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Chronique n°8 : vocabulaire et histoire du cinéma : que faut-il dire aux élèves ? (Pascal Bauchard)

   Lors des stages que nous avons pu animer, nous avons  constaté que les enseignants avaient parfois des scrupules à utiliser des séquences cinématographiques, alors qu’ils ne maîtrisaient pas complètement les codes du septième art, ainsi que son histoire et son évolution. Ils nous disaient leurs hésitations à diffuser un extrait de film en ignorant les notions de cadrage, de mouvements de caméras, de montage, en occultant son contexte historique. Mais ces craintes à notre avis ne sont pas de mise et il faut déculpabiliser les enseignants quand ils sont amenés à utiliser des extraits de films dans leurs cours :  il y a quelques points à maîtriser mais rien d’insurmontable ! Et en tout état de cause, il ne s’agit pas de leur demander des présentations exhaustives des œuvres qu’ils présentent. On peut juste faire quelques remarques générales qui devraient rassurer nos collègues.

Questions de formes ?
Dans certains cas, il est certain que les questions de forme ne doivent pas être négligées. Par exemple, si on aborde les films d’Eisenstein, il est souhaitable d’aborder la façon dont le cinéaste utilise le montage : c’est même la marque de fabrique du cinéma soviétique de l’époque, à la suite des enseignements de Lev Koulechov (le fameux « effet Koulechov »). Tous ces réalisateurs, comme Poudovkine, Vertov, ont accordé une grande importance à la manière d’agencer les images, pour mieux faire passer leur message politique , car ce sont tous des cinéastes engagés…
Pour avoir travailler sur une séquence de La Ligne générale avec des élèves de troisième (l’arrivée de l’écrémeuse dans le kolkhoze), je me souviens qu’en guidant les élèves par quelques questions préalables, ils avaient parfaitement décrypté le « style » d’Eisenstein : les très gros plans, la lumière éclairant les visages par dessous, les plans très courts et le rythme saccadé et très rapide du montage, le jeu sur les intertitres…, les les jets de lait sortant de la machine comme les grandes eaux à Versailles…Par contre, ils n’avaient sans doute pas compris toutes les allusions sexuelles qu’y voit par exemple Dominique Fernandez : mais l’objectif pédagogique n’était pas là de toute façon !
Pour beaucoup d’autres films, l’enseignant n’aura pas besoin de s’appesantir sur ces questions formelles, qui ne feraient que compliquer l’utilisation pédagogique de la séquence. Grâce aux innombrables documents existant sur internet, parfois aux stages organisés par les inspections dans les académies, les techniques à connaître restent limitées et les professeurs peuvent assez facilement les acquérir…Sur ce blog même, j’ai proposé quelques documents pédagogiques qui peuvent s’avérer utiles. Dans la mesure du possible, on peut se contenter de souligner l’un ou l’autre aspect technique, sans entrer dans le détail…Un détail bien connu est l’utilisation du cadrage en contreplongée pour filmer les dictateurs , souvent de petite taille, dans les films de propagande des régimes totalitaires !

Un art plus que centenaire
Plus complexe me semble être la question de l’histoire du cinéma : que faut-il en dire aux élèves ? Comment la présenter ? Quand on teste leur culture cinématographique comme j’ai pu le faire dans les classes de lycée, on s’aperçoit à quel point leur vision de l’histoire du cinéma est incomplète et manque de cohérence.  Ainsi, les réalisateurs français de l’entre-deux guerres sont assez systématiquement ignorés , comme Jean Renoir, Julien Duvivier, Marcel Carné, René Clair…Les cinéastes anglo-saxons sont mieux connus (en particulier Alfred Hitchcock, John Ford) mais d’autre « oubliés » (Howard Hawks, John Huston…). Le cinéma allemand est surtout connu par certains de ses représentants comme Fritz Lang ou Fredrich Murnau…Il n’est pas question de juger nos élèves mais bien d’essayer de compléter leurs connaissances pour qu’ils aient une approche plus globale du cinéma.

    Cet art plus que centenaire a définitivement une histoire et nos élèves en prennent conscience quand nous avons l’audace de leur projeter des films en noir et blanc, parfois non parlants ! Il est ainsi utile de leur présenter -par extraits- des œuvres du cinéma muet, et dans la mesure du possible, ne serait-ce pour qu’ils se rendent compte que cela existe ! On peut bien sûr diffuser les films de Chaplin mais on peut aussi penser à certains films du cinéma soviétique ou allemand des années 1920 (Nosferatu ou Metropolis). L’expérience m’a montré que lorsqu’ils sont correctement préparés, les élèves peuvent être intéressés par des films d’une autre époque. De ce point de vue, le travail que réalisent les dispositifs Collégiens au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma est indispensable , surtout lorsqu’ils intègrent dans leur programmation des œuvres du patrimoine, même si on peut contester certains choix qui ont pu nous apparaître inadaptés. C’est en tout cas à chaque fois l’occasion de rappeler que le septième art a déjà une longue histoire derrière lui.

Une production cinématographique encadrée…
Il peut être aussi très éclairant d’évoquer dans quel contexte historique, politique et économique les films ont été produits , en particulier dans nos cours d’histoire. Il se trouve que tous les régimes politiques ont compris très vite l’intérêt de contrôler le cinéma, l’art populaire par excellence, susceptible de toucher « les masses ». On connaît la production très encadrée du cinéma dans les régimes totalitaires (URSS, Allemagne nazie) mais il serait naïf de croire que le cinéma hollywoodien a été complètement libre de toute influence : à partir des années 30 et jusqu’aux années 1950, il est soumis au code de censure très strict et tatillon de la commission Hays, qui édicte toute une série de règles à faire respecter par les cinéastes et leurs scénaristes : des livres récents confirment que la lutte fut âpre entre ceux-ci et leurs censeurs, à toutes les étapes de la création, depuis l’élaboration du scénario jusqu’au tournage…(on pense à l’excellent livre de Gregory Halbout paru en 2013, sur La comédie screwball hollywoodienne, qui montre comment les scénaristes ont rusé avec les instances de censure pour faire passer leurs répliques…) De même, le livre récent de Ben Urwand, La collaboration. Le pacte d’Hollywood avec Hitler, nous apprend les liens pour le moins étonnants tissés entre certains studios hollywoodiens et des représentants de l’Allemagne nazie…

    En bref, même s’ils ont l’impression de ne pas maîtriser suffisamment le vocabulaire du cinéma, son histoire, il ne faudrait pas que les professeurs se sentent bridés  par leurs lacunes supposées, toutes relatives d’ailleurs : on pourrait bien sûr imaginer un enseignement systématique du vocabulaire du cinéma, de l’histoire du cinéma et des différents mouvements, de l’évolution des conditions de production dès les premières années du collège.  Mais nous savons bien qu’une telle approche est impossible à envisager pour des raisons de moyens horaires (elle risquerait aussi d’être un peu fastidieuse). Elle est parfois possible dans le cadre de certaines options comme L’historie des arts en lycée, mais certainement pas dans le cadre du collège ni même au lycée…

Par contre, rien ne nous interdit d’évoquer le vocabulaire ou l’histoire du cinéma de manière ponctuelle, lorsque nous projetons l’extrait d’un film marquant. Ainsi, il peut être très utile d’expliquer tel terme technique (le montage, les cadrages, les mouvements d’appareil..), évoquer telle période ou mouvement du cinéma (le cinéma expressionniste allemand, le cinéma soviétique, la Nouvelle Vague…), expliquer tel contexte (la censure dans les régimes totalitaires, le «code hollywoodien »). Lorsque j’étais encore en fonction, une collègue de français qui participait à l’opération Collégiens au cinéma m’avait sollicité pour préparer ses élèves de sixième à la projection des Temps modernes : nous avions ainsi profité de cette séance pour faire une présentation générale de l’histoire du cinéma ainsi que sur la vie et l’œuvre de Charlie Chaplin.

Au moins, nos élèves pourront prendre conscience à quel point le cinéma est un art important, qui a ses propres techniques et sa propre histoire, sans oublier qu’il peut être aussi une industrie, pour paraphraser Malraux…

Pascal Bauchard

(24 mai 2015)

voir Documents pédagogiques : histoire du cinéma

 

Chronique n°7 : Bertrand Tavernier, un cinéaste pour les professeurs d’histoire…(Pascal Bauchard)

   Pour cette chronique, je voudrais rendre un hommage particulier à un cinéaste apprécié par les enseignants d’histoire. Dès qu’il a commencé à réaliser des films dans les années 1970 (L’horloger de Saint Paul en 1974), Bertrand Tavernier s’est avéré être un « bon client » pour notre discipline.
Déjà, à titre personnel, je partage avec lui beaucoup d’intérêts en commun : ses goûts pour le cinéma américain bien sûr, mais aussi le blues, le jazz (il a consacré un documentaire –Mississippi blues en 1983-un film de fiction Round midnight en 1986- à ces musiques) ,et disons-le la bonne cuisine (!) et donc cette personnalité ne pouvait me laisser indifférent.
Son parcours est aussi intéressant : selon une tradition bien française, il a d’abord été critique de cinéma aux Cahiers du cinéma...mais aussi à Positif. Ce qui montre qu’il n’est pas vraiment attaché à une « chapelle » (quand il a commencé à réaliser des films, il a été dénoncé par les héritiers d’André Bazin et qualifié de cinéaste « académique », un peu tâcheron…). Il a d’ailleurs pris rapidement ses distances avec les cinéastes de sa génération, en utilisant les services des scénaristes Pierre Bost et Jean Aurenche, honnis par les critiques de la Nouvelle Vague…
Ses activités dans le domaine du cinéma ont été variées :   il a ainsi été scénariste, assistant de réalisation (Pour Jean-Pierre Melville), attaché de presse d’une maison de production et a participé à de nombreux ouvrages de référence sur le cinéma (en particulier, la somme qu’il a écrite avec Jean-Pierre Coursodon sur le cinéma américain : la première édition, Trente ans de cinéma américain date de 1970 et la troisième est en préparation….). Il anime un blog fort intéressant sur les sorties de DVD de films méconnus (cf le lien à la fin de cette chronique) et dirige la collection L’Ouest le vrai,aux éditions Actes sud, qui s’est spécialisée dans l’édition de romans-westerns d’excellente tenue avec des auteurs comme W.R Burnett, Ernst Haycox, Alfred Betram Guthrie Junior…Ces ouvrages ont servi de bases à de très célèbres films de ce genre.
Bref, un homme passionné et passionnant (ceux qui l’ont entendu défendre ses convictions à propos de n’importe quel sujet peuvent en témoigner…).

