des camps d’entraînement où les plus militants apprennent les méthodes de guérilla utiles lorsque la guerre raciale commencera…Un des best-sellers de la littérature extrémiste (juste après la Bible…) est le Journal de Turner, sans doute écrit par William Pierce.. Chacun des chapitres de ce roman d’action est une leçon de guérilla : un des passages raconte l’explosion d’une bombe dans un bâtiment administratif de Washington, et qui fait 700 victimes. Il semble bien que cet ouvrage ait été l’un des livres de chevet de Timothy Mac Veigh… Les « survivalistes » estiment par exemple qu’une guerre nucléaire est inéluctable et qu’il faut dès à présent s’entraîner à survivre, pour affronter ultérieurement les Noirs et les Juifs…(un des films préférés des milieux extrémistes est L’Aube rouge de John Milius, qui raconte la résistance de jeunes Américains à une invasion des États-Unis par des troupes communistes…). La plupart de ces militants se réclament du deuxième amendement de la constitution : une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un état libre, le droit des gens à posséder et à porter des armes ne doit pas être restreint »…Dans certains états comme le Washington, l’Oregon, les Dakotas, le Montana, le Kansas, l’Arkansas, l’Idaho, le Missouri, le Texas, des dizaines de camps sur des surfaces importantes (jusqu’à plus de cent hectares) parfois au sein même de bases militaires, accueillent régulièrement des candidats à la lutte « pour la survie » (ils sont parfois présentés comme des « séminaires écologiques » !). Presque toutes ces organisations sont aussi mêlées à des violences diverses contre les Noirs, les Juifs, les immigrés hispaniques ou plus récemment contre le gouvernement fédéral et ses représentants (on se souvient bien sûr du terrible attentat à la bombe perpétré par Timothy Mac Veigh à Oklahoma City en 1995, qui a fait 168 morts et plus de 500 blessés…). Elles sont aussi responsables des attaques contre les cliniques et le personnel médical qui pratiquent des avortements (plus de 600 actes de violence entre 1984 et 1994, plusieurs médecins et des infirmières abattues par des membres de ces mouvements…). Cette recrudescence des violences extrémistes a été d’ailleurs prise en compte par le FBI, qui recense dorénavant à part les « crimes de haine » (hate crimes) : en 1997, 7900 faits de ce type ont ainsi été reconnus par l’administration, dont la moitié concernait les Noirs, un millier les Juifs et encore un millier les homosexuels…Aussi, les différents incidents qui rythment le film d’American History X ne sont pas vraiment une surprise, même si Derek et Cameron essaient de donner un sens « politique » à leurs actions racistes (on attaque une épicerie parce que le patron coréen l’a « volé » à son précédent propriétaire blanc…)…
Plus récemment, certaines de ces organisations ont investi les moyens multimédias, et en particulier elles exploitent les possibilités fournies par le développement d’Internet, pour mieux diffuser leur propagande. Ainsi, Tom Metzger, chef de la White Aryan Resistance, a produit des émissions télévisées intitulées « Race et Raison », diffusées sur certains réseaux câblés. Et on ne compte plus les sites néo-nazis installés sur la Toile : dans le film, Cameron se vante auprès de Derek de leurs progrès dans ce domaine : « tu devrais voir le travail sur Internet… ».

L’extrême droite dans les années 1990
Il est difficile de faire le point sur l’influence réelle de cette mouvance mais il est clair que sa prospérité est liée au contexte politique. L’extrême droite s’est assagie lors des présidences républicaines de Ronald Reagan (soutenu par certains Klans…) et de George Bush (certains comme Tom Metzger lui reprochent quand même sa guerre contre l’Irak : le chef nazi salue Saddam Hussein lors que le premier missile irakien tombe sur Tel-Aviv avec cette phrase : « un ennemi de mon ennemi est un ami ». Les mouvements anti-gouvernement fédéral ne désarment pas…). Mais l’extrême droite américaine se réveille brutalement lors de l’élection de Bill Clinton à la présidence en 1992 : ce baby-boomer, opposant à la guerre du Vietnam et dont la moralité lui semble douteuse, semble incarner tout ce qu’elle déteste (beaucoup des Clinton haters –ennemis de Clinton-vont se recruter dans les mouvements extrémistes). D’autant que le nouveau président prend un malin plaisir à annoncer des mesures particulièrement sensibles pour cette partie de l’opinion américaine…Il prévoit de protéger les droits des homosexuels dans l’armée, de réglementer l’usage des armes à feu, de renforcer le droit des femmes à l’avortement… Aussi, les mouvements d’extrême droite se retrouvent aux côtés de la droite républicaine (notamment menée par Newt Gingrich) pour lutter contre les initiatives du président démocrate. Ils l’ont fait de manière légale dans certains cas, en portant plainte contre des cliniques qui pratiquaient l’avortement ou en faisant voter des lois discriminatoires contre le homosexuels (Colorado, Idaho, Oregon…). Mais ils ont aussi mené des actions beaucoup plus violentes comme nous l’avons déjà vu…
Ainsi, il est sans doute prématuré de penser que cette tendance extrémiste est en régression. Certes, le FBI constate une baisse du nombre de groupes activistes (ils sont passés de 850 en 1996 à seulement 194 en 2000). Il est certain que l’attentat d’Oklahoma City a discrédité pour un temps en tout cas les dérives criminelles ces mouvements. Mais certains facteurs, qui ont pu expliquer le développement de ces mouvements, n’ont pas disparu : les relations interraciales ne s’améliorent pas (en Californie, le gouverneur Pete Wilson sait flatter son électorat en évoquant la remise en cause de l’affirmative action…) alors que le melting pot semble devenu une utopie, la violence de la société américaine reste élevée, la critique du Big Government est toujours virulente dans certains états…La fin amère du film American History X semble l’annoncer : au delà d’une morale facile (qui sème le vent…), la lutte contre l’intolérance aux États-Unis est loin d’être gagnée…

 

 

Le film-témoin de son temps : chef d’œuvre ou nanar ?

   Depuis le célèbre article de Marc Ferro Le film, une contre-analyse de la société dans l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Nora Les lieux de mémoire (Éditions Gallimard, 1984-1992), les historiens ont été amenés à considérer les films comme des documents historiques à part entière. .Et Ferro lui-même a donné l’exemple, en s’intéressant aux archives filmées des manifestations lors des révolutions russes de 1917 et en étudiant plusieurs films de fiction, comme autant de témoignages sur les mentalités de leurs temps .
Assez vite, un problème s’est posé à ceux qui entreprenaient leurs recherche sur le cinéma comme témoin de son temps  : doit-on s’intéresser seulement aux chefs d’œuvre du septième art ou à l’ensemble de la production cinématographique ? Cette interrogation s’est renforcée avec l’ introduction de l’histoire des arts dans notre discipline qui a quelque peu «brouillé les cartes». Quand il s’agit d’évoquer le cinéma , il est bien recommandé de s’intéresser aux œuvres majeures , comme Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, Octobre, La Grande illusion... Et les manuels de collège et de lycée reprennent cette tendance, en proposant systématiquement des études sur les plus grands films de l’histoire du cinéma. Il semble bien que Marc Ferro ait été sensible à ce problème : parmi les études qu’il a menées sur le cinéma, dans un de ses premiers livres sur le sujets, Cinéma et histoire : il y a bien sûr analysé des œuvres reconnues par tous, comme M. le maudit de Fritz Lang ou Le troisième homme de Carol Reed. Mais il s’est aussi intéressé à des films moins aboutis mais plus emblématiques : dans son ouvrage, il présente une analyse très convaincante d’un film stalinien de 1934, Tchapaiev de Serge et Georges Vassiliev qui reçoit un soutien prononcé des autorités de l’URSS. Bien plus que la plupart des chefs d’œuvre du cinéma soviétique, le film est porteur d’un message clair sur le rôle du parti communiste : le héros de la guerre civile est « mis sur les bons rails », par le commissaire politique chargé de faire respecter la ligne du parti. Ce schéma narratif sera repris à de multiples reprises dans la plupart des films tournés pendant l’époque stalinienne.
Ainsi, un film moyen voire parfois médiocre peut être plus « efficace » d’un point de vue pédagogique qu’un des chefs d’œuvre du septième art…Certains films « passent »  plus ou moins bien auprès de nos élèves et on peut perdre beaucoup de temps à les convaincre que tel film est exceptionnel et aussi un document essentiel sur l’esprit de l’époque..Ma pratique pédagogique tout au long de ma carrière m’a parfois amené à utiliser des films moins prestigieux que les chefs d’œuvre reconnus, car les élèves étaient plus réceptifs à des longs métrages plus lisibles. J’ai ainsi le souvenir d’avoir eu bien du mal à expliquer certaines séquences presque oniriques d’Octobre (le cadavre du cheval blanc accroché au pont suspendu au dessus de la Neva), alors qu’un film d’un cinéaste méconnu d’Azerbaïdjan, Les Feux de Bakou réalisé en 1950, me permettait d’aborder sans difficultés les thèmes de la propagande stalinienne..Pour faire sentir l’importance de cette question, on peut évoquer plusieurs points, depuis la production du film jusqu’à sa réception…

Ne pas méconnaître les conditions de production
Il est déjà intéressant de s’interroger sur les conditions de production du film considéré, pour mesurer les intentions du réalisateur …et de ses marges de liberté. Comme c’est un art populaire, le cinéma de tout temps a été surveillé de près par les autorités politiques car il est susceptible d’avoir une forte influence sur l’opinion, peut-être davantage que d’autres arts dont l’effet est plus limité.
Ainsi, il est bien entendu que la production cinématographique est fortement encadrée dans les dictatures. En URSS, à presque tous les niveaux du processus, depuis l’élaboration du synopsis jusqu’à la réalisation finale, les autorités ne manquent pas d’intervenir, et parfois même de façon contradictoire. Pendant la période stalinienne, le chef suprême garde la haute main et peut être amené à prendre la décision ultime…En particulier, les artistes doivent suivre la ligne imposée par le Parti et Staline. C’est en effet au Congrès des Écrivains en 1934 que prend définitivement forme la théorie élaborée par Jdanov et qui sera appliquée dans tous les domaines artistiques, le « réalisme socialiste ». Cette nouvelle ligne, en rupture avec les tentations avant-gardistes de la période précédente, consiste à produire un art « socialiste dans le fond, réaliste dans la forme ». Il ne s’agit plus de déconcerter le peuple avec des modes d’expression incompréhensibles mais de trouver des formes simples qui permettent de faire passer l’essentiel, à savoir la cause du socialisme. De même, les sujets que doivent traiter les cinéastes sont imposés par le parti de manière planifiée : les grandes figures de l’histoire de la Russie (Pierre le Grand, Alexandre Nevski, Koutouzov…), les « héros » de la révolution et de la guerre civile (Lénine surtout mais aussi Tchapaiev…), les « hommes nouveaux » qui apparaissent avec la société soviétique (kolkhoziens, ouvriers stakhanovistes, scientifiques…)…Les autorités exigent aussi une parfaite lisibilité des scénarii, pour qu’ils soient compréhensibles du public populaire. On retrouve ainsi souvent dans les films soviétiques de l’époque, le « trio infernal » : l’homme du peuple, ouvrier ou paysan, plein de bonne volonté mais un peu naïf, « l’ennemi du peuple », le saboteur étranger ou le koulak hostile au nouveau régime, et enfin l’homme du parti, souvent membre du NKVD, qui montre la ligne juste et rétablit la situation…C’est par exemple ce schéma qui est appliqué dans le célèbre film des Vassiliev, qui raconte la vie d’une figure très populaire de la guerre civile, Tchapaiev . Enfin, ces films « staliniens » ont toujours une « fin heureuse », avec souvent un banquet final qui réunit la communauté et célèbre l’action du parti et de son chef suprême (c’est souvent le cas dans les comédies musicales soviétiques, très appréciées de Staline, comme Volga-Volga ou Les tractoristes…).
On observe la même vigilance dans l’Allemagne nazie, et ce d’autant plus que Hitler et Goebbels, son ministre de la propagande, sont férus de cinéma et qu’ils en mesurent l’extrême influence. Ainsi, le cinéma allemand est « épuré » de ses éléments juifs et le régime encourage la production de films qui répandent la nouvelle idéologie : Goebbels, grand admirateur du cinéma hollywoodien, était d’ailleurs persuadé que les films de divertissement étaient plus efficaces pour transmettre des idées nouvelles. Certains films vont bénéficier du soutien des autorités : on peut citer Le Jeune Hitlérien Quex de Hans Steinhoff (1933), Le Juif Süss de Veit Harlan (1940), Le Juif éternel de Fritz Hippler la même année…ainsi que ceux de Leni Riefensthal, Le Triomphe de la volonté (1936) et Les Dieux du stade (1938). Plus étonnant, il semble bien que les nazis aient réussi à influencer les studios américains, afin qu’ils produisent des films qui ne soient pas « offensants » pour la nouvelle Allemagne, selon les travaux du chercheur américain Ben Urwand. En Californie même, le consul allemand Georg Gysling est ainsi convié par Louis B. Mayer, dirigeant de la MGM à donner son avis sur les productions en cours. Jusqu’en 1940, le cinéma américain est d’une grande prudence quand il s’agit d’évoquer le régime nazi.
Mais on aurait tort de penser que les démocraties occidentales se sont désintéressées de la production cinématographique de leur propre pays : lors des guerres mondiales, les états ont bien sûr mis en place une censure vigilante sur la production des films documentaires et de fiction (voir article dans ce blog sur la première guerre mondiale à l’écran). Mais même en dehors des conflits, les démocraties sont conscientes de l’influence du cinéma sur leurs opinions publiques. Pour ne prendre qu’un exemple très connu, les studios hollywoodiens vont pendant près de trente ans devoir respecter les règles du code Hays établies en 1927 (les Don’t and Be Carefuls). Ce code, présenté sous forme de commandements, était censé purifier le cinéma américain de toute déviance de type politique, sociale, raciale et religieuse. Cette rigidité voulu par l’esprit puritain du temps a pu brider les scénaristes des studios : elle les a aussi amené à faire preuve d’esprit créatif, à manier l’art de l’ellipse (sur ce point, les scénaristes des screwball comedies ou Alfred Hitchcock excellent à contourner les règles ). Des négociations souvent âpres ont lieu entre les studios et les représentants de Hays, pour que les films obtiennent l’ attribution d’une certification conforme par la commission, pour éviter un échec commercial. Ce carcan ne sera réellement remis en cause qu’au début des années 1960 et surtout avec l’avènement de ce qu’on a appelé le New Hollywood (la génération des Coppola, Scorcese, Friedkin…Cimino). De toute façon, les studios hollywoodiens, même s’ils ont parfois produit des œuvres cinématographiques d’un très haut niveau, n’ont jamais caché qu’ils considéraient le cinéma comme une industrie qui se devait d’être rentable : la question esthétique était secondaire pour la plupart des grands patrons de studios , même si certains avaient aussi le souci d’offrir des « produits » de qualité (les mémos innombrables du producteur de Darryl Zanuck à Alfred Hitchcock traduisent son implication dans le processus de création).