    Comme d’autre cinéastes de sa génération (René Allio, Franck Cassenti, Jean-Louis Comolli…). Bertrand Tavernier a donc en plus le bon goût de s’intéresser vivement à notre matière et de manière particulièrement intelligente . On put compter une dizaine de films qui mettent en scène l’histoire d’une manière ou d’une autre sur les 26 long-métrages réalisés. J’ai déjà écrit à ce sujet dans ce même blog (cf le lien à la fin de cette chronique) et je n’y reviendrai donc pas dans le détail, si ce n’est pour souligner quelques aspects.

   D’abord, le cinéaste aime bien les périodes historiques « creuses » ,  qui se situent entre les « temps forts » de l’histoire mais pendant lesquelles des évolutions sociales, économiques sont à l’œuvre : ainsi, la Régence dans Que la fête commence (1974), la troisième République de la fin du XIX° dans Le juge et l’assassin (1976), l’Afrique coloniale dans Coup de Torchon (1981), le Moyen-Age du XIV° dans La passion Béatrice (1987), l’après guerre dans La vie et rien d’autre (1989), la guerre des Balkans dans Capitaine Conan (1996), ou plus récemment le XVI° et les guerres de religion dans La Princesse de Montpensier (2010) .

    C’est aussi un cinéaste engagé, qui dénonce de façon parfois manichéenne, l’oppression par les puissants, les classes dominantes…La bourgeoisie arrogante dans Le Juge et l’assassin, la noblesse dans Que la fête commence, les notables coloniaux dans Coup de torchon. Certes, on pourrait s’agacer de ses partis-pris systématiques mais au moins, les films de Tavernier s’intéressent aux laissés pour compte de l’histoire : s’il nous présente de grands personnages, c’est pour mieux en dénoncer les travers voire les perversités…

   Si Tavernier ne dédaigne pas l’anecdote qui accroche, on est loin du cinéma d’un Guitry, toujours prêt à céder au « bon mot » facile et qui de toute façon se range souvent du côté des puissants…Certains ont pu s’énerver que quelques facilités : les clins d ‘œil à l’actualité sont fréquents : il s’amuse à nous présenter le personnage d’un médecin Chirac (!) dans Que la fête commence : plus récemment dans La Princesse de Montpensier, il présente le personnage de Marie comme une « féministe avant la lettre », qui doit se débattre dans un monde d’hommes particulièrement impitoyable envers les femmes. De fait, Tavernier aime mettre en résonance les histoires qu’il raconte avec le temps présent.

    Mais il faut insister sur son ambition d’essayer de reconstituer les mentalités d’une époque et on sait qu’il sollicite en permanence ses conseillers historiques, dès qu’il s’agit de préciser un détail, parfois le plus trivial. On sent que très souvent, le réalisateur se pose la question : « mais comment les gens de l’époque voyaient-ils la chose ? » « Quelles étaient leurs représentations mentales ? » Pour La passion Béatrice, il a tenté, à notre avis avec succès, de traiter des sujets aussi divers que la vie quotidienne dans les châteaux de l’époque, les combats de la bataille d’Azincourt, le sort réservé aux sorcières, l’âme des femmes (!)…Même démarche quand il a réalisé plus récemment La Princesse de Montpensier qui se déroule à une époque que le cinéaste avoue mal connaître ; il s’est intéressé à de multiples aspects  de la vie au XVI° siècle: la nuit de noces (!), l’aspect des combats lors des guerres de religion et il a aussi souvent consulté l’historien Didier Lefur sur tous ces sujets. Aussi, les films historiques de Bertrand Tavernier sonnent « vrai », même si toute reconstitution est évidemment critiquable. Mais sa sobriété (le cinéaste évite les décors trop clinquants) son goût du détail juste fait « qu ‘on s’y croirait »…

    Même lorsque les sujets qu’il aborde ne sont pas directement historiques, Tavernier aime « cadrer large » et replacer ses personnages dans un contexte socio-historique précis : voir les jeunes gens paumés de L’Appât (1995) les policiers de L 627 (1992) , Dave Robicheaux dans la société cajun de Louisiane dans la film Dans la brume électrique (2009) ..Même Quai d’Orsay (2012) qui se présente comme une comédie, est une reconstitution très crédible, selon les spécialistes, du ministère des Affaires étrangères à l’époque Villepin…

   Tavernier est pour nous enseignants d’histoire une source d’inspiration : son goût pour les « zones d’ombre »  de l’histoire et le sérieux de ses recherches est une réelle stimulation à aller voir des points parfois négligés par l’historiographie : quelle bonne idée par exemple d’aborder la première guerre mondiale, en évoquant l’immédiate après guerre (La vie et rien d’autre) ou les combats dans les Balkans (Capitaine Conan)…Pour une fois, on ne nous inflige une énième reconstitution de la guerre des tranchées…
En tout cas, on attend avec impatience son prochain long métrage, persuadé qu’il saura satisfaire d’une manière ou d’une autre, à la fois notre goût pour le cinéma et aussi pour l’histoire !

http://www.tavernier.blog.sacd.fr/

Bertrand Tavernier et l’Histoire

 

Pascal Bauchard

(15 mai 2015)

Chronique n° 6 : les enseignants à l’écran dans quelques films récents (Pascal Bauchard)

L’Esquive, Abdelatif Kechiche (2003)
Entre les murs , Laurent Cantet (2008)
La vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 , Abdelatif Kechiche (2013)
Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik (2014)
Max et Lenny, Fred Nicolas (2014)
Les Héritiers, Marie-Castille Mention-Schaar (2014)
A 14 ans, Hélène Zimmer (2015)

   En quelques années, le cinéma français nous a proposé des images du professeur à travers plusieurs films , dont certains ont eu une audience non négligeable (on pense à Entre les murs, de Laurent Cantet, sorti en 2008, qui a rassemblé un grand nombre de spectateurs et a obtenu la palme d’or au festival de Cannes de la même année ; en 2014, est sorti le film Les Héritiers , de Marie-Castille Mention-Schaar, qui a fait une carrière très honorable en salles, notamment à destination du public scolaire). Il est ainsi intéressant d’aller voir comment notre profession est représentée à l’écran et si nous pouvons considérer cette image crédible…

Des images variées
D’abord, on est frappé de la variété des représentations des enseignants dans les films récents. En premier lieu, il faut bien dire que dans certains films, les professeurs se distinguent…par leur absence ! Dans le film Vie sauvage, le personnage incarné par Mathieu Kassovitz, père soixante-huitard en cavale avec ses deux garçons, se charge lui-même de leur éducation…Dans plusieurs autre films, les professeurs  ne sont visiblement qu’un élément du décor aux discussions intenses qui se déroulent au fond de la classe entre les adolescents : c’est frappant particulièrement dans le film A 14 ans, d’Hélène Zimmer où les trois jeunes filles, personnages principaux de ce long métrage, Sarah, Jade et Louise, n’accordent qu’une oreille très distraite au cours auquel elles assistent. Dans Max et Lenny (2014) , « l’héroïne » du film ne pénètre même pas dans son collège mais reste à l’entrée. Elle converse seulement avec un enseignant, qui semble éprouver de la sympathie pour elle mais sans réussir à la convaincre de se rendre dans l’établissement ! D’ailleurs, les trois jeunes filles du film A 14 ans ne se font guère d’illusions : elles vont avoir leur brevet (« mais tout le monde l’a! ») et elles vont se retrouver au lycée professionnel…
Par contre, dans d’autres films plus ou moins récents, le portrait des enseignants est plus gratifiant : dans son film autobiographique Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik évoque sa professeure de français Mlle Schaeffer (interprétée par Mireille Perrier) et souligne le rôle qu’elle a joué dans sa motivation à continuer des études longues. Elle vient même assister à l’un de ses concerts de rap et à le féliciter pour son talent. De même, on n’a pas toujours relevé suffisamment l’importance qu’un cinéaste comme Abdelatif Kechiche accorde à l’école républicaine. Dans deux de ses films, L’Esquive (2003) et La vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 (2013), il tourne de longues séquences où sont mis en valeur des professeurs de lettres…Dans le premier, l’enseignante amène les élèves à comprendre tout l’intérêt de la pièce de Marivaux, Les Jeux de l’Amour et du Hasard. Les adolescents font plus que de se prendre au jeu et s’engagent complètement dans le projet de leur enseignante. Vers la fin du film, certains d’entre eux sont brutalement interpellés par des policiers visiblement ignares et on comprend bien qui sont « les barbares » pour le cinéaste. De même, dans La vie d’Adèle, la jeune lycéenne se passionne pour les cours sur Marivaux , la Princesse de Clèves (!) et Antigone…Et surtout, elle tire des réflexions de ses enseignements des leçons de vie, qu’elle compte bien suivre à titre personnel. Cette soif d’école, Adèle la vit jusqu’au bout puisqu’elle finit par devenir professeur des écoles en maternelle…

Entre réalité et mythe
Mais dans cette liste de films, deux surtout ont retenu notre attention : d’abord parce qu’ils ont eu un certain succès et aussi parce qu’ils présentent deux images bien contrastées du métier d’enseignant.
Le premier est celui de Laurent Cantet, Entre les murs, qui obtient un réel succès à sa sortie en 2008. Il est inspiré du roman homonyme et autobiographique de François Begaudeau, qui a bien sûr participé au scénario et incarné lui-même le personnage principal. Mais l’originalité du film a été de faire participer les jeunes acteurs amateurs par le biais d’ateliers d’écriture qui se sont étalés sur près d’une année scolaire. Au total, une impression très forte de vécu, de scènes « prises sur le vif », de moments « tels quels », qui rappelleront à beaucoup d’enseignants des réalités quotidiennes. D’ailleurs, les jeunes interprètes sont remarquables de vérité, peut-être d’ailleurs parce qu’ils ne jouent pas un rôle mais se content d’être eux-mêmes…(cela dit, cette affirmation est à nuancer : Laurent Cantet nous apprend ainsi que le jeune qui incarne Souleymane a un caractère à l’opposé de son personnage !).
Quand j’avais visionné le film à l’époque, j’avais ressenti une impression de malaise devant l’attitude ambiguë de ce jeune enseignant « qui n’y arrive pas ». Pétri de bonnes intentions, il ne veut pas se laisser aller à une attitude uniquement répressive et tente de « donner la parole «  aux élèves, afin « qu’ils construisent leur savoir », selon la formule consacrée…Mais très vite il est débordé par l’agressivité, la mauvaise foi de ces adolescents, prompts à critiquer le système mais sûrement pas à se remettre en cause. Ils ont vite fait de se poser en victimes et contrent systématiquement toutes les tentatives de François de les faire travailler. Il va d’échec en échec et ses leçons tournent rapidement à des discussions et âpres et confuses (l’explication du mot succulent, l’emploi du subjonctif, l’étude du Journal d’Anne Frank…). Le jeune enseignant est d’autant plus désarçonné qu ‘il est sans doute un des seuls professeurs du collège à essayer de « comprendre » et de défendre ses élèves et il se retrouve régulièrement mis en accusation par les adolescents, qui savent jouer admirablement sur son sentiment de culpabilité…Daniel Serceau dans son livre L’école en crise au cinéma (Armand Colin, 2013) estime que ce comportement renvoie à la période coloniale, alors que les Blancs opprimaient les populations noires. C’est donc une façon pour François de « rembourser sa dette » pour les injustices que ses ancêtres auraient commis envers les colonisés de l’époque…Ce n’est que contraint et forcé que le jeune professeur finit par demander un conseil de discipline pour Souleymane, son élève le plus perturbateur. Il dérape même lors qu’il reproche à la déléguée Esmeralda, d’avoir eu « une attitude de pétasse » lors du conseil de classe. Un sentiment de gâchis domine la fin du film. Lorsque le professeur demande à ses élèves ce qu’ils ont retenu de leur année scolaire, il est désemparé quand Henriette lui avoue qu’elle n’a rien appris, rien compris…Bien sûr, le cinéaste et Begaudeau se gardent bien de généraliser leur vision de l’école et martèlent qu’il s’agit d’un collège particulier, d’une expérience particulière…Reste l’image d’un corps enseignant englué dans ses contradictions, entre pédagogie ouverte, transmission du savoir, démocratie à l’école…
En contrepoint, Les Héritiers, sorti en 2014, nous propose le portrait chaleureux d’une enseignante d’histoire géographie, professeur principal d’une classe de seconde au lycée Léon Blum de Créteil qui a affaire au même genre de public scolaire que François dans Entre les murs et qui s’en sort tout autrement (on pourrait suggérer François s’inspire des méthodes de sa collègue !). Le film est réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, sur un scénario d »Ahmed Dramé, un des lycéens de cette fameuse classe, et qui s’inspire d’une histoire « vraie » (dans la réalité, il s’agit de la classe de seconde 4 au cours de l’année scolaire 2008-2009 et Mme Guégen se nomme Mme Angles). Ce professeur est presque un modèle, comme ceux qu’on nous propose lors des stages de formation des professeurs en IUFM et maintenant ESPE : d’abord elle a une autorité naturelle qui s’impose aux plus perturbateurs : elle garde son calme en toute circonstance, même devant les insolences et l’intolérance de ses élèves. Surtout , après son absence à cause du décès de sa mère, elle se rend compte à quel point l’ambiance dans la classe est détestable. Aussi, elle parvient à les convaincre de participer au concours de la Résistance de l’année, dont le sujet est les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi. C’est presque un sans faute pédagogique que réussit l’enseignante, interprétée de façon très convaincante par Ariane Ascaride, et on reconnaît là la pédagogie de projet prônée par nos instances (on n’est d’ailleurs pas vraiment étonné de retrouver un long entretien avec Philippe Mérieu dans la brochure de présentation du film, qui rappelle les principes de cette démarche, qui doit rendre les élèves plus actifs et plus autonomes). Et tout fonctionne : certes, il y a des élèves réticents, comme celui converti à l’islam qui a l’intransigeance du néophyte et qui refuse de s’intégrer au groupe , mais même Mélanie, la plus rebelle et la plus indisciplinée, se laisse convaincre, en découvrant le parcours d’une autre jeune fille insolente passée par les camps, Simone Veil… Les élèves les plus timides, comme Théo, prennent confiance et découvrent des réalités qu’ils ne soupçonnaient pas. Après avoir visité le Mémorial de la Shoah, un des moments forts est leur rencontre avec un ancien déporté Léon Zyguel, séquence tournée en une seule prise…le happy end pédagogique est bien au rendez vous et les lycéens remportent l’édition 2009 du concours de la Résistance. Ahmed Dramé nous précise que ses camarades et lui ont été à nouveau motivés par leurs études et qu’ils ont obtenu le bac deux ans après avec mention…
Bref, une histoire basée sur des faits réels, mais très (trop) édifiante, un « hymne enthousiaste à la pédagogie active». Là encore, l’enseignant que j’ai été se sent quelque peu gêné…Bien sûr, pour avoir aussi participé à des concours de la Résistance avec mes collégiens, j’ai pu mesurer l’intérêt de ce type de travail, et en particulier lorsque nos élèves étaient confrontés à des témoins de l’époque…J’ai aussi pu constater que ce type de pédagogie pouvait motiver certains de mes élèves, plus efficacement qu’un cours classique…Mais on peut être réservé quant à l’exemplarité et l’efficacité d’une telle pédagogie pratiquée de manière systématique : par moment, le film ressemble d’ailleurs à une mise en image des théories des « pédagogistes » les plus notoires et cette démonstration pourrait paraître pesante à certains : si on a connu certains succès en pratiquant ce type d’enseignement, il y a eu aussi bien des échecs et imaginer que l’école sera sauvée par la généralisation de ce genre de pratique pédagogique nous semble une illusion, peut-être même une illusion dangereuse.
En tout cas, d’un film à l’autre, on mesure l’évolution de l’image de l’enseignant : entre le François d’Entre les murs, aigri et perdu dans ses contradictions et la figure charismatique de Mme Guéguen, il y a comme deux représentations qui s’opposent…Et les enseignants d’aujourd’hui auront peut-être du mal à s’identifier à l’une ou l’autre de ces figures. Mais on peut aussi espérer que le cinéma va nous offrir des portraits plus nuancés dans les films à venir, où les enseignants ne seront ni des aigris ni des activistes de la pédagogie active, des profs normaux en quelque sorte…

Pascal Bauchard

22 avril 2015

Chronique n° 5 : les cinéastes noirs dans le cinéma américain d’aujourd’hui (Pascal Bauchard)

Le Majordome, Lee Daniels
Twelve Years a slave, Steve McQueen
Selma, Ava Du Vernay
Dear White people, Justin Siemin

   En près de deux ans (2013-2015), plusieurs films sortis aux États-Unis, ont été réalisés par des cinéastes afro-américains sur des sujets qui concernent leur minorité : Le Majordome par Lee Daniels , Selma par Ava DuVernay et tout récemment Dear white people par Justin Simien. On peut même y rajouter Twelwe years a slave, qui est l’œuvre de l’artiste britannique Steve McQueen, qui se trouve être également noir. Toutes ces œuvres nous amènent à nous interroger : existe-t-il vraiment une façon particulière d’appréhender l’histoire de la communauté noire, lorsque le film est réalisé par un afro-américain?

Un combat déjà ancien
Lorsque notre équipe d’enseignants il y a quelques années avait consacré un dossier à Do the right thing , j’avais déjà évoqué ce problème de l’absence de réalisateurs noirs dans le cinéma américain et en particulier hollywoodien, jusqu’à la percée de Spike Lee : après une très longue attente, la communauté afro-américaine a enfin des cinéastes à sa mesure et le réalisateur de Nola Darling est devenu la tête de file d’une nouvelle génération de cinéastes afro-américains , désireux de trouver leur place dans le cinéma américain.  Spike Lee est d’ailleurs très offensif et ne rate aucune occasion pour que les cinéastes afro-américains soient reconnus dans le cinéma américain. Il va tout faire pour obtenir la réalisation de Malcom X, sujet que Norman Jewinson voulait également traiter ( c’est le réalisateur du grand film antiraciste Dans la chaleur de la nuit, sorti en 1967). Il s’en prend à Woody Allen, à qui il reproche d’occulter la population noire dans ses films new-yorkais…Encore récemment, il a refusé d’aller voir Django Unchained de Quentin Tarantino car il estime qu’il est « irrespectueux » envers ses ancêtres…
Dans les années 1980, le cinéma afro-américain semble un peu plus présent, avec l’émergence de plusieurs réalisateurs importants comme John Singleton par exemple, auteur du très réussi Boyn ‘z the Hood (1991) puis de Shaft (2000) ou de Mario Van Peebles, qui tourne New Jake City en 1991…Mais par la suite, le cinéma noir connaît sinon une régression, du moins un certain immobilisme. Les deux cinéastes cités se tournent vers des films moins « marqués » politiquement : des films d’action pour John Singleton (Identité secrète, Flow, 2 Fast and 2 Furious) , des séries -plutôt réussies d’ailleurs- pour Mario Van Peebles (the Boss, Damages, Sons of Anarchy...). Spike Lee lui-même réalise des films d’action de grande qualité mais sous doute moins « engagés » que ses premiers longs métrages (Summer of Sam en 1999 ou Inside Man en 2006). Cependant, il reste concerné par la question (Get on the bus sorti en 1996  est un documentaire qu’il a réalisé à propos de la One Million March, organisée par le groupe Nation of Islam…).  Pendant cette période des années 1990, le grand film de fiction sur la communauté noire, Amistad, sorti en 1998, est réalisé par Steven Spielberg…