Les niveaux de lecture du film
Comme pour tout autre art, le cinéma possède des formes qu’on peut analyser, qui ont une histoire et qui se sont transformées. Il y a un monde entre le montage des films soviétiques des années 1920-1930, les plans-séquences utilisés par Hitchcock ou Orson Welles, le montage cut pratiqué par Jean Luc Godard dans A bout de souffle.. Si l’on n’est pas obligé de rentrer dans le détail d’une analyse formelle, reste à déterminer quelle part doit prendre cette présentation dans un cours d’histoire quand même destiné à faire transmettre des notions ou des connaissances, surtout quand on utilise les extraits d’un film reconnu pour ses qualités esthétiques.
Ainsi, certaines séquences de La ligne générale peuvent se lire à différents niveaux : on pense notamment à celle où Marfa, la jeune paysanne, présente la nouvelle écrémeuse aux paysans très méfiants. Sur un plan cinématographique, on insistera sur la cadence très rapide des plans, la diversité des cadrages souvent en contre-plongée, le contraste des éclairages -les visages sont violemment éclairés avec des arrière-plans très sombres, la typographie très étudiée des intertitres…Mais cette analyse des formes si particulières à Eisenstein, risque de faire passer au second plan le message politique, martelé par les autorités soviétiques : la modernisation des campagnes passe par la mise en kolkhozes, qui va permettre la mécanisation des travaux agricoles (on sait d’ailleurs que Staline est intervenu personnellement sur ce film et qu’il s’est entretenu avec le réalisateur). Pour des raisons de temps, il est difficile de mener plusieurs analyses de front. Il est aussi parfois difficile de faire saisir aux élèves l’essentiel de la séquence considérée. Des difficultés du même ordre apparaissent quand il s’agit d’utiliser un film comme La Grand illusion : beaucoup de manuels transcrivent le dialogue de la fameuse séquence où les deux officiers , de Boeldieu et Von Rauffenstein, discutent dans la chapelle du château. Cette scène est censée traduire la « collusion de classe » qui existe entre les deux hommes, plus forte que la solidarité entre personnes d’une même nation. Mais une telle analyse est difficile à mener car elle nécessite des références que les élèves ne possèdent pas toujours. Elle est bien sûr possible mais nécessite d’y consacrer du temps, alors qu’il nous est compté et sur un point qui n’est pas essentiel dans le programme. Là encore, il nous est demandé de faire des choix… Or, il existe des solutions alternatives pour évoquer le pacifisme des Français à la fin des années 1930, on peut recommander le film d’Abel Gance  J’accuse dans sa version de 1938 : le célèbre cinéaste emploie les grands moyens -y compris les plus grandiloquents-pour faire passer son message pacifiste : dans une séquence hallucinée, les morts de Verdun sortent de leurs tombes et viennent hanter les vivants : l’effet est d’autant plus terrifiant que le cinéaste a recruté pour l’occasion d’authentiques « gueules cassées » dans les hôpitaux militaires, dont les visages meurtris sont comme des masques horribles à contempler. Plus tard, tout le pays s’arrête, comme un lointain écho du mot d’ordre de grève générale que les socialistes comptaient lancer en 1914 pour arrêter la guerre. Enfin, des « États généraux universels »  votent que « la guerre est solennellement abolie entre tous les états et le désarmement immédiat est décrété à l’unanimité : la guerre est morte, le monde est rénové ». Et les morts, enfin satisfaits de l’établissement de cette paix universelle, s’en retournent vers l’ossuaire de Douaumont. Pour l’avoir « testé » sur des élèves, je peux affirmer son efficacité pédagogique !

Le problème du public et de la réception des films
Le cinéma est sans doute un des arts les plus populaires au XX° siècle et en ce début du XXI° (même si la fréquentation des salles a diminué, on peut considérer que les films passent désormais par d’autres canaux, des chaînes télévisées aux différents supports sur internet). Aussi, la question peut se poser de savoir si le film proposé a eu une audience importante , pour mesurer le degré d’adhésion du public aux idées qu’il véhicule. Si telle œuvre cinématographique est plébiscitée par le public, le cinéma paraît alors un indicateur très fiable des mentalités d’une époque, mais l’histoire de cet art nous montre qu’il y a pu y avoir un certain décalage. Ainsi, on sait que certains films d’Eisenstein ont été mal reçus ou mal compris par le public de la Russie bolchevique. A la fin de son film La Grève, le cinéaste a mis en place un montage alterné de scènes tournées dans un abattoir, où des animaux étaient égorgés, et d’autres montrant les soldats tsaristes tirant sur la foule. Son idée était bien sûr de provoquer l’indignation des spectateurs, qui devaient être en principe troublés par le choc des images alternées. Or, selon Eisenstein lui-même, le public des campagnes n’a pas compris clairement le message, considérant ces scènes d’abattoir comme tout à fait normales. Le réalisateur a aussi connu quelques déboires avec son film Octobre, qui comporte de nombreuses séquences tournées selon le principe du « montage des attractions » : il semblerait que le public populaire ait été peu sensible à ces constructions savantes et a déserté les salles où le film était projeté. D’ailleurs, les opposants d’Eisenstein au sein du milieu du cinéma soviétique ne se sont pas privés pour l’attaquer sur son goût pour le « formalisme »…Pendant la période stalinienne, Eisenstein va connaître une carrière compliquée par l’intervention des instances d’état : quelques succès comme Alexandre Nevski ou la première partie d‘Ivan le terrible mais aussi des échecs sans appel : La ligne générale est profondément remaniée après des interventions personnelles de Staline ; Le pré de Béjine est complètement censuré et même détruit ; la deuxième partie d’Ivan Le terrible n’est pas diffusée.
Cette dimension de la réception des films est donc pour nous importante : d’autant que le public peut voir dans certaines œuvres ses propres préoccupations, parfois au delà des intentions de leurs auteurs…En son temps, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné , qui est censé se dérouler au Moyen-Age, a été interprété par le public comme une métaphore de la période de l’Occupation : la dernière scène en particulier a fait l’objet d’une lecture patriotique : les deux amants sont changés en pierre par le Diable mais leurs cœurs continuent de batte, comme le cœur de la Résistance dans la France opprimée… Mais le cinéaste est moins péremptoire quant à ses intentions : dans son livre de souvenirs, il précise juste que « le film était très attendu. On se murmurait en effet de bouche à oreille que cette histoire était pleine d’allusions à la situation du moment, c’est à dire à la France sous la botte de l’Occupant ». Mais il faut être prudent avec ce genre d’interprétations : Jacques Siclier et François Truffaut pensent qu’on a été trop loin  en ce sens : ce dernier « n’adhère pas à cette théorie patriotique selon laquelle les films historiques ou fantastiques tournés pendant cette période auraient consciemment délivré un message courageux et codé en faveur de la Résistance ». Mais, si on peut s’interroger sur les intentions de l’auteur, il est quand même avéré que le public de l’époque l’a ressenti comme une allusion à la France résistante, et du point de vue l’historien, c’est bien ce qui importe.
Récemment, on a pu assister à un décalage entre le succès de certains films populaires et l’état réel de l’opinion publique, tel qu’il est révélé par les sondages (et les élections…). Comme l’a remarqué Jacques Mandelbaum dans un article publié il y a peu (Comédie : le bain de jouvence d’une République défaite ; Le Monde, 29 juillet 2014), les spectateurs français ont plébiscité ces dernières années des films d’un genre particulier : Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boom, Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache, La Grande Vadrouille de Gérard Oury et il y a peu , Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? de Philippe de Chauveron. Ce qu’ont en commun ces comédies, c’est de « reconstituer le corps national mis à mal par les assauts du temps (…) Et le critique de montrer que ces différents films sont en quelque sorte des feel-good movies pour une République bien peu sûre de ses valeurs. Mandelbaum relève par exemple que La Grande vadrouille est « une réconciliation socio-nationale (..) passant par pertes et profits Vichy, la collaboration et l’opposition entre gaullistes et communistes ». Dans Bienvenue chez les Ch’tis, il voit « la position régionaliste de notre pays face au bulldozer de la mondialisation ». Quant au dernier succès Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ?, il permet une réconciliation familiale et donc nationale, grâce à « la vertu républicaine de la France » qui permet de surmonter le racisme latent de la population…En d’autres termes, ces films permettent aux Français de se voir plus beaux qu’ils ne sont : le cinéma a alors des vertus républicaines thérapeutiques. Comme l’écrit Jean-Baptiste Thoret, « on a certes les films qu’on mérite mais surtout ceux qu’on désire ». Et l’image que nous renvoient ces comédies est pour le moins flatteuse mais peu réaliste.

Un chef d’œuvre et un film-témoin
Pour conclure, on peut dégager quelques idées fortes. D’abord, certains films moyens sont parfois plus faciles à exploiter que des chefs d’œuvre du cinéma, qui demandent des spectateurs une plus grande attention et des références parfois assez pointues. On peut s’y résoudre, d’autant que les programmes peuvent nous y inciter. Dans le cadre de l’histoire des arts, il est ainsi bien précisé qu’un des thèmes est la propagande artistique (dans la thématique Arts, États et pouvoirs, il est recommandé d’étudier « la représentation et mise en scène du pouvoir (propagande) ». Cette recommandation donne aux enseignants la possibilité d’étudier des films peut-être non reconnus pour leur valeur artistique mais pour le message ou le témoignage qu’ils transmettent.
Mais surtout, et heureusement pour notre discipline, certains films sont à la fois des œuvres de grande qualité et des témoignages de première main sur l’esprit de leur époque. De ce point de vue, les films de Charlie Chaplin sont très « utilisables » car en général, ils ont rencontré un grand succès populaire et sont porteurs de messages politiques forts. Cela peut être l’occasion d’évoquer le grand cinéaste et il peut être intéressant de souligner le caractère orignal de ce réalisateur, dont le succès populaire fut considérable mais qui fut aussi un franc-tireur dans le système hollywoodien. Assez rapidement, il devient autonome et exerce un contrôle total sur ses créations, qu’il mettait longtemps à réaliser, à l’inverse de ses collègues soumis à l’organisation rationalisée des studios. Ses projets ont été souvent mal perçus : son court -métrage Charlot soldat, sorti en 1918, rencontre une certaine hostilité de critiques qui lui reprochent son manque de tact. Or, il se trouve que la représentation de la guerre des tranchées est finalement assez fidèle et en tout cas très appréciée des spectateurs combattants ! Sa manière d’aborder le taylorisme dans Les Temps modernes lui a valu l’inimitié des milieux patronaux ; il entreprend son film Le Dictateur, violente dénonciation du nazisme, en un temps où les studios sont d’une très grande prudence sur le sujet…Pour La Grande illusion de Jean Renoir, comme nous l’avons écrit plus haut, une exploitation pédagogique est possible mais à condition d’y consacrer un certain temps. D’autres possibilités sont offertes par certains cinéastes auxquels on ne pense pas forcément : par exemple, les films de Jacques Tati, comme Mon oncle (1958) ou Playtime (1967) renvoient très clairement aux transformations urbaines de la France des Trente glorieuses…Il existe donc moyen de concilier une approche esthétique des films considérés et aussi d’en tirer des enseignements d’ordre historique et sociologique. Mais il faut se garder de raccourcis imprudents, du genre « Eisenstein , cinéaste stalinien » : s’il est clair que le grand réalisateur soviétique était tout acquis à la cause communiste, ses rapports avec les autorités ont été complexes à partir des années 1930..Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas rentré dans le rang facilement, comme le montre le sort de certains de ces films comme Le Pré de Béjine ou la deuxième partie d’Ivan le Terrible
En résumé, le choix d’une œuvre cinématographique dans les cours d’histoire va dépendre de plusieurs facteurs : le temps imparti dans le programme, la valeur esthétique, la « lisibilité pédagogique » . Selon les cas, on pourra privilégier les « grandes œuvres du répertoire » mais il ne faut pas s’interdire la projection de films moins prestigieux mais qui témoignent bien de l’esprit de leur temps…

La destruction des juifs à l’écran : du silence à la réflexion…

Cet article a été rédigé pour le dossier Contreplongée, Le Pianiste

 

   Le Pianiste de Roman Polanski a reçu une véritable consécration internationale, à la fois du public et de la critique (le film a raflé de nombreuses récompenses, et en particulier, la Palme d’Or du festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film à Hollywood). Avant lui, deux autres œuvres, traitant également de la Shoah avaient également été plébiscitées par les spectateurs et les institutions cinématographiques : il s’agit bien sûr de La liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993 et La vie est belle de Roberto Benigni en 1998… Des années 1930 à nos jours, la représentation au cinéma de la destruction des Juifs par les nazis a connu une évolution complexe, qu’il n’est pas inutile de rappeler à grands traits : en particulier, elle témoigne de l’évolution du travail de mémoire sur cette question sensible de l’époque contemporaine.

Le temps du silence
Dans les premières années du régime hitlérien, les nazis tentent encore d’afficher une facade de respectabilité envers l’extérieur. Alors que les premières mesures discriminatoires contre les Juifs sont adoptées, on prend garde à ne pas trop effaroucher les observateurs étrangers. Lorsque les délégations internationales se succèdent à Berlin pour les Jeux Olympiques de 1936, Goebbels prend soin de camoufler tous les signes antisémites trop ostentatoires (pancartes excluant les Juifs des lieux publics, affiches trop agressives..). La propagande du régime offre quelques rares images de camps de concentration (Dachau, Oranienburg, Mathausen sont alors ouverts : certains Juifs y sont enfermés notamment après la nuit de Cristal en 1938, d’autres pour «souillure raciale», quand ils ont eu des relations avec des «Aryens»). Mais les documents diffusés ne présentent bien sûr que des lieux idylliques, ressemblant plus des camps scouts qu’à un enfer concentrationnaire. Tout juste a-t-on récupéré quelques minutes de films , sans doute tournées clandestinement au cours de la «Nuit de Cristal», qui montrent des femmes juives, complètement nues et houspillées par quelques brutes SS…Dans un pays où la propagande est aussi encadrée, cette situation n’est pas surprenante.

    Plus étonnant est ce qu’on peut observer en dehors de l’Allemagne nazie, et en particulier à Hollywood aux États-Unis. En fait, la production cinématographique de l’époque est quasiment muette sur la question des persécutions antisémites. Certes, le système des studios est avant tout orienté vers le divertissement et on voit mal cette «machine à rêves» aborder des sujets politiques trop audacieux, qui risqueraient de dérouter le public, dans un pays fortement isolationniste. De plus, les patrons des grands compagnies hésitent à se couper du marché européen et l’Allemagne a fait connaître aux Majors ses exigences quant aux films distribués sur son territoire. Aux États-Unis, les idées de droite et même d’extrême-droite ont de puissants relais : les membres d’Hollywood les plus réactionnaires, comme Gary Cooper, Ward Bond ou John Wayne, combattent toutes les idées jugées trop libérales. L’association des Américains d’origine allemande (Deutsch American Bund) monte au créneau lors qu’un projet de film lui semble dangereux pour la «mère-patrie» (ce sera notamment le cas quand Chaplin va annoncer son intention de tourner Le dictateur…). Depuis les travaux du chercheur américain Ben Urwand  , on sait même que le consul allemand ne se gênait pas pour intervenir et était parfois convié par certains producteurs à donner son avis sur les productions américaines: c’est à sa demande que le film sur la vie d’Émile Zola, produit par la Warner,  est »expurgé » de toute allusion à la « race » de Dreyfus…

Une dernière raison plus paradoxale de ce silence est qu’un certain nombre de producteurs d’Hollywood sont… d’origine juive. En abordant trop franchement le thème de l’antisémitisme, ils craignent de réveiller l’hostilité latente qui existe aux États-Unis, et en particulier en Californie contre les Juifs («S’il y a la guerre, on va dire que c’est la faute aux Juifs… »). certaines déclarations sont même déconcertantes : après s’être rendu en Allemagne en 1934, le célèbre producteur Irving Thalberg conseille aux Juifs de ne pas réagir et rejette toute idée d’interventions internationales contre la politique antisémite des nazis: «un grand nombre de Juifs perdront la vie… Mais Hitler et l’hitlérisme perdront et les Juifs resteront».Au total, très peu de films abordent le sujet, ou alors de manière métaphorique : dans Le Bossu de Notre Dame sorti en 1939, William Dieterle évoque le sort des Juifs sous l’oppression nazie en décrivant le milieu des …Gitans.

Le temps du combat
Alors que la guerre commence, les représentations cinématographiques vont bien sûr évoluer, car les enjeux ont changé. Dans les deux camps, le ton change et l’on passe d’une certaine discrétion à une propagande ou à un engagement sans nuances. Pour les nazis surtout, le temps est venu de «régler définitivement la question juive» : sans entrer dans le débat des historiens à propos de la «solution finale», il est clair qu’entre 1939 et 1942, les nazis franchissent rapidement plusieurs pas dans la politique antijuive : création des ghettos, tueries par les Einsaztgruppen sur le front est, et enfin mise en place de six camps d’extermination. Mais on ne dispose que de quelques images sur toutes ces opérations : on a retrouvé quelques extraits de films, souvent très brefs (parfois quelques secondes seulement), et en général on ne dispose d’aucune information sur les conditions de tournage (la plupart du temps, on ne connaît ni le lieu, ni la date, ni l’auteur des images…). Ainsi, une séquence montre un groupe de Juifs embarquant dans un train de marchandises, sous l’œil attentif de quelques soldats allemands (le cameraman, visiblement autorisé, s’est même placé à l’intérieur du wagon pour filmer les déportés en train d’y monter). Alors que le convoi démarre, des bouts de papier tombent des fenêtres. Dans un autre extrait, toujours d’origine inconnue, on voit des soldats allemands en train de «trier» des Juifs, sans doute dans un pays d’Europe de l’Est. L’un d’entre eux saisit une femme et repousse l’enfant qui veut rejoindre sa mère. Enfin, un film, tourné sans doute clandestinement, présente l’exécution d’un groupe de Juifs en Lettonie par un des fameux «commandos spéciaux» utilisés à partir de 1941. Sur les chambres à gaz elles-mêmes, il n’existe aucun document cinématographique: par contre, on a retrouvé deux photos, prises par des membres du Sonderkommando d’Auschwitz, avant et après le gazage d’un groupe de femmes. Longtemps après la guerre, on a aussi découvert un nombre assez important de documents photographiques sur l’arrivée des convois de Juifs Hongrois en 1944 dans le même camp.
Par contre, on sait que les nazis ont réalisé eux-mêmes plusieurs films, et en particulier dans les ghettos de Pologne (Lublin, Lodz, Cracovie et bien sûr Varsovie) : plusieurs journaux ou témoignages de Juifs du ghetto de Varsovie s’en font l’écho (en particulier Emmanuel Ringelblum et Bernard Goldstein) et Polanski y fait allusion dans Le Pianiste… Ces séquences étaient soigneusement mises en scène, à des fins de propagande, à la fois pour donner une image flatteuse des ghettos et et décrire les Juifs comme des profiteurs. La plupart de ces documents ont été conservés : ces séquences ont été utilisées par les nazis eux-mêmes dans certains montages d’images (par exemple dans Der ewige Jude, de Fritz Hippler) mais aussi par des cinéastes après le conflit (par exemple, dans Le Temps du ghetto de Fréderic Rossif ou Korczak de Andrzej Wajda). Très récemment, 8 minutes de film en couleurs ont été retrouvées, présentant des images du ghetto de Varsovie entre 1940 et 1942…Les nazis vont pousser le cynisme jusqu’à demander à un réalisateur d’origine juive, Kurt Geron, de tourner un film en 1944 sur le ghetto «modèle» de Theresienstadt (Terezin): ce «documentaire», intitulé Le Führer offre une ville aux Juifs, qui décrit la vie idyllique des Juifs dans ce camp, est présenté aux autorités de la Croix Rouge (quelque temps après, toute l’équipe artistique et technique est gazée à Auschwitz).
Les nazis réalisent aussi des films de propagande antisémites dans les années 1940-1942, sans doute pour préparer l’opinion publique allemande (et européenne) aux mesures radicales qui vont être prises à l’encontre des Juifs. Ainsi,  en 1941) , on peut surtout citer plusieurs films sortis tous les trois en 1940 : une production assez importante , Les Rotschild d’Erich Waschneck, un «documentaire» de Fritz Hippler sur la question juive, Der ewige Jude (Le Juif éternel), et Le Juif Süss de Veit Harlan . Le Juif éternel est réalisé par le directeur de la section cinématographique du ministère de la propagande et se veut une évocation «historique» sur les Juifs en Europe (on y intègre des images tournées en 1940 dans les ghettos polonais, et même un extrait de M Le Maudit de Fritz Lang). Le Juif Süss est censé raconter l’histoire d’un «Juif de Cour» , dans le duché du Wurstemberg au XVIII° siècle. Bien sûr, le ton de ces films est violemment antisémite et ils bénéficient du soutien du ministère de Goebbels : ils ont tous deux une diffusion très importante en Allemagne et dans l’Europe occupée (on a souvent dit que le film de Veit Harlan avait connu un certain succès populaire à Paris…).
De l’autre côté de l’Atlantique, la mobilisation du cinéma américain est aussi de plus en plus forte : dès 1940, plusieurs œuvres majeures sont tournées par des réalisateurs prestigieux, et qui abordent clairement le sujet des persécutions antisémites dans l’Allemagne de Hitler. On peut bien sûr citer Le Dictateur de Charlie Chaplin, enfin sorti en 1940 après bien des problèmes, mais aussi Mortal Storm de Frank Borzage, qui raconte l’histoire d’un professeur d’université juif et de sa fille, qui s’échappent des griffes des nazis. La même année, Mervin Leroy dans  Escape fait le récit de la fuite d’une actrice juive, qui parvient à s’évader d’un camp de concentration, première évocation à l’écran de ce type d’endroit… Certes, la question juive n’est pas centrale dans ce corpus de films : les cinéastes de l’époque privilégient plutôt le film de guerre ou le film d’espionnage pour développer leurs idées anti-nazies (en particulier les metteurs en scène, souvent d’origine européenne comme Alfred Hitchcock , qui réalise Correspondant 17, ou Fritz Lang, qui tourne Les bourreaux meurent aussi ou Des espions sur la Tamise). Sans doute, sont-ils sensibles à certaines considérations commerciales (ce type de film est sans doute plus populaire) et même politiques (le génocide est mal connu aux États-Unis, en tout cas de l’opinion…). Mais si le cinéma américain aborde rarement de façon précise l’extermination des Juifs, peut-être faute d’être correctement informé sur le sujet, il réserve encore quelques surprises. En 1943, André de Toth tourne None shall escape, qui évoque clairement les déportations des juifs polonais vers les camps de concentration et même la constitution d’un tribunal international, pour juger les criminels de guerre nazis, deux ans avant Nuremberg…