Un intérêt nouveau ?
Depuis les années 2000, on a le sentiment d’un retour de ces films politiques sur l’histoire de la communauté noire aux États-Unis. Le Majordome , réalisé par Lee Daniels, évoque le personnage d’un domestique haut placé à la Maison Blanche , Cecil Gaines incarné par Forrest Whitaker , inspiré par la vie d’Eugene Kelly qui a servi pendant 34 ans les différents présidents américains : le film balaie ainsi toute l’histoire des noirs aux États-Unis depuis les années 1950. Selma , que tourne Ava Du Vernay, retrace les très graves incidents qui se sont déroulés en 1965 dans cette petite ville d’Alabama : le film insiste sur le rôle joué par Martin Luther King dans l’organisation des manifestations et montre bien comment ces événements ont amené le président Johnson à lever toutes les restrictions empêchant le vote des Noirs dans le sud des États-Unis . Dear white people du jeune cinéaste Justin Siemin décrit les relations raciales tendues au sein de la prestigieuse Université de Winchester. En réalisant Tweve Years a slave, le cinéaste britannique Steve McQueen s’est intéressé à l’aventure en tout point extraordinaire de Solomon Northup, homme libre , enlevé et resté esclave pendant 12 ans , au milieu du XIX°, quelques années avant le début de la guerre de Sécession…

Une vision différente…
La plupart de ces cinéastes avaient déjà entamé leur carrière quand ils ont réalisé les films que nous évoquons (c’est le cas pour Lee Daniels, auteur d’un film à succès Precious et Ava Du Vernay) et certains d’entre eux s’étaient déjà signalés dans des projets engagés : c’est le cas en particulier de la réalisatrice de Selma, qui se revendique comme cinéaste noire, en y ajoutant la dimension féministe (elle ne craint pas d’affirmer : « I’m a black woman filmmaker. ») . Pour Steve MC Queen, d’abord plasticien, il s’est déjà fait remarquer par deux films très particuliers, Hunger qui raconte la grève des militants irlandais à l’époque de Margaret Thatcher (2008) et Shame, la chronique sexuelle d’un yuppie new-yorkais (2011). Quand on lui demande en quoi il est concerné par l’esclavagisme aux États-Unis, le cinéaste, dont les parents viennent de la Grenade, estime que ce fut un phénomène mondial. Comme il le dit justement, « il se trouve que le bateau de mes ancêtres (esclaves) est allé vers la droite alors que d’autres membres de ma famille allaient vers la gauche »…Par contre, Justien Siemin est un tout jeune réalisateur, qui a surtout des courts métrages à son actif.  Souvent comparé à Spike Lee qui, en son temps, avait aussi tourné une comédie remarquée (Nola Darling ), il se veut l’héritier plutôt d’Ingmar Bergman et de Woody Allen (ce qui ne doit pas  faire vraiment plaisir au réalisateur de Do the right thing). En tout cas, ces quatre metteurs en scène abordent des sujets sensibles dans la communauté afro-américaine, de l’esclavage au XIX° à l’intégration contemporaine dans les universités, en passant par la lutte pour les droits civiques des années 1960. Plusieurs de ces films ont provoqué des débats aux États-Unis mêmes : en particulier , Selma a été critiqué par certains, et notamment sur le rôle du président Johnson.

   Au delà de ces quelques remarques, il nous semble que plusieurs choses peuvent être relever. D’abord, la plupart de ces films n’hésitent pas à mettre en scène des conflits à l’intérieur de la communauté noire : dans Le Majordome, Cecil Gaines se heurte à son propre fils, écœuré de la « lâcheté » de son père face aux Blancs : dans Twelve Years a slave, Solomon n’est pas solidaire des plus radicaux de ses compagnons d’infortune : dans Selma, le film nous montre bien les discussions âpres qui ont pu exister entre les dirigeants du mouvement des droits civiques, à propos de la stratégie à adopter…Enfin, dans Dear white people, l’égérie des étudiants noirs Sam White s’oppose directement à Troy Fairbanks, fils du responsable noir de l’université…Ainsi, les afro-américains apparaissent bien divisés, souvent entre les plus radicaux et ceux partisans d’une soumission apparente (l’accusation d’oncletomisme est souvent implicite, parfois explicite comme dans Le Majordome ou Dear White people...). On peut d’ailleurs relever que dans ces films, les personnages « raisonnables » semblent, tout compte fait, l’emporter…et la solution la plus radicale est toujours un échec (le radicalisme du fils de Cecil Gaines n’aboutit à rien, pas plus que l’activisme des amis de Sam dans Dear white people).
Il est un autre point à noter : en aucun cas, les « héros »  de ces films ne sont présentés comme infaillibles et monolithiques : ce sont des personnages fragiles avec leurs doutes, parfois leurs faiblesses, parfois même leur lâcheté…Le majordome Cecil Gaines a bien du mal à se dégager de sa mentalité de domestique, Martin Luther King se montre en privé bien hésitant, Solomon fait profil bas devant ses maîtres et ne se laisse pas tenter par des solutions radicales, comme prendre la fuite ou se rebeller…Même dans Dear White people, Sam, qui est métisse, redécouvre à la fin du film son ascendance blanche et délivre un message de tolérance (est-ce un clin d’œil entendu envers Barak Obama?). Leurs personnages ne sont pas toujours montrés à leur avantage : ainsi dans Selma, une séquence vers le début du film, nous montre les dirigeants noirs en train de discuter de la stratégie à adopter face aux racistes blancs. On a -un temps- l’impression que Martin Luther King espère une réaction violente des autorités locales pour obtenir une plus grande audience médiatique…En bref, un leader plutôt manipulateur, même si c’est pour la bonne cause ! On est bien loin des personnages superhéros blacks des films de la Blackexploitation , comme ceux de Melvin Van Peebles (Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song) Gordon Parks (Shaft) : récemment, c’est Quentin Tarrantino, qui a réactualisé ce type de personnage dans Django Unchained…

   Ce qui semble certain, c’est que ces cinéastes abordent la question raciale avec plus de liberté (?) que leurs collègues « blancs » : ils n’hésitent pas à présenter une communauté afro-américaine divisée, des personnages complexes et ambigus…C’est cette épaisseur psychologique et historique qui fait l’intérêt de leurs films. On n’est plus à l’époque des années 1950 et 1960 où les acteurs noirs comme Sidney Poitier ou Harry Belafonte revendiquaient des rôles « positifs » pour les membres de leur communauté. On n’est pas non plus à l’époque de Spike Lee, dont les films pouvaient sembler manichéens à certains : à travers plusieurs de ses longs métrages (Do the right thing, Jungle fever, Malcom X...), le mélange des communautés y est présenté comme impossible et de toute façon pas vraiment souhaitable…Il semble bien que les cinéastes noirs aient passé un cap et qu’ils abordent aujourd’hui des questions sensibles, y compris dans leur propre communauté, avec une vision plus distanciée. Une certaine critique française reconnaît que ce sont des œuvres utiles, et nécessaires, pédagogiques (!), mais leur reproche leur classicisme, leur retenue , leur volonté d’arranger tout le monde. On peut trouver cette opinion un peu condescendante et surtout décalée par rapport à la réalité américaine : ce regard des cinéastes noirs a le mérite de proposer une vision nouvelle sur leur propre histoire, sans tomber dans le manichéisme qu’on aurait été prompt à leur reprocher.

Pascal Bauchard

(4 avril 2015)

chronique n°4 : Xavier Dolan, l’ascension d’un (ciné)fils prodigue (Aurianna Lavergne)

   L’année dernière, Mommy de Xavier Dolan remportait la palme du jury au festival de Cannes, et avec elle, le coeur des spectateurs. Méconnu auparavant du grand public, ce cinéaste québécois de 25 ans avait déjà écrit et réalisé quatre films. Qualifié par la critique comme “une étoile montante”, il s’est imposé sur la scène internationale du grand écran depuis son dernier succès au box-office et au festival de Cannes.
Lorsque j’ai découvert l’art de ce cinéaste à l’accent chantant, j’ai été touchée par son travail qui m’a semblé différent de ce que j’avais pu voir jusque là ; j’ai ainsi décidé de tracer son portrait à travers son œuvre, qui porte à croire qu’il saura un jour mener sa barque parmi les plus grands. J’ai travaillé sur les étapes qui ont transformé sa filmographie, tout en essayant de déchiffrer ses inspirations artistiques.
Encouragé par une enseignante à s’exprimer sur des sujets intimes, Xavier Dolan écrit, lors de ses années lycée, une nouvelle sur le thème de la haine infantile, intitulée à l’époque Le matricide. Quelques années plus tard, en 2009, il réalise à partir de ce brouillon son premier film, J’ai tué ma mère. Le budget imposé par la productrice n’étant guère très élevé, le jeune homme est contraint de faire appel à son imagination artistique.
Comme les cinéastes de La Nouvelle Vague, il débuta très tôt, sans gros moyens mais avec des idées plein la tête. Avec son second film, un an après, son romantisme adolescent à fleur de peau réapparaît dans Les amours imaginaires. Comme pour donner du relief à ses premières œuvres, le réalisateur tente tout d’abord de s’adonner à une originalité qui ne se traduit pas par ses sujets. En effet, des thèmes comme le triangle amoureux, la recherche de l’amour, sont abordés sous un angle qui aurait pu être davantage approfondi.
D’ailleurs, la réalisation très littéraire semble être une compensation au manque d’expérience, ce qui peut se révéler irritant ; de fait, elle se veut très sensible, mais chaque trait de caractère, chaque émotion est trop accentué. De plus, les émotions sont dévoilées, à nu, sans mystère. Dans ses premières réalisations, pleines d’emphase, Dolan n’hésite pas à avoir recours aux abondantes citations d’auteurs reconnus, comme Maupassant dans J’ai tué ma mère, qui citait : “Ma mère, à toi je me confie, des écueils d’un monde trompeur, écarte ma faible nacelle, je veux devoir tout mon bonheur, à la tendresse maternelle”. Bref, ces deux premiers films se veulent empreints de poésie, mais le manque d’expérience se révèle sincère, et sûrement n’étaient-ils majoritairement réservés qu’à un public adolescent…

   Malgré cela, il faut reconnaître certaines qualités au jeune cinéma de Dolan. Ce qui, pour moi, constitue une nouveauté qui fait de lui une singularité, est l’utilisation qu’il fait de la caméra ; les mouvements sont nerveux, c’est à dire que les plans sont très courts, et la caméra manipulée à la main, très mobile. L’aspect positif de cette manipulation est que l’atmosphère de l’histoire en ressort plus close, plus intime – comme les relations entre les personnages. L’esthétique à l’écran semble d’ailleurs dès le début très chère à Dolan ; il singularise son cinéma et montre qu’il n’a pas peur de sortir des normes en utilisant abondamment le flou, le ralenti, le très gros plan ou encore le regard caméra, très prisé.
Le grand tournant à l’écran du cinéma de Dolan intervient pour Laurence Anyways, en 2010. Pour ce troisième film, le réalisateur choisit cette fois ci de ne pas jouer un rôle et d’ailleurs le personnage principal est très éloigné de lui. En effet, il s’agit d’un professeur de lettres dans la quarantaine, souhaitant devenir femme. On est déjà loin des problèmes d’adolescents rencontrés dans J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires. Si Dolan interprétait un des protagonistes centraux de ses précédents films, Laurence Anyways opère une catharsis avec le cri narcissique d’un artiste qui semble en premier lieu trop préoccupé par son personnage, lui-même.
En tout cas, avec cette troisième œuvre, Xavier Dolan s’ouvre sur un problème de société, et il consent à devenir un artiste pour le monde. Chez lui, on découvre alors une sensibilité exemplaire, qui se caractérise par sa faculté à se glisser dans l’âme et dans l’existence d’un être qui lui sont étrangers. Ce geste neuf à l’écran vient épauler ce que vit Laurence Alia : il bouscule des ordres fossiles, invente son propre chemin. C’est une révolution dans son art comme dans son thème.
Malgré tout, si le sujet majeur de l’œuvre est différent cette fois, par sa profondeur et son impact, on retrouve des thèmes aimés de Dolan, comme la sexualité, la recherche de l’autre et de soi, la relation avec la mère, et en général les conflits violents. Seulement cette fois, ces sujets sont traités avec plus de maturité. A croire que son année sabbatique entre Les amours imaginaires et Laurence Anyways lui a été bénéfique !
Quoi qu’il en soit, l’opération de changement continue avec Tom à la ferme. A nouveau, Dolan se révèle surprenant. Il revient, certes, sur la scène en incarnant le rôle principal, mais plus humblement. A partir d’une histoire de passion amoureuse dans un cadre campagnard, il joue pleinement le suspense, en épousant parfaitement ce genre de cinéma. Quoi de plus surprenant d’ailleurs, car personne ne l’aurait attendu sur ce terrain. Il y multiplie les références à l’œuvre de Hitchcock, bien senties et bien exécutées, comme un rideau de douche soulevé façon Psychose ou un jeu de gémellité physique comme dans Sueurs froides.
La littérature poétique est donc mise de côté, et le spectateur se retrouve face à une atmosphère irrespirable. Déjà, dans Laurence Anyways, on avait cette peur incontrôlable de l’inconnu qu’on ne cherche pas à connaître, ce que Dolan moque avec sa réplique prolifique et ironique : “C’est spécial”. Autrement dit, selon lui, la société n’a pas l’ouverture d’esprit pour comprendre la différence, ou au moins avouer que cela lui fait peur.
A travers le changement d’interprète principal, Dolan garde toutefois certains acteurs qui lui sont chers, comme Suzanne Clément ou Anne Dorval, québécoises toutes les deux. Dans son prochain film, intitulé The Death and Life of John F. Donovan, il a choisit un casting plus américain, faisant appel à Kit Harington de la série Game of Thrones, ou Jessica Chastain, connue notamment pour ses rôles dans Take shelter, The tree of Life, La couleur des sentiments et plus récemment The most violent Year.
Ce que j’ai remarqué dans le cinéma Dolannien, c’est l’importance apportée aux femmes. Comme le réalisateur le dit lui-même : “Je serais toujours un cinéaste de femmes”. Si la figure maternelle est mise en avant, le sexe féminin, dans son ensemble, joue un rôle de muse représentant des femmes remarquables, à la personnalité attachante. Leur attribuant une force de caractère hors du commun, on voit dès ses débuts que son but n’est ni de les caricaturer, ni de les rendre creuses. Elles sont bien encrées dans la réalité, ayant des problèmes de famille, des ennuis, des amours, mais sont loin d’être banales..
Au final, il me semble que le cinéma de Xavier Dolan vaut le détour. S’il se cherchait encore dans ses premiers films, je pense que ses œuvres plus récentes sont bien plus convaincantes. Seulement, il est dommage que sa nouvelle maturité ne soit pas aussi présente sur la scène médiatique qu’à l’écran. Démontrant avec des tweets virulents sa déception de ne pas être allé aux Oscars, on peut s’interroger si le jeune réalisateur ne se détournera pas rapidement de son art indépendant pour accomplir le “rêve américain” visant Hollywood…

Aurianna Lavergne

(1er avril 2015)

Pour compléter l’article d’Aurianna, nous vous indiquons le lien vers le blog réalisé par deux élèves du lycée international des Pontonniers pour un TPE sur Xavier Dolan :

http://divoux.eu:8080/display.html#EdYF9uJrXJZkqTl5

Chronique n° 3 : le cinéma en classe : histoire d’une pratique (Pascal Bauchard)

   Cette chronique voudrait évoquer un sujet que j’ai déjà traité dans d’autres textes de ce blog, à savoir l’usage du cinéma dans la classe : mais cette fois, je ne voudrais pas aborder les aspects pédagogiques mais insister plutôt sur l’évolution de cette pratique depuis quelques décennies, histoire de rapporter mes histoires « d’ancien combattant » !..

Le temps des pionniers…
il y a plus de trente ans, quand j’ai commencé ma carrière, les jeunes enseignants passionnés de cinéma que nous étions, nous ne doutions de rien ! J’ai le souvenir d’avoir réussi à convaincre mes collègues de l’époque à monter des opérations cinéma au collège : près de 300 élèves de troisième étaient réunis dans la salle de la cantine, où nous leur passions les films sur un projecteur 16 mm hors d’âge, avec un son particulièrement mauvais. En plus, le choix des œuvres projetées était austère…du genre Octobre ou  M Le Maudit…Un de mes collègues me racontait avoir passé Alexandre Nevski d’Eisenstein à des collégiens de Hautepierre, public pourtant réputé difficile…Et tout cela se passait plutôt bien ! Puis vint le temps où nous disposions d’ensembles vidéo posés sur des chariots à roulette , que nous partagions entre différentes salles de classe…Cet équipement était particulièrement convoité dans les moments « creux » de l’année, lorsqu’il fallait occuper les élèves alors au minimum de leur attention, par exemple juste avant Noël ou à la fin de l’année…
A cette époque, toutes les pratiques, y compris les plus douteuses, existaient : nous avons tous connu des collègues qui laissaient la télévision faire cours à leur place. Certains professeurs avaient du mal à résister à la pression «amicale » des élèves : « monsieur, on regarde un film? ». Passer un film en cours était clairement considéré par nos collégiens comme une récréation ! Au mieux, c’était une manière d’illustrer le cours que l’on venait de faire, au pire, un moyen de passer le temps ! Et bien sûr, les enseignants ne tenaient aucun compte de droits d’auteur éventuels…

Une prise de conscience progressive
Dans les années 1980, si ma mémoire est bonne (!), les choses ont commencé à changer : d’une part, l’administration a commencé à nous faire peur en interdisant toute diffusion d’œuvre audiovisuelle si les droits n’étaient pas réglés. Des inspecteurs du CNC étaient même censés rôder dans les établissements pour surveiller l’application de ces mesures (!) On racontait que l’un ou l’autre chef d’établissement avait fait enfermer toutes les cassettes VHS dans une armoire fermée à clef …
Surtout, nos « autorités » ont commencé à sérieusement s’intéresser au problème de l’utilisation de séquences filmées pendant le cours d’histoire,, par exemple en initiant des formations auprès des professeurs stagiaires et en développant des stages spécifiques dans le Plan Académique de Formation (en Alsace, il y a eu chaque année jusqu’à une demi-douzaine de journées de stages assurées par José Clementé, Dominique Chansel, Marcel Wander et moi-même selon les époques). Le plus intéressant dans ces stages a été de bien faire passer le message de Marc Ferro, à savoir que le film est un « document historique » à part entière , et qu’il doit être soumis à la même démarche critique qu’une autre source. Bref, qu’utiliser des séquences cinématographiques exige des enseignants un réel travail en amont…Ainsi, une nouvelle génération d’enseignants a introduit le cinéma dans ses cours, de manière assez systématique et appropriée, et avec une rigueur qui n’était pas toujours de mise auparavant.
Des structures sont apparues comme Collégiens au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, qui ont permis d’attirer vers les salles obscures des milliers d’élèves : même si le choix des œuvres est parfois contestable, la qualité de l’accompagnement pédagogique était et est appréciable : des dossiers pédagogiques sont fournis aux enseignants, qui peuvent également suivre des stages sur les films concernés. Au niveau local, beaucoup d’initiatives ont alors vu le jour. Rien que dans le département du Bas-Rhin , sont apparues trois associations constituées par des enseignants qui ont organisé des programmations à destination des publics scolaires, de la maternelle à la Terminale : Les Rencontres cinématographiques d’Alsace à Strasbourg, le ciné-club de Wissembourg, Educiné dans la région de Molsheim.
Depuis l’avènement d’internet, de nombreux sites, comme cinehig.clionautes.org, proposent aux enseignants de notre discipline des séquences pédagogiques « clefs en mains », souvent très bien faites…