Le temps de la confusion
Lorsque les troupes alliées pénètrent dans les camps de concentration, le choc des images est particulièrement violent (le général Eisenhower considère que cette vision permettra de faire comprendre aux GI le sens de leur combat…). On sait que les nazis avaient prévu de faire disparaître toute trace de leur politique d’anéantissement : Treblinka par exemple est complètement détruit par les Allemands eux-mêmes, avant la fin des combats. Aussi, les cameramen des armées alliées filment dans l’urgence les images les plus épouvantables qui soient : déportés squelettiques, amas de cadavres, corps mutilés des prisonniers… Rien n’est épargné aux spectateurs des actualités de l’époque. A Bergen-Belsen par exemple, un officier britannique chef de la section cinéma et chargé de l’action psychologique, Sidney Berstein, entreprend de filmer tout ce qu’il peut du camp où sont entassés près de 40 000 personnes, affaiblies par la faim et le typhus (ce sont notamment les fameuses séquences où l’on voit un bulldozer conduit par un soldat anglais qui pousse devant lui un tas de cadavres décharnés). Il est assisté par un certain Alfred Hitchcock, qui lui donne quelques judicieux conseils : montrer quelques images champêtres et paisibles filmées à quelques mètres du camp de concentration, montrer à l’écran le nom des firmes allemandes qui apparaissent sur les installations du camp… Le célèbre cinéaste anglais lui suggère même de montrer les charniers avec quelques notables de la région, afin que personne ne mette en doute l’existence de telles horreurs… Mais si ces images ont été reprises dans plusieurs documentaires d’archives, elles ne seront pas montées à l’époque, car les britanniques craignent de braquer la population allemande.
A Auschwitz, le camp est libéré par les troupes soviétiques en juin 1945, qui sont déçues par la froideur de l’accueil des survivants: de fait, ne restaient que quelques milliers de malades, épuisés et hébétés. Les Russes mettent alors en scène une séquence montrant la joie des déportés quand l’Armée rouge vient les libérer (en fait, les prisonniers sont des figurants, joués par des paysans polonais réquisitionnés dans les villages avoisinants). Mais les Soviétiques renonceront à diffuser par la suite ce morceau d’anthologie… En tout cas, les images ne manquent pas mais elles sont produites dans la plus grande confusion. Faute d’information, on ne distingue absolument pas entre les camps de concentration (Buchenwald, Dachau, Mathausen…) et les centres de mise à mort des Juifs (comme Auschwitz, Treblinka ou Sobibor) : Sylvie Lidenperg, qui a étudié les actualités françaises de 1944-1945, constate que l’origine de beaucoup de ces documents n’est pas clairement identifiée. Certaines séquences sont même diffusées sans aucun commentaire explicatif.
Cette confusion se retrouve encore dix ans plus tard , dans le très fameux documentaire réalisé par Alain Resnais, Nuit et Brouillard. Quand le cinéaste est chargé de ce projet en 1955, il n’a encore réalisé que des documentaires sur la peinture ainsi qu’un court-métrage sur l’Art africain . C’est sans doute à cause de ses qualités reconnues dans ce genre cinématographique qu’il se voit confier par le Comité d’Histoire pour la seconde guerre mondiale, le projet de réaliser un moyen-métrage sur le monde concentrationnaire, à l’occasion du dixième anniversaire de la libération des camps. Il est assisté par l’écrivain Jean Cayrol, qui va rédiger le commentaire et qui a personnellement éprouvé la dureté des camps ( il a été déporté au camp d’Oranienburg). Pour réaliser son montage, Resnais puise à des sources diverses : des séquences qu’il tourne sur place à Auschwitz, des archives photos et filmées de divers pays, ainsi que les films tournés par des cinéastes des armées alliées, lors de l’ouverture des camps. Le réalisateur « emprunte » quelques images au film La dernière étape de la cinéaste polonaise Wanda Jakubowska. Malgré les grandes qualités de l’œuvre, il faut s’attarder sur ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse du film de Resnais, à savoir l’absence de toute mention précise de l’extermination des Juifs. Comme l’a remarqué Annette Wieviorka , la mémoire du génocide connaît plusieurs phases à partir de 1945 : jusqu’aux années 1960, l’idée s’impose « d’unifier le sort de tous les déportés en faisant de tous les camps, Birkenau et Buchenwald, Dachau et Treblinka,un seul grand camp mythique ouvert en 1933 et libéré en 1945,où tous, Juifs et non-Juifs,auraient connu indifféremment le même sort : « Nuit et Brouillard est emblématique de cette vision ». Et de fait, si le fonctionnement des chambres à gaz est décrit précisément, le sort particulier réservé aux Juifs n’est pas clairement explicité ( les déportés raciaux sont seulement mentionnés au début du film, dans la longue énumération de tous les « raflés » d’Europe : de même, aucune distinction n’est faite entre camp de concentration et camp d’extermination…). La « bonne foi » de Resnais et de Cayrol n’est bien sûr pas en cause : en fait, cette vision correspond à l’état des connaissances et l’état d’esprit de ces années 1950. Dans le livre La tragédie de la déportation publié par Olga Wormser et Henri Michel en 1954, recueil de témoignages qui a servi de base au travail de Resnais et de Cayrol, le génocide n’est pas encore distingué du système concentrationnaire. Même si certains survivants comme Eugen Kogon ou Georges Wellers ont déjà témoigné, les grandes synthèses sont encore à venir ( en particulier celle de Raoul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, publiée aux États-Unis dans les années 1960 mais seulement en 1988 en France ). Plus profondément, les déportés raciaux eux-mêmes ne souhaitent pas alors être différenciés des autres déportés. Selon Annette Wieviorka, le « marché implicite » est le suivant : les Juifs « taisent la spécificité de leur destin. Ils deviennent en échange des patriotes et résistants, voués à l’anéantissement en tant qu’antifascistes ». Cette vision est particulièrement celle du PCF qui prend alors « en charge » la mémoire de la déportation .Pour les survivants si peu nombreux ( 4% seulement sont rentrés des camps d’extermination contre 40% des autres camps ), c’est aussi une manière de s’intégrer ( en particulier les Juifs d’origine étrangère, si actifs dans les groupes de FTP-MOI ). Aussi, Resnais et Cayrol ne peuvent être tenus pour responsables d’une interprétation alors dominante parmi les déportés eux-mêmes ( comme en témoignent les prises de position de la FNDIRP à l’époque ). Le cinéma de fiction commence également à s’emparer du sujet, mais avec les mêmes hésitations. En 1947, la cinéaste polonaise Wanda Jakubowska, elle-même ancienne déportée, réalise La dernière étape, qui raconte l’histoire d’un groupe de femmes prisonnières à Birkenau, solidaires face aux brutalités nazies. La réalisatrice s’entoure de nombreuses précautions pour rendre crédible son projet : elle tourne sur les lieux mêmes, en engageant des camarades qui ont aussi été détenues dans le camp. Mais l’aspect antisémite est comme gommé alors que Jakubowska insiste sur l’engagement communiste de ces femmes…Ce n’est qu’au début des années 1960 que certains films abordent clairement la politique antisémite des nazis. En 1961, Frederic Rossif réalise Le temps du ghetto, qui rassemble une trentaine de témoignages de Juifs survivants et des images filmées par les nazis eux-mêmes. Le cinéma américain commence aussi à s’intéresser au sujet, souvent en adaptant des best-sellers (Le journal d’Anne Frank de George Stevens ou Exodus d’Otto Preminger par exemple).

Le temps de la réflexion
Au début des années 1980, le contexte politique et historiographique évolue. Grâce à certaines œuvres majeures d’historiens américains notamment (le livre fondamental de Raul Hilberg finit par être traduit pendant cette période), on commence à prendre conscience de la spécificité de la politique d’extermination des Juifs d’Europe par les nazis. En même temps en France, le rôle essentiel joué par Vichy dans la déportation des Juifs dans notre pays est clairement souligné par des chercheurs comme Robert Paxton ou Michaël Marrus. Toute une génération de jeunes historiens va désormais prendre comme objet d’étude la question des Juifs au cours de la seconde guerre mondiale (on pense à Annette Wieviorka, Henry Rousso, Philippe Burrin…). C’est dans ce climat nouveau que sort Shoah en 1985. Sans exagérer, on peut estimer que la sortie du film de Claude Lanzmann marque un tournant essentiel dans la représentation de la question juive au cinéma et on peut presque parler d’un avant et d’un après Shoah . Ce très long métrage (9 heures 30!) est d’abord une oeuvre monumentale : le cinéaste y consacre 11 ans de sa vie, enregistre 350 heures d’entretiens. L’idée essentielle du réalisateur est que la Shoah ne peut pas s’expliquer, et que toute tentative de comprendre est quasiment obscène. Il refuse toute utilisation d’images d’archives, car il estime cette représentation restrictive et dangereuse : «l’image tue l’imagination». Comme il le dit lui-même, « si j’avais trouvé un film secret montrant comment 3 000 Juifs mouraient ensemble dans une chambre à gaz, non seulement je ne l’aurai pas montré mais je l’aurai détruit. Je suis incapable de dire pourquoi. Ça va de soi ». Aussi, on connaît la démarche de l’auteur : son film se compose de longs entretiens, souvent pénibles et heurtés, avec les survivants mis en situation dans les camps où ils « revivent » leurs souffrances ( au total, 5 bourreaux, 8 témoins, 15 victimes, 3 personnalités officielles dont Raul Hilberg). Aucune perspective historique (Lanzmann ne respecte pas vraiment un récit chronologique) mais une approche qui se veut éthique. Il s’agit bien d’essayer d’exprimer l’indicible. Et de fait, certaines séquences ont marqué à jamais les spectateurs, comme Abraham Bomba, le « coiffeur » de Treblinka, incapable de poursuivre l’entretien avec le cinéaste, la voix étouffée par l’émotion. Lanzmann peut parfois paraître péremptoire et sentencieux (il est systématiquement consulté, dès qu’un film sort sur le sujet), et sa démarche a été critiquée. Annette Wierviorka s’insurge quand il parle de faire disparaître toute image d’archive nouvelle des camps et Georges Bensoussan s’interroge sur sa manière d’aborder le sujet, qui ignore l’Histoire : «la sacralisation et le vocabulaire quasi mystique dont use Lanzmann sont le plus sûr chemin de la relativisation qui menace cette catastrophe». Reste que la problématique du réalisateur est d’une grande cohérence (les autres films qu’il a tourné sur le même sujet restent dans la même ligne : Un vivant qui passe, Auschwitz 1943-Theresienstadt 1944 en 1998 et Sobibor, 14 octobre 1943 en 2000, Le Dernier des Injustes en 2013 ).
Depuis le film du réalisateur français, la production cinématographique sur le sujet est devenue pléthorique, que ce soit dans le documentaire ou dans le domaine de la fiction, et dans le monde entier. En ce qui concernent les montages d’archives, de nombreuses œuvres intéressantes ont été produites. D’abord, parce qu’on a pris conscience que les derniers survivants étaient en train de disparaître. Steven Spielberg, après avoir réalisé La liste de Schindler, se lance en 1994 dans un vaste projet : tenter de recueillir les témoignages de tous les rescapés de la Shoah, où qu’ils se trouvent dans le monde. Des milliers d’enquêteurs ont été formés pour se charger de ce travail, qui devrait permettre l’enregistrement de près de 300 000 entretiens (en 1998, déjà 42 000 avaient été réalisés). En 1999, le film de James Moll Les derniers jours est un montage de plus d’une dizaine de témoignages de Juifs hongrois emmenés à Auschwitz en 1944. Parfois, certains réalisateurs réussissent à exploiter des sources jusque là négligées : Jean Luc Godard a affirmé de manière provocatrice qu’il y avait sûrement quelque part beaucoup d’archives sur la Shoah («si je m’y mettais, je trouverai des images des chambres à gaz au bout de vingt ans») : déclaration bien péremptoire mais les historiens retrouvent encore aujourd’hui des documents intéressants (l’ouverture des archives soviétiques a ainsi permis de retrouver les 8 minutes de film en couleur tournées au ghetto de Varsovie par l’armée allemande). La conférence de Wannsee, réalisé par Heinz Schirk en 1984, est un film joué par des acteurs mais s’inspire d’ un document exceptionnel : le rapport détaillé de cette fameuse réunion dans la banlieue de Berlin, présidée par Heydrich et qui aurait abouti à la mise en forme administrative de «la solution finale ». Eyal Sivan et Rony Brauman, quant à eux, réalisent Un spécialiste en 1999, à partir des 350 heures d’enregistrement du procès Eichmann à Jerusalem en 1961. On sera nettement plus réservé sur certains films de montage, comme celui de Frédéric Rossif, De Nuremberg à Nuremberg (1989) : dans ce long documentaire, certains procédés prêtent parfois à confusion : une séquence qui évoque les chambre à gaz est immédiatement suivie par des images tournées à Bergen-Belsen, représentant des corps décharnés. Pour le moins, le montage est maladroit car il montre des extraits venant de sources totalement différentes et qui donne un sens discutable à l’enchaînement des images. L’historienne Annette Wierviorka s’est aussi inquiétée d’une certaine dérive des documentaires les plus récents : alors que les survivants étaient peu sollicités dans les années 1950 et 1960, il semble que ce soient les témoins qui fassent l’histoire, mais sans qu’on prenne en compte l’appareil critique et scientifique indispensable pour mettre en perspective leurs témoignages.
Dans le domaine de la fiction, on assiste au même phénomène : il serait fastidieux d’énumérer tous les films sortis depuis les années 1970 mais on peut donner quelques indications chiffrées. En 1984, Annette Insdorf, qui consacre un livre au sujet, estime que 172 films ont déjà été tournés sur ce thème. Pour sa part, le mémorial de Yad Vashem de Jérusalem a recensé 1194 films évoquant le génocide entre 1985 et 1995 soit plus de 150 par an depuis 1993. Si on ne retient que le sujet du ghetto de Varsovie, on peut citer une bonne demi-douzaine de films, comme Au nom de tous les miens de Robert Enrico, Korczak d’Andrzej Wajda, 1943, L’ultime révolte de John Avnet, Jacob le Menteur de Frank Beyer, ou encore L’étoile de Robinson de Soren Kragh-Jacobsen.
Dans cette abondante production, on peut relever quelques tendances remarquables. Dans la production réalisée en France, les films qui s’intéressent au sujet insistent le plus souvent sur la politique de Vichy, complice des nazis dans la déportation des Juifs. Plusieurs d’entre eux mettent en avant l’action des Français qui ont permis aux Juifs d’échapper à l’extermination (par exemple, Le vieil homme et l’enfant, Les guichets du Louvre, Je suis vivante et je vous aime, Monsieur Batignole). Une manière d’illustrer la thèse de Serge Klarsfeld, qui estime que les Juifs de France ont été-relativement-épargnés par le génocide, grâce à l’aide de la population française… Certaines œuvres récentes abordent aussi un thème nouveau : le travail de mémoire sur la Shoah et ce qu’il en reste dans le souvenir des survivants (La mémoire est-elle soluble dans l’eau? De Charles Najman, l’excellent film d’Emmanuel Finkiel Voyages, ou plus récemment Un monde presque paisible de Michel Deville).
D’autres films très célèbres ont provoqué des polémiques. Ainsi, La liste de Schindler en son temps a posé problème pour certains. Steven Spielberg raconte l’histoire d’un Juste, industriel allemand du nom d’Oscar Schindler, qui sauve la vie de centaines de Juifs, en les employant dans ses entreprises . Si les bonnes intentions du cinéaste américain ne sont pas en cause, certains , comme Claude Lanzmann, se sont inquiétés du traitement du sujet : un certain esthétisme, des procédés parfois trop appuyés (la petite fille à la robe rouge qui apparaît à plusieurs reprises), des séquences dont le sens est ambigu (les femmes juives qui prennent une «vraie» douche à Auschwitz…). A cette occasion, on a pu parler « d’américanisation de la Shoah » (dans le documentaire Les derniers jours, une musique quelque peu redondante accompagne les moments les intenses). De même , le film de Roberto Benigni a aussi soulevé quelques controverses. Comme on le sait, le cinéaste italien a évoqué le sort des Juifs sur le mode de la comédie. La première partie de La vie est belle ne pose pas de problèmes (d’autant que le cinéma transalpin a déjà traité du fascisme sur un ton humoristique, comme dans La marche sur Rome de Dino Risi ). Par contre, les séquences qui se déroulent dans ce qui devrait être un camp de concentration ont laissé parfois perplexes. Benigni a bien précisé qu’il avait conçu son film comme une fable sur le sujet (il invoque Primo Levi qui raconte que certains déportés se demandaient si «tout cela n’était pas qu’une vaste blague…»). Reste que cette vision se heurte à la brutalité des images réelles et donc a pu déconcerter certains spectateurs… De manière plus générale, certains ont posé le problème : «peut-on faire des films de fiction à partir de l’Holocauste? La réponse est clairement non : le temps ne fait rien à l’affaire. Oui, il y a des tabous comme il y a des barrières de langage. Pour ne pas brouiller le souvenir du plus grand crime de l’histoire, les sourires ne doivent pas avoir leur place à Auschwitz» (Robert Holcman, Le Monde, 1998).

   Depuis ces derniers films, les débats se sont quelque peu apaisés et les productions contemporaines montrent que les cinéastes ont bien intégré certains éléments du problème, évoquant même des sujets plutôt occultés ( par exemple la responsabilité du Vatican dans Amen de Costa-Gavras). De plus en plus, on tente de respecter une certaine vérité historique, d’intégrer les recherches historiographiques, de mener une véritable réflexion sur la place de la Shoah dans notre mémoire collective. Le dernier film de Roman Polanski, sobre et nuancé sur un sujet qui touche de près son auteur, s’inscrit bien dans cette tendance actuelle. Comme l’écrit Hélène Frappat dans Les Cahiers du Cinéma, «ce n’est ni une fresque unanimiste cherchant à faire pleurer le public américain, ni un pensum sur la solitude de l’artiste en temps de guerre», mais une oeuvre qui montre que le cinéma est aussi capable de porter un regard adulte sur l’un des principaux drames de notre histoire contemporaine

BIBLIOGRAPHIE :
-Anette Insdorf, L’Holocauste à l’écran, Cinémaction, Editions du Cerf, 1985
-Jean François Forgues, Éduquer contre Auschwitz : histoire et mémoire, ESF éditeur, 1997
-Claude Lanzmann, Un vivant qui passe, Arte éditions, 1997

-Sylvie Lindeperg, Les écrans de l’ombre : la seconde guerre mondiale dans le cinéma français 1944-1969, CNRS Editions, 1997
-Sylvie Lindeperg, Cléo de 5 à 7, les actualités filmées de la Libération, : archives du futur, CNRS Editions, 2000
-Sylvie Lindeperg, La voix des images : quatre histoires de tournages au printemps-été 1944, Éditions Verdier , 2013
-Annette Wieviorka, Déportation et génocide : entre la mémoire et l’oubli, Hachette,1995
-Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Plon, 1998

Au sujet de la Shoah, ouvrage collectif, Belin, 1990
Cinéma et mémoire : Antisémitisme et exclusion, numéro spécial Contreplongée, octobre 1990
La déportation, le système concentrationnaire nazi, BDIC (Musée d’Histoire contemporaine), 1995
La libération des camps et le retour des déportés, Editions Complexe, 1995
Savoir la Shoah, CRDP Bourgogne, 1998
La Shoah : témoignages, savoirs, oeuvres, Presses universitaires de Vincennes, 1999
(article de Sylvie Lindeperg : L’écran aveugle )
Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999
(article de Philippe Mesnard : La mémoire cinématographique de la Shoah )
-Sylvie Lindeperg, Cléo de 5 à 7, les actualités filmées de la Libération, : archives du futur, CNRS Editions, 2000
Mémoire des camps, sous la direction de Clément Chéroux, Marval, 2001
-L’histoire infilmable : les camps d’extermination nazis à l’écran, Vincent Lowy, L’Harmattan, 2001

Films
Le Dictateur, Charlie Chaplin (Dossier Contreplongée)
-Jean Cayrol, Nuit et Brouillard, Fayard, 1997

-Nuit et Brouillard, Alain Resnais (Avant-scène n°1, 1961)
-Nuit et Brouillard, Sylvie Lindeperg, éditions Odile Jacob, 2007

-Claude Lanzmann, Shoah, Fayard, 1985
-Claude Lanzmann, Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures , Editions Cahiers du Cinéma, 2001

La liste de Schindler, Steven Spielberg (Dossier Contreplongée)-R. Brauman et E. Sivan, Éloge de la Désobéissance : à propos « d’Un spécialiste », Le Pommier, 1999

-Roberto Benigni et Vincenzo Cerami, La vie est belle, Folio, 1998

FILMOGRAPHIE :
Le temps du combat
Le Juif Süss, Veit Harlan, 1940, Allemagne
Der exige Jude (le Juif éternel), Fritz Hippler, 1940, Allemagne
-Les Rotschild , Erich Waschneck, 1941, Allemagne
Le Dictateur (The Great Dictator), Charlie Chaplin, 1940, Etats-Unis
Mortal Storm, Frank Borzage, 1940, Etats-Unis
None shall Escape, André de Toth, 1943, Etats-Unis

Le temps de la confusion
La dernière Etape (Oswiecim/Auschwitz), Wanda Jakubowska, 1948, , Pologne
Nuit et Brouillard, Alain Resnais, 1956, France
Le destin d’un homme (Soudba tcheloviek), Sergueï Bondartchouk, 1959, URSS,
Le temps du ghetto, Frederic Rossif, , 1961, France
Le vieil homme et l’enfant, Claude Berri, 1967, France

Le temps de la réflexion
La Conférence de Wannsee (Der Wannsee Konkeferenz), Heinz Schirk, 1984, Allemagne
Shoah, Claude Lanzmann, 1985, France
De Nuremberg à Nuremberg, Frederic Rossif, 1989, France
Korczak, Andrzej Wajda, 1989, Pologne
La Liste de Schindler ( Schindler’s List), Steven Spielberg, 1993, États-Unis
-L’étoile de Robinson, Soren Kragh-Jacobsen, 1997, Danemark
-La vie est belle (La vita è bella), Roberto Benigni, 1998, Italie
-Je suis vivante et je vous aime, Roger Kahane, 1998, France
-Train de vie, Radu Mihaileanu, 1998, France
-Un spécialiste, Rony Brauman et Eyal Sivan, 1999, France
-Voyages, Emmanuel Finkiel, 1999, France
-Jakob le Menteur, Peter Kassovitz, 1999, Etats-Unis
-Les derniers jours (The Last Days), James Moll, 1999, Etats-Unis
-Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, 2000, France
Amen, Constantin Costa-Gavras, 2001, France
Le Pianiste, Roman Polanski, 2001, Etats-Unis
1943, l’utilme révolte, John Avnet, 2001, Etats-Unis
Monsieur Batignole, Gérard Jugnot, France
Un monde presque paisible, Michel Deville, 2002, France
La petite prairie aux bouleaux, Marcelle Loridan, 2003, France

-Monsieur Batignole, Gérard Jugnot, 2002
Zone libre, Christophe Malavoy , 2005
-On l’appelait Sarah, Gilles Paquet-Brenner, 2010
-L’Armée du Crime, Robert Guediguian, 2009
-La rafle, Rose Bosh, 2010

 

 

L’Ancien Régime au cinéma (filmographie)

FILMOGRAPHIE

Versailles vu d’Hollywood
Les deux orphelines (Orphans in the Storm), David W. Griffith, 125 mn, 1922 avec Dorothy Gish, Lillian Gish, Monte Blue…
Le Marquis de Saint Evremond (A Tale of Two Cities), Jack Conway, 121 mn, 1935 : avec Ronald Colman, Elisabeth Allan, Basil Rathbone…
Marie-Antoinette, Woody s. Van Dyke, 160 mn, 1938,
avec Norma Shearer, Tyrone Power, John Barrymore…
Scaramouche, George Sidney, 118 mn, 1952
avec Stewart Granger, Mel Ferrer, Eleanor Parker, Janet Leigh…

L’Ancien Régime vu par Guitry
Les perles de la Couronne, Sacha Guitry, 120 mn, 1937
avec Sacha Guitry, Jacqueline Delubac, Arletty
Remontons les Champs-Elysées, Sacha Guitry, 100mn, 1938
avec Sacha Guitry, Lisette Lanvin, Pauline Carton, Jacqueline Delubac…
Si Versailles m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1953
avec Sacha Guitry, Michel Auclair, Paulette Colbert, Jean Marais…
Si Paris m’était conté, Sacha Guitry, 165 mn, 1955

De cape et d’épée…
Les trois Mousquetaires, André Hunebelle, 1953
avec Georges Marchal, Bourvil…
Le Bossu, André Hunebelle, 112 mn, 1959
avec Jean Marais, Bourvil, François Chaumette…
Le Capitan, André Hunebelle, 95 mn, 1960
avec Jean Marais, Bourvil…
Les trois Mousquetaires, Bernard Borderie, 1961
avec Gérard Barray, Georges Descrières…

Les « belles de nuit »….
Angélique, Marquise des Anges, Bernard Borderie, 104 mn, 1964
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Jean Rochefort…
Angélique et le Roy, Bernard Borderie, 100 mn, 1966
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Sami Frey…
Angélique et le Sultan, Bernard Borderie, 105 mn, 1967
avec Michèle Mercier, Robert Hossein, Jean-Claude Pascal…

Les « mauvais garçons »
-Fanfan la Tulipe, Christian-Jacque, 102 mn, 1952
avec Gérard Philippe, Gina Lollobrigida, Noël Roquevert…
-Cartouche, Philippe de Broca, 1961
avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Marcel Dalio, Jean Rochefort…

Le cinéma de la Nouvelle Histoire
La prise du pouvoir par Louis XIV, Roberto Rosselini, 100 mn, 1966
avec Jean-Marie Patte, Raymond Jourdan…
Les Camisards, René Allio, 100 mn, 1972
avec Jacques Debarry, Gérard Desarthe,…
Que la fête commence, Bertrand Tavernier, 120 mn, 1974
avec Philippe Noiret, Jean Rochefort, Marina Vlady, Christine Pascal…
1788, Maurice Failevic, 1978 (téléfilm)
Molière, Ariane Mouchkine, 250 mn, 1978
avec Philippe Caubère, Brigitte Catillon, Joséphine Derenne, Daniel Mesguich…
Le retour de Martin Guerre, Daniel Vigne, 118 mn, 1982
avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Roger Planchon
Un médecin des Lumières, René Allio, 1988 (téléfilm)

Un thème toujours à la mode
Ridicule, Patrice Leconte, 102 mn, 1992
avec Charles Berling, Judith Godrèche, Fanny Ardant, Bernard Giraudeau…
La Reine Margot, Patrice Chéreau, 163 mn, 1993
avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Virna Lisi, Vincent Perez…
La fille de d’Artagnan, Bertrand Tavernier, 132 mn, 1994
avec Sophie Marceau, Philippe Noiret, Jean-Luc Bideau, Sami Frey, Claude Rich…
Beaumarchais l’insolent, Edouard Molinaro, 100 mn, 1995
avec Fabrice Lucchini, Sandrine Kimberlain…

Jefferson in Paris, James Ivory, 1995, 139 mn, avec Nick Nolte, Greta Scacchi
Marquise, Vera Belmont, 118 mn, 1997
avec Sophie Marceau, Lambert Wilson, Bernard Giraudeau, Patrick Timsit..