Aujourd’hui, une situation ambiguë
Aujourd’hui, nous sommes submergés par des flots de productions audiovisuelles de toute sorte, venus de toute part, et notamment sur internet, alors qu’on nous demande de préparer aussi nos élèves à la lecture de l’image. Le programme d’histoire des arts de troisième par exemple suggère fortement aux professeurs l’étude de certains chefs d’œuvres cinématographiques (les plus cités sont Les Temps modernes, Le cuirassé Potemkine, la Grande Illusion). Le ministère a établi un modus vivendi  avec la profession pour que les enseignants puissent utiliser de courts extraits vidéo dans leurs cours , comme on le précise sur les sites spécialisés et l’INA propose un fonds de bandes d’actualités, très riche et très utilisable en classe…Enfin, il semble que les pouvoirs publics et locaux aient pris conscience de la nécessité d’équiper correctement les établissements scolaires : ce n’est pas encore parfait mais les collèges et lycées sans salles pourvues de vidéoprojecteurs sont de plus en plus rares…
Mais bien des problèmes demeurent : le nombre de stages consacrés au cinéma ne cesse de baisser, faute de moyens et une certaine hypocrisie règne sur nos pratiques. Ainsi, le coût des films libres de droits est trop élevé pour les crédits de nos établissements (près de 60 € sur l’excellent site Zéro de conduite.net) , alors que nous savons pertinemment que beaucoup d’enseignants passent de longs extraits, voire des films entiers pendant leurs cours…
Mais peut-on vraiment leur reprocher ? Beaucoup de professeurs ont le sentiment d’être « en mission », quand ils font découvrir aux élèves des films qu’ils n’auraient pas vu autrement…Quand on leur passe un extrait, il arrive d’ailleurs souvent qu’ils demandent à voir …la suite, quitte à le télécharger illégalement sur internet un peu plus tard ! Mais cette sensibilisation au septième art est essentielle car les élèves manquent cruellement d’une culture cinématographique.
Enfin, les enseignants sont soumis à une espèce de pilonnage des distributeurs, dès qu’un film à l’affiche est susceptible d’attirer un public scolaire : nos casiers sont alors inondés d’une abondante publicité, souvent très alléchante. Certes, l’intention est souvent louable et le travail d’accompagnement réel (en général, il existe un dossier pédagogique plutôt bien fait pour les professeurs, des séances d’avant-première sont organisées à leur intention…) Mais, cette promotion est parfois pesante : Sylvie Lindeperg dénonçait dans son livre La Voie des images le battage à son avis excessif qui avait accompagné la sortie du film La rafle de Rose Bosh en 2010. Aller voir le film sur la rafle du Vel d’hiv était présenté comme un « devoir de mémoire » presque obligatoire, Mais pour l’ historienne, il s’agit « un devoir procurant un bienfaisant confort moral, privé d’introspection sur le présent, dépouillé de sa responsabilité à l’égard du futur » (Sylvie Lindeperg). Ainsi, dans ces campagnes de promotion très ciblées qui vise un « marché » scolaire considérable, toutes les occasions ne sont pas bonnes à prendre.

   En tout cas, il est clair qu’un tournant a été pris : on peut désormais envisager un cours d’histoire géographie qui intègre une (ou plusieurs) séquence(s) vidéo , même s’il n’y a bien sûr aucune obligation ! Les enseignants disposent de tous les outils à leur disposition pour le faire correctement, si certains hésitent encore à le faire par crainte de ne pas maitriser suffisamment le vocabulaire technique du cinéma….Mais ce sujet fera l’objet d’une autre chronique !

Pascal Bauchard

(24 mars 2015)

chronique n° 2 : Le travestissement et le cinéma (Aurianna Lavergne)

   Au cinéma comme dans l’histoire de l’humanité, le travestissement ne date pas d’hier ; pour ne citer que Georges Sand, qui était Aurore Dupin, ou Calamity Jane qui intégrait l’armée avec des vêtements masculins.
Plus récemment, le dernier film de François Ozon, intitulé Une nouvelle amie (2014), est sorti dans nos salles. L’histoire est celle d’une femme, qui, après le décès de sa meilleure amie, apprend le secret du mari de celle-ci : il se travestit pour pouvoir continuer à s’occuper de son bébé. A l’aube d’une nouvelle ère avec le “mariage pour tous”, François Ozon s’inscrit dans l’actualité en mettant en avant le fait qu’Adam et Eve n’ont pas engendré que des êtres voués à être soit femme, soit homme. Femme à barbe, troisième sexe,.. Tout y est. Et si David, alias Virginia montre un malaise profond auquel il faut remédier, autant se dire que le sujet n’est pas neuf.
Le travestissement semble être une source d’inspiration pour tout cinéaste voulant une histoire singulière à raconter. Déjà, on pouvait se souvenir de Charlie Chaplin habillé d’une robe et d’un boa dans Mam’zelle Charlot ( 1915 ), pour se rapprocher de la femme qu’il convoite en trompant le père de celle-ci. Rien ne vaut cela pour sublimer son potentiel comique.
Depuis, le sujet du travestissement a été largement traité sous toutes ses formes au cinéma. Si certaines personnes acceptent mal le fait que d’autres changent de personnalité comme de vêtement, il faut noter que le travestissement au cinéma s’explique de différentes manières à travers les personnages concernés ; ainsi, comme on le constate dans la réalité, ils n’ont pas tous les mêmes raisons de vouloir changer de sexe.
Parfois et même souvent, le travestissement vient d’un malaise profond qui se caractérise par la conviction de n’être pas né pour être homme ou femme. Laurence Anyways (2010) de Xavier Dolan, l’illustre plutôt bien. Laurence Alia est un professeur admiré par les garçons et aimé des filles. Un jour, il avoue à sa compagne son désir d’être femme. Dans le dialogue suivant cette scène, Laurence s’explique désespérément : “C’est pas que j’aime les hommes, c’est que je suis pas fait pour en être un, c’est différent. Tout me dégoûte en moi, c’est pas moi, ça. Et je vole la vie à celle que je suis né pour être”. Si lui, sait où il veut en venir et ce qu’il a à faire, d’autres se cherchent encore.
Au début de l’adolescence, généralement, les enfants sont à la recherche d’une sexualité stable. Comme on dit, rien ne vaux l’expérience. On prendra note de Tomboy (2011), de Céline Sciamma, narrant l’histoire d’une petite fille qui choisit de cacher sa véritable identité à ses nouveaux camarades de jeu, en se faisant passer pour un garçon. Si tout ne se termine pas toujours d’une agréable façon pour l’héroïne qui s’attire ainsi les ennuis, les travestis encrés dans la réalité se sont eux aussi cherchés avant de trouver un compromis à leur mal-être. Suite à cela, certains profitent même de cette différence pour s’accomplir sur scène.
Ainsi, Dustin Hoffman dans Tootsie (1982), campe un acteur au chômage qui obtient la renommée en se travestissant. Robin Williams dans Madame Doubfire (1993) opte pour une tenue de gouvernante pour se rapprocher de ses enfants dont il a perdu la garde après son divorce. Dans un registre moins comique, le Ed Wood (1994) de Tim Burton est également un réalisateur qui acquiert son originalité en se mettant lui-même en scène sous l’apparence d’une femme.
De même, pour l’acteur qui se cache derrière le personnage, le travestissement est toujours un important défi à relever. Si la plupart s’en sortent admirablement bien, à l’image de Lee Pace dans le téléfilm Soldier’s girl (2003) qui passe sans entrave pour une vraie demoiselle élégante et très féminine, d’autres parviennent difficilement à passer inaperçus sous des vêtements qu’ils n’ont pas l’habitude de porter. On compte généralement parmi eux les comédiens jouant dans des comédies populaires aux gags très lourds. Le potentiel comique est alors exploité au maximum, et il n’est pas question de faire réellement un personnage travesti, mais plutôt d’utiliser son interprète pour faire rire. Le personnage lui-même est généralement doté d’un physique ingrat, pour faire ressortir une part du ridicule. Dans ces films-ci, on compte notamment la comédie musicale Hairspray (2007), où John Travolta est une mère mal dans sa peau, ou bien encore la série des “Big mama” avec laquelle l’humoriste Martin Lawrence a atteint une partie de sa renommée.
Le travestissement peut en effet être une source de divertissement majeure, c’est pourquoi il est souvent utilisé dans les comédies ; dans cette catégorie, rien n’égale le fameux “personne n’est parfait”, phrase culte qui clôt Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Rien ne sert mieux la comédie que Jack Lemmon et Tony Curtis contraints de se déguiser en femmes pour échapper à des gangsters ! Il est généralement source de quiproquo – un des artifices employés par la comédie – comme dans Les garçons et Guillaume à table (2013), où après un malentendu toute une famille s’imagine que le héros est homosexuel alors qu’il tente de leur expliquer qu’il se travesti.
Cependant, si le travestissement peut se révéler comique, il est également largement utilisé par le registre du film d’horreur et le thriller ; privilégiant le suspense psychologique dans les deux, le cinéaste l’associe souvent aux troubles de la personnalité. Le Docteur Jekyll devient Mister Hyde, l’homme se transforme en meurtrier à la tombée de la nuit. Considéré pendant très longtemps comme une véritable maladie, au même titre que l’homosexualité, le travestissement peut se montrer effrayant si on s’attache aux codes du film d’horreur. Autrement dit, dans ce genre de film les travestis sont très généralement des personnes ayant des problèmes psychiatriques, qui se révèlent troublant pour le spectateur. Dans Psychose (1960) par exemple, le personnage de Norman Bates est schizophrène ; on le voit portant une perruque et se prendre pour la mère qu’il a tué plusieurs mois auparavant – A noter d’ailleurs, le travestissement au cinéma n’est pas toujours total, dans le sens où les acteurs ne portant pas forcément tous les “accessoires” nécessaires à leur transformation ; il peut s’illustrer par un peu de maquillage, comme le rouge à lèvres rose pailleté de Matt Damon dans Ma vie avec Liberlace (2013) de Steven Soderbergh, et être seulement allusif – Le tueur en série dans Le silence des Agneaux (1991) de Jonathan Demme est également proie à des excès de petite folie où il s’enferme seul dans sa chambre en s’habillant comme une femme. Dans Cruising, la chasse (1980) de William Friedkin, un meurtrier homosexuel se dote régulièrement d’habits féminins pour séduire ses victimes puis les assassiner.
Au cinéma, que ce soit dans un drame, une comédie ou même un film d’horreur, le travesti peut vouloir passer inaperçu, ou au contraire se mettre en avant. Parfois, c’est sous la contrainte qu’il doit le faire, et se fait passer pour une personne d’un autre genre pour ne pas être reconnu, comme Glenn Close dans Albert Nobbs (2011) de Rodriguo Garcia, qui devient homme pour avoir accès à un travail stable – et qui dupe son entourage pendant plus de 30 ans ! – Le personnage de Michel Blanc avait du, lui aussi, se travestir sous la pression de son ami homosexuel, pratiquant l’art d’être une femme dans Tenue de soirée (1986). Dans Sylvia Scarlett (1935) de Georges Cukor, l’héroïne avait également prit parti de se vêtir d’habits masculins pour aider son père dans ses escroqueries et tromper les victimes.
D’autres personnages semblent simplement éprouver du plaisir à être ce qu’ils ne sont pas l’espace de quelques instants, pour tromper le monde et pouvoir en rire par la suite. Ainsi s’amusent et se métamorphosent des personnages comme Catherine dans Jules et Jim (1961), ou encore Elizabeth dans Neuf semaines et demi (1986). Côté hommes, il y a aussi Louis de Funès déguisé tour à tour en vieille dame dans L’Aile ou la cuisse (1976) et La folie des grandeurs (1971), simplement pour avoir la joie de surprendre ceux qu’il espionne secrètement, camouflé derrière un voile ou du fond de teint épais, le tout soutenu par une voix désépaissie.
Tout comme dans la réalité, le travestissement au cinéma est à nuancer ; très rarement il est le fruit d’un seul facteur. Si, dans les années 50, il apparaît dans le monde entier comme une libération sexuelle qui amène à mixer tous les genres – comme le montre le film Velvet Goldmine (1998) retraçant la vie d’un chanteur assimilé à David Bowie – les travestis ne sont encore que très difficilement acceptés par la société de notre époque. Le cinéma pose une ébauche de compréhension, sous un jour parfois drôle, parfois tragique, mais montre aussi que notre monde porte un regard souvent méfiant à l’égard de ce “troisième sexe”. Après tout, du travestissement de Laurence Alia découle bien un rejet de sa famille et de sa compagne, et l’amant d’un travesti dans Soldier’s girl est battu à mort pour l’avoir aimé…
En somme, si les travestis ne demandent qu’à être accepté par leur entourage, voir la société entière, se travestir est avant tout un cheminement pour se connaître soi-même. Le cinéma nous amène ainsi au delà de la peur ou du rire dans une tentative profonde et audacieuse de nous connaître davantage sans fard ni convenances.

Aurianna Lavergne

(17 mars 2015)

chronique n°1 : De quelques films sur les jeunes…(Pascal Bauchard)

Bande de filles, Céline Sciamma
Les héritiers, Marie-Castille Mention-Scharr
Qu’Allah bénisse la France ! Abd Al Malik
A 14 ans, Hélène Zimmer
Max et Lenny, Fred Nicolas

   Pour ma première chronique, je voulais revenir sur plusieurs films vus depuis l’hiver dernier, qui ont pour point commun d’évoquer , d’une façon ou de l’autre, le thème de la jeunesse, de l’école : il se trouve que ces films recoupent un des sujets que j’ai été amené à traiter en cours, à savoir le paysage de banlieue au cinéma, pour des élèves de Terminale, dans le cadre de l’histoire des Arts.
Le premier d’entre eux, Bande de filles , est l’œuvre d’une cinéaste, Céline Sciamma, qui s’était déjà intéressée à la période de l’adolescence dans Naissance des pieuvres (et de l’enfance dans Tomboy). Dans le cas de son dernier long-métrage, elle s’attache à faire la chronique d’une bande de jeunes filles de banlieue, qui ont en commun d’être noires…et d’être de superbes jeunes filles ! C’est d’ailleurs une des réussites du film de Céline Sciamma, qui semble avoir été fascinée par leur allure (on ne peut s’empêcher de penser au slogan de certains Afro-américains aux États-Unis dans les années 1960,   » Black is beautiful! »  ) : la caméra semble glisser sur elles avec une grande sensualité..Dans la première partie du film, on aurait pu craindre un portrait un peu réducteur : ces jeunes filles ont un côté bling-bling presque exaspérant mais Céline Sciamma se charge de nous rappeler les problèmes très concrets qu’elles rencontrent.. Elles ne sont pas toujours présentées de manière très avenante : par exemple, elles n’hésitent pas à racketter les autres élèves du collège….Au tout début du film, Marieme, la principale héroïne, est face à une conseillère d’orientation, qui tente de la convaincre d’aller faire un BEP aux débouchés incertains, alors que la jeune fille s’obstine à vouloir aller au lycée général : une situation que beaucoup d’enseignants auront connu dans leur carrière. De même, la fin du film est amère, car les quatre collégiennes se sont bien révoltées contre le rôle qu’on voulait leur imposer, mais le succès est incertain : elles se rêvent en « princesses pop et sexy, émouvantes reines du dance floor,» (Télérama) mais la vie se charge de les rappeler à la réalité.
Les héritiers, a connu un certain succès, et en particulier dans les salles des professeurs. Il est difficile de résister à cette histoire, édifiante pour le moins, d’une enseignante d’histoire géographie qui réussit à motiver une classe d’élèves « laissés pour compte »  en les faisant participer au concours de la Résistance. Le scénario se présente comme  « une histoire vraie » et il a été écrit par l’un des élèves qui ont participé à cette expérience. De fait, on ne peut que soutenir la démarche du professeur qui réussit à la fois à sensibiliser ces jeunes adolescents aux horreurs du système concentrationnaire nazi et aussi à leur donner confiance en eux-mêmes. La scène, où l’ancien déporté vient s’adresser à la classe m’a rappelé des souvenirs très précis, lorsque Monsieur Jean Samuel était venu dans notre collège pour évoquer la figure de Primo Levi, avec qui il s’était retrouvé au camp d’Auschwitz. Et de fait, j’avais ressenti , chez la plupart de mes élèves, une réelle émotion devant cette « tranche de vie » racontée par un témoin incontestable mais d’une grande humilité ..Le parcours de Mélanie, l’élève rebelle au début du film, qui est finalement touchée « par la grâce » en découvrant la vie de Simone Veil est tout à fait crédible : j’ai été parfois surpris au cours de ma carrière par la façon dont les collégiens « s’initient au monde »…Quelques remarques cependant : la cinéaste rapporte bien la première réaction des élèves lorsque l’enseignante leur propose le sujet du concours : certains se plaignent notamment « qu’on parle encore des Juifs ! ». Dans la réalité, je pense que les débats ont été plus intenses et plus longs que ce qui est montré…De même, la joie des élèves quand ils apprennent qu’ils ont remporté le concours laisse perplexe : est le fait d’avoir gagné – quasiment comme dans une épreuve sportive ? Le sujet les a-t-il vraiment touché ? Leur année scolaire a été réussie grâce à un professeur charismatique mais garderont-ils le même comportement les années suivantes ? Les enseignants savent que certains engouements ou engagements des élèves peuvent être bien éphémères..Mais , au delà de ces réserves, ce film est à voir, ne serait-ce que parce qu’il provoque justement le débat sur ce genre de questions fondamentales.
Pour le film d’Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France !, on peut aussi en souligner l’aspect édifiant : le cinéaste, qui a vécu une bonne partie de sa vie dans les banlieues difficiles de Strasbourg, présente une œuvre soignée (le noir et blanc utilisé n’est pas sans rappeler l’esthétique développée par Mathieu Kassowitz dans la Haine…). Son parcours paraît exemplaire et il veut clairement montrer qu’une issue est possible à la fatalité des banlieues : le héros du récit insiste sur ce qui lui a permis de s’en sortir, à savoir la religion (l’islam dans sa version soufi), la musique et en l’occurrence le rap, et… l’école (en particulier le soutien d’une enseignante de français, sensible à ses qualités). Reste qu’on peut se demander dans quel ordre ces trois facteurs ont joué dans l’émancipation du jeune homme (mais il est aussi possible qu’il n’y ait pas d’ordre ! ). De même, on s’interroge sur le comportement de cet adolescent, bon et même parfois brillant élève en classe et petit délinquant dans sa banlieue, une double vie sans doute difficile à assumer…
Dans A 14 ans, Hélène Zimmer retrace une année de collège de trois adolescentes, Sarah, Jade et Louise…le film semble bien nous renvoyer à la jeunesse de la réalisatrice, qui ne fait aucune concession. Ce petit monde de collégiens s’exprime très crûment, se montre souvent brutal, ne répugne pas à lever le coude lors de soirées bien arrosées. Les trois sont en conflit ouvert avec leurs parents (l’une d’entre elles se réfugie d’ailleurs chez sa grand-mère). On est frappé par la dureté de cet univers adolescent , où l’école n’apparaît à aucun moment comme une chance, une possibilité d’avenir différent : les trois vont passer leur brevet avec de bonnes chances de l’obtenir (de toute façon, elles pensent que seuls les débiles ratent ce concours!) et envisagent des bacs professionnels pour la suite…Peut-être peut-on estimer que ce portrait d’une génération est caricatural : les personnages ne semblent vraiment concernés que par leurs relations amoureuses et parfois sexuelles (on en parle beaucoup mais on agit peu…) et par leurs rapports souvent très conflictuels avec leurs propres parents. Par contre, on ne peut pas douter de la sincérité de la cinéaste, qui livre ici SA vision d’une adolescence manifestement difficile…
Enfin, Max et Lenny est un film qui se déroule dans les quartiers Nord de Marseille, sur les hauteurs au dessus de la Méditerranée : sans paraphraser la fameuse formule, qui voudrait que « la misère soit plus belle au soleil », le cinéaste réussit quelques plans superbes, d’immeubles délabrés au premier plan mais avec en arrière-plan, une vue sur une mer d’un bleu intense. Le personnage principal, Lenny est une jeune fille en rupture radicale, avec sa famille mais aussi avec l’école : elle rôde seulement aux abords du collège pour y retrouver son amie , jeune congolaise sans papiers,  mais il n’est pas question d’y remettre les pieds..C’est en tout cas un personnage féminin volontaire assez inhabituel dans le « cinéma de banlieue », une jeune fille qui n’est absolument pas soumise et qui veut prendre le contrôle de sa vie : en cela, elle est à l’opposé de son amie Max, congolaise sans papiers sous le coup d’une reconduite à la frontière…Comme dans le film d’Abd Al Malik, la musique rap joue un rôle majeur dans son épanouissement, même si ma culture m’empêche d’avoir un avis autorisé sur ce genre musical…
Au total, si on peut s’agacer de quelques clichés, ces quelques films présentent des portraits éclatés de la jeunesse actuelle, mais assez complémentaires et le plus souvent sans complaisance. Dans trois des films cités, les personnages des filles sont au centre des scénarios et ont une véritable épaisseur psychologique : si aucun des films évoqués n’emporte complètement notre adhésion, c’est qu’ils n’évitent pas toujours certaines facilités de ce qui est devenu un genre, le « film de cité ». En vrac, on retrouve dans tous ces films, le parler « jeune », l’omniprésence de la musique rap ou hip-hop.., les inévitables conflits jeunes/parents… Au delà de ces figures de style attendues, ils ont chacun leur « part de vérité » et témoignent de la sincérité et des bonnes intentions de leurs auteurs : comme aurait dit Alain Souchon, « c’est déjà ça »…et c’est déjà beaucoup !