Marie Antoinette, Sofia Coppola, 123 mn, 2005, avec Kirsten Dunts, Jason Schwartzmann

Les adieux à la Reine, Benoit Jacquot, 160 mn, 2011, avec Léa Seydoux, Diane Kruger
BIBLIOGRAPHIE
L’ancien Régime au Cinéma, les Cahiers de la Cinémathèque, N°51-52, été 1989
-René Allio et Jean Jourdheuil, Un médecin des Lumières, Actes Sud, 1988
-Sacha Guitry, Cinéma, éditions Omnibus, 1993

Les adieux à la Reine, avant scène cinéma n°601

Ridicule, Patrice Leconte (Dossier Contreplongée)
Le retour de Martin Guerre, Daniel Vigne (Dossier Contreplongée)

Le cinéma en URSS, des années 1920 aux années 1940 : entre art et propagande

   Pour les dirigeants bolcheviks, le cinéma est un moyen de propagande privilégié: selon une citation peut-être apocryphe, Lénine aurait ainsi confié à A. Lounatcharski en 1922 : « de tous les arts, le cinéma est le plus important ». En tout cas, dès les premiers combats de la guerre civile, les chefs communistes comprennent l’intérêt du cinéma pour leur propagande et développent un département cinématographique aux armées : ce sont les fameux « kino-trains » ou « agit-trains », qui circulent à l’arrière du front, et qui comportent tout l’équipement nécessaire à la production et à la diffusion de documentaires afin d’assurer « l’édification des masses » (Dziga Vertov participera à cette expérience originale). Dès 1919, le secteur du cinéma est nationalisé et des organismes officiels, sous différentes appellations (VFKO, Soskino, Sovkino…) sont chargés de prendre en main la production cinématographique. C’est aussi en Russie soviétique qu’est fondée la première école de cinéma du monde. C’est d’ailleurs au cours des années 1920 que de nombreuses théories sont élaborées par des cinéastes ou des artistes russes (on pense notamment aux idées de Lev Koulechov ou de Sergueï Eisenstein à propos des différents types de montage…). En tout cas, le cinéma soviétique commence à se faire connaître dès les années 1920, par la qualité de ses réalisateurs (pour ne citer que les plus connus, Vsevolod Poudovkine, Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov, Alexandre Dovjenko). Mais s’il connaît un véritable âge d’or pendant près d’une décennie, il s’est sévèrement repris en mains lors de la période stalinienne.

L’âge d’or du cinéma soviétique

   Au cours de cette première période, il faut d’abord insister sur l’engagement enthousiaste de ces cinéastes soviétiques envers la cause de la Révolution. Ces jeunes gens (de 15 ans pour Kozintsev à
27 ans pour Poudovkine) ont pleinement adhéré aux idéaux communistes et certains ont même participé, à des titres divers, aux combats de la guerre civile (Koulechov, Vertov, Eisenstein, Dovjenko…). On peut d’ailleurs constater que la plupart d’entre eux sont restés fidèles au communisme, y compris pendant la période stalinienne : les plus rebelles continuent à travailler pour le régime jusqu’aux années 1940-1950, au prix d’autocritiques sans doute douloureuses et avec parfois bien des difficultés. Au cours des années 1920, cette « génération dorée » n’aborde que des sujets politiques ou
historiques, parfois sur commande du gouvernement (Eisenstein se voit proposer les sujets du cuirassé Potemkine, d’Octobre et de La ligne générale) . Il y a peu d’histoires « futiles », c’est à dire psychologiques, dans les scénarii des films russes de la période. Même quand Abraham Room évoque un trio amoureux dans Trois dans un sous-sol, c’est plutôt pour évoquer l’émancipation de la femme dans la nouvelle société soviétique…Par contre, certains thèmes sont récurrents dans la filmographie de cette époque : la dénonciation de l’Ancien régime tsariste (La Grève, La Mère), le rappel des luttes d’avant 1914, la geste révolutionnaire d’Octobre (La fin de Saint-Pétersbourg, Octobre, Arsenal), la guerre civile (Tempête sur l’Asie, Chtchors), la collectivisation des terres (La ligne générale, La Terre)… Si le cinéma soviétique est très homogène quant aux sujets qu’il traite, il l’est beaucoup moins en ce
qui concerne la façon d’évoquer ces thèmes…Déjà, les réalisateurs utilisent toute la palette des genres cinématographiques (le commissaire à l’instruction, Anatoli Lounatcharski , ne cache pas sa
fascination pour l’efficacité du cinéma hollywoodien et estime que la manière de filmer des studios peut être utile pour servir la Révolution). Ainsi, Lev Koulechov tourne une comédie burlesque mais à caractère politique (Les aventures extraordinaires de M. West au pays des Soviets) , Jacob Protazanov réalise Aelita, film de science-fiction dans lequel des martiens exploitent une masse de prolétaires.
De plus, les cinéastes soviétiques n’hésitent pas à tester les théories les plus avant-gardistes dans leurs films : ainsi Eisenstein tente d’appliquer ce qu’il nomme « le montage des attractions » , qui consiste à monter deux plans successifs avec des images apparemment sans rapport entre elles, mais dont l’addition provoque une idée ou un choc chez le spectateur (l’exemple le plus connu de l’époque est une séquence de La Grève, où le massacre d’ouvriers par l’armée du tsar est monté alternativement avec des scènes tournées dans un abattoir…). Dziga Vertov, tout aussi radical, refuse d’engager des acteurs professionnels, de tourner dans des décors de studio et ne veut pas de fiction considérée comme artificielle : il filme directement dans la rue des scènes de la vie quotidienne et c’est le montage qui donne du sens à l’ensemble (son film le plus célèbre est L’Homme à la caméra)…D’autres, comme Poudovkine, appliquent les théories de montage de Koulechov (La Mère, La fin de Saint-Pétersbourg) ou manifestent une sensibilité plus lyrique (Dovjenko quand il filme les campagnes d’Ukraine dans La Terre).
Mais à la fin de la période, ces cinéastes si inventifs semblent être aller au bout de leurs possibilités : les débats font rage à propos du cinéma le plus prolétarien (une dispute célèbre oppose Vertov et Eisenstein). Ils se heurtent également à l’incompréhension du public qu’il sont censés toucher : le film d’Eisenstein Octobre est ainsi boudé par les spectateurs les plus populaires, peu sensibles au montage sophistiqué de certaines séquences. D’autres, comme Poudovkine, appliquent les théories de montage de Koulechov (La Mère, La fin de Saint-Pétersbourg) ou manifestent une sensibilité plus lyrique (Dovjenko quand il filme les campagnes d’Ukraine dans La Terre).

La reprise en main stalinienne

    Alors que Staline contrôle de plus en plus le pouvoir suprême après la mort de Lénine, cette reprise en main touche aussi le secteur cinématographique. En 1937, un nouvel organisme d’état , le Soyouzkino, est mise en place et confié à Boris Choumiatski, personnage particulièrement dogmatique et hostile aux cinéastes les plus audacieux comme Vertov ou Eisenstein (ce dernier sera d’ailleurs obligé de se livrer à une autocritique publique). Il est prévu de construire d’immenses studios sur la mer Noire, produisant plus de cent films par an et employant des milliers de personnes, en quelque sorte un pendant soviétique au Hollywood californien…Mais le projet ne verra jamais le jour, faute de moyens financiers. Par contre, la vigilance idéologique est renforcée et les films, à toutes les étapes de leur réalisation, font l’objet d’un suivi tatillon : près d’une centaine
de films seront ainsi « mis sur les étagères », c’est à dire censurés par la bureaucratie stalinienne (soit près de 10% de la production totale). Eisenstein lui-même aura de graves problèmes : son film La Ligne générale sera modifié sur intervention personnelle de Staline (le titre, la séquence finale) et celui qu’il tournera d’après l’histoire de Pavel Morozov, Le pré de Béjine, sera carrément détruit, au motif que son traitement de l’histoire est trop mystique…
Mais surtout, les artistes vont devoir suivre la ligne imposée par le Parti et Staline. C’est en effet au Congrès des Ecrivains en 1934 que prend définitivement forme la théorie élaborée par Jdanov et qui sera appliquée dans tous les domaines artistiques, le « réalisme socialiste ». Cette nouvelle ligne, en rupture avec les tentations avant-gardistes de la période précédente, consiste à produire un art « socialiste dans le fond, réaliste dans la forme ». Il ne s’agit plus de déconcerter le peuple avec des modes d’expression incompréhensibles mais de trouver des formes simples qui permettent de faire passer l’essentiel, à savoir la cause du socialisme. De même, les sujets que doivent traiter les cinéastes sont imposés par le parti de manière planifiée : les grandes figures de l’histoire de la Russie (Pierre le Grand, Alexandre Nevski, Koutouzov…), les « héros » de la révolution et de la guerre civile (Lénine surtout mais aussi Tchapaiev…), les « hommes nouveaux » qui apparaissent avec la société soviétique (kolkhoziens, ouvriers stakhanovistes, scientifiques…)…Les autorités exigent aussi une parfaite lisibilité des scénarii, pour qu’ils soient compréhensibles du public populaire. On retrouve ainsi souvent dans les films soviétiques de l’époque, le « trio infernal » : l’homme du peuple, ouvrier ou paysan, plein de bonne volonté mais un peu naïf, « l’ennemi du peuple », le saboteur étranger ou le koulak hostile au nouveau régime, et enfin l’homme du parti, souvent membre du NKVD, qui montre la ligne juste et rétablit la situation…C’est par exemple ce schéma qui est appliqué dans le célèbre film des Vassiliev, qui raconte la vie d’une figure très populaire de la guerre civile, Tchapaiev (Marc Ferro a consacré à ce film une analyse très éclairante
dans son ouvrage devenu classique, Cinéma et Histoire). Enfin, ces films « staliniens » ont toujours une « fin heureuse », avec souvent un banquet final qui réunit la communauté et célèbre l’action du parti et de son chef suprême (c’est souvent le cas dans les comédies musicales soviétiques, très appréciées de Staline, comme Volga-Volga ou Les tractoristes…).
Au cours de « la grande guerre patriotique », les cinéastes connaissent une période de répit car le pays est quelque peu désorganisé et le poids des autorités un peu moins contraignant. L’urgence est de mobiliser toutes les énergies et Staline doit laisser la bride sur le cou aux cinéastes : aussi, les films tournés alors se signalent par une certaine liberté de ton : en particulier, les souffrances du peuple russe ne sont pas occultées, et même la collaboration de certains russes avec l’occupant nazi est évoquée (par exemple, L’arc en ciel de Mark Donskoï). Mais très vite après la seconde guerre mondiale, les autorités procèdent à une reprise en main du cinéma soviétique, alors que le culte de la personnalité bat son plein (c’est cette fois Staline lui-même qui occupe la première place sur les écrans, comme dans La Chute de Berlin de Mikhail Tchiaoureli). Le dictateur s’oppose d’ailleurs à la diffusion de la seconde partie d’Ivan le Terrible réalisé par Eisenstein, car il estime que le film du cinéaste présente l’ancien tsar de manière trop négative et qu’on pourrait faire des rapprochements embarrassants…Le parti impose plus que jamais ses directives aux cinéastes afin que la ligne officielle soit respectée et diffusée (Dovjenko tourne Mitchourine en 1948, l’histoire d’un biologiste de génie à l’époque tsariste, qui réfute les théories de Mendel et qui peut poursuivre ses travaux grâce à la révolution bolchevique : son disciple sera un certain Lyssenko, qui connaît son heure de gloire dans les années 1940…). La production cinématographique en URSS tombe alors à son plus bas niveau (moins d’une vingtaine de films par an).

   Cette rapide évocation montre bien que si on peut parler d’un cinéma de propagande à propos des oeuvres des réalisateurs en URSS, il est utile de préciser le contexte historique dans lequel s’inscrivent les différentes œuvres : les films des années 1920 ont une liberté de ton et de forme qu’on ne retrouve pas dans le cinéma stalinien, beaucoup plus conformiste et encadré. Il peut être intéressant de le rappeler, quand on utilise certaines séquences des œuvres d’Eisenstein, cinéaste dont les rapports avec Staline sont plus complexes qu’il y paraît…Par contre, des extraits des films staliniens -souvent médiocres-des années 1950 gardent toute leur efficacité pédagogique !

voir aussi filmographie du cinéma russe et soviétique

Nuit et brouillard, un documentaire de référence

     Ces dernières années, Nuit et Brouillard semble être devenu le documentaire de référence par excellence, projeté sur les chaînes de télévision sur injonction ministérielle, chaque fois que l’opinion publique est troublée par un évènement lié au génocide des Juifs lors de la seconde guerre mondiale (par exemple, quand le cimetière juif de Carpentras est profané en 1990, ou lorsque la chambre d’accusation de Paris rend son « célèbre » arrêt dans l’affaire Touvier en avril 1992). Ce « réflexe conditionné » a pu irriter certains enseignants, qui sont sommés d’obtempérer au »devoir de mémoire », brandi par les instances médiatiques et politiques. Or, ils estiment faire plutôt correctement leur travail sur ce thème de l’extermination des Juifs :  depuis plusieurs années, les générations qui sortent du système scolaire sont sans doute mieux informées que les précédentes sur ce sujet… On peut aussi s’interroger sur ce qui fait encore de Nuit et Brouillard un film de référence sur les camps de concentration, alors que la filmographie sur l’univers concentrationnaire s’est considérablement étoffée depuis 1955 ( pour ne citer que les plus connus, Shoah de Claude Lanzmann, sorti en 1985 dans le genre documentaire, La liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993 ).