Pascal Bauchard

(13 mars 2015)

A propos de cette rubrique

    En plus des articles que j’ai réuni sur ce blog, j’aimerai aussi proposer des chroniques où l’on parlerait de « tout et de rien », mais  bien sûr  de cinéma ! Ces textes pourraient évoquer le septième art, mais de manière plus informelle et peut-être moins austère, dans une optique plus large également….

Sur l’actualité cinématographique
Il s’agira pour moi, selon un rythme le moins contraignant possible, de faire part de mes découvertes, de mes « coups de cœur », de mes réflexions (!) et de mes énervements parfois, à propos des films qui sortent au cours de l’année, tant il est vrai que la critique institutionnelle me laisse souvent insatisfait. Selon les journaux ou médias, on est soit dans la promotion indécente, soit l’engouement de commande (pour certains, il est très chic de révéler au monde un nouvel « auteur » chaque semaine…). Mes modèles d’écriture seraient les critiques de la revue Positif, Pascal Merigeau dans le Nouvel Obs : j’apprécie aussi que Télérama donne parfois la parole à des critiques d’avis opposés, ce qui permet de se faire une opinion nuancée…
En considérant la profession que j’ai pratiqué fort longtemps, je suis plus intéressé par les films qui traitent de sujets historiques ou qui révèlent « quelque chose » de leur époque ou de leur société d’origine. Je suis très à l’affût des films qui « témoignent de leur temps », comme l’aurait dit Marc Ferro. Il me semble ainsi que les derniers films de Jia Zhangke (The World, Still Life, A touch of sin) sont très révélateurs de l’état de la Chine aujourd’hui, même si le public de ce pays n’y a pas toujours accès puisque leur diffusion y est restreinte…Cette année, des œuvres comme Leviathan d’Andrej Zvyagintsev ou de Taxi Téhéran de Jafar Panahi peuvent être aussi considérés comme des films-témoins. A l’inverse, plusieurs critiques se sont intéressés à juste titre sur la signification du très grand succès remporté par certaines comédies populaires comme Bienvenue chez les Ch’ti, Intouchables, ou Mais qu’est ce que j’ai fait au Bon Dieu ? (voir les articles de Jacques Mandelbaum dans le Monde ou de Baptiste Roux dans Positif). Bien sûr, les aspects esthétiques ne me laissent pas indifférents mais je suis peu attiré par des films qui ne seraient remarquables que pour leurs qualités formelles.
De toute façon, le cinéma a l’immense avantage d’être un art multiforme, qui peut trouver des publics très différents : entre les films d’auteur intimistes, les « grosses machines » hollywoodiennes, les comédies sociales, il y a de la place pour tout le monde et tout le monde peut y trouver son bonheur. Il est inutile et un peu vain de vouloir ostraciser certains films, au prétexte par exemple qu’ils ne répondent pas aux critères de « l’auteurisme »…Je dois dire que je suis parfois très attiré quand certains critiques déplorent la forme « conventionnelle » de tel ou tel long-métrage !
Ainsi, dans ces chroniques , j’essaierai de suivre l’actualité cinématographique, mais le rythme devrait être irrégulier car je compte bien me laisser guider par mon inspiration ! Je veux privilégier les films qui m’ont séduit et qui ont une résonance particulière avec la matière que j’enseignais, à savoir l’histoire. Comme je l’ai déjà écrit, j’apprécie que le cinéma ne soit pas que « de l’art pour l’art » mais qu’il me « parle » d’autre chose. C’est d’ailleurs devenu presque une déformation professionnelle, que de voir un film en pensant à ce que je pourrais en faire avec des élèves : à mon âge on ne se refait plus !

Au delà de l’actualité cinématographique
Mais ces chroniques ne devraient pas se réduire à rendre compte de l’actualité cinématographique : dans la mesure du possible, je tenterai aussi de rendre compte des livres sur le cinéma qui m’ont intéressé, tant l’activité éditoriale sur cet art est devenue d’une grande richesse…Beaucoup de maisons d’éditions ont développé des collections sur le cinéma souvent originales et stimulantes (les éditions Actes sud, les éditions Capprici, les éditions LettMotif, les éditions Rouge profond ainsi que des sites par définition innombrables ! (les institutionnels comme Zéro de conduite ou Cine-hig, mais aussi des sites plus personnels comme celui de Bertrand Tavernier ou de Régis Dubois…).
Enfin, je me réserve aussi le droit de consacrer une de ces chroniques à tout sujet en rapport avec le cinéma …Et les sujets ne manquent pas ! On pourrait de parler de thèmes très variés, liés à la place du cinéma dans l’éducation nationale : la pression des distributeurs à promouvoir certains films en salles des professeurs, les problèmes des droits sur les DVD diffusés dans le cadre de la classe, ou l’apprentissage d’une culture cinématographique à nos élèves (de plus en plus, certains ignorent des grands maîtres du cinéma, non pas par mauvaise volonté mais bien parce qu’ils n’ont pas l’occasion de voir leurs films : le temps où chaque Noël, on passait des cycles de films de Chaplin sur les chaînes publiques est bien révolu). Et quand je me suis livré au petit exercice un peu vain du « dropping names » dans les classes où j’ai pu enseigner l’histoire du cinéma, j’ai pu constater que certains noms prestigieux n’évoquent pas grand chose aux élèves que j’avais en face de moi. Ainsi Jean Renoir, Federico Fellini, John Ford et bien d’autres sont méconnus des collégiens et des lycéens et c’est un réel problème : le septième art qui a maintenant dépassé un siècle d’existence, a aussi une histoire qui mérite d’être enseignée !
On pourra aussi revenir sur le travail de certains cinéastes (par exemple, à l’occasion de rétrospectives ou d’expositions) ou de certaines œuvres quand elles sont diffusées avec des copies neuves…

Des chroniques ouvertes à tous…
Enfin, comme cette rubrique se veut un espace de liberté, j’accueillerai aussi bien volontiers dans ces chroniques mes anciens collègues qui voudraient aussi s’exprimer, ainsi que certains de mes anciens élèves, qui se sont révélés des cinéphiles enthousiastes (et j’espère y avoir été pour quelque chose !) : beaucoup d’entre eux participent (ou ont participé, parfois avec succès) à des concours de critiques, tels ceux organisés dans notre région : le concours José Clémente, le concours du festival Augenblick , ou le concours sur François Truffaut cette année. Et le regard des collégiens et lycéens sur le cinéma a souvent une fraîcheur à laquelle je ne peux plus décemment prétendre…

En un mot, cette rubrique se veut donc ouverte à tous les sujets et à tous les cinéphiles de tous âges, qui veulent bien y participer…On pourra y parler de « tout et de rien » mais bien sûr que de cinéma !