La réalisation de Nuit et Brouillard
Quand Alain Resnais s’empare de ce projet en 1955, il n’a encore réalisé que des documentaires sur la peinture ( Van Gogh en 1948, conçu avec R.Hessens, Gauguin et Guernica en 1950 ) ainsi qu’un court-métrage sur l’Art africain ( Les statues meurent aussi, tourné avec Chris Marker en 1950-1953 ). C’est sans doute à cause de ses qualités reconnues dans ce genre cinématographique qu’il se voit confier par le Comité d’Histoire pour la seconde guerre mondiale, le projet de réaliser un moyen-métrage sur le monde concentrationnaire, à l’occasion du dixième anniversaire de la libération des camps. Il est assisté par l’écrivain Jean Cayrol, qui va rédiger le commentaire et qui a personnellement éprouvé la dureté des camps ( il a été déporté au camp d’Oranienbourg, où son frère est mort de ses souffrances…). Pour réaliser son montage, Resnais puise à des sources diverses : il se rend sur place en Pologne à Auschwitz pour y filmer les baraques et bâtiments encore debouts ( ce sont les fameuses séquences en couleur qui ouvrent le film ) : il utilise les archives photos et filmées de divers pays, ainsi que les séquences tournées par des cinéastes des armées alliées, lors de l’ouverture des camps ( en particulier celles réalisées par Sidney Bernstein à Bergen-Belsen : elles devaient être montées par Alfred Hitchcock pour être diffusées à un large public mais le projet n’aboutira pas. Ces images seront néanmoins montrées sur une chaîne anglaise, puis à la télévision française en 1985, sous le titre La mémoire meurtrie…il s’agit notamment des terribles scènes où des bulldozers poussent des monceaux de cadavres dans de gigantesques charniers : Ce sont les troupes alliées qui procèdent à ces opérations, afin d’éviter tout risque d’épidémie…). Le réalisateur « emprunte » quelques séquences au film La dernière étape de la cinéaste polonaise Wanda Jakubowska, elle-même ancienne déportée à Birkenau et qui tourne en 1947 sur les lieux-mêmes de son emprisonnement ( il s’agit notamment des scènes où le train rempli de déportés entre dans le camp en pleine nuit, attendu par les gardes SS et de quelques vues des crématoires crachant leur épaisse fumée…).

Un film qui dérange
Mais le film d’Alain Resnais doit surmonter bien des obstacles, avant et après sa sortie. Déjà, la censure l’oblige à occulter le képi d’un gendarme montant la garde au camp de Pithiviers, afin d’éviter que ne soit évoqué le rôle de la police française au service de l’occupant. Ensuite, la sélection du film pour représenter la France au Festival de Cannes de 1956 amène l’ambassade de l’Allemagne fédérale à protester auprès du quai d’Orsay et à obtenir son retrait. Malgré cela, le film est présenté hors-festival et produit une forte impression : il obtient un succès certain en salles ( il reste 4 mois à l’affiche du studio de l’Etoile ) et reçoit le prix Jean Vigo 1956. On peut relever enfin que la réussite de Resnais sur un sujet aussi délicat amène un autre projet à voir le jour : peu de temps après, le producteur Anatole Dauman demande au cinéaste de tourner un documentaire sur la bombe atomique. Après quelques péripéties, l’idée initiale se transforme et aboutit à la réalisation du premier film de fiction d’Alain Resnais, Hiroshima, mon amour, sur un scénario de Marguerite Duras.

Le génocide absent
Avant d’analyser les raisons de l’efficacité toujours actuelle de Nuit et Brouillard, il faut s’attarder sur ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse de l’œuvre de Resnais, à savoir l’absence de toute mention précise de l’extermination des Juifs. Comme l’a remarqué Annette Wieviorka , la mémoire du génocide connaît plusieurs phases à partir de 1945 : jusqu’aux années 1960, l’idée s’impose « d’unifier le sort de tous les déportés en faisant de tous les camps, Birkenau et Buchenwald, Dachau et Treblinka,un seul grand camp mythique ouvert en 1933 et liberé en 1945,où tous, Juifs et non-Juifs,auraient connu indifféremment le même sort : « Nuit et Brouillard est emblématique de cette vision ». Et de fait, si le fonctionnement des chambres à gaz est décrit précisément, le sort particulier réservé aux Juifs n’est pas clairement explicité ( les déportés raciaux sont seulement mentionnés au début du film, dans la longue énumération de tous les « raflés » d’Europe : de même, aucune distinction n’est faite entre camp de concentration et camp d’extermination…). La « bonne foi » de Resnais et de Cayrol n’est bien sûr pas en cause : en fait, cette vision correspond à l’état des connaissances et l’état d’esprit de ces années 1950. Ainsi, le film déjà cité de Wanda Jakubowska ne fait pas non plus la différence entre déportés juifs et non-juifs, et la recherche historique en est encore à ses débuts sur ce sujets. Dans le livre La tragédie de la déportation publié par Olga Wormser et Henri Michel en 1954, recueil de témoignages qui a servi de base au travail de Resnais et de Cayrol, le génocide n’est pas encore distingué du système concentrationnaire. Même si certains survivants comme Eugen Kogon ou Georges Wellers ont déjà témoigné, les grandes synthèses sont encore à venir ( en particulier celle de Raoul Hillsberg, La destruction des Juifs d’Europe, publiée aux Etats-Unis dans les années 1960 mais seulement en 1988 en France ). Plus profondément, les déportés raciaux eux-mêmes ne souhaitent pas alors être différenciés des autres déportés. Selon Annette Wieviorka, le « marché implicite » est le suivant : les Juifs « taisent la spécificité de leur destin. Ils deviennent en échange des patriotes et résistants, voués à l’anéantissement en tant qu’antifascistes ». Cette vision est particulièrement celle du PCF qui prend alors « en charge » la mémoire de la déportation .Pour les survivants si peu nombreux ( 4% seulement sont rentrés des camps d’extermination contre 40% des autres camps ), c’est aussi une manière de s’intégrer ( en particulier les Juifs d’origine étrangère, si actifs dans les groupes de FTP-MOI ). Aussi, Resnais et Cayrol ne peuvent être tenus pour responsables d’une interprétation alors dominante parmi les déportés eux-mêmes
( comme en témoignent les prises de position de la FNDIRP à l’époque ).

Les raisons de l’efficacité
A part de ce problème particulier mais important, Nuit et Brouillard est un film encore très efficace, à la fois dans son approche et sa structure : il annonce même parfois des pistes de recherche suivies par les historiens bien des années plus tard.
D’abord, Alain Resnais amène le spectateur à l’endroit même où se sont déroulées les atrocités décrites ensuite : c’est le fameux traveling avant ,au début du film, tourné à l’entrée du camp d’Auschwitz, au milieu des champs couverts de fleurs jaunes…Tout de suite, « le paysage innocent se voit creuser d’une réalité coupable. Une honte transportable qui se communique au spectateur et responsabilise son regard » ( Robert Benayoun ). A plusieurs reprises, Resnais reprend le procédé d’ouverture : des séquences en couleur tournées dans le camp d’Auschwitz ( baraques plus ou moins délabrées, châlits vidés de leurs occupants…) s’opposent aux images des violences nazies en noir et blanc, et ces « lieux de mémoire » perdent alors leur innocence…
Autre force du film, le montage qui, avec une grande rigueur, englobe tout le système concentrationnaire, depuis la construction des bâtiments jusqu’à la vie quotidienne des déportés. Aucun aspect n’est négligé : les rafles opérées dans toute l’Europe, la dureté des conditions de transport qui aboutit à une première élimination, la sélection impitoyable à l’entrée du camp, le système répressif soigneusement organisé, le sadisme des gardiens, les « expériences » médicales, l’exploitation de la main d’œuvre concentrationnaire par les industriels allemands, le fonctionnement des chambres à gaz… ( certains de ces thèmes ont été étudiés par les historiens : ainsi, Jean-Claude Pressac a récemment décrit avec précision les chambres à gaz et des crématoires à partir des devis retrouvés à Auschwitz ). Le système concentrationnaire est présenté comme une machine implacable ( la musique de Hans Eisler souligne cet aspect « mécanique » du massacre…) : l’organisation de la déportation est le fait d’une bureaucratie qui planifie tout jusqu’au moindre détail ( par exemple, la récupération du corps des victimes…) : il ne s’agit pas de quelques fous aveuglés par leur haine…En ce sens, Resnais et Cayrol annoncent les idées de Hannah Arendt sur la « banalité du mal », qu’elle exprime lors du procès Eichmann à Jerusalem : les responsables des déportations ne sont pas des sadiques mais de petits fonctionnaires sans état d’âme.
De manière générale, Resnais et Cayrol savent trouver le ton juste pour évoquer un sujet aussi difficile. L’émotion n’est pas absente, mais maitrisée ; le montage et l’écriture du commentaire sont d’une grande retenue ( François Truffaut parle à ce propos « d’une douceur terrifiante » ), qui fait ressortir peut-être davantage l’horreur des images. La qualité du texte de Cayrol y est pour beaucoup : phrases courtes, sans boursouflures inutiles, lues d’une voix calme mais intense par Michel Bouquet. L’ironie perce souvent, par exemple quand Cayrol évoque les « écoles » d’architecture concentrationnaire ( « style alpin,style garage,style japonais,…sans style  » ) ou quand il s’étonne des préceptes moralisateurs des SS, surréalistes en ces lieux ( « la propreté, c’est la santé », « le travail, c’est la liberté » ). Le commentaire s’adapte aux images avec beaucoup d’intelligence : parfois il suggère l’horreur mais sans la détailler ( « inutile de décrire ce qui se passait dans ces cachots » ); il précise un détail qui donne tout son sens à ce qu’on voit à l’écran ( les traces d’ongles au plafond des chambres à gaz ) : enfin, quand les images sont trop violentes, il sait tout simplement se taire : lorsque le film décrit comment les Nazis »récupèrent » les corps de leurs victimes, le texte dit : »avec les corps,mais on ne peut plus rien dire,avec les corps, on fabrique du savon;quant à la peau… ». A propos des choix des images par Resnais, il est frappant de constater l’absence de témoignage « en direct » des survivants eux-mêmes ( les témoins existent et se sont déjà manifestés par leurs écrits, comme David Rousset ou Robert Antelme…). Sans doute, les rescapés encore marqués par leurs souffrances n’étaient-ils pas « prêts  » à en faire part devant une caméra. On peut aussi supposer que Resnais voulait éviter ce genre de séquence, pour ne pas « étaler » une émotion qu’il voulait justement contrôler…

   Le film de Resnais se fait aussi l’écho de certains des débats qu’ont soulevé le phénomène concentrationnaire. Ainsi, le problème de la culpabilité est évoqué à la fin du film (  » Je ne suis pas responsable » dit le kapo, « je ne suis pas responsable dit l’officier, alors qui est responsable ?  » ) et cette question fut au centre des débats lors du procès de Nuremberg en 1945-1946 : chacun des acteurs du massacre rejette sa faute sur son supérieur, et la responsabilité est tellement partagée qu’elle semble être diluée…Enfin, si la spécificité du génocide des Juifs n’est pas évoquée, Resnais et Cayrol ne manquent d’avertir le spectateur : les camps de concentration sont le fait des Nazis ( jamais le peuple allemand n’est mis globalement en cause ) mais ils pourraient fort bien revenir avec « la venue de nouveaux bourreaux » ( Robert Benayoun y voit une allusion à la guerre d’Algérie qui commence en ces années 1950 ).

Nuit et Brouillard aujourd’hui
On peut constater aussi que Nuit et Brouillard soutient la comparaison avec les documentaires réalisés depuis les années 1950 . Certes, les dernières émissions intègrent les avancées de l’historiographie. Ainsi, le documentaire Contre l’oubli diffusé au printemps 1995 sur France 2 et réalisé par William Karel décrit avec sobriété les mécanismes du génocide et surtout s’interroge sur la mémoire de la Shoah, en suivant son évolution depuis la libération des camps jusqu’au procès Eichmann en 1961, début de la prise de conscience…L’historien Tom Segev est aussi interrogé pour évoquer l’accueil des survivants en Israël après la guerre…Mais cette émission s’en tient à son rôle pédagogique et n’a pas la dimension « morale » du film de Resnais.
Il est aussi intéressant de rapprocher Nuit et Brouillard du film de Claude Lanzmann Shoah, sorti en 1985 et dont l’impact fut considérable. Certes, les deux réalisateurs n’ont pas le même « objet »‘ ( Resnais traite du monde concentrationnaire, alors que Lanzmann ne s’intéresse qu’au génocide ) mais on peut comparer leurs démarches respectives. Les deux cinéastes partent du même point de départ : une interrogation sur « les lieux mêmes du crime », dont ils entendent dévoiler l’innocence apparente. Comme Alain Resnais, Lanzmann va filmer en Pologne même les forêts qui recouvrent le site des camps d’extermination : « sous les camouflages – de jeunes forêts, l’herbe neuve-il a su retrouver les horribles réalités », écrit Simone de Beauvoir à propos du film. Mais, devant ces lieux apparemment vides, Lanzmann adopte une attitude toute différente de celle de Resnais, en ce sens qu’il refuse à priori toute image d’archives. Comme il le dit lui-même, « si j’avais trouvé un film secret montrant comment 3 000 Juifs mouraient ensemble dans une chambre à gaz, non seulement je ne l’aurai pas montré mais je l’aurai détruit. Je suis incapable de dire pourquoi. Ça va de soi ». En fait, pour le réalisateur de Shoah, la représentation à l’écran du génocide, que ce soit par des images d’archives d’ailleurs presque introuvables ou par des films de fiction , ne peut être que réductrice et même « triviale », selon son expression. La souffrance endurée par le peuple juif a été unique, au delà des images…Comme il l’explique, « les images tuent l’imagination », qui est peut-être le seul moyen d’approcher la vérité de la Shoah. Aussi, on connaît la démarche de l’auteur : son film se compose de longs entretiens, souvent pénibles et heurtés, avec les survivants « mis en situation » dans les camps où ils « revivent » leurs souffrances ( au début du film, Simon Sbrenik à Chelmno ) : on est loin de la manière « distanciée » qui est la marque de Nuit et Brouillard.

    Mais Resnais et Lanzmann se retrouvent à nouveau , en mettant en garde contre une banalisation de la mémoire de ces évènements : le réalisateur de Shoah prévient : « le pire crime est de considérer l’Holocauste comme passé. L’Holocauste est soit légende, soit présent . Il n’est en aucun cas de l’ordre du souvenir ». Cette mise en garde est aussi présente dans le film de Resnais : le commentaire évoque « l’eau froide et opaque comme notre mauvaise mémoire » et dénonce ceux « qui feignent de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne comme si on guérissait de la peste concentrationnaire ». Au total, au delà de leurs approches parfois différentes, les deux réalisateurs ont fait preuve de la même cohérence et des mêmes exigences morales.
Les évocations des camps dans les films ou documentaires tournés récemment abondent souvent en images-chocs, parfois terrifiantes. Dans De Nuremberg à Nuremberg de Fréderic Rossif, les séquences consacrées au génocide sont presque insupportables : elles sont censées contredire l’ignorance affichée par les chefs nazis jugés à Nuremberg en 1945. Il ne s’agit pas alors de prendre du recul mais de provoquer une réaction émotionnelle , avec les risques qu’évoque Lanzmann quand il parle de « la jouissance des larmes »…

   Aussi, malgré ses imperfections, Nuit et Brouillard reste une œuvre forte, qui mérite d’être toujours  diffusée, même si certaines mises au point sont nécessaires : le film « n’accuse nullement ses 36 ans. Aussi pur qu’au premier jour, il reste traversé d’un souffle brûlant qui nous emporte sur les ailes de l’horreur » ( Daniel Schneidermann, le Monde, mai 1992 ). C’est bien « une mise en mouvement de la mémoire », qui sait concilier la démarche pédagogique, l’art cinématographique et la rigueur morale.

 

Les croisades au cinéma

FILMOGRAPHIE :
Les Croisades, Cecil B. DeMille, États-Unis, 1935
Richard Cœur de Lion, David Butler, États-Unis, 1954
Le Septième Sceau, Ingmar Bergman, Suède, 1956
Le Cid, Anthony Mann, États-Unis, 1961
Saladin, Youssef Chahine, Égypte, 1963
La croisade maudite, Andrzej Wajda, Pologne, 1968
Brancaleone s’en va aux croisades, Mario Monicelli, Italie, 1970
La rose et la flèche, Richard Lester, États-Unis, 1976
La passion Béatrice, Bertrand Tavernier, France, 1987
La croisade des enfants, Serge Moati, France, 1988
Robin des Bois, prince des voleurs, Kevin Reynolds et Kevin Costner, États-Unis, 1991
Kingdom of Heaven, Ridley Scott, États-Unis, 2005
Arn, chevalier du Temple, Peter Flinth , Grande-Bretagne, Danemark, Norvège, Suède, 2007
BIBLIOGRAPHIE :
ouvrages généraux:
– François Amy de la Bretèque,  L’imaginaire médiéval dans le cinéma occidental, Honoré Champion , 2004
–  Patrick Brion,  Le cinéma d’aventure,  éditions La Martinière, 1995
-Pierre Guibert et Marcel Oms,  L’histoire de France au cinéma, Cinémaction, 1993
Le Moyen-Age au cinéma, Cahiers de la cinémathèque, institut Jean Vigo Perpignan, numéro 42/43, 1985

articles ou revues sur les films
Les aventures de Robin des Bois, dossier Contreplongée Strasbourg
Ivanhoé, dossier Contreplongée Strasbourg, 1992
Kingdom of Heaven, ciné-club de Wissembourg, numéro 205, 2006/2007
Kingdom of Heaven : Histoire ou spectacle ?
Nicolas Smaghue (revue Historiens et géographes, numéro 391, juillet 2005)
Kingdom of Heaven, dossier ciné-club de Wissembourg n° 205
La Rose et la flèche, revue Contreplongée Strasbourg, 1989
Le Septième Sceau, Edmond Grandgeorge, Nathan collection Synopsis, 1972
-itographie
-le site officiel du film : Kingdom of Heaven :Kingdomofheaven-lefilm.cvom
-l’étude du film sur un site pédagogique : http://cinehig.clionautes.org
(article Moura Paulo (février 2006)
-l’étude du film Kingdom of Heaven : http://www.cafe-geo.net (article Nicolas Bauche, 23 mai 2005)

L’économie et la société du XX° siècle au cinéma

FILMOGRAPHIE
Les économies soviétique et occidentale dans l’entre deux guerres
en URSS:
L’homme à la caméra, Dziga Vertov, 1929
La ligne générale, S.M Eisenstein, 1929
La symphonie du Donbass, Dziga Vertov, 1931
-aux États-Unis, en France , en Allemagne
Docteur Mabuse, Fritz Lang, 1922
Metropolis, Fritz Lang, 1925
L’Argent, Marcel L’Herbier, 1928
A nous la liberté, René Clair, , 1931
David Glover, Julien Duvivier, 1931
La vie est à nous, Jean Renoir, 1936
La Belle Équipe, Julien Duvivier, 1936
Les temps modernes, Charlie Chaplin, 1936
Le Jour se lève, Marcel Carné, 1939

La crise sociale des années 1930 dans le cinéma américain
Little Caesar, Mervin Leroy, 1930
Scarface, Howard Hawks, 1932
Je suis un évadé , Mervin Leroy, 1932
-La Ruée, Frank Capra, 1932
Les faubours de New York, Raoul Walch, 1933
Héros à vendre, William Wellman, 1933
Wild boys of the Road, William Wellman, 1933
Chercheuses d’or , Mervin Leroy, 1933
King-Kong, Ernest Schoedsack, 1933
Notre pain quotidien , King Vidor, 1934
New York-Miami, Frank Capra, 1934
My Man Godfrey, Gregory La Cava, 1936
-Rue sans issue , William Wyler, 1937
Les Raisins de la Colère, John Ford, 1940
Les voyages de Sullivan, Preston Struges, 1941

Les années 1930 vues par le Nouvel Hollywood
Bonnie and Clyde, Arthur Penn, 1967
On achève bien les chevaux? Sidney Pollack, 1970
-L’Empereur du Nord, Robert Aldrich, 1973
En route vers la gloire , Hal Ashby, 1976
Honky-Tonk Man, Clint Eastwood, 1982
Natty Gan, Jeremy Kagan, 1986
Des souris et des hommes , Gary Sinise, 1992

Les trente Glorieuses dans le cinéma européen
Allemagne année zéro, Roberto Rossellini, 1946
Le voleur de bicyclette,Vittorio de Sica, 1948
Les portes de la nuit , Marcel Carné, 1946
Le point du jour, Louis Daquin, 1949
La belle américaine, Robert Dhéry, 1961
Mon oncle, Jacques Tati, 1958
Mélodie en sous-sol, Henri Verneuil, 1963
Deux ou trois choses que je sais d’elle, Jean Luc Godard, 1966
Playtime, Jacques Tati, 1967
Week-end, Jean Luc Godard, 1967
Elle court, elle court la banlieue, Gérard Pirès, 1973

-Souvenirs d’en France, André Téchiné , 1975
Une étrange affaire, Pierre Granier-Deferre, 1981

La mondialisation des années 1980 et ses conséquences sociales (cinéma américain, britannique, français)
Wall street, Oliver Stone, 1987
-Le bûcher des vanités, Brian de Palma, 1990
American Psycho, Mary Harron, 2000

L’engagement du cinéma britannique
Riff-Raff, Ken Loach, 1990
Raining stones, Ken Loach, 1993
The Van, Stephen Frears, 1996
Les virtuoses, Mark Herman, 1997
The Full Monty, Peter Cattaneo, 1997
My name is Joe, Ken Loach, 1998
The navigators, Ken Loach, 2002
It’s a free word, Ken Loach, 2008
-Looking for Eric, Ken Loach, 2009

Le réveil du cinéma français sur la question sociale
Faut-il aimer Mathilde, Edwin Baily, 1993
L’argent fait le bonheur, Robert Guédiguian, 1993
État des lieux, Jean François Richet, 1994
En avoir (ou pas), Laetitia Masson, 1995
A la vie, à la mort, Robert Guédiguian, 1995
Marius et Jeannette, Robert Guédiguian, 1997
La vie rêvée des anges, Eric Zonca, 1998
A la place du cœur, Robert Guédiguian, 1998
Karnaval, Thomas Vincent, 1999
L’humanité, Bruno Dumont, 1999
Ressources humaines, Laurent Cantet, 1999
Nadia et les hippopotames, Dominique Cabrera, 2000
Marie-Line, Medhi Charef, 2000
Selon Mathieu, Xavier Beauvois, 2000-2001
Trois-huit, Philippe Leguay, 2001
La raison du plus faible, Lucas Belvaux, 2006
Huit fois debout, Xabi Molia, 2010
Les neiges du Kilmandjaro, Robert Guédiguian, 2011
Ma part de gâteau, Cédric Klapish , 2011
Toutes nos envies, Philippe Lioret , 2011
Louise Wimmer, Cyril Mennegun, 2012

Contrepoint : le « blues » des cadres…
Quelques jours avec moi, Claude Sautet, 1988
Romuald et Juliette, Coline Serreau, 1989
Une époque formidable, Gérard Jugnot, 1991
La crise, Coline Serreau, 1992
Extension du domaine de la lutte, Philippe Harel, 1999
L’emploi du temps, Laurent Cantet, 2001
Violence des échanges en milieu tempéré, Jean-Marc Montout, 2003
Le couperet, Constantin Costa-Gavras, 2004
Sauf le respect que je vous dois, Fabienne Godet, 2005
Rien de personnel, Mathias Golkap, 2009
De bon matin, Jean-Marc Moutout, 2011
BIBLIOGRAPHIE :
Ouvrages
-Michel Cadé, L’écran bleu : la représentation des ouvriers dans le cinéma français, Presses universitaires de Perpignan, 2000
-Vincent Chenille, Marc Gauchée, Mais où sont les salauds d’antan ?
20 ans de patrons dans le cinéma français, Les éditions Mutine, 2001
-Geneviève Guillaume-Grimaud, Le cinéma du Front populaire, Lherminier, 1986
-René Prédal, Le cinéma et la crise de 1929, éditions Cerf-Corlet, 2010

Revues
Cinéma d’un monde en crise, Documentation photographique, n°6031, Jean-Pierre Jeancolas, 1977
Cinéma ouvrier en France, Cahiers de la Cinémathèque, Institut Jean Vigo, n° 71, décembre 2001
Europe 1945-1965, Cahiers de la Cinémathèque, n°46-47
La figure ouvrière, L’art du cinéma n° 32-33-34, été 2001
-Positif, n°609, novembre 2011 dossier : La grande crise à l’écran
-Dossiers et documents du Monde n° 417, mars 2012, Cultures : écrire, filmer, d’une crise à l’autre
Dossiers sur des films
Metropolis (dossier RCA+ Wissembourg)
Metropolis (Avant-scène cinéma n°585)

L’Argent, Marcel L’Herbier (Avant-scène n° 209)
La Belle Équipe, Julien Duvivier (Avant-scène n° 450)
Le Jour se lève, Marcel Carné (Avant-scène réédition 1965)
Les Temps modernes (dossier RCA+Grignoux)
Le point du jour , Louis Daquin, (Avant-scène n°18)
Mon oncle (dossier Rencontres Cinématographiques d’Alsace + les Grignoux)
Mon oncle (dossier Synopsis)
Souvenirs d’en France, André Téchiné (Avant-scène n° 166)
Une étrange affaire, Pierre Granier-Deferre ((Avant-scène n°540)

Raining stones , Ken Loach (dossier RCA)
The Full Monty , Peter Cattaeno (dossier RCA)
Les virtuoses, Mark Hellman (les Grignoux)
Marius et Jeannette (Avant-scène n° 472)
La raison du plus faible (dossier les Grignoux)
Ressources humaines (dossier RCA, Ciné-club de Wissembourg)
Ressources humaines (dossier Les Grignoux)
Retiens la nuit, éditions Arte, 1999
Le Couperet (dossier RCA)
Le Couperet (dossier Les Grignoux)